10. Coup de foudre...
Jonas est le seul à se dévouer. Moi, je n'ai rien contre le sport en général, mais ce matin je n'ai pas envie de galoper dans les allées de l'Orangerie que je connais sur le bout des doigts, enfin, des pieds plus exactement. J'ai toujours habité à Strasbourg et je fréquente le parc depuis mes premiers pas.
Et puis, je préfère rester à la maison avec Marylou qui ne m'empêchera pas de rêver au regard d'hier. Qui, malgré la nuit, est resté gravé en moi. Il me semble qu'il est inscrit dans mon cœur pour l'éternité.
Je suis folle! Un garçon dont je ne connais ni le prénom ni rien! Si ça se trouve, debout, c'est un nain ou une fille au regard violet. Je tergiverse, ça ne pouvait pas être une fille, je l'ai sentie. Le regard était trop intense pour appartenir à une fille.
Je tourne dans l'appartement en me demandant comment en parler à Marylou. Car les conseils de Sophie, je m'en méfie. Je suis sa confidente, mais la réciproque n'est pas vraie. Marylou me semble plus apte à m'écouter. Pas seulement parce que c'est ma soeur mais aussi parce qu'elle sait écouter. C'est bien pour ça qu'elle réussira à la radio. Les gens adorent qu'on les écoute.
C'est elle qui finit par me demander:
Marylou: Dis donc, Lola, tu me donne le tournis à force de faire l'ours en cage ! Si tu me disait ce qui te travaille? C'est le théâtre? Tu te fais du souci pour la décision de Bob? Moi je suis sûre que tu auras le rôle d'Antigone... tu as le look.
Je fais une grimace.
Moi: Ouais, le look, mais ça ne suffit pas ! Du moins, à ses yeux. Il me trouve encore un peu jeune, pas assez d'assurance, pas assez de naturel... Bref, j'ai des défauts à corriger...
Je me tais. Moi qui ne pensait plus du tout au théâtre !
Marylou: Il y a peut-être autre chose...
La fine mouche! Elle me connait bien. Je m'assieds en face d'elle et je lui raconte tout. Elle ne m'interrompt pas. Elle ne bouge même pas, silencieuse et calme enfouie dans le gros fauteuil en cuire blanc.
Marylou: Eh bien, c'est un coup de foudre ou je ne m'y connais pas!
Moi: Tu disais tout à l'heure à Jonas que c'était ridicule...
Évidemment, ils sont tous amoureux d'elle. Même le boss.
Marylou: En ce qui te concerne, c'est différent. Moi je crois qu'il faut avoir confiance en son intuition. Et si tu sens quelque chose, et bien, c'est que tu as raison. La logique et les maths n'ont rien à voir là dedans.
Moi: On dirait que tu t'y connais bien...
Elle ne répond pas. Elle ne me racontera pas sa vie. Du moins, pas aujourd'hui. Mais je devine qu'il y a anguille sous roche. De qui s'agit-il ?
D'un des trois garçons qui travaillent avec elle à la radio?
Sûrement pas... encore que... Elle est si discrète.
Elle se tant puis replonge dans son magasine de mode, les robes, les bijoux, les parfums. Elle vit avec son temps, à l'aise dans ses baskets, façon de parler parce qu'en l'occurrence, elle porte plutôt des escarpins. Alors que moi, parfois je me demande à quelle époque j'évolue...
À celle d'Electre ou d'Antigone ? À force de côtoyer des personnages de fiction, je vais finir par me transformer en héroïne de tragédie!
Marylou: Allez Lola, un peu de nerf ! Tu le trouveras ton beau ténébreux !
Moi: Où ? Je rétorque, tu crois qu'il va venir sonner à la porte ? D'abord il y a un code et ensuite, ça n'arrive que dans le théâtre de boulevard...
Marylou: La vie a plus d'imagination que toi et que n'importe qu'elle auteur, je le répète, aie confiance!
Elle est aussi folle que moi. Elle n'est pas ma sœur pour rien. Nous nous ressemblons toutes les trois, même Alice pour sa passion des saltos.
Nous sommes unies à la vie, à la mort. Rien ne pourra détruire ça... Enfin, je l'espère.
Marylou: Je vais me vernir les ongles, m'apprend Marylou en se dirigeant vers la salle de bains, et ensuite, si on préparait le déjeuner? Les deux coureurs vont rentrer, l'estomac vide, il faudra les remplir...
J'acquiesce. Je commence même à éplucher les patates pendant qu'elle prend sa douche. On pense bien, assis devant un saladier de pommes de terre. Les épluchures tombent en spirales jaunes sur le papier journal. Machinalement, je lis un encart signalant la présence d'un écrivain à la librairie Kléber, mercredi dix juillet de seize à dix-neuf heures , pour une séance de dédicaces. Le livre s'appelle Mettre en sol majeur. Un polar sûrement. J'aime assez finalement, je trouve que ça se rapproche de la tragédie. Aujourd'hui, on classera Sophocle dans les romains policiers !
Marylou: Tu es toute songeuse Lola ! Encore avec lui je suppose !
Marylou sourit. Nous ne pouvons pas l'appeler "lui" puisque nous ignorons jusqu'à l'identité du mystérieux spectateur si, sans doute, m'a déjà oubliée... Je n'étais qu'une comédienne parmi d'autre, et pas vraiment extraordinaire. À l'heure qu'il est, il se promène en amoureux avec sa petite amie qui est jolie, plus jolie que je ne le serai jamais. Il lui chuchote des mots doux, se penche sur elle, l'embrasse.
J'aimerais être elle, je donnerais tous les rôles du monde même celui d'Antigone, pour être avec lui... Pour que son regard me pénètre encore une fois, une toute petite fois. Si une seconde chance m'est offerte, je jure que je ne la laisserai pas passer.
Mais dans la vie, il n'y a pas de seconde chance.
Jonas: On meurt de faim, clame la voix de Jonas dans le couloir, on a fait dix fois le tour de l'Orangerie ! Qui dit mieux?
Moi: Sûrement pas nous, je réplique en jettant les patates dans la friteuse, c'est prêt dans dix minutes ! Au menu: steak frites, salade de tomates et glace, qui dit mieux?
Ce n'est pas un repas très diététique, mais c'est rapide. Et puis, marre des légumes cuits à l'eau, des soupes et des carottes râpées que tante Zoé nous faisait ingurgiter sous prétexte qu'elle se préoccupait de notre santé. Maintenant, à nous les fruits défendus: glaces et frites à gogo! De toute façon, aucune de nous trois n'a de problème de ligne, alors pourquoi se priver? Comme dit Marylou, on surveillera notre alimentation quand il y aura péril en la demeure.
Jonas s'installe entre Marylou et Alice, en face de moi. Je le trouve assez sympa pour un croqueur de cacahuètes, mais il faudrait tout de même pas qu'il s'imagine qu'on lui ouvre les bras de l'appart.
Marylou: Allez, me chuchote Marylou à l'oreille pendant qu'Alice débarrasse aidée de Jonas (quand même, il daigne lever le petit doigt, c'est la première fois depuis le début du repas), tu le reverras, il habite certainement ici, sinon qu'aurait-il fait au théâtre? Tu risque de tomber dessus à l'improviste dans la rue, au cinéma, et dans le pire des cas, il reviendra pour voir votre nouvelle pièce.
Moi: En mai de l'année prochaine! Autant dire jamais.
Je ne supporterai pas d'attendre aussi longtemps. Elle chuchote encore (d'ailleurs elle pourrait parler à voix haute, Jonas a mis ses écouteurs dans les oreilles et il n'entend que son rock bien aimé) :
Marylou: L'amour, le véritable amour, se nourrit aussi d'absence. L'éloignement, la separation, raviver les grands sentiments et éteignent les petits.
Qu'est ce qu'elle en sait ?
Je me rappelle aussitôt qu'elle a deux ans de plus que moi, et qu'elle a vécue une année entière dans sa pension suisse, près de Genève. Où elle a rencontré des gens que je ne connais pas. Et parmi ces gens, certainement des garçons de en âge...
Alice: Qu'est-ce qu'on fait maintenant ? Demande Alice.
Moi: Encore ? Tu n'as pas assez bougé ce matin ? Maintenant, on digère!
Alice fait la moue, ce qui lui donne l'air d'un bébé grognon. D'ailleurs, c'est notre bébé de quatorze ans, un bébé difficile à faire tenir en place. On ne peut tout de même pas lui installer une salle de gym à domicile !
Jonas: Moi, je veux bien aller nager un peu, mais pas à la piscine, ça pue trop le javel... je préfère un lac ou une rivière...
Alice se tourne vers son sauveur, Jonas, un regard brillant:
Alice: Ah, enfin quelqu'un qui me comprend!
Marylou éclate de rire.
Marylou: Mais on te comprend, seulement il fait chaud et on est trop bien chez nous pour sortir...
Finalement, on trouve un compromis: la terrasse et les chaises longues jusqu'à seize heure, et la rivière ensuite. Jonas connais un endroit merveilleux, nous assure-t-il, pas trop de monde et suffisamment de profondeur pour pouvoir sauter depuis une souche d'arbre providentielle. Pour finir le dimanche en beauté, pizzeria pour tout le monde, conclut Marylou.
Ça me va. Ça nous va.
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Chapitre 10, bouclé !
Chapitre 11 plus mouvementé ! Devinez pourquoi ?!
Bisous bisous !
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