Cela fait deux semaines que l'équipe du Brésil est au Japon pour la Coupe du monde.

Le système est simple : ils rencontrent toutes les autres équipes qualifiées à tour de rôle pendant trois tirages, et l'équipe qui aura le plus de victoires remportera le titre de champion du monde. Ils ont donc commencé par une semaine à Nagano, où ils ont gagné leurs cinq matchs sans même un tie-break ; puis ils ont rejoint le site d'Hiroshima pour trois nouveaux matchs, tous gagnés 3 – 0. Leur reste le dernier tiers de la compétition, toujours à Hiroshima, et ils espèrent bien tout remporter pour croquer de nouveau l'or.

C'est aussi le moment de jouer contre les hôtes –l'équipe nationale japonaise. Ils ne se sont plus rencontrés depuis juin, depuis ce dernier match où ils ont mis la misère à Tobio et aux siens. Les deux équipes jouent dans la soirée, et les brésiliens ont passé toute la journée à se détendre et à récupérer du match de la veille –leur premier tie-break contre la Pologne, mais qu'ils ont gagné, effaçant du même coup les souvenirs encore amers de la ligue mondiale.

-Ça va être fun, dit Lucas dans le bus pour se rendre au gymnase.

-Ça sert à rien de partir trop confiants, corrige Bruno.

Il s'est installé côté fenêtre, le dos contre la vitre, les jambes croisées sur celles de Nico pendant qu'il relit quelques notes de stratégie.

-Ils ne se laisseront peut-être pas autant déstabiliser.

-Mais on a toujours autant envie de les battre, fait remarquer Mauricio.

-J'ai dit qu'on les écraserait, confirme Nicolas.

Ça fait plusieurs jours que Tobio et lui se provoquent par message dans l'attente de ce match, et Kageyama n'a clairement pas l'intention de se faire sortir comme lors de leur précédent affrontement. C'est aussi la première fois qu'ils vont se revoir depuis l'été, même s'ils se donnent des nouvelles tous les jours et que Romero peut suivre toute l'intégration de Tobio à Rome ; et ça a l'air de se passer à merveille. Il a son appart là-bas avec Tooru, qui a rejoint un club de Ligue 2 ambitieux, et s'entend bien avec toute l'équipe. De quoi le mettre dans les meilleures dispositions pour la compétition, et le Japon s'en tire particulièrement bien jusqu'ici, affichant sept victoires et deux défaites seulement –un ratio inédit pour cette équipe jeune et innovante.

-On aura du répondant en face, commente Bruno qui a ces mêmes données sous les yeux. Pas besoin de s'enflammer comme au dernier match, on fait notre jeu, c'est tout.

Ils se changent, revêtent leur maillot jaune, puis entrent sur le terrain pour s'échauffer tranquillement. Nico prend tout de même deux minutes pour aller saluer Tobio pendant le temps de flottement où tous les joueurs ne sont pas encore arrivés, et ils s'étreignent brièvement.

-T'as coupé tes cheveux ! s'écrie Romero en le lâchant finalement, effleurant du bout des doigts la frange raccourcie de Tobio.

-C'est pour pas qu'ils me tombent dans les yeux. T'aimes pas ?

-Ils étaient coupés comme ça quand on s'est rencontrés, non ?

-Ah, sûrement, ouais..., marmonne Kageyama en rougissant un peu.

Nico se sent soulagé de pouvoir lui parler sans trop de douleur, même en évoquant leur passé. Il aimerait un autre câlin, mais sait que ça ferait trop –trop pour ces circonstances, trop pour ce qu'ils sont. Il se laisse le droit d'être tactile, mais pas plus qu'avec les autres ; et là où se situe leur différence, c'est dans leur langage habituel.

-Bon match, chéri.

Tobio lui met un poing joueur contre le torse, puis recule vers son équipe :

-Bon match à toi aussi...

Ses pommettes sont roses, son regard se dérobe, et Nico n'est pas sûr avec le chuintement des baskets et les rebonds des ballons, mais il lui semble que Kageyama a marmonné un vague m'cœur.

Le Japon prend le parti d'alterner leurs deux passeurs et de leur laisser chacun un set pour faire leurs preuves. Miya commence –et c'est un passeur de grand talent, mais le Japon a du mal à trouver son rythme, et l'équipe de Nico compte bien tout rafler. Tobio prend le relais au deuxième set, et cette fois, les choses changent ; peut-être le Brésil a-t-il du mal à adapter leur stratégie pour répondre à cette nouvelle dynamique, mais les scores accrochent, et le Japon finit par l'emporter 26-24.

-C'était juste quelques fautes de notre part, dit Bruno. On se ressaisit, maintenant.

Le troisième set voit de nouveau la tendance s'inverser, et le Brésil domine largement –enchaînant les séries de service et les attaques rapides, et Nico adresse un sourire narquois à Tobio quand il le fait zipper comme promis. Le set est plié rapidement, et Atsumu réapparaît pour essayer de mener le Japon au tie-break dans un élan d'orgueil –et les points s'égalisent, se doublent et se rattrapent, mais l'équipe de Nico garde la tête froide cette fois, et ils gagnent leur troisième set 27-25.

Les deux équipes se serrent la main, et le Japon, quoique défait, semble plutôt euphorique d'avoir réussi à accrocher la première équipe mondiale, confirmant leurs progrès. Tobio s'oriente vers Nico pendant les étirements, une légère moue sur les lèvres mais l'œil fier :

-Tu me donnes ton maillot ?

Nico sourit de toutes ses dents :

-Tu comptes faire collection ?

Une nouvelle voix se fait entendre :

-Nan, on va les revendre aux enchères alors n'oublie pas de les signer !

Ils se retournent tous les deux vers les gradins où se tient Tooru, accoudé là négligemment, qui leur adresse un signe de paix.

-Yo, Nico-chan.

-Salut, Tooru. La forme ?

-Ouais, je compte bien être sur le terrain la prochaine fois, sourit Oikawa. C'était un beau match. Vous allez être champions si vous gagnez demain, non ?

-Quand on gagnera demain, rectifie Nico.

-Je viendrai voir. Tobio joue juste après, je n'aurai qu'à prendre un peu d'avance.

-C'est gentil, le remercie Romero.

Kageyama hoche la tête d'un air impatient, et Oikawa sourit :

-Je crois qu'il veut vraiment ton maillot.

Nicolas s'en débarrasse donc, et récupère celui de Tobio en échange –noir et floqué de son nom ainsi que du numéro 9. Tooru n'a pas l'air d'y trouver à redire, au contraire, étonnamment ; et ça soulage assez Nico, à vrai dire, de voir qu'Oikawa fait passer le bonheur de son âme sœur avant une jalousie naturelle.

On trouvera notre équilibre, lui, toi et moi, a dit Tobio.

Nico a l'impression qu'ils l'ont à peu près trouvé.