90. 27 août 2019
Nico et Rafael sont installés dans leur nouvel appartement.
Quelques visites immobilières ont suffi avant de trouver ce que Romero espérait : un appartement spacieux et lumineux, avec un vaste séjour où Rafa pourra étaler ses jouets, et une terrasse assez grande pour faire quelques passes ; trois chambres, chacun la leur plus une chambre d'amis, qui servira probablement à ses coéquipiers ou à Tobio, s'il vient lui rendre visite.
En attendant, elle sert de bureau, mais Romero reste incertain, ne sachant vraiment qu'y faire, se demandant vaguement si cette pièce prendra plus de sens quand il aura arrêté sa carrière. Il ne se sent pas vraiment de devenir entraîneur, c'est trop de responsabilités –alors pourquoi pas se reconvertir dans un domaine complètement différent ? Giba s'est bien lancé dans la cuisine. Mais Nicolas ne sait pas trop ce qui l'attire –la littérature, les sciences, la psychologie, l'économie ? la mécanique, le jardinage, l'informatique ? Il a reçu un enseignement scolaire jusqu'à dix-huit ans, fourni par le centre de formation et en alternance avec les entraînements, mais il n'en a pas retenu grand-chose. Il n'avait que le volley dans la tête.
Il aura bien le temps d'y penser. Pour l'instant, il profite de son espace –il est près de Copacabana, et Rafa peut aller suivre y ses leçons de beach sans souci avec Heitor, quasiment tous les jours. Il faut moins d'un quart d'heure à Romero pour rejoindre la maison de ses parents, et il peut facilement y déposer son fils s'il doit passer la nuit dehors. Et surtout, il n'est pas loin du gymnase où s'entraîne l'équipe de Rio –celle qu'il a choisi de rejoindre, et où il retrouve la plupart de ses amis.
Même s'il vient enfin d'acquérir son chez-soi, Nico doit reprendre l'avion dans quelques jours, histoire de régler définitivement ses affaires japonaises ; vendre sa voiture, revoir le propriétaire de son appartement pour rendre ses clefs, passer un dernier moment avec les Adlers. Il ne sait pas encore s'il reverra Tobio, même s'il en meurt d'envie ; ils prennent des nouvelles par messages, et allument toujours la lampe, cette petite lumière colorée et changeante que Nico a posée sur une étagère, au milieu de ses coupes et de ses médailles, et qui lui rappelle qu'il est encore uni, d'une manière ou d'une autre, à Kageyama.
La réponse lui vient tandis qu'il bronze sur sa terrasse, et il doit plisser les yeux pour déchiffrer son écran sous la luminosité vive du soleil brésilien :
Tobio : tu veux que je vienne te chercher à l'aéroport ?
Moi : si tu veux, si ça ne te dérange pas
Et si ça ne dérange pas Tooru.
Tobio : dis-moi juste l'heure et je te déposerai chez toi
Nico lui envoie sans faire d'histoires, mais ne peut s'empêcher de ressentir une vague euphorie et un picotement de hâte. Il sait très bien que tout geste ambigu devra disparaître –plus de baisers, même platoniques, c'est peut-être trop risqué. Et il n'a pas envie de se faire du mal inutilement. Tobio et Tooru ne se sont peut-être pas plus mis en couple que Kageyama et lui n'ont rompu –sans rien verbaliser, en laissant les choses se faire telles qu'elles doivent être et revenir dans leur ordre naturel.
-Tu le sens comment ? lui demande Bruno.
C'est la veille du départ de Nico. Ils sont sur la terrasse, baignés par le soleil se couchant au large de Rio, buvant tranquillement leur bière.
-On verra, répond Nico. On ne fait que se croiser. Je suppose qu'on se comportera normalement, ni plus ni moins, comme quand on s'est rencontrés et qu'on était simples coéquipiers.
-Joli à dire.
Bruno le guette d'un œil inquiet.
-J'ai l'impression que tu digères plutôt bien la rupture.
-Quoi, t'aurais voulu que je sanglote dans tes bras tous les soirs ? Désolé, Bruninho.
-Pff.
Romero sourit.
-En vérité, je me sens assez serein, confesse-t-il. Je traînais ça depuis trop longtemps. Je savais qu'on allait rompre depuis cet hiver, je ne savais pas quand, c'est tout. Je l'accepte... Plus ou moins bien selon les jours, mais c'est comme ça. Ça ira de mieux en mieux.
-Tu l'aimes encore ?
-Ouais.
Nico hausse imperceptiblement les épaules.
-Pour toujours et à jamais, ironise Bruno en terminant sa bière.
Pourquoi pas ? a envie de répondre Nico. Cesser d'aimer Tobio lui semble une idée absurde, incongrue, même en se projetant des années dans le futur. Il l'aimera encore ; peut-être pas aussi passionnément, peut-être pas aussi intensément, peut-être pas aussi romantiquement, mais il l'aimera toujours.
Il veut croire que les choses s'amélioreront. Alors oui, il se sent un peu seul dans son lit double, il a l'impression qu'il lui manque quelque chose quand il est assis à regarder la télé –un corps blotti contre le sien-, il regrette de ne pas avoir emporté la recette du curry à la Kageyama. Ces manques se doublent de pensées parasites, celles où il se demande comment Tobio avance dans sa relation avec Tooru, où ils en sont. S'ils se sont dit je t'aime, s'ils se tiennent la main, s'ils ont eu leur premier baiser et leur première fois.
Ça le tracasse, au fond. De ne pas savoir, de ne pas oser demander, de ne pas vouloir passer pour un voyeur. Il se dit que tout ça, Tooru l'a senti, quelques mois plus tôt quand la configuration de leurs relations était différente. Il ne sait pas s'il se souhaiterait le même sort. Lui, il doit avancer tout seul, sans lien, et c'est à la fois une malédiction et une bénédiction.
Mais il a de quoi s'occuper. Il peut passer du temps avec son fils chaque jour, à jouer comme à réfléchir ensemble sur les devoirs, puis à se récompenser par quelques attaques-réceptions ou un tour sur la plage ; il voit ses coéquipiers fréquemment, l'équipe au moins une fois par semaine et Bruno quasiment tous les jours avant la reprise du championnat ; et il prend soin de son corps et de son esprit en allant courir tous les matins. Il a refait son parcours à travers les rues et les allées moins fréquentées de Rio, mêmes baskets de course que celles qui arpentaient naguère les chemins de Sendai, dissimulant ses cheveux bouclés sous une casquette plutôt qu'un bonnet, courant d'une foulée régulière –et il a l'impression que chaque nouveau pas qu'il fait l'éloigne un peu plus de celui qu'il était au Japon.
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