85. 7 juin 2019
Nico n'a pas faim, mais il finit quand même son sandwich pour que Bruno arrête de le fixer avec insistance.
C'est leur premier jour de match pour cette nouvelle poule, et ils tombent contre l'Iran, un gros match en perspective. Ils sont arrivés au gymnase en fin de matinée pour prendre leurs repères et poser leurs affaires, puis se sont installés dans une cour pour manger ensemble avant d'aller s'échauffer dans le gymnase, le match étant prévu en milieu d'après-midi.
-Kageyama vient voir le match ? interroge Lucas.
-Ouais.
Kageyama. Ce n'est plus Tobinho, désormais, il a perdu ce surnom affectueux, relégué à sa place d'étranger, hors de leur bulle.
-Il sera dans le public, alors ? Ce serait dommage si mon service dérapait dans sa face.
-Arrête, Lipe, gronde Bruno.
-Ce sera juste un adversaire, marmonne Nico en repliant l'emballage du sandwich. C'est tout. Je réglerai ça hors du volley.
Ils prennent un peu de temps pour digérer, puis se rendent aux vestiaires pour se changer. Romero enfile son maillot habituel, jaune vif, écussonné du drapeau brésilien et de son surnom en caractères verts, Nico, le short bleu, les genouillères. Chaussettes blanches montantes, baskets de salle. Il a la chance de ne pas porter d'attirail médical à ses genoux ou ses chevilles, mais strape consciencieusement ses doigts, ses index et ses majeurs ainsi que l'auriculaire de sa main droite, coinçant la bande entre ses dents le temps de la couper.
Cela lui fait perdre un peu de temps, d'autant plus qu'il vérifie ses messages pour voir si Tobio lui a écrit –le Japon joue peu après eux, il voudrait savoir s'il est arrivé pour se préparer sereinement à le revoir. Le temps qu'il range ses affaires, tous ses coéquipiers sont déjà sortis pour rallier le terrain, et il se hâte de les rejoindre, peu désireux de se faire engueuler par le coach.
Ses yeux tombent immédiatement sur les tribunes en entrant dans la salle. Il reconnaît les vestes rouges et les visages familiers, Wakatoshi, Korai, Atsumu ; et son cœur se serre d'appréhension avant de constater que Tobio n'est pas avec eux.
La plupart de ses coéquipiers brésiliens non plus, d'ailleurs.
-Ils sont où, les autres ? lance-t-il à un manager.
-Aux toilettes. Comme s'ils avaient besoin d'y aller à cinq.
Nico décide de les chercher. Ça ne lui plaît pas de voir que ses coéquipiers et Tobio ne sont pas là où ils devraient respectivement se trouver –c'est-à-dire séparés par une barrière de sécurité. Il emprunte un couloir, espérant les retrouver et redoutant ce sur quoi il peut tomber, guettant les éclats de voix.
Tobio lui rentre dedans à l'angle d'un couloir.
Ils se fixent une seconde sans rien dire, tous les deux tétanisés. Les joues de Kageyama perdent brutalement leurs couleurs, et son expression est tellement choquée que Nico éclate de rire. Peut-être à moitié de nervosité, mais il le dissimule en se moquant gentiment de Tobio :
-Pourquoi t'es tout pâle, on se connaît maintenant !
C'est une référence directe à leur première rencontre, quatre ans plus tôt. Cela semble si loin à Nico. Tobio fait un pas vers lui, et il le prend dans ses bras –par automatisme, aimerait-il se convaincre.
Je câline bien mes amis. Ça ne veut rien dire de plus.
Il garde la même neutralité ensuite, ignorant la bouche de Tobio pour lui ébouriffer les cheveux à la place. Il songe qu'il aurait dû mieux profiter de leur dernière baiser à l'aéroport.
-J'ai vu ton équipe, murmure Kageyama.
C'est ce que Nico craignait. Et c'est sûrement à cause de cette rencontre que Tobio a l'air si perturbé.
-Fais pas attention, ils...
Ils me défendent, je ne peux pas leur en vouloir.
-Ils ont lu l'article, c'est ça ?
Nico ne sait pas quoi répondre. Il ne veut pas en parler maintenant. Il hausse les épaules :
-Ouais.
-A ce sujet, l'article-
Romero pose un doigt sur la bouche de Tobio avant qu'il ne continue. Kageyama écarquille des yeux étonnés, mais Nico ne compte pas se laisser attendrir cette fois. Il a autre chose à faire. Il a autre chose à penser. La discussion de rupture peut attendre.
-Plus tard, dit-il. Je joue, maintenant, mon cœur.
Le petit surnom atténue la fermeté de ses mots, mais il ne manque pas la manière dont les lèvres de Kageyama tremblent. La vue lui fait un peu de peine, et il l'embrasse sur le front, comme aux temps de leur relation platonique, espérant que les choses seront claires sans pour autant être trop brutales.
Nico repart en direction du gymnase, et le couloir qu'il remonte en sens inverse lui semble interminable. Il sent les yeux de Tobio lui vriller le dos, mais se force à ne pas se retourner. Quand il pousse finalement la porte, il se félicite de ne pas avoir craqué.
Il aimerait se mettre dans l'état d'esprit d'avant-match, mais ses coéquipiers lui mettent le grappin dessus dès qu'il apparaît, et il le leur rend bien.
-T'étais où, Nico ?
-Vous avez dit quoi à Tobio ? réplique-t-il plutôt.
Ils hésitent, et Lipe est le premier à assumer :
-J'ai dit que j'allais l'exploser demain, sur le terrain et en dehors.
-J'ai dit que je comptais lui péter les doigts, reprend Lucas. Les dix.
-Juste que c'était un gros connard, avoue Wallace.
Bruno est le dernier à répondre, et fixe Nico droit dans les yeux sans présenter une once de remords :
-Je lui ai souhaité de morfler autant qu'il t'a fait souffrir.
Nico soupire en se massant les tempes, et Lucas ajoute :
-Mais t'inquiète, on a parlé portugais. Il peut pas comprendre, si ?
-Est-ce qu'il était avec un petit roux ? demande Romero.
-Euh, ouais.
-Parce que lui comprend le portugais, bande de crétins !
Loin d'être honteux, ils éclatent de rire ; et si Nico secoue la tête d'un air incrédule, leur joie est communicative, et il ne peut empêcher un sourire de tirer au coin de ses lèvres.
-T'as vu Tobio, alors ? demande Bruno peu après, quand ils vont chercher une balle dans le panier.
-Ouais. Je lui ai dit qu'on parlerait plus tard.
-T'as eu raison. Je suis fier de toi.
Nico lui présente un nouveau sourire, et garde celui-ci sur les lèvres un certain temps –probablement parce que Bruno a pris soin, se rend-il compte un peu plus tard, de faire en sorte qu'il tourne le dos à la tribune japonaise pendant tout leur échauffement, et ne puisse pas voir l'expression défaite de Kageyama.
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