81. 28 avril 2019
Nico rentre chez ses parents le lendemain de la soirée.
Sa mère lui a réservé un bel accueil, avec sa recette de galinhada maison, et Romero a l'impression que ça fait une éternité qu'il n'en a pas mangé.
-T'es allé chez le coiffeur ? demande sa mère en examinant ses mèches de cheveux.
-C'est ma belle-sœur, se justifie Nico. Je devais aller à un mariage.
-Le mariage de Ninja Shouyou ! s'écrie Rafael. C'était bien ?
-C'était bien, confirme Romero.
L'image de Tobio en train de danser avec Tooru resurgit dans son esprit, il l'en sort aussitôt. De toute façon, ils vont sûrement se voir en profitant de son absence. C'est comme ça, c'est ce qui est censé se passer. Il évite d'y penser et se focalise sur son repas, puis suit Rafael quand celui-ci lui demande de faire quelques passes avec lui dans le jardin.
Ils jouent un moment, puis s'asseyent côte à côte pour boire. Nicolas sent que son fils veut lui demander quelque chose ; Rafa a beau avoir grandi, il a gardé ses mimiques. Et il lâche finalement, sans vraiment oser le regarder :
-Papa... Tu sais, on n'est jamais allés sur la tombe de maman à deux.
Il mâchouille sa lèvre comme s'il était coupable de demander, et Romero est pris au dépourvu. Il se doutait bien que ce jour arriverait, mais encore une fois, il a l'impression que le temps lui a filé entre les doigts.
-Tu voudrais qu'on y aille ? demande-t-il doucement.
Rafael hoche la tête. Il a l'air grave, c'est une expression que Nico ne lui connaît pas. Mais il a besoin de se construire, de rechercher son identité. Il se rend sur la tombe avec ses grands-parents, mais le faire avec son père a un sens différent. Ce sera la première fois qu'il voit ses parents réunis, en quelque sorte.
Nicolas a l'impression que l'atmosphère s'est appesantie lorsqu'ils entrent dans le cimetière. Ils remontent les allées, arrivent face à la tombe – blanche, propre, toujours la même sauf pour les fleurs régulièrement renouvelées.
-Voilà, murmure Nico, parce qu'il ne sait pas quoi dire d'autre.
Rafael fixe la stèle avec intensité pendant de longues minutes, les lèvres closes, avec cet air sérieux qui dénote sur son petit visage.
-Est-ce que maman est morte à cause de moi ? demande-t-il finalement. Mamie dit que non. Mais si je n'étais pas né, elle ne serait pas morte, si ?
Les mots choquent Nico. Profondément. Il pose un genou à terre pour empoigner Rafa par les épaules et le fixer droit dans les yeux :
-Ce n'est pas à cause de toi. Tu entends ce que je dis ? Tu n'as rien à voir là-dedans, tu étais un bébé.
-Mais..., murmure Rafa en le regardant avec des yeux qui se remplissent de larmes, des fois je me demande si... si tu m'en veux parce que c'est ma faute et... si c'est pour ça que tu pars loin de moi.
Romero est privé de parole. Il savait que ça lui retomberait dessus un jour, que son fils finirait par se demander pourquoi il passe plus de temps à l'étranger que de rester avec sa seule famille. Ce que ça signifie. Il pensait que Rafael lui en voudrait –pas qu'il reporterait le blâme sur lui-même.
Il le serre contre lui.
-Non, chuchote-t-il. Jamais. Je... je suis parti parce que je devais apprendre à gérer la mort de ta maman. Mais maintenant, ça va. Je vais rentrer. On va vivre ensemble, toi et moi.
-Et Tobio ? demande Rafa d'une petite voix.
-Toi et moi, répète Nico.
-Mais...
-Peu importe. Je t'aime plus que tout. Plus que Tobio. Je suis là, je suis rentré, et ma priorité, c'est toi.
Il sait, au fond, que c'est ainsi que ce doit être. Mais une part de lui souffle qu'il aurait pu tout avoir, si Tooru n'était pas revenu, qu'ils auraient pu vivre à trois avec Tobio, et qu'il n'aurait pas eu à mettre en place ce simulacre de choix.
-Je t'aime aussi, papa, lui répond Rafa en reniflant.
Ils se recueillent encore un moment devant la tombe avant de rentrer, et Nico achète une glace à son fils pour le rasséréner un peu. De telles questions sur la mort et la colère ne devraient pas encombrer le cerveau d'un enfant. Il s'en veut, il a l'impression de créer du malheur partout où il passe –en privant deux âmes sœurs d'être ensemble, en inquiétant ses amis, en faisant culpabiliser son fils.
Dans ce contexte, il a du mal à partir pour ses premiers essais, même s'il n'est pas si loin ; il commence par Sao Paulo, pour tester dans le club de Bruno. C'est chez lui que réside Nico pendant les quelques jours d'entraînement, et il s'installe dans la chambre d'amis.
-Qu'est-ce que c'est ? demande son coéquipier d'un air intrigué quand Nico pose sa lampe sur sa table de chevet.
-Elle s'allume et change de couleur, regarde, répond innocemment Romero.
-Je connais ce machin. C'est connecté, non ? C'est Tobio qui a la deuxième ?
Nicolas hoche la tête. Il s'attend à ce que Bruno fasse des commentaires, peut-être le relance sur le sujet de Kageyama, mais son passeur l'épargne pour cette fois. Et c'est tant mieux. Nico a d'autres choses sur lesquelles se concentrer, et il aimerait garder les âmes sœurs loin de ses pensées.
C'est ce qui l'arrange, aussi, avec Bruno : son âme sœur est quasiment invisible. Nico en entend rarement parler, il ne l'a croisée qu'une fois ou deux. Ils ne se sont pas rejetés, mais ont d'autres priorités que de se mettre en couple, privilégiant leurs carrières et se laissant donc de l'espace, beaucoup d'espace. A ce moment où Nicolas a l'impression de subir le système des âmes sœurs, où il ne veut plus en entendre parler et supporte encore moins d'avoir des couples sous les yeux, l'appartement solitaire de Bruno devient un véritable oasis.
Pendant leur petit séjour, il mange bien, il dort bien, et il prend plaisir à jouer. Les essais se passent à merveille, la complicité entre Bruno et lui est aussi affirmée que d'habitude ; et il a cette impression, peut-être fugace et sûrement illusoire, que les choses sont rentrées dans l'ordre.
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