Nico sent tout de suite que quelque chose ne va pas.

Il est dans une euphorie folle tandis qu'il rentre d'Italie mi-octobre. Après avoir gagné la Ligue mondiale en juillet pour la deuxième année consécutive, l'équipe du Brésil dont il est désormais titulaire vient de remporter les championnats du monde de volley-ball, un événement mondial qui ne se produit qu'une fois tous les quatre ans. Cela ajoute une nouvelle médaille d'or à sa collection, une des plus glorieuses, et il a l'impression d'être invincible.

Il a passé tout le trajet retour à dormir sur Bruno, conséquence de deux nuits blanches de fête pendant lesquelles Felipe s'est fait un malin plaisir de le faire boire. C'est Lucas qui le secoue pour le réveiller quand ils atteignent Rio, et il n'a pas encore le pied très sûr en descendant du bus.

Retrouver Joana, par contre, le réveille complètement. Elle lui saute dans les bras, et il l'enlace joyeusement avant de l'embrasser pendant de longues secondes –et il sent leur bonheur réciproque de se retrouver, tellement plus puissant quand il se répercute ainsi de l'un à l'autre ; mais il y a quelque chose en plus. Quelque chose d'impatient, d'incertain, mais ce n'est pas avant qu'ils soient rentrés chez eux que Joana se décide à parler :

-Nico, il faut que je te dise quelque chose, déclare-t-elle.

Elle ménage son suspens, mordillant sa lèvre pour retenir un immense sourire.

-On va avoir un bébé, annonce-t-elle enfin, les yeux étincelants.

Romero cligne des yeux.

-Quoi ?

-Un bébé ! s'exclame-t-elle en lui prenant les mains pour mieux transmettre son enthousiasme.

Nico ne sait pas quoi dire. Un enfant. Maintenant. Alors qu'il est en pleine ascension, que sa carrière décolle à une vitesse fulgurante ; que son nom commence à être connu, que les clubs lui envoient des invitations transportées, qu'il se fait solliciter pour toutes sortes d'interviews, de shootings et de publicités.

Et il secoue la tête pour dire non.

-Jô, on n'a que vingt-deux ans. Je suis pas prêt. Pas du tout.

-Tu le seras, dit-elle d'un air enchanté. Je suis sûr que tu feras un père merveilleux, Nico.

-Merveilleux ? répète Romero d'un air désillusionné. Je rentre au Brésil pour la première fois depuis trois semaines. On va avoir quelle vie de famille, exactement ?

Le sourire de Joana disparaît progressivement, et le lien commence à se remplir de sentiments contradictoires.

-Tu prenais pas la pilule ? demande soudain Nico. Tu l'as arrêtée ?

Joana ne peut pas mentir. Pas quand le lien trahit tout ce qu'elle ressent à son âme sœur.

-Tu pensais que j'allais arrêter ma carrière en apprenant ça ? poursuit Nicolas. T'essaies de me faire du chantage affectif ?

-Non, s'enflamme son âme sœur en retour. J'essaie de garder quelque chose de toi pour combler ton absence.

Nico serre les dents. Ils ne passent pas beaucoup de temps ensemble, c'est un fait. Il a l'impression de passer plus de temps avec ses coéquipiers qu'avec son âme sœur. Mais ce n'est pas comme s'ils ne se voyaient pas du tout, pas comme s'il jouait à l'étranger ; Jô a toujours les places VIP offertes par l'organisation quand il joue un match important, il la retrouve dès qu'il a un instant de libre et tout se passe toujours parfaitement bien entre eux quand ils sont ensemble –tout est naturel, paisible et plein d'amour... du moins jusqu'à ce que le sport arrive sur le tapis.

-Joana, je suis désolé, je n'en veux pas. Pas maintenant. Ce n'est pas un choix que tu peux faire toute seule...

-Mais je l'élèverai toute seule s'il le faut, Nico.

Elle baisse les yeux et ajoute, posant une main sur son ventre :

-C'est prévu pour début avril.

Avril. La fin du championnat brésilien. Encore des matchs importants. Nico ferme les yeux, complètement dépassé. Il a besoin de temps. Il a besoin de réfléchir. Il a besoin de se calmer.

Il aimerait être un homme bien, un homme mature et qui sait où sont ses priorités. Mais à ce moment, il se sent comme un gamin perdu. Il n'est pas prêt à être père, pas prêt à se poser. Il aime cette existence de compétition, de challenges et de fraternité, quitte à enchaîner les vols et les hôtels. Et Jô lui manque, évidemment qu'elle lui manque, et évidemment qu'ils feront leurs vies ensemble, il n'en doute pas un instant, il est fou amoureux d'elle –mais commencer dès maintenant lui semble atrocement prématuré.

Pourquoi maintenant ? Ils ont toute la vie pour construire un foyer.

En plus de devoir accepter ça, il se sent trahi. Joana a toujours été possessive, mais Nico ne pensait pas qu'elle aurait mis leur couple et leur amour au-dessus de tout en négligeant leur situation concrète. Et il lui en veut. Il lui en veut vraiment. Elle sent sa colère et il sent ses remords, elle sent sa déception et il sent sa détermination, elle sent sa résignation et il sent tout l'amour qu'elle porte déjà à cet enfant.

Les mois passent, l'inquiétude et les doutes croissent, et Nico a toujours du mal à l'accepter, chérissant le temps qu'il passe loin de Rio, avec son club de Belo Horizonte, en liberté dans son élément aux côtés de l'équipe qui est son autre famille. Il sait bien que c'est difficile pour Jô de vivre sa grossesse sans lui, et surtout en sachant qu'il était contre... Mais tant pis.

Ils ont toute la vie pour se pardonner.