69. 5 mars 2019
Kageyama a l'air un peu plus serein depuis qu'il a arrêté les annihilateurs. Comme il l'a promis à Nico, il s'efforce de faire attention, et il a repris son rythme habituel, que ce soit pour les repas, le sommeil et les entraînements.
Une légère tension persiste entre eux ; même si Nicolas a choisi de pardonner, il a encore du mal à accepter ce qui s'est passé, à faire la part des choses entre ce que Kageyama a fait par amour, et ce qu'il a fait par vengeance. Il se dit que leur relation n'a évolué que dans ce but, là où ils avaient choisi la patience depuis des années, et que tout a volé en éclats.
Il s'en veut, aussi, d'être si faible. Il aurait pu quitter Tobio sur ce motif, ça aurait été logique. Il sait qu'ils finiront par se séparer de toute façon, il n'avait qu'à saisir l'occasion. Mais il n'y arrive pas, il ne se sent pas prêt –pas prêt à renoncer à tout ce qu'il a retrouvé auprès de Kageyama, la stabilité du couple, le plaisir de sa compagnie, la sérénité réciproque de leurs sentiments amoureux. Peut-être craint-il, au fond, de retomber dans le même état qu'après la mort de Jô en se séparant de celui qui l'en a sauvé. Sa logique et son cœur fonctionnent en sens inverse, tour à tour le supplient de se résoudre et de céder, de partir et de rester.
-Est-ce que je peux voir Oikawa-san, demain soir ?
Nico se tourne légèrement vers Tobio. Ils sont en train de marcher côte à côte pour rentrer chez Kageyama, leurs sacs de sport sur les épaules, et la question, quoique soudaine, n'est pas inattendue. Tobio devrait forcément revoir Oikawa. Nico ne peut pas l'en empêcher.
Cette fois, je sais qu'il y a une échéance. Ce n'est pas comme Jô qui a disparu du jour au lendemain. J'ai le temps de me préparer, de le laisser partir petit à petit, et qu'il aille voir son âme sœur est simplement le début de la transition de moi à lui.
N'empêche que ça fait mal.
Il sourit, mais sait que ça sonne faux. Et il n'arrive pas à filtrer sa réponse, porteuse d'encore un peu de rancœur :
-Tu fais ce que tu veux, je ne suis pas ton père.
C'est une référence directe au soir où Kageyama et lui s'étaient disputés, le soir de leur premier baiser et de leur première fois. Mais si les mots semblent amers, ils traduisent aussi clairement que Nico n'exige aucun contrôle sur la vie de Tobio, aucun compte à rendre ; il n'attend de lui que de la transparence, pas de justifications.
La soirée se passe tranquillement. Ils regardent deux matchs que Kageyama a enregistrés, dont la finale des championnats du monde 2010 opposant Cuba au Brésil, et dont Nico sait déjà qu'elle se soldera par une victoire écrasante de son équipe. Il se revoit avec attendrissement, adressant des signes de victoire à tout va et sautant dans les bras de Bruno à chaque point clef.
-T'étais super jeune, commente Tobio.
-J'avais le même âge que toi, répond Nico en haussant les épaules.
Vingt-deux ans. Il avait encore les joues lisses, arborant seulement quelques poils de barbe sur le menton ; les cheveux un peu plus courts, repoussés en arrière.
Quand il rentrerait, moins d'une semaine après la finale qu'il voit se jouer à l'écran, Jô lui annoncerait qu'elle est enceinte. Il s'en souvient comme si c'était hier –l'incompréhension, le sentiment de trahison, l'idée qu'il est trop jeune, qu'il n'est pas prêt, qu'il n'a pas le temps. Ce qu'il voit à l'écran, songe-t-il tandis qu'il se regarde sourire à la caméra entre deux sets, ce sont ses derniers jours vraiment heureux.
Oh, il ne vit pas dans un complet malheur. Mais il y a toujours quelque chose depuis pour le tracasser. Les mois de grossesse de Jô tandis qu'ils étaient en froid. Puis, après sa mort, la pensée qu'il a été une mauvaise âme sœur. Et puis, enfin, la connaissance de l'âme sœur de Tobio, de ce lien qui les empêchait de s'aimer pleinement et de retrouver un bonheur amoureux dont il a été trop brutalement sevré.
Et maintenant, je sais que mon petit-ami et moi allons nous séparer, mais je suis trop faible pour en prendre l'initiative.
Il a prévu de passer la soirée du lendemain chez lui en attendant que Tobio finisse son rendez-vous avec Oikawa, peut-être à faire un puzzle ou regarder un film. Mais il se retrouve incapable de rester tranquille en sachant que Kageyama est avec son âme sœur.
Est-ce qu'ils sont complètement réconciliés ? De quoi ils parlent, de leurs souvenirs ensemble ? Ou sont-ils en train de planifier notre rupture et leur avenir ?
Ça lui pèse beaucoup trop. Il enfile ses baskets d'extérieur, un bonnet contre le froid, et décide d'aller courir. Il s'est entraîné toute la journée et sait qu'il devrait laisser ses muscles se reposer, mais tant pis. L'effort physique est idéal pour ne plus penser, et c'est un athlète : c'est par ce biais qu'il retrouve sa sérénité, qu'il retrouve ses repères. Il a pris l'habitude de jogger depuis qu'il a intégré le centre de formation, et ça fait désormais partie de sa routine.
Ses foulées et son souffle sont réguliers. Il garde les yeux rivés devant lui, connaissant par cœur le circuit qu'il s'est construit dès son arrivée au Japon, les petites rues moins fréquentées jusqu'au parc, et le tour habituel avant de revenir sur ses pas. Le vent froid gifle ses joues et fait larmoyer ses yeux, mais il ne ralentit pas, focalisé sur sa respiration et son rythme, sur le moment où il faudra prendre un virage, sur l'accélération finale.
Tobio n'est pas encore rentré quand il est de retour chez lui –Nicolas lui a donné un double des clefs le matin même au cas où. Il se commande à manger, puis prend une douche, rapide et brûlante, en attendant de se faire livrer. Il se change, enfile un sweat trop large qu'il n'a jamais rendu à Lipe ; et il espère que c'est Tobio quand on sonne, mais c'est juste le livreur. Il s'assied dans le canapé pour manger ses temakis, allume la télé pour faire un bruit de fond et créer l'illusion qu'il n'est pas si seul, et mange, lentement, ses yeux rivés sur l'écran, en se demandant si Tobio passera la nuit avec Tooru.
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