64. 23 février 2019
Romero aime les samedis. Ça veut dire que c'est jour de match.
Tobio ne peut pas jouer, et ça l'ennuie un peu, d'autant plus que ça n'arrange rien à l'état de Kageyama. Mais le passeur prend trop d'annihilateurs pour avoir une concentration assez constante, et le coach a été formel, il n'a pas besoin d'un joueur distrait dont les réflexes seront amoindris par des médicaments. Tobio est donc dans le carré des remplaçants d'un air boudeur lorsque le coup de sifflet initial résonne, et Nico se sent presque coupable d'être sur le terrain.
En soi, ça prouve bien que les annihilateurs ne constituent aucunement une solution durable. Si Tobio doit en consommer autant pendant quatre ans, quand retrouvera-t-il sa place au volley ? Est-ce vraiment un sacrifice qu'il est prêt à faire ? Non. Ça ne tient pas. Les choses ne pourront pas continuer comme ça, ne serait-ce que quelques semaines de plus.
Romero se focalise sur le match ; trop d'informations circulent dans sa tête quand il joue pour laisser place à sa vie extérieure. Les Adlers dominent l'adversaire, ceci dit, et il s'inquiète un peu que Tobio croie qu'il n'est pas nécessaire à l'équipe –aussi, au point suivant qu'il marque, pour lui montrer qu'il ne l'oublie pas, il se retourne vers lui et lui adresse son signe de victoire habituel.
Le match se termine, et les Adlers rentrent joyeusement au vestiaire –sauf Tobio, toujours l'air maussade.
-Tu ne te douches pas, Kageyama ? interroge Kourai en le voyant assis près de son casier sans bouger.
-A quoi ça sert, j'ai pas transpiré, réplique Tobio.
Hoshiumi hausse les sourcils.
-Il faut le temps de reprendre le rythme, intervient Fukuro. Tu récupéreras le poste de titulaire en un rien de temps, Kageyama.
Tobio ne répond pas, les yeux baissés, et Romero préfère lui laisser le temps de se calmer un peu. Il prend sa douche, rendu à moitié somnolent par la chute d'adrénaline et l'eau chaude, mais Kageyama ne s'est pas calmé pour autant, et ils sont dans le hall en route pour rentrer chez eux quand Tobio verbalise enfin ce qui ne va pas :
-Ça, dit-il soudainement en mimant le signe de victoire, l'index et le majeur formant un V. Arrête de le faire.
Nico ne comprend pas ce qu'il veut dire. Il a toujours fait ça, depuis tout petit quand il marquait des buts au foot. Ça fait partie de lui.
Tobio est à bout. Nico est perdu. Il lui prend le visage entre les mains, délicatement mais fermement, pour le fixer droit dans les yeux et le forcer à aller au bout de la vérité –et tant pis s'il entend des choses qui lui déplaisent, mais il n'en peut plus de voir Tobio réduit à l'ombre de lui-même, fatigué, cachottier et irritable. Et Kageyama lâche enfin le nom qu'il redoute :
-Oikawa ! C'est Oikawa. Il fait tout le temps ça. Ce geste, c'est lui.
Ça ne plaît pas à Nico que Tobio voie son âme sœur à travers lui. Il a l'impression de n'être qu'un obstacle sur le lien qui devrait les unir, et que Kageyama peut voir à travers lui par qui il est véritablement attiré. Il ne peut pas s'empêcher de soupirer, au fond un peu blessé.
-J'utilisais sûrement ce signe avant même que Tooru naisse, tu sais.
-Je sais. Excuse-moi, répond Tobio mortifié.
Il se sent coupable, Nico se sent coupable, et ils n'ajoutent rien. Peut-être sont-ils tous les deux conscients qu'aller contre le destin était une erreur, qu'ils se feraient forcément rattraper par la réalité des âmes sœurs. Mais celle-ci se fait désormais entendre avec une puissance nouvelle, et ils n'y sont pas prêts.
Je ne suis pas prêt, pas encore. Je pensais l'être, mais tout change si vite.
Il n'arrivera pas à quitter Tobio maintenant. Peut-être qu'il aurait pu, juste après l'enlèvement. Mais leur relation a évolué à toute vitesse depuis, et il s'est laissé emporter.
Je savais que ce serait plus difficile en acceptant d'aller plus loin. Je dois être maso aussi.
Il ramène Tobio chez lui, mais Kageyama touche à peine à son assiette ; il se contente de prendre un yaourt à boire dans le frigo, puis ils traînent un peu à table avant qu'il ne daigne finalement prendre sa douche.
-Tes serviettes sont sur l'étagère du haut, signale Nico.
Les affaires de Kageyama ont pris de plus en plus de place dans son appartement depuis quelques semaines. Nico a débarrassé tout un pan de son armoire pour que Tobio y installe ses vêtements, habits de ville comme de sport ; il a une paire de baskets de rechange dans l'entrée, et sa brosse à dents est dans le même gobelet que celle de Romero. Depuis qu'ils ont arrêté leur relation platonique, c'est quasiment comme s'ils vivaient ensemble, et la cohabitation se passe à merveille, s'ils font abstraction du lien qui ronge Tobio.
-Tu viens avec moi ? demande Kageyama.
Nico sourit tranquillement. Lui s'est lavé comme les autres quelques heures plus tôt, et si Tobio pose la question, c'est qu'il a d'autres attentes, et il peut aisément deviner lesquelles.
Il le suit tout de même, se déshabille une fois de plus pour se glisser dans la cabine de douche avec lui, et même si celle-ci est assez large pour accueillir leurs carrures de volleyeurs professionnels, ils se retrouvent tout de même dans une impossible proximité. Tobio lance les hostilités en premier après quelques minutes à se savonner mutuellement, arquant le bassin contre Nico en feignant de remettre le shampoing en place.
Romero mordille sa lèvre inférieure. L'excitation grimpe, encouragée par leur proximité, l'eau chaude qui ruisselle entre eux, la vapeur sur les parois de la cabine. Mais Nico ne se sent pas de donner à Tobio ce qu'il cherche encore –il a l'impression de l'abîmer. De l'épuiser.
Alors il change de plan, et quand Tobio se retourne, l'air un peu boudeur que Nico ne l'ait pas suivi dans son entreprise, Romero prend ses mains et les pose sur lui à la place, susurrant :
-On change, aujourd'hui ?
Les doigts de Tobio épousent les os saillants de ses hanches, tendent à saisir à pleines mains la chair tendre qui lui est offerte, et il rompt la distance entre leurs lèvres; la chaleur émanant de ses joues bientôt plus suffocante que leur pluie d'eau brûlante.
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