Nico s'est levé fatigué. Il a passé une bonne partie de la nuit en Skype avec sa famille –le temps de parler avec ses parents, inquiets de savoir ce qui s'était passé avec Tobio ; et surtout de prendre le temps d'écouter les histoires de Rafa, toujours aussi volubile, toujours plein d'enthousiasme. L'heure qu'il consacre habituellement à leurs échanges s'est éternisée, il n'a pas eu le cœur à l'interrompre –vivre loin de son fils est déjà une source de culpabilité assez forte, alors au moins lui laisser tout le temps de contact donc il a besoin.

Romero s'est donc endormi tard, et bâille un peu en entamant l'entraînement des Adlers. Ces heures de volley lui semblent étrangement vides en l'absence de Tobio, qui repose encore son entorse, et ce malgré la présence de Kourai, de Wakatoshi et de Fukuro. Le temps qu'il soit midi et qu'il mange avec ces derniers à la cafétéria, il n'a pas eu de message de la part de Kageyama, et se demande encore une fois s'il cherche à s'éloigner, ne recevant que des signaux contradictoires depuis la veille, entre affection et défection.

A quatorze heures, il reçoit un message de Miwa :

Miwa : quelque chose ne va pas avec Tobio...

Miwa : il est venu me voir, il était bouleversé.

Nico n'arrive pas à en apprendre plus, mais l'inquiétude grimpe progressivement, et finalement, il envoie un message à son petit-ami dès la fin de l'entraînement :

Moi : je dois faire quelques courses et je suis disponible

Moi : si tu veux que je vienne chez toi

Moi : on peut regarder un film

Tobio n'est pas un grand adepte de films –il finit toujours par s'endormir au milieu, mais c'est le meilleur prétexte pour passer la soirée collés l'un à l'autre, et en général, il ne refuse jamais. La réponse tarde à venir, et Nico commence à s'inquiéter.

Moi : ça va, mon trésor ?

Cette fois, Kageyama répond.

Tobio : oui

Tobio : je peux venir chez toi ?

Nico plisse les yeux. Il est rare qu'ils se retrouvent chez lui, c'est plus simple d'aller chez Kageyama et Ushijima. Et puis, Tobio ne peut même pas vraiment marcher avec sa blessure –Miwa a raison, quelque chose cloche. L'appréhension continue à monter : un comportement si étrange, pile au moment où Oikawa réapparait... Est-ce que ce comportement est révélateur du trouble que suscite en lui son âme sœur ? Est-ce qu'il compte rompre avec Nico ce soir, est-ce que c'est pour ça que Tobio semble si distant aujourd'hui, qu'il ne l'accueille pas chez lui ?

Romero n'a pas envie de se faire plaquer en survêtement. Il s'habille pour la soirée, même s'ils ne sortent pas et la passent chez lui, enfile une chemise blanche et, par-dessus, un pull gris sombre, fin et doux au toucher, qu'il affectionne particulièrement. Il passe son manteau et son écharpe pour aller chercher Tobio, puis, une fois garé en bas de sa résidence, décide de l'attendre appuyé contre la voiture.

Il embrasse Kageyama sur la joue en le retrouvant, mais celui-ci ne répond pas, ne le serre pas dans ses bras comme il le fait habituellement, et ce manquement est révélateur. Nico sent son cœur sombrer.

Il va me quitter. Il va me dire qu'on doit rompre.

Il essaie de discuter un peu, mais le cœur n'y est pas, et Kageyama répond peu. Nicolas ouvre tous ses placards dès qu'il rentre, s'empare du paquet de pâtes acheté un peu plus tôt comme prétexte pour s'occuper –et il sait qu'il devrait, mais il est incapable de se poser en songeant qu'ils auront une discussion sérieuse et qui, probablement, tournera autour des âmes sœurs.

Arrête d'être égoïste, s'intime-t-il. Tobio a le droit de te quitter maintenant qu'il a trouvé son âme sœur. Est-ce que tu n'aurais pas fait la même chose, si tu avais connu Jô après lui ?

Kageyama ne dit toujours rien. Ces quatre derniers jours, il a pu être en contact avec Tooru à plusieurs reprises. Et même s'il disait hier qu'il ne pardonnera pas, qui sait ce qu'il pense réellement ? Trop de choses vont dans le sens des âmes sœurs. Nico les connaît toutes, il les visualise sans problème, il les a comptées et recomptées à en perdre le sommeil. Le fait que Tobio ait menti en disant qu'il n'avait pas d'âme sœur. Que, même quand il a reconnu en avoir une, il ait refusé de dire son nom. Que Miwa ait révélé que Tobio admirait Tooru. Que Ninja ait affirmé que Tobio avait aimé Tooru.

Et le fait que, quand ils se sont retrouvés, Kageyama ait pris Oikawa dans ses bras.

Il sert les pâtes, mais Tobio n'y touche pas, les regarde simplement de loin et sans envie.

-C'est pas bon ? s'enquiert Nico. Il faut que tu manges, Tobio.

-Quoi, tu te prends pour mon père maintenant ? réplique Kageyama.

Romero a un mouvement de recul. La voix de Tobio est froide, tranchante, pleine de reproches, et il ne sait pas ce qu'il a fait. Jamais Kageyama ne lui a reproché de le paterner, et il n'a pas l'impression d'avoir ce rôle dans leur relation –même s'il a un fils, il a assez peu l'occasion de pratiquer sa paternité, et a parfois l'impression de se comporter lui-même comme un gamin.

Le sous-entendu ne lui plaît pas. C'est celui d'une relation déséquilibrée. D'une relation qui s'éloigne de la romance. Et il se force à répondre calmement, mettant l'accent sur ce dernier point :

-Non, je m'inquiète juste pour la santé de mon passeur et de mon petit-ami.

Mon petit-ami. Tobio fronce imperceptiblement les sourcils et baisse les yeux.

Mon petit-ami. Pas mon âme sœur. Kageyama ne répond toujours pas, et la tension croît, s'installe et pèse.

Mon petit-ami...

Mais pour combien de temps encore ?