Ça fait presque trois jours que Nico n'a pas vu Tobio.

Il a été dispensé d'entraînement le jour suivant l'enlèvement ; mais il a choisi de s'y présenter quand même pour éviter de ruminer et sachant que Tobio était entre de bonnes mains –Miwa lui a rendu visite avec ses parents, puis Wakatoshi l'a ramené chez eux. Ushijima était revenu pour l'entraînement de l'après-midi, et avait joint à tout ce que Nico avait déjà pu expliquer sur l'affaire quelques informations plus précises. En vérité, les Adlers avaient passé moins de temps à jouer qu'à parler, et Nico avait eu la désagréable impression de sentir peser sur lui des regards intrigués et empathiques.

Des regards de pitié pour le gars dont le copain a retrouvé son âme sœur. Le même genre que ceux que je reçois, quand je dis que la mienne est décédée.

Ça l'avait agacé, et même s'il avait tâché de garder sa façade optimiste habituelle –l'important était que Tobio soit sain et sauf- son humeur n'avait pas tardé à chuter plus tard dans la soirée, quand il parlait par message avec Kageyama :

Moi : ça va, mon cœur ?

Tobio : le lien est chiant

Tobio : je vais rester dans ma chambre et essayer de dormir

Nico a accepté ; que faire d'autre ? Même ça le frustre quand même. Il se demande si Kageyama cherche déjà à s'éloigner de lui, s'il a fait le point, lui aussi, sur leurs chances de rester ensemble maintenant que son âme sœur est revenue dans sa vie.

Tobio : je vois Oikawa-san chez le spécialiste demain

Ne manquait plus que ça, mais c'était la suite logique. Il fallait bien qu'ils parlent un jour, qu'ils mettent tout à plat, et qu'ils commencent à se comporter comme des âmes sœurs. Une partie de Nico le conçoit parfaitement, c'est ainsi, il n'y peut rien. Une autre en est malade d'impuissance.

Il ne voit pas non plus Kageyama le lendemain, mais passe des heures au téléphone avec Bruno ; et il lui réexplique de nouveau ce qui s'est passé, ce qui se passera, probablement, si Tobio accepte son âme sœur –et il l'acceptera, tous les indices sont là.

-Pas la peine de porter tout le blâme, déclare Bruno. Tobio n'aurait pas dû mentir sur le lien. Pas dû accepter de mener une semi-relation sous ce prétexte. Mais ça aurait pu marcher, Niquito. Peut-être, dans d'autres circonstances. Personne ne peut te reprocher d'avoir cru à votre histoire.

Bruno est quelqu'un de rationnel. Il voit déjà le déclin de sa relation avec Tobio, il la considère presque comme terminée. Et Nico sait –il sait qu'il doit prendre les devants même si ça le fait souffrir, mais l'espoir est encore là ; l'espoir infime, l'espoir fou qu'un amour réel pourrait surmonter une connexion d'âmes sœurs.

Il retrouve finalement Tobio le troisième jour après l'enlèvement. Kageyama est allongé dans le canapé pour reposer son entorse, quelques miettes de chips au coin des lèvres –mais il sourit en voyant Nico, et celui-ci ne sait plus qu'en concevoir, essayant de ne pas s'attendrir. Il s'assied au bout du canapé, vaine tentative de prendre un peu de distance avant que Tobio ne râle et entreprenne de poser sa tête sur ses genoux, fermant à demi les yeux de satisfaction quand Nico se met à lui caresser les cheveux.

Sérieux, Tobio, tu n'aides pas.

-T'as vu Tooru, hier ? lance plutôt Romero.

-Ouais, répond Kageyama d'un air grincheux. C'était nul, y'a des trucs que je ne peux pas pardonner.

Tu les pardonneras, songe Nico. Il mord sa lèvre inférieure quand Tobio décide de se retourner et pose une main ferme sur l'intérieur de son genou. Comme si, à chaque pas qu'il essaie de faire pour s'éloigner de Tobio, celui-ci décide de faire avancer les choses. Ça n'a aucun sens.

-Kageyama, qu'est-ce que tu veux manger ? demande Wakatoshi vers vingt heures.

Ushijima est aux petits soins pour Tobio. Même s'il ne le montre pas ouvertement, ce genre d'attentions le trahit amplement. Romero sourit pour lui-même.

-Tu veux quoi, Nico ? demande Tobio.

Il est à moitié installé sur Nicolas, et doit relever la tête de son épaule pour lui lancer un regard interrogateur.

-Ça fait une éternité que je n'ai pas mangé de pizza, répond Nico.

Ushijima penche légèrement la tête de côté, visiblement peu convaincu –il préférerait sûrement suivre un régime alimentaire strict, mais Romero lui lance un grand sourire solaire :

-Wakatoshi, une pizza !

-Je ne sais pas faire de pizza.

-On peut jamais en manger avec les autres parce qu'Hoshiumi n'aime pas, insiste Nico avant de se tourner vers Tobio : en plus, mon cœur, ça t'habituera pour quand tu joueras dans la ligue italienne.

-Ouais, moi aussi, j'ai faim de pizza, maintenant, tranche Tobio en sortant son téléphone. On a qu'à commander.

Ils obtiennent finalement gain de cause, reçoivent leurs pizzas une demi-heure plus tard, et se permettent même de les déguster dans le canapé.

Nico observe Tobio du coin de l'œil tout en mangeant. Le lien qui semblait tant l'entraver les jours précédents ne semble pas vraiment se manifester. Est-ce qu'il est sous annihilateurs ? Les deux rendez-vous qu'il a eus avec le spécialiste des âmes sœurs devaient sûrement mener à ça, mais Tobio prend soin de sa santé, Romero n'est pas sûr qu'il soit prêt à en consommer. En soi, tant que Kageyama choisit de ne rien lui dire, il reste dans le flou total.

Et ce n'est pas pour le rassurer.

Il débarrasse les cartons vides, puis s'installe de nouveau sur le canapé –il faudra qu'il rentre avant minuit, histoire de pouvoir passer une petite heure sur Skype avec Rafa ; mais il a encore un peu de temps, et ce n'est pas plus mal de le passer là, devant une émission de concours de chant et tandis que Tobio est installé sur ses genoux, dans ses bras, la tête blottie dans son cou.

Personne ne peut te reprocher d'avoir cru en votre histoire.

Personne, se répète Nico, et il ferme les yeux en posant sa tête sur celle de Tobio.