Nicolas croit que Ninja Shouyou a arraché la porte d'entrée de chez Tooru. Mais il s'avère qu'elle tient encore sur ses gonds.

Contrairement à Ninja.

-C'est quoi cette histoire ? s'écrie-t-il en se mettant à tourner autour de la table de la cuisine, trop énervé pour se poser. Pourquoi ils ont enlevé Kageyama ? Pourquoi lui ? C'est quoi ce choix illogique ? Kageyama... !

Il finit par s'asseoir, mais ne se calme pas pour autant.

-Désolé d'avoir dit que tu étais son âme sœur, lance-t-il à Oikawa.

-Ce n'était pas top confidentiel, je suppose qu'on évitait juste d'en parler chacun de notre côté, répond Tooru en haussant vaguement les épaules. Même lui ne le savait pas.

Nico se sent soudain la cible de tous les regards. C'est de moi qu'il parle, là ? Il a envie de demander à Tooru pour qui il se prend, et il l'aurait peut-être fait si l'angoisse ne sapait pas autant son indignation.

-Je sais, rétorque Shouyou, c'est bien pour ça qu'ils m'ont appelé.

Sur ce, il ignore délibérément Oikawa pour se tourner vers Nico, accrochant immédiatement son regard avant de changer de langue, spontanément, et de passer au portugais. Son accent japonais transparaît à travers à peu près autant que le sien en japonais, suppose Romero ; mais ce choix est clair, c'est pour que les autres ne comprennent pas.

-Alors, t'en penses quoi ? demande Ninja sans ciller.

-Il n'est pas du tout comme je l'imaginais, répond Romero. Je crois qu'il ne m'aime pas.

Nico ne sait pas comment il l'imaginait, à vrai dire. Jusqu'ici, tout ce qu'il savait était que c'était un homme, et c'était à peu près tout, sans aucun indice de taille, de corpulence, d'âge, de couleur de peau, d'yeux, de cheveux, d'origine, de profession, de localisation, rien. Mais voilà –c'est un sportif professionnel, comme lui, comme eux, de deux ans l'aîné de Tobio, et dont les traits froids sont tempérés par les couleurs chaudes de ses yeux et de ses cheveux.

Par contre, sentir que Tooru ne l'aime pas, ça, ça a été immédiat.

-Ça m'étonne pas, répond Ninja en souriant. Il est dans le déni.

Ouais, j'avais compris ça tout seul. Nico ne connaît pas intimement Shouyou –ce n'est pas Bruno, ce n'est pas un de ses coéquipiers, et il préfère rester en surface :

-Je vois ça. C'est distrayant.

Ce n'est pas totalement un mensonge ; oui, ça l'amuse de voir Tooru réagir avec excès et mauvaise humeur dès que sa relation à Tobio est mentionnée. Mais il n'y a pas que ça, il y a tout un panel de sentiments bien plus graves derrière, et ça, il préfère le garder en son for intérieur. De toute façon, Oikawa finit par les interrompre et récupérer l'attention : il est différent de Kageyama sur ce point, il aime être au centre, il aime être regardé.

Ils se remettent à discuter en japonais, et Nico décroche un peu. Il est épuisé du camp, du manque de sommeil et de l'inquiétude. S'ils retrouvent Tobio, celui-ci se retrouvera étroitement lié à son âme sœur. Et s'ils ne le retrouvent pas... Nicolas n'est pas sûr de pouvoir surmonter ça. Aucune option n'est viable. Il regarde avec des yeux éteints Tooru repartir pour une nouvelle tentative de connexion.

-Ça va, Nico ? lui demande Shouyou en portugais.

-Ouais.

Il sourit pour le rassurer, mais ne sait pas s'il est très convaincant. Et il ne peut s'empêcher de demander :

-Dis, Ninja. Tobio... Il connaissait bien Tooru ?

-Plutôt, ouais, répond franchement Hinata. Ils étaient au collège ensemble. Oikawa a toujours eu le don de chambouler les nerfs de Kageyama. Quand on jouait contre lui, je ne le reconnaissais pas. Enfin, je ne savais pas que c'était son âme sœur, à l'époque –j'étais vraiment aveugle.

Nico ne sait pas ce qui lui prend ; mais la question suivante sort naturellement, comme si elle était accrochée à sa langue depuis des heures :

-Tobio était amoureux de lui ?

Hinata a l'air un peu gêné, et Romero s'en veut de le mettre dans une position aussi délicate.

-J'en sais trop rien. Au début du lycée, sûrement, ouais, même s'il ne l'avouera jamais, mais il était vraiment... obsédé par Oikawa. A aller le regarder jouer quitte à s'introduire dans son école, ce genre de choses.

Logique. Les âmes sœurs sont appelées à être proches l'une de l'autre.

-Ça s'est tassé après, se hâte de rajouter Hinata. Il est vraiment heureux, avec toi...

-Ouais, répond Nico en s'efforçant de sourire.

Ça ne veut rien dire. Ce n'est pas clair. Oikawa est amoureux de Tobio –et Tobio a été amoureux d'Oikawa. Pourquoi il ne le serait plus maintenant ? Juste parce qu'il est avec moi ? Si je ne suis qu'une échappatoire à laquelle il s'est attaché ? Si...

-Mais, hm, ajoute Hinata d'une voix moins assurée, Kageyama et toi, c'est juste platonique, non ?

Nico lui est reconnaissant de parler en portugais. Il hoche la tête.

-A cause du lien, reprend Hinata. Il m'en a parlé. Tant qu'il est là, il veut attendre de voir si Oikawa ne revient pas.

-Ah ?

Nico a la bouche toute sèche. Il veut attendre de voir si Oikawa ne revient pas. Sa tête tourne légèrement. Ça –Tobio ne lui a jamais dit ça.

Je croyais qu'il rejetait le lien, moi.

Il voudrait croire Tobio. Il voudrait croire à la sincérité des mots de Kageyama quand il disait qu'il voulait passer sa vie avec lui, et que, envers et contre tout, c'est de lui qu'il était tombé amoureux. Mais ce n'est pas à lui que Kageyama dit la vérité. Ce n'est pas à lui qu'il a révélé le nom de son âme sœur. C'est à Ninja Shouyou.

Celui qui garde les secrets de Tobio, c'est lui.

Résigne-toi, Nico. Rien ne remplace une âme sœur. Ninja le sait, Tobio le sait, Tooru le sait.

Au fond, tu dois bien le savoir aussi.