L'avis de Nico sur Oikawa Tooru est mitigé.

Tooru a l'air sincèrement touché par la disparition de Tobio ; ça se voit à sa tête, ça se voit dans ses yeux. Ça se voit dans les gestes maladroits qu'il fait, dans ses tics nerveux qui le trahissent, dans les intonations de sa voix. Rapidement, Romero comprend qu'il est aussi perdu qu'eux tous, sans savoir quoi faire, sans avoir la moindre idée de ce qui est en train de se passer, de qui a pu enlever Kageyama et pourquoi.

-Qui vous a dit que Tobio était mon âme sœur ? demande-t-il finalement.

Nico n'aime pas la manière dont il prononce Tobio. Oikawa sait-il qu'il est son petit-ami ? C'est difficile à rater, entre la médiatisation, le lien et les suspicions qu'a Nico sur le fait qu'il ait assisté à un de leurs matchs. La tension entre eux le prouve aussi, et il essaie de déceler ce qu'Oikawa ressent vraiment envers Kageyama.

-Je croyais que l'âme sœur de Kageyama était Romero, déclare soudain Wakatoshi avec sa franchise habituelle.

Nico ne manque pas la manière dont les doigts d'Oikawa se contractent à ces mots. Leurs yeux se rencontrent de nouveau, et il décide d'y aller par la provocation –indirecte, bien sûr ; mais ce qui l'ennuie, et quelle ironie pour lui qui a toujours refusé l'emploi des noms de famille, c'est que Tooru appelle Tobio par son prénom. Il n'est pas le seul, pourtant, Atsumu et Miwa le font aussi...

Mais ça ne sonne pas pareil, dans la bouche d'Oikawa. Peut-être justement parce que lui est fait pour articuler ce prénom. Peut-être parce qu'il est le seul à savoir le dire comme il faut le dire.

Eh bien, je sais le dire aussi.

-Tobio, déclare donc simplement Nico, sans quitter Tooru des yeux.

Le regard d'Oikawa s'obscurcit, et les derniers doutes que gardait Romero sur ses sentiments envers Tobio se dissipent. Il est possessif. Il ne m'aime pas. Il sait que je suis à la place qu'il est censé occuper.

Tout analyser en plus de devoir gérer la peur de perdre Tobio est insoutenable. Mais Nico ne peut pas s'empêcher de parler :

-Alors c'est toi, son âme sœur.

-Il ne te l'a pas dit ? réplique Oikawa dans un anglais parfait.

-Il m'a dit quelques trucs, mais pas de nom. On a pensé que son meilleur ami devait savoir quelque chose, alors on l'a appelé –tu dois le connaître, on l'appelle Ninja Shouyou.

Tooru ne répond pas. Il le gratifie d'un nouveau regard froid, puis se tourne vers les policiers pour reprendre la conversation en japonais comme si de rien n'était, et Nico a presque envie de rire tellement c'est ridicule. Il aurait peut-être ri, d'ailleurs, s'il n'avait pas si peur –et se concentrer sur Oikawa lui permet de se distraire un peu, mais impossible d'ignorer que Tobio est retenu quelque part, ils ne savent pas où, ils ne savent pas dans quel état.

Nico se sent coupable, pour une raison ou pour une autre. C'est la deuxième fois que je pars, et qu'il n'y a plus personne quand je rentre.

-J'ai encore eu mal ce matin, dit Oikawa. Toujours des maux de tête et des courbatures.

-C'est une bonne nouvelle. C'est qu'il est vivant.

Vivant. Nico ferme les yeux un bref instant, soulagé, se raccrochant à cette information de tout son être ; mais le peu de joie qu'elle peut lui fournir se refroidit tandis que le spécialiste des âmes sœurs commence à parler du lien.

-Nous allons approfondir le lien pour faciliter votre perception, dit-il calmement, d'un air avenant.

-Approfondir le lien ? répète Oikawa. Mon lien avec Tobio ?

-C'est cela. Le rendre plus fort, plus perméable. Si vous êtes d'accord, bien sûr.

Plus fort. Plus perméable. Ce lien intrigue toujours Romero –ce lien qui ne s'est pas défait quand Oikawa l'a rejeté, ce lien qui subsiste encore depuis plus de deux ans où Tobio s'est engagé à le renier à son tour. S'ils commencent à travailler dessus, si Tooru l'explore, toute idée de rejet, toute altération qu'il aurait pu subir disparaîtra. Ce sera un lien neuf, renouvelé dans toute sa puissance.

Et tous leurs efforts seront réduits à néant. Toute la patience investie dans leur relation sera piétinée. Ils seront bons pour tout recommencer depuis le début.

C'est sûrement le prix à payer, pour une relation hors âme sœurs.

Il a presque envie que Tooru dise non. Mais penser comme ça serait stupide et égoïste –la vie de Tobio importe davantage que tout ce qui peut se passer sur le plan relationnel. Le retrouver et le sauver, c'est la priorité absolue. Peu importe le reste, peu importe le lien, peu importe ce que pense Oikawa de Kageyama et ce que Kageyama pense d'Oikawa.

La vie d'abord.

Ils aviseront ensuite.