Nico sait que ça devient sérieux quand Kageyama lui déclare qu'ils vont manger chez sa sœur le lendemain. Comme ça.

Alors bien sûr, Tobio a rencontré sa famille dès le mois d'août, ses parents et son fils ; mais lui n'entend que très peu parler du reste des Kageyama, à part du grand-père défunt, Kazuyo, de temps à autres. Tout ce qu'il sait, c'est que les parents de Tobio sont des fonctionnaires très occupés, qu'ils commencent très tôt et finissent très tard, et qu'ils ne l'ont pas vraiment élevé.

Sa sœur a le même âge que Nico, vingt-huit ans. C'est d'ailleurs pour son anniversaire qu'ils sont là, et si Romero appréhendait un peu de rencontrer toute la famille d'un coup, il se rend vite compte qu'ils ne sont que trois, puisque l'âme sœur de Miwa travaille, et que c'est plutôt un petit repas pour l'occasion qu'une grande réunion.

Elle ouvre la porte, et Nico reste un instant sidéré par la ressemblance avec son frère. Même cheveux noirs et lisses, mêmes yeux en amande d'un bleu sombre et royal, même expression franche et boudeuse ; mais celle-ci s'adoucit instantanément en reconnaissant son frère, et elle détaille Nico avec curiosité.

-Alors c'est toi, le copain de Tobio ? demande-t-elle franchement, et en japonais.

Nico comprend plus ou moins ce qu'on lui dit en japonais, et compense son manque de vocabulaire avec les intonations de ses interlocuteurs, mais Tobio préfère prévenir tout de suite :

-Parle doucement, Miwa. Il n'est pas japonais.

-Ouais, je m'en doutais un peu, répond sa sœur en le détaillant de haut en bas.

Le bronzage et la barbe ont dû me trahir, songe Nico. Peu importe, il prend son meilleur accent pour se présenter :

-Bonjour, je m'appelle Nicolas Romero, enchanté de faire votre connaissance.

-Je me disais bien que ta tête me disait quelque chose. Je suis Miwa, la grande sœur de Tobio. Ravie de te connaître.

Elle sourit d'un air étrange, et ajoute alors que Tobio a déjà disparu dans le salon :

-Brise le cœur de mon frère et je te fais voler tellement loin que tu seras de retour dans ton pays.

Quelle famille intense, songe Nico en hochant la tête pour montrer que c'est compris.

-Vous venez ? s'impatiente Tobio depuis le salon.

Le repas, contre toute-attente, se passe à merveille. Miwa est plus bavarde que Tobio, et Tobio est plus à l'aise en sa présence ; et finalement, tandis qu'ils terminent le dessert, Nico a l'impression que sa belle-sœur l'apprécie. Assez, du moins, pour ressortir les albums de famille et lui montrer les photos de Tobio depuis sa naissance –sensiblement la même bouille brune et renfrognée, mais avec de bonnes joues.

-Ooh, t'étais trop mignon, assure Nico en brandissant une photo de Kageyama à trois ans, un ballon de volley dans ses petites mains.

Tobio lui adresse un petit sourire, mais ses yeux sont tristes –son grand-père apparaît sur la majorité des photos, et les souvenirs ont l'air de l'atteindre. Romero se dit qu'il a peut-être besoin d'un peu de temps seul, et insiste pour aller aider Miwa à faire la vaisselle.

-Ça fait plaisir de voir Tobio heureux, commente-t-elle en lui tendant une assiette à essuyer.

Nico ne le trouvait pas particulièrement enjoué depuis un moment, et elle semble faire le lien :

-Je veux dire. Avec toi, en général. Il a l'air bien. Hmm...

Elle hésite, l'éponge à la main, et demande en poussant légèrement les lèvres en avant :

-Tu n'es pas son âme sœur, si ?

-Non, non.

Le regard de Miwa se fait distant un instant, et Romero craint de devoir se justifier –mais elle finit par esquisser un sourire :

-C'est encore plus exceptionnel, alors.

Nico acquiesce, mais il a envie de changer de conversation ; alors il demande le plus naturellement du monde, et le mieux possible dans son japonais rudimentaire, comment il pourrait surnommer Tobio de manière affectueuse. Il a songé au Tobinho de Lipe, mais ça lui rappelle trop ses coéquipiers, ce ne serait pas vraiment personnel.

-Hm..., réfléchit Miwa à voix haute. Bah, je suppose que tu peux employer le –chan.

Ah ouais, les suffixes. Il en a retenu quelques-uns, mais ne s'en sert jamais, ça ne lui est pas naturel –lui, il appelle ses connaissances par leurs prénoms, point barre. Mais si ça fonctionne en japonais et si ça fait plaisir à Tobio, il veut bien essayer.

Ils prennent congé de Miwa, qui les remercie d'être venus et leur souhaite bon retour ; et Romero ne roule que depuis quelques minutes quand Tobio déclare :

-Elle t'aime bien.

Il a presque l'air étonné, et Nico sourit avant de répliquer, tout naturellement :

-Mais qui ne m'aime pas, Tobio-chan ?

L'effet est immédiat. Kageyama se tourne si vite vers lui que Nicolas se demande s'il ne s'est pas fait un torticolis ; mais, plus de que la joie, c'est du choc qui se peint dans ses orbes bleues. Quelque chose de tourmenté. Quelque chose comme du reproche.

-M'appelle pas comme ça, lâche finalement Tobio en s'enfonçant dans son siège. J'ai horreur de ce surnom.

-Ah bon ? Je croyais que c'était mignon, pourtant, répond Nico en haussant les épaules.

-Nan.

Romero n'insiste pas. De toute façon, ce n'est pas comme s'il pouvait comprendre toutes les nuances du japonais, il a peut-être mal prononcé, ou Miwa s'est trompée. Il n'a qu'à faire le contraire, et prendre des surnoms brésiliens. Ça lui semble une option viable, et il passe à autre chose.