Nicolas a sous-estimé le poids d'un enfant de quatre ans et demi. Du moins, c'est ce qu'il découvre quand Rafael entreprend de lui sauter dessus pour le réveiller.

-Debout, papa ! Tonton a dit de te réveiller ! s'écrie joyeusement Rafa en lui tapotant les joues. C'est l'heure de manger !

Romero sort tout juste de son lit et n'a pas le temps d'enfiler un T-shirt que son fils le tire par la main jusqu'à la cuisine ; là, ils retrouvent Bruno en train de servir le petit déjeuner. Nico s'assied à table et baille largement.

-Toujours pas remis du décalage horaire, Niquito ? le taquine son coéquipier. Les autres vont arriver.

-Ils me voient tout le temps en pyjama, on s'en fout, marmonne Nico en plongeant dans sa tasse de café.

Il relève soudain la tête, nettement plus réveillé.

-Eh, dis. On est quel jour ?

-Le vingt-deux, pourquoi ?

On frappe à la porte, et Rafa se précipite pour aller ouvrir tandis que Nico répond :

-C'est l'anniversaire de Tobio.

Il attrape son téléphone, se demandant sur quel réseau il devrait souhaiter bon anniversaire à son passeur –tous, peut-être, ça pourrait être sympa...

-Mate le coéquipier ! s'écrie Lipe en entrant dans la cuisine, Rafa sur les épaules. Des mois sans se voir, et puis quoi ? Il ne lève même pas les yeux de son téléphone quand on arrive.

-Comprenez-le, les gars, ironise Bruno avec un grand sourire. C'est l'anniversaire de Tobio !

-Tobio ? C'est quoi, Tobio ? C'est quelqu'un ?

Nico pose son téléphone, sachant qu'il n'aura pas la paix avant de répondre –et il préfère être au calme, s'il doit faire un joli petit paragraphe à Kageyama à la hauteur de ses dix-neuf ans.

-C'est une fille ? interroge Lucas en se servant dans les viennoiseries. C'est une geisha ?

-C'est le passeur de mon équipe, idiot.

-C'est un ninja !? s'écrie Rafa.

-Non, trésor, ce n'est pas un ninja. Même s'il est très rapide sur un terrain.

-Et au lit ? interroge Lipe.

Nico plaque aussitôt les mains sur les oreilles de son fils. A force de traîner avec des gens sages comme Fukuro, Tatsuto, Wakatoshi et Tobio, il a oublié comment étaient ses coéquipiers nationaux.

-Y'a rien, réplique-t-il aussitôt. Il est beaucoup plus jeune.

-C'est un adulte, nan ?

-Oui, mais...

-Tu rougis, Nini, commente Lucas d'une voix chantante.

Rafa essaie de secouer la tête, mais Nico n'est pas sûr de là où s'oriente la conversation, et préfère clore le débat avant de le lui laisser l'ouïe de nouveau :

-C'est mon coéquipier, rien de plus, déclare-t-il tout net. C'est pas moi qui prendrai d'initiatives avec lui.

-Et s'il en prend, lui ?

-... On verra à ce moment-là.

Lipe se met à siffler, et Romero libère les oreilles de Rafael qui se met à bouder. Nico ne sait pas trop dans quoi il se lance en décrétant tout ça, il ne sait même pas s'il avait déjà posé des mots là-dessus, mais c'est fait, et ce n'est pas plus mal que son fils n'ait pas entendu –évoquer sa mère est déjà assez compliqué, Nicolas a tout sauf envie de se lancer dans de grandes discussions sur les âmes sœurs, l'amour et la mort avec lui.

Ses coéquipiers le laissent tranquille au sujet de Tobio le reste de son séjour, et Nico profite des moments avec sa famille et ses amis avant de rentrer au Japon ; il passe le dernier jour chez ses parents, tranquillement, et parle avec Bruno dans le salon pendant que Rafa s'occupe avec son robot géant flambant neuf.

-Tu lui as souhaité, du coup ? lance soudain le passeur. Son anniversaire, à Tobio.

-Ouais. Je l'ai appelé directement, ça lui a fait plaisir.

-C'est cool. T'as l'air bien, là-bas. Ça me fait plaisir de te voir comme ça.

Nico hoche la tête. Il a eu des coups de déprime, bien sûr, mais il a adopté sa propre routine, et il se sent plus serein que ces dernières années au Brésil. Il a un nouveau lieu de vie, une nouvelle équipe, une nouvelle culture à laquelle il essaye encore de se faire. Et il a trouvé Tobio. Ça, c'est vraiment quelque chose qui lui a permis d'avancer. D'être de nouveau en paire, en quelque sorte.

Parfois il se demande s'il fait bien, si ce n'est pas une insulte à la mémoire de Jô ; mais il a l'impression de redécouvrir des sentiments et des sensations qu'il n'avait plus connus depuis trop longtemps, un type d'affection qui lui fait beaucoup de bien et qui, pour la première fois, comble un peu le vide qui reste en lui.

-Tu t'es attaché à lui, dit doucement Bruno, et ce n'est pas une question, c'est une constatation.

-Ouais, avoue Nico avec un léger sourire. Peut-être même un peu trop.