13. Juillet - août 2015
Le Japon est vraiment un monde à part. Mais c'est pour ça que Nico l'a choisi.
Il a quitté le Brésil une semaine plus tôt. Ça n'a pas été facile, mais il a vendu l'appartement qu'il avait avec Jô et a acheté une jolie maison à trois chambres dans un quartier un peu plus éloigné. Il l'a offerte à ses parents, leur a dit de s'installer là, que c'était le moins qu'il puisse faire pour les remercier de s'occuper de Rafael. Nico n'était pas sûr que son fils ait compris ce qui se passait, mais finalement, c'était peut-être mieux comme ça.
Romero a eu l'occasion de venir au Japon pendant sa carrière, mais jamais de s'y installer, et c'est seulement là qu'il prend conscience de l'écart culturel avec son pays d'origine ; et au début, il est perdu avec tout. Il a l'impression de se faire arnaquer parce qu'il a converti tout son argent des réaux aux yens. Il a failli faire un accident parce qu'il a roulé toute sa vie à gauche, et tout d'un coup il doit conduire à droite, sans parler des amendes qu'il se prend parce que les Japonais roulent lentement. Et il faut encore rajouter à ça l'inversion des saisons, il a dû se refaire une garde-robe complète.
Il ne comprend strictement rien à la langue, non plus, tellement différente des sonorités roulées du portugais ; il se replie sur l'anglais en attendant d'acquérir quelques notions, et s'y met le plus tôt possible. Tout cela combiné, le décalage culturel, l'acquisition d'une nouvelle voiture, d'un nouvel appartement, les heures passées sur les manuels de Japonais et ses balades dans la ville pour s'imprégner un maximum de ce nouveau pays, lui permet de ne pas trop penser à Jô, de ne pas trop sentir le vide. En plus de cela, les gens qu'il rencontre ne savent pas qu'il n'a pas d'âme sœur, le traitent comme les autres, et ça fait du bien d'échapper un peu aux regards de pitié et de compassion qui pesaient sur lui au Brésil.
Il a pris contact avec sa nouvelle équipe –les Schweiden Adlers, un club de division une dans la ligue japonaise, et n'a même pas eu besoin de faire d'essais avant qu'on lui tende les papiers et un stylo pour signer. Il rencontre aussi deux membres de l'équipe avant la reprise officielle –un homme de haute taille avec une petite barbe châtain sur le menton, assortie à ses cheveux ; et un autre, étonnamment petit pour un volleyeur, au regard particulièrement acéré sous des cheveux blancs comme neige.
-Je m'appelle Fukuro Hirugami, se présente en anglais le plus grand. Cette année, je serai le capitaine. Enchanté de faire ta connaissance !
-Je suis Kourai Hoshiumi! s'exclame le plus petit. Bienvenue dans l'équipe ! J'ai hâte que tu me sous-estimes pour te prouver que ma taille n'est pas-
-Merci, l'interrompt le capitaine. Nous sommes honorés de ta présence dans l'équipe, Romero-san.
Nico les remercie d'un chaleureux sourire tout en se demandant comment différencier les noms des prénoms en japonais. Il est complètement paumé avec ça –une chose de plus ; et il ne sait même pas comment s'adresser à eux. D'ailleurs, il a déjà oublié leurs noms, toujours étranger aux sonorités nippones. Le grand –Hogami ?- lui parle un peu des membres de l'équipe, de leur fonctionnement en tant que groupe, lui fait faire le tour du gymnase et lui montre quelques endroits sympas de Sendai.
Et finalement, Nicolas se trouve plutôt rassuré en quittant ses deux coéquipiers. Il craignait un peu de s'ennuyer dans la ligue japonaise, pour tout dire –elle n'est pas aussi réputée que le championnat brésilien, italien ou russe. Mais Horushi lui a parlé de la génération monstre, dont les derniers représentants rejoignent l'équipe cette année et relèvent le niveau comme jamais encore ; en plus, ils ont un des attaquants les plus puissants du pays, de ce qu'il a entendu, un gars dont il ne se souvient plus du nom, mais un jeune aussi ; et Romero se dit que ça peut être une année intéressante.
Il ne sait pas encore comment se situer dans le processus de guérison. Il vient de passer quatre ans la tête sous l'eau, simplement concentré à devenir le plus grand champion possible, à renforcer son corps, à renforcer sa technique et son sens du jeu. Peut-être que l'effet de dépaysement est illusoire, peut-être que ça va passer et qu'ici aussi, il finira par se sentir seul et vide. Mais pour l'instant, il a trop de choses à intégrer et à découvrir, et si ça ne comble pas le vide qui lui est immanent, ça remplit au moins son temps libre.
Il garde tout de même le lien avec le Brésil, via Skype pour sa famille, et ils ont établi leur petite routine pour s'appeler au moins une fois tous les mercredis –ce n'est pas facile, parce qu'ils ont douze heures de décalage horaire, mais Nico peut bien renoncer à un peu de sommeil pour voir ses proches. Quant à l'équipe nationale, il en est toujours un des membres les plus éminents, et parle avec ses coéquipiers tous les jours par messages.
Le jour de la reprise arrive finalement, et il sent avec délice la petite piqûre de hâte, d'adrénaline, d'un peu de nervosité, aussi, parce qu'il est tout nouveau dans cette équipe, et que même un multiple champion du monde doit s'intégrer ; et il commence par se rendre dans les bureaux du gymnase pour signer les derniers papiers d'installation.
-Merci infiniment de votre collaboration, Romero-san, lui dit-on là.
Il se contente de rire et de leur dire de l'appeler par son prénom, et ils le regardent tous avec des yeux énormes. Les gens sont trop formels, ici. Il se demande combien de temps il faudra à ses coéquipiers pour laisser tomber tous leurs suffixes bizarres et dont il ne saisit toujours pas vraiment le sens.
C'est à ça qu'il pense, arpentant d'un pas vif les couloirs du gymnase pour se rendre aux vestiaires, impatient de rencontrer tout le monde et de voir ce que valent les Adlers ; et il est trop pris dans ses pensées pour réussir à éviter la personne qui lui fonce dedans au détour d'un couloir.
Il n'a pas le temps de s'excuser que le coupable se recule, marmonnant des excuses en japonais avant de relever la tête –révélant le visage boudeur d'un adolescent aux cheveux d'un noir d'encre, et dont les yeux s'écarquillent démesurément quand ils se posent sur le visage de Nicolas.
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