12. 18 mai 2015, 2h30
Nicolas traverse la piste de la boîte de nuit. L'alcool et la fatigue lui tournent la tête, il se fait rattraper par l'anxiété ; et il se glisse dans les toilettes pour s'appuyer sur le lavabo. Même ici, les lumières sont tamisées d'un magenta obsédant ; Nico ouvre le robinet, regarde l'eau couler quelques instants, puis s'en asperge le visage.
-Ça va ?
Il se redresse brutalement. Bruno est appuyé contre le lavabo d'à côté. Il l'a suivi. Nicolas lui adresse un léger sourire désinvolte :
-Ouais, bien sûr. J'avais trop chaud.
-Vraiment, Niquito ?
Romero hausse un sourcil :
-Ouais, ça va. J'ai besoin de plus de champagne que ça pour être malade.
-C'est pas de ça que je parle. Tu devrais le savoir. Ça fait douze ans qu'on joue ensemble, je suis le dernier que tu peux berner.
-Tu veux vraiment gâcher mon anniversaire, Bruninho ?
Il est sur la défensive. Bruno n'est pas seulement un joueur avec des capacités analytiques hors du commun, c'est aussi son meilleur ami, et il le connaît parfaitement. A ce stade, il fait partie de la famille. Il est le parrain de son fils. Et s'il s'était marié avec Jô, comme il aurait voulu le faire un peu plus tard, il aurait été son témoin. La pensée lui laisse un goût amer et familier.
-C'est justement parce que c'est ton anniversaire, réagit Bruno. Vingt-sept ans. Peut-être que cette année-là, tu ne devrais pas la gâcher comme les autres.
-Gâcher quoi ? rétorque Nico. On est champions de-
-Oui, on est champions, le coupe Bruno. Ça, c'est notre métier. Je parle du reste. De ta vie à toi, de ta vie privée.
Romero ne répond pas, et Bruno s'engouffre dans la brèche :
-Tu passes du temps avec Rafa ? Tu vois des gens, en dehors de nous ? T'en es où, là, t'as encore le suivi médical ?
-Pas besoin du suivi. Rafa, je l'ai vu ce midi quand je suis allé chez mes parents.
-Et ? Tu sors, à part avec nous ? insiste Bruno. C'est quand la dernière fois que t'as eu un rencard ?
-Lundi.
-Menteur.
Ils se défient du regard un court instant, mais Nico sait qu'il ne peut rien lui cacher, et ses épaules s'affaissent :
-D'accord. J'ai pas regardé mes messages depuis février.
Bruno soupire. Il a l'air triste, et Romero culpabilise un peu de l'inquiéter.
-Tu dépéris, ici, Niquito, déclare le passeur d'un air navré.
-Non, ça va, contredit Nico, mais il se sent tellement vide qu'il a l'impression que ses mots résonnent à l'intérieur de lui. Je vous ai. J'ai le volley.
-Le volley, répète Bruno d'un air désabusé. C'est qu'un sport. Une passion, un métier. Mais même le meilleur attaquant du monde a besoin d'autre chose pour vivre, tu sais ? Les médailles d'or ne vont pas te sauver.
-Qu'est-ce qui me sauvera, alors ?
Nico a un ton léger. Un sourire sur les lèvres. Ça ne change rien à ce qu'il ressent –ou plutôt, à ce qu'il ne ressent pas. Personne ne peut le voir ni le sentir, parce que plus personne ne partage ses sensations. Il n'y a que son coéquipier et peut-être sa mère qui s'en doutent.
Bruno s'approche de lui et pose ses mains sur ses joues avant de coller son front au sien. Nico ferme les yeux. Un bref instant, il a l'impression de se souvenir de ce que ça fait, d'être lié à quelqu'un, et ça lui donne presque envie de pleurer.
-Pars d'ici, Nico, murmure Bruno. Tu es libre. Du volley, tu peux en faire partout sur la planète.
Romero ne l'a jamais envisagé. Pourquoi l'aurait-il fait ? Quitter Rio, ce serait rompre les derniers liens qui l'unissent à Jô. Son appart, la pâtisserie, le parc –la maison de ses parents et son fils. Il vit encore à travers ça.
-Il n'y a plus rien ici pour toi, ça te fera du bien, insiste Bruno. Nous, on se reverra avec l'équipe nationale.
-Et partir où ? demande Nico.
Il déteste la détresse qu'il entend dans sa voix.
-Ailleurs. Le plus loin possible. Dans un autre pays. Dans une autre culture. Quelque part où tu seras tellement dépaysé que t'auras l'impression de prendre un nouveau départ.
Nicolas ne sait pas si c'est une bonne idée. Ce serait tout laisser derrière lui, et il a déjà trop négligé ses devoirs d'âme sœur et de père –mais Bruno a raison, il n'ira jamais mieux s'il reste ici à se morfondre. Faire semblant d'aller bien ne fait que le détruire davantage. L'idée de repartir de zéro ouvre un infime rayon d'espoir, mais c'est le premier depuis quatre ans, et il se dit qu'il peut le saisir.
-Vous faites quoi, là ? intervient soudain la voix de Lucas à l'entrée des toilettes. Vous vous roulez des patins ? Je peux venir ?
-Fous le camp, Lucão ! s'écrie Bruno en s'écartant brutalement.
-Il y a un nouveau service de champagne ! s'écrie Lipe en apparaissant à son tour, bondissant quasiment par-dessus les épaules de Lucas. Vous venez, les gars ?
-On arrive, assure Nico.
Pour la première fois depuis bien longtemps, il a l'impression que son sourire n'est pas totalement artificiel.
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