Chapitre 45
2 ans et demi plus tard
Je vérifiais avec inquiétude l'heure sur mon téléphone : 10 h 24. Punaise, j'allais rater mon bus. Je finis d'enregistrer les dernières modifications de mon travail, éteignis l'ordinateur et commençai à rassembler mes affaires à la hâte.
— Tu t'en vas ? s'enquit Alice.
Je hochais la tête en signe de confirmation et continuais de ranger après un rapide coup d'œil à mon interlocutrice qui me souriait de toutes ses dents. Un sentiment de déjà vu me percuta, dans un autre endroit, à une autre époque.
— Tu es sûre ? Je ne te dépose pas à l'aéroport ?
— Non, merci. Je gère, tu dois aller chercher Zoé dans une heure, tu arriveras trop juste, répondis-je, assise sur ma valise pour la fermer.
Mes affaires prêtes, je pris une grande inspiration et me tournai vers ma meilleure amie.
— Ne me regarde pas ainsi ! affirmais-je tendus. Et ne pleure pas ! On se revoit dans très peu de temps.
— Excuse-moi, tu as raison. Tu vas me manquer quand même, chouina-t-elle tandis qu'une larme commençait à perler, au coin de son œil. Allez file. Tu vas être en retard.
Je la pris dans mes bras et lui claquai un bisou sur la tempe.
— Je t'envoie un message depuis la salle d'embarquement.
— Dac, fais attention à toi sur le chemin et bon courage, me lança-t-elle de l'encadrement de sa porte d'entrée, alors que je me dirigeais déjà vers l'arrêt de bus, mes bagages à la main.
J'arrivais en même temps que celui-ci et montais maladroitement dedans. Toutes les places assises se trouvaient occupées. Avec mes deux valises et mon sac à dos, je préférais de toute façon rester debout dans un coin, pour ne pas gêner le passage. Je n'en avais que pour dix minutes, le trajet ne devrait pas se montrer trop éprouvant. Lorsque la voix automatique annonça le cimetière, j'appuyai sur le bouton pour signaler mon arrêt et me saisis de tous mes bagages pour entamer la première escale de ce nouveau voyage. À l'entrée, je m'approchais du cabanon du gardien.
— Euh, bonjour, interpellais-je celui-ci. Serait-il possible de laisser toutes mes valises dans un petit coin, s'il vous plaît ? Je n'en ai pas pour longtemps.
— Ah bonjour, oui bien sûr mademoiselle, aucun problème. Vous pouvez les mettre là, m'indiqua le vieux monsieur, le doigt pointé sur un renfoncement à côté de son bureau.
— Merci beaucoup ! Je fais vite.
— Prenez votre temps, je ne bouge pas d'ici.
Je m'inclinais pour remercier le vieillard adorable comme tout et partis en direction de la grande allée cernée de pierres tombales. Arrivée à destination, je marquais une pause pour récupérer mon souffle et me tournais lentement vers la stèle où était inscrit le nom de mes parents. Je n'étais pas du genre de ceux qui parlaient tout haut aux défunts, devant leur sépulture. Je trouvais cette pratique étrange. S'ils pouvaient m'entendre parler, où qu'ils soient, ils pourraient lire dans mes pensées. C'est dans ma tête que je conceptualisais mes sentiments. Je venais dire au revoir. À mon père, surtout. Je quittais la France dans quelques heures. Deux ans et demi que je n'étais pas revenue ici, depuis l'enterrement. J'estimais ne pas nécessiter d'être là physiquement, pour songer à eux. Je pouvais le réaliser à tout moment, peu importe l'endroit où j'étais. Aujourd'hui, c'était particulier. Je décollais pour un nouveau départ et j'étais venue avec une idée en tête. Une sorte d'acte symbolique ? Je passais mon sac à dos devant moi et ouvrit la poche avant. J'en sortis une boîte en métal un peu plus grande que ma main et retirais le couvercle. Mes doigts caressèrent l'arête de la touche en ivoire, jaunie par la vie. Je l'avais gardée toutes ces années, depuis le soir de l'accident et il était maintenant temps de lui faire mes adieux à elle aussi. Je n'en avais plus l'utilité là où j'allais.
J'avais guéri mes blessures, m'étais construite, je jouais à nouveau du piano sans souci et j'avais réussi à identifier mes besoins, à exister pour moi. J'avais tourné la page. Bien sûr, je n'y étais pas parvenu d'un coup. Petit à petit, avec l'aide de mes amis et du temps, j'avais su apprendre à me connaître. Des crises ressurgissaient parfois, beaucoup moins violentes qu'avant et surtout, je les maîtrisais toute seule. Alice m'avait accueilli chez elle, avant que je me trouve un logement, avait contribué à ce que je décroche un poste de free-lance pour sa boîte. Je me chargeais de créer les illustrations de certains de leurs livres, ou encore de fournir les photos pour leurs guides sur la Corée du Sud. Ce travail m'avait permis de mettre de l'argent de côté pour vivre et pour bosser sur mon projet personnel. Pour ce dernier, Daeyeon m'avait énormément soutenu et aidé. J'étais, bien sûr, restée en contact avec presque tout le groupe, particulièrement Shin et Dae. Minjae avait beaucoup de boulot de par sa position de leader. Les deux autres, partis pour leur service militaire, le contact avait été plus compliqué. Dae continuait de me harceler de messages, auxquels je répondais à chacun maintenant et j'avais même eu l'occasion de voir le danseur, venu nous rendre visite en France, pendant ses vacances.
Sereine et confiante aujourd'hui, je partais pour expérimenter une nouvelle aventure et réaliser le fameux projet sur lequel j'avais travaillé durant toute cette année. Je regardais une dernière fois le vestige de mon ancien piano et refermais la boîte, avant de la poser sous la plaque commémorative de mon père. « Prends-en soin pour moi. J'espère te rendre fier. Vois la vie que j'ai choisi de mener », récitais-je dans ma tête. Sur ces réflexions, je fis demi-tour pour récupérer mes valises et reprendre le bus en direction de l'aéroport. La lecture aléatoire de mon Spotify lança la chanson d'une artiste coréenne dans mes écouteurs, toujours greffés dans mes oreilles et je ne pus m'empêcher de sourire, face à l'éternelle congruence de mes playlists. Le message de cette chanson allait plutôt bien avec la situation et puis c'était lui qui l'avait produite.
***
Après avoir enregistré mes valises et passé la sécurité, j'envoyais un message à mon amie pour la rassurer. J'eus à peine le temps de prendre un café et de poser mes fesses dans la salle d'embarquement que mon téléphone sonna. Je soupirais d'avance face à l'impatience de Daeyeon et décrochai.
— Noona ! C'est bon ? Tu es devant ta porte ?
— Ouais Dae, ne t'inquiète pas, je ne raterai pas mon avion.
— J'ai tellement hâte de te revoir, tu me manques.
— Toi aussi.
— Comment ça s'est passé ce matin ? demanda-t-il d'une voix réconfortante. Il savait que j'avais rendu visite à mon père.
— Bien. C'était rapide, pas très bavard donc je ne me suis pas éternisée.
Je l'entendis pouffer à l'autre bout du fil, soulagé que je le prenne de cette façon.
— Il serait fier de toi ! m'encouragea-t-il. Tu verras, ça sera génial. J'ai foi en ton projet.
— Merci Dae. Je te laisse, ils appellent les premiers passagers.
— Bon voyage Noona. Je te retrouve à l'arrivée. Je t'envoie un message pour te dire où je suis garé.
— J'aurais pu rentrer en métro, tu sais ! Mais merci. À tout à l'heure.
Je raccrochais, reconnaissante envers mon ami pour son soutien, son amour inconditionnel et les deux heures de transport en commun qu'il m'éviterait. Je fis un pas en avant, vers mon avenir, le bonnet si cher à mon cœur sur mes cheveux, redevenus bruns.
***
6 mois plus tard
Point de vue de Daeyeon
— Shin dépêche toi ! On va être en retard.
— Détends-toi ! râla mon ami, pendant qu'il ajustait sa tenue dans le miroir.
— On peut savoir ce qui te prend autant de temps ? C'est bon, oui, tu resplendis, arrêtes de te reluquer et ramènes tes fesses, il manque que toi. D'habitude, c'est Sookie qu'on attend. Aïe !
Le coup reçu sur ma tête de la part de mon cher et tendre, en signe de protestation, arracha un sourire au danseur.
— Renonce DaeDae, il se fait beau pour voir Alice.
— Il suffit tous les deux ! Ce n'est pas pour Alice, mais pour Zoé, rougit le concerné, la bouche jusqu'aux oreilles. Pourquoi tu as si peur d'arriver en retard ? Tu sais très bien que si l'inauguration n'est pas terminée, on ne pourra pas rentrer. Alors, respire un bon coup et laisse-moi finir de me préparer.
Je partis patienter dans un coin, et ronchonnais qu'il avait beau fournir tous les efforts du monde, c'était moi que Zoé préférerait, ce qui eut le don d'énerver Shin et d'exaspérer Sookie.
— Vous l'aimez cette gosse hein ? ponctua Minjae d'un air attendri.
Il attendait dans le même coin que moi. Prêt, lui. Je hochais la tête avec un grand sourire. Nous l'adorions. C'était devenu la mascotte du groupe. Zoé était la fille d'Alice. Cette dernière était tombée enceinte peu avant que Mark rentre en France et quand il l'avait su, le père avait pris la fuite. Cet abandon s'est révélé très dur pour la Française et la présence de sa meilleure amie arrivait à pic. Elles avaient pu se soutenir. Shin avait été le premier à voir la petite, lors de ces vacances et ils s'étaient montrés tout de suite très fusionnels. Après son départ, elle demandait après lui et il l'appelait en visio régulièrement pour lui raconter des histoires. Moi, même si les filles m'envoyaient des photos ou des vidéos, j'avais pu la rencontrer officiellement qu'au début de ce mois-ci. Alice était venue rejoindre Mark pour terminer les derniers préparatifs qui nous menaient à ce soir.
— Quel âge ça lui fait maintenant ? questionna Minjae.
— Deux ans et demi, répondit Shin qui revenait enfin de la salle de bain.
— Vu le temps qu'elle passe avec toi au téléphone, il ne m'étonnerait pas qu'elle sache mieux parler coréen que français, le taquina ma moitié.
Je ris à cette remarque, pareillement aux deux autres de la bande et le serrai dans mes bras pour lui faire comprendre que je pensais la même chose. Les quatre prêts à partir, nous nous mîmes en route.
***
Sur place, j'en restais bouche bée. Bien que j'eus suivi l'installation au fur et à mesure, les derniers ajustements donnaient à l'endroit un charme encore plus fou, mariaient à merveille les passions de mon amie. Elle avait réussi à trouver son but dans la vie, allier son amour inconditionnel pour le café et sa ferveur pour l'art. Après plus d'un an et demi de préparation et de démarches administratives en France et de nombreuses semaines à travailler d'arrache-pied depuis son retour, elle inaugurait ce soir, son propre café galerie d'art. Les clients pouvaient venir s'installer dans un endroit accueillant, boire et manger des douceurs sucrées — dont seuls les Français avaient le secret. Ils découvriraient, chaque mois, les nouvelles œuvres exposées sur les murs. Ils pourraient les acquérir pour certaines. Mark désirait mettre en avant les créations, que ce soit peinture, sculptures, photos et autres, de jeunes talents. À chaque vernissage, un concert avec des musiciens peu célèbres sera organisé pour annoncer le changement de décor, une façon de les faire connaître et d'obtenir des événements réguliers pour le café.
Je me promenais dans ce décor au style industriel qui la représentait parfaitement. Brut, rock, décalé, l'essentiel. Les tables, aux plateaux en bois brun et les pieds en métal noir, offraient la place de s'étaler pour étudier tant qu'on le voulait. Dans les renfoncements, des canapés et fauteuils entouraient une table basse pour se détendre entre amis et discuter. Au plafond, une multitude d'ampoules dénudées pendaient au bout de longs fils. La lumière apportait une ambiance tamisée qui éclairait toutefois suffisamment chaque table. On avait l'impression de voir des dizaines de petits astres flotter dans l'air, ajoutant un aspect féerique à l'endroit. Certains murs en briques rouges rappelaient le côté grunge et urbain sur lesquels des photos de la ville en noir et blanc que Mark avait prises étaient encadrées. D'autres, en béton ciré, plutôt couleur anthracite, contrastaient avec le reste de la pièce et intégraient différents tuyaux et canalisations dans un style steampunk. Par-ci, par-là, on retrouvait des bibliothèques avec des livres d'art ou des romans dans différentes langues. Des plaids, mis à disposition pour réchauffer les personnes. Un petit comptoir, du même acabit que les tables, offrait des serviettes, du sucre et de l'eau, installée dans une grande jarre, soutenue par une armature en fer forgée. J'étais fier d'elle.
— Shiiiiinnn !
Les cris de l'enfant m'arrachèrent à ma contemplation. Zoé courait dans les bras de mon collègue, sous les regards amusés de sa mère accompagnée de la propriétaire des lieux qui sortait de la cuisine.
— Noonaaaaa ! braillais-je à mon tour dans un comportement identique à la fillette, jusqu'à mon amie.
Ce qui eut pour effet de faire rire tout le monde. Ou de les exaspérer, je savais pas trop. La frontière s'avérait mince parfois. Mark me réceptionna, les bras grands ouverts.
— C'est vraiment magnifique ! Il te ressemble tellement, j'adore.
— Merci Dae. Ça me touche.
— Noona ! Tu as accroché mon croquis ! s'exclama Sookie.
Je relevais la tête pour apercevoir, au-dessus du comptoir des machines à café, un superbe dessin tout à fait dans son style.
— Je te l'avais promis. Tu es mon deuxième artiste !
— Deuxième ? C'est qui le premier ? bouda-t-il.
— C'est Dae, désigna-t-elle une photo de l'autre côté du buffet, qu'elle m'avait demandé de lui donner.
Je souris fièrement, content de faire partie des murs.
— Et pourquoi c'est lui le premier ? râla mon alter ego.
— Parce que c'est lui qui a répondu le plus rapidement à mon e-mail ? haussa-t-elle les épaules.
— Mmhhh...
— Uhuh ! Ça t'apprendra à ghoster nos messages, mon cœur, le charriais-je ce qui, cette fois j'en étais sûr, fit rire tout le monde.
Sauf lui. Oupsy ?
— C'est splendide Mark, ajouta Shin.
— Merci, mais je ne serais arrivé à rien sans votre aide et sans la touche finale d'Al.
— Bon travail les filles, confirma Minjae. Comment s'est passée l'inauguration tout à l'heure ?
— Très bien ! Nous avons récolté beaucoup de compliments, répondit Alice. Nous avions peur de ne pas avoir assez prévu, mais Mark a préparé des cookies à la dernière minute.
— Oh ! Il en reste ?! demandais-je gourmand.
— Mais tu viens de manger ! me fit remarquer Shin.
— Et alors ! J'ai toujours de la place pour un biscuit !
— Vous voulez boire quelque chose ?
— Avec plaisir !
— Et comment !
Pendant que les filles confectionnaient des breuvages pour chacun, elles expliquèrent que les deux premiers mois, des créations de Mark seraient exposées, le temps de bien préparer les contrats et modalités avec les prochains artistes. Les seules œuvres qui resteraient en permanence trônaient au-dessus du comptoir de commande : les dessins de machines à café et de grains torréfiés réalisés par Mark, des mains tenant une tasse fumante illustrée par celui d'Insook, ainsi que ma photo de trois amis de dos, dans un café en noir et blanc. On pouvait pas trop les reconnaître, il s'agissait en fait d'Alice, Mark et Insook. Je l'avais prise un après-midi, lorsqu'on s'était vu pour discuter de son projet. Elle avait eu besoin de notre aide pour comprendre les termes des accords qu'elle signait. Les contrats, ça nous connaissait à force. Au moment où j'avais réalisé la photo, l'amour de ma vie confiait à Alice notre secret et celle-ci nous félicitait pour notre couple. Les garçons échangeaient avec Alice et s'émerveillaient devant Zoé qui lâchait pas notre danseur, je m'approchais de mon amie pour profiter un peu d'elle en tête-à-tête.
— Ils sont mignons, livra-t-elle d'un signe de la tête en direction de Shin et de la petite.
— Oui, ils s'adorent. Et pas que Shinny et Zoé. Alice aussi.
— Ils ne trompent personne.
— Ils se sont remis ensemble ? J'ai pas tout compris à l'histoire.
— Je sais qu'il y a eu un truc quand il est venu nous voir en France. Après, ils ont beaucoup discuté et se sont posé de nombreuses questions. Je crois qu'ils ont décidé de se donner du temps, jusqu'à ce qu'on revienne en Corée. Déjà, parce que vous étiez pris et accessoirement, à l'autre bout du monde. Mais aussi par rapport à la petite.
— Je vois. J'espère qu'ils réussiront à trouver une solution qui leur convient à tous les trois.
— Je n'en doute pas, me sourit-elle confiante, ce qui me rassura.
***
Deux mois étaient passés depuis l'inauguration. Alice était repartie en France avec Zoé, ce qui avait déchiré le fan-club de la fillette. Nous avions découvert qu'en plus du cœur de Shin, cette petite boule de tendresse avait su charmer celui de Sookie qui se révélait incroyable avec les enfants. Moi, j'avais été tout guimauve devant ce spectacle. J'avais rendez-vous avec Mark, à son café. Nous devions nous voir avant l'ouverture, profiter du lieu, exempt de monde, pour que l'on puisse pas me reconnaître. Lorsque j'arrivais, mon amie m'accueillit avec un magnifique sourire.
— Bon matin, Dae, installe-toi, je termine ton chocolat.
En effet, les effluves cacaotés embaumaient déjà la salle. Je pris une grande inspiration et m'établis dans un des fauteuils les plus éloignés de la baie vitrée afin de pas attirer l'attention. J'essayais de la voir le plus souvent possible, trop heureux de son retour, mais ce matin, si j'avais réclamé de la rencontrer, c'est que j'avais une idée derrière la tête. Elle serait difficile pour elle. Je la savais cependant nécessaire et la symbolisais comme la dernière étape à franchir. Elle s'installa face à moi et je fus surpris de le découvrir sans café.
— Tu es malade ?
— Non, pourquoi ?
— Et ton café ? demandais-je anxieux, ma main sur son front.
— Ah ça ? J'essaye de ralentir l'allure et de profiter de chaque tasse, plutôt que de le boire en continu.
— Holy moly, mais qu'avez-vous fait de mon amie ? Rendez-la-moi !
Ma remarque la fit rire. Derrière, se cachait encore une blessure qu'elle arrivait pas à refermer.
— En réalité, je me suis rendu compte que ma relation avec lui n'était pas saine. Ça ne pouvait plus durer.
— Alors tu l'as quitté ?
— On va dire qu'on a pris nos distances ? Non, mais j'avais tendance à me réfugier dedans, comme un palliatif, ou plutôt un antidouleur et si je veux continuer à travailler ici, je dois repartir sur de bonnes bases.
— Tu as raison, c'est sans doute mieux. Tu as tellement grandi, chouinais-je d'une caresse sur sa joue. Tu as repris ton compte Instagram ? J'ai hâte de voir tes prochaines œuvres !
— Ouais, je me suis dit qu'il était temps. Avant, je produisais pour fuir, pour couper mes émotions, pour ne rien ressentir. Mais maintenant, je crée pour les exprimer justement. Pour les partager.
Je comprenais pour avoir suivi les étapes de sa guérison, même à l'autre bout du monde. À l'annonce de son retour et de son projet, j'avais sauté de joie, elle me manquait. Je me souviendrais toujours du jour où elle m'avait raconté son passé, la fois où elle était allée, avec Alice, vider la maison de son enfance. Sa relation avec son père m'avait chamboulée. C'est pourquoi, quand elle m'avait annoncé ouvrir un café et que cela serait possible en partie grâce à l'argent qu'elle avait eu en héritage, je lui avais demandé : pourquoi elle avait vécu si pauvrement lors de sa première visite en Corée, si elle possédait tant d'économies ? Elle m'avait répondu qu'elle avait pas voulu y toucher. Qu'elle se trouvait pas prête à l'époque. Que c'était « le prix de sa vie » et qu'elle souhaitait en faire quelque chose de bien. Cette phrase m'avait déchiré le cœur. Considérer sa réalité aujourd'hui, cet endroit qui la représentait à merveille, qui alliait ses passions et qui symbolisait ce lien qu'elle avait toujours eu avec lui. J'étais ému et heureux.
— Du coup, je me suis dit qu'ils pourraient se rendre utiles, lui tendis-je un sac rempli de carnets. Je les ai retrouvés, entre autres, après ton départ. Je les ai gardés au cas où tu envisagerais de t'en servir ou simplement les revoir.
Elle jeta un coup d'œil au tote bag, surprise, et en sortit ses anciens cahiers à dessin, qu'elle feuilleta rapidement. Quand son regard tomba sur un, en particulier — celui que je voulais qu'elle récupère, raison pour laquelle j'avais manigancé tout ça — elle se figea. Il s'agissait d'un calepin qu'Eunji lui avait offert pendant notre tournée en France. Je le savais, car nous étions allés l'acheter ensemble. J'avais pas pu m'empêcher de le feuilleter, curieux, et j'avais été surpris d'y trouver que des portraits de lui. Ils ressortaient magnifiques de réalisme, tous plus beaux les uns que les autres. On pourrait presque croire qu'il était canon. Une chose certaine, ces dessins laissaient transparaître tout l'amour qu'elle avait pour lui à l'époque. C'était une évidence. Elle fit comme si de rien n'était et le remit parmi la pile, posée sur la table.
— Merci Dae. En effet, il y a certains visuels que je suis heureuse de retrouver, avoua-t-elle sans préciser lesquels.
— Je t'en prie. Pour être honnête, c'est moi qui ai débarrassé tes affaires du studio. J'avais peur pas qu'un autre y touche. Et j'ai tout gardé. Certaines de tes œuvres sont accrochées chez moi. J'espère que tu m'en veux pas.
— Non au contraire, tu as bien fait.
— Je t'en avais pas parlé avant, car je savais pas si tu apparaitrais prête à te replonger là-dedans. Mais quand je découvre tout ça, désignais-je la pièce, et après tes paroles, je pense que maintenant, tu l'es. Si tu souhaites récupérer d'autres trucs, hésite pas. Et puis tu auras un prétexte pour passer à la maison.
— Merci beaucoup. Alors je viendrais t'emprunter de la peinture ou du matériel, rit-elle.
— Je te prends au mot.
Au cours de la discussion, je la voyais caresser discrètement la tranche du carnet qu'Eunji lui avait offert. Elle mourrait d'envie de l'ouvrir, peut-être même de le redessiner. D'après Alice, elle nous représentait souvent, tous les membres, sauf lui. Son désir irrépressible augmentait après quelques minutes, elle luttait. Peut-être par pudeur, ou à cause de son éternel conflit interne. Je me décidais à la laisser un moment seule.
— J'ai une course à effectuer dans le coin. Tu ouvres dans une heure, n'est-ce pas ?
— Ouais, tout est prêt, et comme le lundi matin il n'y a pas beaucoup de monde, j'avais prévu de dessiner.
— Dac. Je repasse te voir avant de partir. J'en ai pas pour longtemps. Je peux laisser mes affaires là-bas ?
— Bien sûr, aucun problème.
— Merci Noona. Envoie-moi un message si tu as besoin de quelque chose.
— Ça marche. À tout à l'heure.
Je lui claquais un bisou sur la joue et sortis du café par la porte de derrière, ma casquette enfoncée sur ma tête, après avoir remonté mon masque.
***
Après plus d'une demi-heure à me promener dans le parc et à prendre des photos, je revins sur mes pas. À travers la vitre du café, j'aperçus mon amie en train de crayonner, sur le fameux calepin. Je le savais. Elle avait pas fermé à clé derrière moi, en Corée, on craignait pas grand-chose. J'entrais sans sonner, pour la surprendre en plein dessin. Elle terminait tout juste un portrait de son ex-amant, plus époustouflant que les précédents. Mon but, avait été de comprendre si ses perceptions restaient les mêmes ou si, elle était encore attachée à lui à cause de leur vécu parce qu'il l'avait aidé à franchir certaines étapes. J'avais confirmation que ses yeux le voyaient toujours de la même façon. Je pouvais affirmer que ses sentiments se montraient plus... comment dire ? Pure ? On ressentait l'amour qu'elle éprouvait, c'était pas exactement le même que sur les croquis d'avant. Celui-ci paraissait plus apaisé, moins douloureux, moins triste aussi. C'était l'émotion à l'état brut, pas enrobé de tous les problèmes et conflits internes qu'elle avait à l'époque. La connaissant sur le bout des doigts maintenant et sensible à l'art, je pouvais comprendre tout ceci à travers son œuvre. Au moment où elle me vit, elle finissait d'écrire la date du jour.
— Tu penses encore à lui pas vrai ? la surpris-je.
— Non, c'est de l'histoire ancienne, répondit-elle sans lever la tête.
— Visiblement pas, désignais-je le carnet. Il est rentré de son service militaire il y a un mois.
— Ah ? Et alors ? feint-elle de pas être au courant.
— Mark, je te connais par cœur. Ça ressemblerait pas à un gros mensonge, par hasard ?
— Tu veux quoi, Daeyeon ?!
Aïe, on y était, elle repartait sur la défensive. Normale, elle souffrait, je le savais. Il lui manquait terriblement, et même si elle gérait ses crises toute seule maintenant et qu'elle allait mieux, elle s'accrochait beaucoup à son projet pour pas y songer. C'était la dernière étape de sa guérison. Un peu comme le boss final. Elle aurait besoin de ses sidekick pour s'en sortir.
— Je me demande ce qu'il en penserait, formulais-je mes yeux posés sur le dessin.
Elle me fusilla du regard, ferma d'un coup sec le carnet, qu'elle rangea parmi la pile, à côté de mes affaires.
— Tu es devenu chiant !
— Non, je l'ai toujours été ! J'ai juste l'ambition de t'aider. Et si pour cela, je te dois te dire les choses que t'as pas envie d'entendre, alors je l'accomplirai. Car je maîtrise ton fonctionnement et je connais tes besoins.
— Ah oui ? Et de quoi ai-je besoin ? questionna-t-elle un rictus au coin des lèvres.
— De tourner la page ! Tu sais très bien que c'est toujours pas fait.
— Bien sûr que si ! Je sors, je m'occupe du café, j'essaye de penser à autre chose !
Le ton commençait à monter, il était trop tard pour reculer.
— T'essayes pas !
— Ça suffit, Kim Daeyeon. Ne me pousse pas à bout.
Elle s'était levée et je pouvais voir un mélange d'indignation et de tristesse dans ses yeux. Elle avait parcouru du chemin. Elle arrivait à se mettre en colère.
— Alors pourquoi depuis trois ans maintenant, tu laisses pas sa chance à quelqu'un ? Pourquoi tu sors pas, rencontre pas de nouvelles personnes ? Pourquoi t'ouvres ton cœur à personne ? Tu as guéri certaines de tes blessures, mais pas celle-là. Pas ton cœur. Il est toujours cassé.
— Et quoi ? Tu sais comment le réparer peut-être ?
— Je dis pas que c'est possible. C'est pas forcément impossible non plus. Mais pour ça, essaye. Le fait qu'il soit brisé l'empêche pas de battre. Des milliers d'hommes, et de femmes sont prêts à agir si tu leur en laissais l'occasion.
Il était bientôt l'heure qu'elle ouvre, je me dirigeais vers mes affaires. Au passage, je pris discrètement le fameux carnet que je cachais dans les plis de ma veste et me retournais vers elle.
— Tu es une personne magnifique, doutes jamais. Et tu en mérites une, tout aussi magnifique que toi.
Dans ses yeux, je pus lire les pensées qu'elle osait pas avouer. « Lui aussi est magnifique » Je soupirais, m'approchais d'elle pour la prendre dans mes bras.
— Je te bouscule, mais tu sais que je t'aime, hein ?
Elle secoua la tête, me rendit mon étreinte. Je lui fis plusieurs petits bisous sur le sommet du crâne et la quittai à regret.
— Je te présenterais de nouvelles personnes toutes aussi magnifiques que toi si tu veux.
Elle répondit avec une grimace et m'accompagna à la porte pour me dire au revoir. Ce qui signifiait non, en langage Mark.
— Mmh, prends soin de toi. Je t'appelle.
En idiome Kim Dae Dae, ça annonçait qu'il était temps de mettre la phase deux de mon plan en action.
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Hey ! Bon vendredi à tous.
Mark is back in Korea ! Yeaaaaahhh
Mais encore mieux, elle a évoluée, tel le pokémon qu'elle est. Que pensez-vous de cette upgrade ? Bon ce n'est pas encore son évolution ultime, mais elle a fait beaucoup de chemin vous ne trouvez pas ?
Du coup beaucoup d'infos dans ce chapitre, mais c'est qu'en trois ans, il s'en est passé des choses. On fait la connaissance de Zoé (aviez-vous trouvé l'indice dans le chapitre précédent ? ), le projet a enfin vu le jour et surtout Mark a fait ses adieux à ses anciens démons, et ça, ce n'est pas rien ^^
Kim DaeDae est de retour pour la bousculer. À votre avis qu'est ce qu'il a en tête ?
Sinon pour la petite anecdote, au début de la fiction Mark a un devoir pour ses cours de coréen à faire. Elle doit faire un exposé sur quel est son rêve ? Vous vous souvenez ? Ce n'est pas très grave si ce n'est pas le cas. Bref, au moment où j'avais écrit ce chapitre, j'avais vraiment ce devoir à faire en classe. Je m'étais torturé la tête pendant des heures, écouté en boucle Paradise et finalement, l'idée de ce café/gallerie d'art m'était venu. J'avais donc fait mon exposé là-dessus et je l'avais imaginé et décrit exactement comme celui de Mark ^^ Je me souviens encore du retour de ma prof qui était trop emballée par l'idée et m'avait demandé de la prévenir quand ça serait fait pour qu'elle vienne le voir. C'était trop mignon. Je suis sûr que ça marcherait trop là-bas.
Bref trêve de papotages. On se retrouve dimanche pour la suite du plan machiavélique de Tae.
Prenez soin de vous.
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