Chapitre 11
Je te détestais parce que t'étais putain de détestable.
Les daddy issues, ça te parle ?
Même lui voulait qu'on se voie.
On mérite pas d'être heureux toi et moi ?
J'étais le seul à pouvoir essayer de t'aider avec le deuil de ton grand-père.
Kageyama s'était lavé, habillé, et avait appelé un taxi comme en transe. Son téléphone était éteint, abandonné sur sa table de chevet. Il n'avait rien d'autre sur lui que son portefeuille dans la poche de son jean, pas de manteau, juste un pull. Il resta mutique quand le chauffeur essaya de faire la conversion, paya la course et sortit.
Il ne sentait plus le lien. Il ne sentait plus rien, à vrai dire, que de la colère brute.
Il sonna, et Miwa lui ouvrit la porte.
-Tobio ? demanda-t-elle en écarquillant les yeux. Qu'est-ce qui se passe, tu vas bien ? Comment t'es venu jusqu'ici ?
Kageyama ne répondit pas tout de suite. Il s'avança vers elle, et Miwa recula, apeurée, voyant à son expression que quelque chose n'allait pas.
-Qu'est-ce qu'il y a ? Parle-moi, balbutia-t-elle.
-Pourquoi tu lui as dit ? demanda Kageyama d'une voix sans timbre.
-Q-Quoi ?
Les traits de Tobio étaient figés. Il n'y avait que ses yeux qui brûlaient.
-Pour Kazuyo. Pourquoi tu lui as dit ? répéta-t-il.
-A qui ?
-A Oikawa !
Sa voix était montée d'un ton, et Miwa tressaillit avant de retrouver son sang-froid. Elle ferma la porte et se revint se tenir devant son frère, tout aussi obstinée que lui, bras croisés :
-C'est quoi le problème ? Que j'ai parlé de notre famille à Oikawa ?
-Oui !
-Je lui expliquais simplement ce qu'il avait ressenti à travers le lien. Je ne comprends pas pourquoi tu en fais un drame.
Kageyama serra les dents en guise de réponse.
-C'était notre grand-père, Tobio, ce n'est pas un secret, décréta Miwa.
-Alors pourquoi on en a jamais reparlé !?
Miwa le fixa, bouche ouverte :
-Qu'est-ce que tu voulais qu'on dise ? Il a eu une belle et longue vie, puis il est tombé malade et il est décédé. C'est comme ça, c'est la vie.
Qu'elle le résume aussi simplement brisa quelque chose en Tobio.
-Comment tu peux dire ça ? s'exclama-t-il. Il nous a élevés ! Il était tout le temps avec nous ! Il était...
Il était tout pour moi. C'était mon grand-père, mon mentor et mon meilleur ami. Les yeux de Miwa, tellement semblables aux siens, s'emplirent de pitié en le voyant se débattre avec les mots.
-Tobio, dit-elle en posant sa main sur son bras, je sais que vous étiez très proches et qu'il comptait beaucoup pour toi.
Tobio voulut répliquer, mais ce qu'il comptait dire d'un ton agressif se perdit quand sa voix se brisa vers la fin :
-Et pour toi ? Pourquoi t'es pas restée avec moi après... ? Pourquoi tu m'as laissé tout seul ?
Il dut toucher quelque chose, car les doigts de Miwa se crispèrent sur sa manche :
-Je... Tobio, je suis désolée. J'ai senti que tu t'isolais mais... j'étais loin, j'avais mon travail, ma maison, mon mari, je pensais que tu ferais le deuil de ton côté, on n'est pas... On n'est pas aussi proches que je voudrais et j'aimerais réparer ça-
-On l'a été, l'interrompit Kageyama. C'est toi qui t'es éloignée.
Il se sentait vide. Vide et en colère, comme à Kitaichi. Les doigts de Miwa quittèrent son bras pour se poser sur sa joue, comme quelques jours plus tôt quand elle l'avait retrouvé :
-Tobio, j'ai arrêté le volley, je n'ai pas arrêté d'aimer ma famille.
Elle sourit avec mélancolie.
-C'était le volley qui nous rapprochait, je suis d'accord. Et tu n'étais même pas encore au collège quand je suis partie de la maison. Mais tu es mon petit frère. Tu resteras toujours mon petit frère.
-Miwa..., murmura Tobio en désespoir de cause. Qu'est-ce que je dois faire ?
-Commence par rester manger, qu'on puisse discuter un peu, dit-elle doucement.
Il voulut méditer sur ses mots pendant qu'elle préparait le repas, mais ses émotions étaient encore beaucoup trop fortes. Je te détestais parce que t'étais putain de détestable. Les daddy issues, ça te parle ?
Il sentait qu'Oikawa s'était réveillé, probablement en sursaut quand il avait senti le pic de colère, et qu'il était à présent écrasé sous la culpabilité et les remords en plus d'être à demi assommé par la gueule de bois. Mais Tobio s'en fichait. Il était trop triste, trop furieux et trop indigné pour que le lien soit bien perméable. Il aurait voulu agir, faire quelque chose, trouver Oikawa et lui mettre son poing dans la figure, appeler Hinata et l'engueuler d'avoir été raconter n'importe quoi, aller voir Nico et lui demander ce qu'était cette histoire de même lui voulait qu'on se voie. Ça faisait plus d'une heure qu'il avait eu les messages, mais il n'arrivait pas à se calmer. Ses mains tremblaient. Il ne pensait plus clairement.
-Qu'est-ce qui se passe ? demanda sa sœur en lui servant à boire. T'as vraiment pas l'air bien. C'est à cause du lien ?
-Ouais, murmura Tobio.
Ses annihilateurs étaient restés chez lui, sur sa table de chevet. Il aurait voulu en prendre une poignée et se les mettre dans la gorge.
-Cet Oikawa..., réfléchit Miwa à voix haute. Tu penses quoi de lui ?
Un frisson parcourut Tobio, et il ne sut à quoi l'attribuer. Le dégoût lui semblait pertinent.
-Je ne le comprends pas, répondit-il sans s'étaler.
-Je vois, répondit sa sœur. C'est un drôle de type. Même en étant âmes sœurs, je ne sais pas si vous iriez bien ensemble.
-Parce que tu t'es posé la question ? demanda froidement Kageyama.
Sa colère ne passait pas, installée au fond de ses tripes, prête à jaillir à la moindre contrariété. Il était au bord de casser quelque chose.
-Un peu, avoua-t-elle. Je me suis demandée pourquoi le lien tenait toujours, comme tout le monde. Il avait l'air très investi dans les recherches, et j'ai pu discuter un peu avec lui.
-Ça y est, maintenant ? s'enflamma Tobio. Tout le monde veut me caser avec Oikawa parce qu'un jour en sept ans il a bien voulu m'aider ?
-Non, dit franchement sa sœur. C'est un connard et je lui ai dit en face.
Kageyama aurait peut-être souri s'il était moins sur les nerfs.
-Quand j'ai vu ce numéro dans son entrée –super nuit, rappelle-moi, bisous- j'ai cru que j'allais lui casser quelque chose. Ce gars t'a rejeté, a osé rejeter mon petit frère pour se taper des plans cul derrière, ça m'a...
-Des plans cul ? répéta Tobio.
Un instant, sa fureur fut éclipsée. Juste le temps qu'il comprenne ce que ça signifiait.
J'ai été respectueux envers le lien et lui. J'ai volontairement stoppé ma relation avec Nico parce qu'il était encore actif, parce que je ne voulais pas le trahir. Ça me paraissait juste. Je me suis forcé à l'abstinence et...
... et lui a fait tout l'inverse.
Il eut envie de vomir.
Ça a toujours été son plaisir avant tout. Les sacrifices, les privations, il ne connaît pas. Le lien, il s'en fout depuis le début.
-Ça va ? s'inquiéta Miwa en posant une main sur son front brûlant. T'es tout pâle. On devrait peut-être retourner aux urgences...
-Non, haleta Kageyama. Non, c'est bon. Autre chose que je devrais savoir ?
Elle hésita une fraction de seconde, jouant distraitement avec une mèche de cheveux avant de de répondre :
-J'ai vu une boîte d'annihilateurs dans sa salle de bains.
Tobio le savait. Oikawa l'avait avoué dans le bureau d'Hayashi. Et ça ne faisait que conforter ses hypothèses.
J'arrivais pas à t'oublier moi... On est faits l'un pour l'autre. Oikawa avait osé lui dire qu'il écoutait le lien, avait osé lui soutenir que celui-ci était d'une importance cruciale et à respecter à tout prix. Il ne l'avait jamais pensé sincèrement.
Menteur, songea Tobio en fermant les yeux. Ses oreilles bourdonnaient, son cœur battait trop vite et trop fort.
-Tobio, l'appela Miwa.
Il n'avait même pas remarqué qu'elle se tenait à côté de lui. Elle lui caressa les cheveux, lentement, soigneusement, différemment de Nicolas mais toujours avec amour.
-Tobio, dit-elle à nouveau. Oikawa est peut-être ton âme sœur. Mais Nico est une perle. C'est à toi de choisir avec qui tu fais ta vie.
-J'ai perdu tellement de temps pour rien, murmura Tobio.
-Perdu du temps ?
Miwa l'attira contre elle, et il laissa sa tête reposer contre son ventre, comme quand ils étaient plus jeunes et qu'elle était encore beaucoup plus grande, les fois où elle voulait bien le câliner. Pour la première fois depuis longtemps, Kageyama eut le sentiment de retrouver sa grande sœur. Et c'est sûrement ce qui le poussa à répondre à sa question malgré les protections qu'il érigeait d'habitude autour de sa vie intime, pris dans cette soudaine bulle d'amour quasi-maternel :
-J'ai jamais couché avec Nico. Par respect pour le lien. Ça me semblait... juste. Mais lui, il...
Ça n'aurait pas dû le surprendre venant d'Oikawa. Ça n'aurait pas dû l'affecter, lui-même avait clairement reconnu qu'ils avaient fait leur vie chacun de leur côté. Et pourtant, il sentait des larmes de rage l'étouffer.
-Il ne s'est comporté correctement, compléta Miwa en jouant avec ses mèches. Et Nico ? Il le vit bien ?
-Il a dit qu'il attendrait...
-Une perle, je te dis. Ecoute... si Oikawa considère qu'il peut coucher à droite à gauche pendant que tu te mets une ceinture de chasteté, il n'y a rien de juste à ça. Il m'a dit qu'il avait un copain à l'époque où il a su que tu étais son âme sœur. Tu crois que ça les a empêchés ?
-Non, murmura Tobio.
Il n'osa pas avouer qu'il n'avait même jamais embrassé Nicolas sur la bouche. Je suis ridicule, songea-t-il. Ce n'était pas l'envie qui lui manquait, pourtant, et il s'était dressé tout seul des obstacles inutiles.
Les mots d'Oikawa résonnèrent à nouveau. Les daddy issues, ça te parle ? Le souvenir de cette phrase était marquée au fer rouge dans son cerveau –il savait que c'était faux, il le savait, il le sentait, il aimait Nico, vraiment, sincèrement, d'un amour qui n'était en rien comparable avec le fait de projeter sur quelqu'un des complexes refoulés.
Mais Oikawa avait dit autre chose. T'es le seul à pas t'en rendre compte, Tobio. Même lui voulait qu'on se voie.
Et Nico aussi le lui avait dit. Il avait voulu lui en parler, à l'hôpital. Il est quelqu'un de bien. Tobio, Tooru and I talked about you and...
La pensée que Romero ne l'aimait peut-être pas de la même manière que lui le glaça jusqu'au sang. Pourquoi n'avait-il pas insisté davantage quand Tobio lui avait opposé ses refus ? Pourquoi avait-il cédé si vite à leur condition platonique ? Etait-ce vraiment grâce à son bon cœur ? Ou parce qu'il ne voyait en lui qu'un petit frère, qu'un garçon à protéger, mais pas un petit-ami et encore moins un amant ?
Tout se mélangeait. Et si depuis le début je me trompe sur toute la ligne, qu'il ne m'a jamais aimé romantiquement ? Il a essayé de m'embrasser, pourtant –mais il aurait eu tellement d'occasions d'en profiter... Et si Nico voulait me donner à Oikawa, comme un animal, comme un objet qu'on remet à sa place ?
Il ne réussit pas à manger. Les sentiments d'Oikawa ne faisaient que s'accumuler aux siens, la peur et les remords empilés sur sa colère et ses doutes, et il crut qu'il allait faire une crise d'angoisse avant que Miwa ne lui donne des cachets.
-Ce ne sont pas des annihilateurs, déclara-t-elle. Mais ça t'aidera un peu. Je vais te reconduire chez toi, d'accord ?
Les médicaments commencèrent à faire effet dans la voiture et le firent somnoler, amortissant d'un coup toutes ses sensations, celles d'Oikawa et les siennes en même temps. Il savait que ça ne durerait pas, il sentait tout le tumulte en lui qui n'attendait que de sortir, que le moment de craquer. Il retrouva son téléphone sur sa table de chevet, et découvrit sans plaisir qu'il avait de nouveaux messages.
Oikawa-san : Tobio je suis désolé
Oikawa-san : Je ne sais pas exactement ce que j'ai dit mais Makki m'a un peu raconté et j'ai peur d'avoir dit des choses que je ne pensais pas
Oikawa-san : s'il te plaît, rappelle-moi...
Des choses que tu ne pensais pas. Au contraire, Oikawa-san, c'était la première fois que tu étais honnête avec moi.
Kageyama bloqua son numéro.
Il avait envie d'appeler Hinata et d'en savoir plus, mais préféra s'allonger et laisser les médicaments agir, roulé en boule, n'ayant même plus envie de prendre le foulard qui était devenu sa peluche.
Oikawa ne m'a jamais considéré. Une soi-disant révélation pendant l'enquête n'efface rien. Ni ses paroles ni ses actes.
Et Nico...
Elles lui brûlaient la gorge depuis des heures, mais ses larmes coulaient enfin, lentes et silencieuses, allaient se perdre dans son oreiller. Il entendit Ushijima rentrer, mais il était seul et ne le dérangea pas –son colocataire devait bien voir la porte de sa chambre fermée, et le laissa tranquille. La pensée que Romero n'était pas venu comme la veille, alors qu'il lui avait dit qu'ils se verraient, rajouta un poids sur son cœur.
Le téléphone de Tobio vibra, mais il mit une demi-heure à regarder, se souvenant qu'il avait bloqué Oikawa et que ça ne pouvait plus être lui.
Nico : I have to run some errands and I'm free
Nico : if you want me to come over
Nico : we can watch a movie
Kageyama hésita longtemps. Il avait passé l'après-midi à comater, le soir était déjà tombé ; les effets des médicaments se dissipaient, rendant toute leur importance à ses sentiments et ceux d'Oikawa, qui tournaient au désespoir à force de ne pas pouvoir le joindre. Les sensations n'étaient pas en reste –il avait senti une douleur aigüe à son index, et en avait déduit qu'Oikawa avait dû se couper en cuisinant. Il devait être distrait. Il avait sûrement dû pendre des annihilateurs, également. Après tout, ça ne le changeait pas de ses habitudes.
Réfléchir ne l'avait jamais vraiment avancé. Ruminer pendant des heures ne fonctionnait pas. Il n'était pas bon avec les mots. Tobio était fait pour agir, il était fait d'instinct et de passions, d'essais et de coups d'audace. Il fallait qu'il se bouge et résolve ça de lui-même.
Alors il se redressa, retourna son oreiller pour dissimuler les traces de larmes, et se gifla des deux mains.
Il avait temporairement réglé le problème d'Oikawa en le bloquant. Ce n'était qu'une question d'heures ou de jours avant qu'il n'arrive à sa porte, mais il aviserait ça plus tard. Pour l'instant, il fallait qu'il soit sûr de Nicolas. La pensée de s'être mépris sur la nature de leur relation lui faisait peur, extrêmement peur –mais il ne pouvait pas reculer. Il fallait qu'il le confronte.
Comme s'il l'avait entendu, Nicolas envoya un nouveau message, voyant sûrement que l'heure tournait et que Tobio ne répondait pas :
Nico : You alright, sweetie ?
Moi : oui
Moi : je peux venir chez toi ?
Nico : Comment avec entorse ?
Nico : Je suis là dans quinze minutes. Manger à la maison ?
Moi : oui
Il passa par la salle de bains pour se rafraîchir le visage avant de revenir dans la chambre. Il considéra pendant un long moment les deux boîtes d'annihilateurs côte à côte sur sa table de chevet, puis choisit celle de dose C et dévissa le couvercle d'un geste mécanique, jetant un œil aux cachets –de simples gélules bleues et blanches, mais qui pouvait changer sa vie. Il dénicha un pilulier au fond d'un tiroir –un cadeau de Suga à la fin de sa première année de lycée, à l'époque où la rupture entre Oikawa et Iwaizumi lui donnait des maux de tête ; il était vide, et il y glissa trois gélules.
Il sentait toujours Oikawa –le subissait, plutôt, mais il n'était plus certain de la frontière entre leurs sentiments respectifs. Est-ce que ce sentiment de désespoir venait de son âme sœur ? Ou était-ce lui-même qui le ressentait ? Et cette colère ? Et cette envie de hurler, de briser quelque chose, de relâcher un peu de pression, cette impression de se noyer en plein air, de suffoquer sur de simples pensées ?
Romero l'attendait adossé à sa voiture, juste en bas de la résidence. Il s'était changé et avait troqué son survêtement des Adlers contre des habits de ville –il avait du goût en matière de vêtements, et en avait même offert quelques-uns à Tobio à l'occasion, toujours de marque et parfaitement choisis. Et autant Kageyama avait l'habitude de passer sa vie en vêtements de sports, autant il ne refusait jamais de bien se saper de temps à autres... et ne refusait pas non plus d'apprécier la vue.
Nico l'embrassa sur la joue, et Tobio l'aurait enlacé en temps normal, mais les doutes étaient toujours là, impossibles à ignorer, et il ne réussit qu'à lui présenter un demi-sourire loin d'être convaincant. Il grimpa dans la voiture, répondit évasivement aux quelques banalités que lui proposa son petit-ami, puis posa sa tête contre la vitre et écouta la radio.
Il n'était pas souvent allé chez Nicolas –l'appartement dont disposait Kageyama était plus spacieux et mieux situé, et c'était là qu'ils se retrouvaient en général. Ils avaient d'abord un peu craint qu'Ushijima ne soit gêné de devoir tenir la chandelle, mais celui-ci n'y avait pas vu pas de problème et n'avait rien changé à ses habitudes ; et de toute façon, avec les limites de leur relation, ce n'était pas comme s'ils pouvaient être bien gênants.
La pensée relança toutes les questions que se posait Tobio, et il eut l'impression d'agir par pur automatisme en entrant chez Nico et en s'asseyant à la table de la cuisine pendant que ce dernier cherchait dans ses placards, déclarant que faire des pâtes lui paraissaient une bonne option. Il devait voir qu'il y avait un problème, que Kageyama n'était pas dans son assiette –celui-ci avait beau avoir le ventre vide, il n'avait toujours pas faim ; mais ce ne fut pas avant de le voir bouder devant ses pâtes que Romero se décida à poser la question :
-Tu vas bien ?
-Oui, mentit Tobio.
Nico haussa les sourcils, visiblement peu convaincu.
-C'est pas bon ? demanda-t-il en désignant son assiette pleine.
-Si, si.
-Tobio, you need to eat.
-Quoi, tu te prends pour mon père maintenant ?
C'était une provocation ouverte. Nico eut l'air blessé, Tobio s'en voulut un peu –et d'un autre côté, il avait envie de le tester, de voir jusqu'où allait cette patience angélique, de faire ressortir d'autres aspects de sa personnalité. C'était stupide, c'était cruel et autodestructeur, mais il n'en était plus à ça près.
-Non, répondit juste Nicolas. I just care about the health of my setter and boyfriend.
Tobio baissa les yeux. Boyfriend. Il voulait être sûr de ce qu'il y avait derrière ces mots, et n'arriva pas à apprécier la déclaration autant qu'il l'aurait voulu.
-Hey, I'm not blind, soupira Romero en le voyant toujours muet. Why are you mad at me?
Mentir ne servirait à rien. Kageyama repoussa son assiette, écœuré, et croisa les bras avant de lancer d'un ton agressif :
-Qu'est-ce que t'as dit à Oikawa ?
-Quoi ?
-L'autre jour, s'énerva Tobio. Je recontextualise vite fait, j'étais dans une cave et t'étais chez Oikawa. Vous avez parlé de moi. Tu lui as dit quoi ?
Nico écarquilla les yeux, mais resta calme et répondit sans lever le ton :
- I tried to see why he didn't break the bond on his side and asked him if he liked you.
-Mais bien sûr que non ! s'écria Tobio. Il m'a rejeté ! Il m'a toujours détesté !
-Il ne sait pas. Et tu ne sais pas non plus. Si ?
-Q-Quoi ?
-Si tu l'aimes.
Un instant de silence complètement figé passa.
Puis Tobio craqua. Il se leva en bousculant la table, et sa chaise se renversa dans un bruit sourd tandis qu'il criait, inconscient du volume de sa voix, habité par une colère pure :
-Pourquoi tu dis ça !? Je l'aime pas –je le déteste –c'est la pire personne que je connaisse ! Je ne veux même pas le revoir !
-Il a sauvé ta vie, nota Nicolas. Et Ninja dit que tu l'as aimé, avant.
Il était resté attablé, pensant peut-être que laisser Tobio déchaîner sa colère était la meilleure option. Lui aussi devait ressentir des choses, lui aussi devait être triste, en colère, bouleversé –mais il ne laissa rien paraître.
-Il m'a sauvé la vie mais ça reste un connard de première ! Je ne peux plus avoir de sentiments pour lui, pas après tout ce qui s'est passé ! Il est détestable !
T'étais putain de détestable, lui susurra la voix ivre d'Oikawa.
-You can't hate him, Tobio, déclara Romero, et il lâcha les mots fatidiques : he's your soulmate.
L'assiette de pâtes n'y survécut pas. Kageyama l'envoya valser, et elle se brisa sur le carrelage, éclatant en plusieurs morceaux et répandant tout son contenu sur le sol. Il avait eu envie de casser quelque chose depuis qu'il avait écouté les messages vocaux d'Oikawa, mais passer à l'acte le soulagea à peine. Il haletait, et s'il arrêta de crier, c'était uniquement parce qu'il était à bout de souffle :
-Et alors !? Tu penses que parce que c'est mon âme sœur, je serais mieux avec lui qu'avec toi ?
Nicolas ouvrit la bouche, puis la ferma et passa une main le long de sa barbe avant de répondre, incertain :
-C'est logique, non ?
Tobio se demanda s'il pouvait aussi retourner la table, ne s'en abstint qu'avec peine. Il entendait le sang battre à ses oreilles, sentait l'adrénaline lui piquer les doigts. Même lui voulait qu'on se voie. C'est logique, non ?
-Tu veux me donner à lui ? s'exclama Kageyama avec désespoir. Tu crois que ma place est avec lui et pas avec toi parce que la nature en a décidé comme ça ? Mais non ! Je ne veux pas ! Je veux rester avec toi !
Finalement, Romero se leva, sentant peut-être que les ravages dans sa cuisine n'étaient pas terminés –et pour se mettre à la même hauteur que Tobio :
-Please, listen. I don't want you to give up on your soulmate only because I'm here. I have no right to keep you for myself while there's someone made for you, waiting for you-
Nico avait toujours été calme, patient, rationnel, mature. Le genre à faire passer les autres avant lui-même, à faire des sacrifices en silence, à toujours trouver du positif même dans les situations désespérées. Cette nature altruiste avait d'abord ébloui Tobio –pour reprendre les mots de Miwa, c'était une perle.
A cet instant, il détestait ça.
-Think about it, insistait Nicolas. You might regret when the bond breaks, you don't know how it is-
-Arrête ça! l'interrompit Tobio.
Son cœur battait à tout rompre.
-T'es en train de me faire la morale, là ! se révolta-t-il. Tu me prends pour quoi, un enfant qui ne sait pas faire de choix ? Je ne suis ni ton fils ni ton petit frère, Nicolas ! Je suis ton copain !
Mais peut-être que tu n'es pas le mien. Il voulut reprendre son souffle, mais tout tournait, il n'avait rien mangé de la journée et des points apparaissaient devant ses yeux. Il manqua de tomber, et n'évita de heurter le sol que parce que Nico le rattrapa à temps.
-Je suis ton copain, Nico..., répéta Tobio en s'agrippant à lui. Alors s'il te plaît, comporte-toi comme mon copain...
Il sentit sa vision se brouiller, et sa voix était vacillante quand il continua :
-T'es censé me garder... pas me laisser à un autre comme ça ...
Même lui voulait qu'on se voie. T'es le seul à ne pas t'en rendre compte, Tobio. Il enfouit son visage dans l'épaule de Romero dans une vaine tentative de cacher ses larmes.
-S'il te plaît, Nico, sanglota-t-il. T'as le droit d'être égoïste ! Tu peux me garder et tant pis pour le reste... tant pis pour les autres... on restera à deux comme depuis le début. Pourquoi tu voudrais faire l'inverse si tu m'aimais vraiment.... ?
La question était lancée. Tobio mordit l'intérieur de ses joues jusqu'à ce qu'un goût métallique lui emplisse la bouche. Il était temps de savoir si les trois ans qu'il avait passés reposaient sur une illusion. Ça n'enlèverait rien aux faits et à ses bons souvenirs. Ça n'enlèverait rien à tout ce qu'il avait découvert avec Nico.
Mais ce serait un nouveau revers. Un nouveau rejet. Et il n'était pas sûr de pouvoir le supporter.
Les lèvres de Nico se posèrent sur ses cheveux, puis coururent le long de sa joue avant de s'arrêter tout contre son oreille.
-Hey, it's fine, dit-il de cette voix grave et chaude, un peu rauque, et qui n'avait jamais manqué de faire frémir Kageyama. I love you.
Tobio inspira profondément, retrouvant son calme pour la première fois depuis des heures. Oikawa avait tout faux. J'aime Nico et il m'aime. Tout ce qu'il voulait, c'était semer la discorde, comme d'habitude.
-But there's the bond. It's even stronger than before, and I thought you didn't want to...
-Le lien, répéta Kageyama d'un air vide. Oui. Mais si c'est le lien le problème, j'ai une solution très simple.
Il se défit de l'étreinte dans laquelle Romero le tenait toujours et chercha le pilulier dans sa poche –une simple petite boîte ronde et qu'il ouvrit, révélant trois gélules.
-Regarde bien, Nico.
Il ouvrit la bouche, assez pour tirer la langue, la laissant recouvrir ses dents et sa lèvre inférieure sans rompre le contact visuel –et il était bien conscient des connotations qu'avaient ce geste, mais il les assuma complètement. Il saisit une capsule bicolore entre son pouce et son index, la passa devant les yeux de Nicolas pour qu'il se rende bien compte de ce que c'était –puis il déposa la gélule sur sa langue, attendit une seconde, et l'avala.
Il ne savait pas exactement à quoi s'attendre. Nico lui servit un verre d'eau et demanda, doucement, presque comme s'il avait peur de la réponse :
-Quelle dose ?
-C.
Tobio descendit le verre d'une traite et le posa sur la table, puis il s'assit sur le canapé en sentant ses jambes fléchir un peu. La journée avait été rude. Il avait besoin de manger, mais n'osa pas réclamer à Nico après sa crise de colère –celui-ci comprit le message sans avoir besoin de parler, cependant, et lui tendit un yaourt à boire.
Le seul lien que je veux, c'est celui-là, songea Tobio.
Se débarrasser des sentiments d'Oikawa ne pourrait faire que du bien –il pourrait enfin être lui-même, couper ce lien de dépendance... et se tenir sur un pied d'égalité avec son âme sœur. Lui n'avait jamais osé tricher avec les annihilateurs, mais Oikawa s'en était donné à cœur joie. Il était temps qu'ils soient tous les deux libres.
Et peu à peu, les choses s'éclaircirent. Une part de désespoir et de peur le quitta, signe que cela appartenait à Oikawa ; tout un poids commença à s'effacer de sa poitrine, ses pensées firent de nouveau sens. Tobio eut l'impression de se retrouver, de s'être lavé de tout ce qui venait d'Oikawa, purifié de toutes ses émotions et sensations étrangères qui n'avaient jamais cessé de lui coller à la peau, et dont il se défaisait pour la première fois.
C'était donc ça. La liberté.
Illusoire, éphémère, mais palpable. Pour la première fois depuis ses quatorze ans, il se sentait maître de lui-même.
Il comprenait ce qu'Hayashi avait voulu dire en les prévenant que ce serait troublant. En vérité, il se sentait étrangement vide, comme si on avait découpé un trou dans sa poitrine –et la sensation était vraiment particulière, perturbante même, comme si les racines du lien plantées là depuis des années venaient de s'arracher. Ce n'était pas douloureux, mais il sentait que quelque chose manquait.
-How do you feel? demanda Nico en s'asseyant à côté de lui sur le canapé.
Il avait l'air inquiet, ses grands yeux ambrés pleins de sollicitude et peut-être encore de doutes.
-Un peu perdu, murmura Kageyama. Soulagé. Libre.
Il mordilla sa lèvre inférieure, et ajouta :
-Amoureux.
Il avait l'impression que ses propres sentiments étaient plus forts que jamais, à présent qu'il ne sntait plus qu'eux, et il s'autorisa à redécouvrir un instant son petit-ami. Habituellement, c'était Romero qui était le plus ouvertement tactile, et il ne manquait jamais de lui frôler la joue, de lui caresser les cheveux, de le tenir par les épaules ou la taille ; mais Tobio ne s'y aventurait jamais trop, se sachant moins expérimenté et mieux à l'aise dans les contacts plus amples.
Mais il l'avait promis. C'était à lui de le faire.
Alors il se tourna complètement vers Nicolas et se redressa un peu, levant une main timide pour lui toucher le visage. Ses doigts effleurèrent l'arête droite de son nez, puis passèrent sur la joue, entre la peau tendre autour de ses yeux et sa ligne de barbe, suivant ensuite la courbe de la mâchoire –il sourit légèrement quand les poils rugueux chatouillèrent ses doigts, soigneusement taillés dans le style négligent ; puis il remonta lentement, laissa sa main se perdre un peu dans les épis d'un brun sombre, repoussant d'un geste régulier les mèches de cheveux qui encadraient son front. Il repassa du pouce le dessin d'un sourcil, puis se décida à prendre son visage en coupe, plongeant son regard dans celui de Nico avec intensité –il aimait ses yeux, larges et tendres, bordés de longs cils noirs qui rehaussaient leur couleur, un caramel suave, envoûtant, expressif, et où Tobio ne manquait jamais de se perdre.
Il n'avait omis qu'un seul endroit. Sa bouche.
Les yeux de Kageyama s'y attardèrent longuement. Ses lèvres étaient sombres et ourlées, légèrement entrouvertes, laissant entrevoir l'émail blanc de ses dents ; tentatrices, appétissantes et si longtemps interdites, fruit défendu d'une relation platonique, clef d'une promesse qu'il avait faite le soir de ses vingt ans –je le ferai, c'est moi qui t'embrasserai.
Et il le fit.
Il posa son autre main sur l'épaule de Nico et inclina légèrement la tête pour se pencher vers lui, fermant les yeux par réflexe juste avant que leurs lèvres se touchent. Il avait l'impression d'avoir attendu ce moment depuis une éternité –et peut-être bien qu'une éternité était passée depuis le jour où Nicolas Romero était apparu dans sa vie, depuis la première fois où il avait entendu son nom à la télé jusqu'à cet instant où il posait ses lèvres sur les siennes.
Elles étaient douces et chaudes, souples contre les siennes, et Tobio savoura pendant quelques secondes la sensation du baiser, la tête vide, le cœur battant, les nerfs en feu d'oser enfin. Il ne savait pas exactement quoi faire, à vrai dire, s'il devait bouger les lèvres ou ouvrir la bouche, préféra ne pas trop innover tout de suite en dépit de son avidité, espérant à moitié que Nico prenne les choses en main et lui apprenne.
Celui-ci ne le repoussait pas et se laissait faire, mais Kageyama avait encore l'impression qu'il était hésitant ; et quand il s'écarta, le dilemme sur son visage était clairement visible : ses joues étaient roses, ses yeux brillaient, mais quelque chose le retenait encore –ses mains restaient posées sur le canapé plutôt que de le toucher. Tobio fronça les sourcils, sentant l'angoisse revenir au moment où il pensait justement avoir tout acquis. Les mots d'Oikawa et ceux de Nico se mêlaient de nouveau dans sa tête : même lui voulait qu'on se voie ; c'est logique, non ?
-Tobio, murmura Nicolas. Tu es sûr?
-Oui, répondit immédiatement Kageyama.
-Le lien...
-Il n'y a plus de lien. Je t'ai dit que je t'embrasserais quand je ne le sentirais plus, tu te rappelles ?
-Mais il n'est pas cassé.
-Je m'en fous. Ça me suffit. Et ça devrait te suffire aussi.
Il sentait l'agacement croître. Il savait ce qu'il voulait, il l'avait toujours su et il n'avait jamais hésité à le montrer. Que Nico ne veuille pas se mouiller alors que toutes les conditions étaient enfin réunies lui rappelaient désagréablement les rejets successifs qu'il avait subi dans son adolescence, tous ses espoirs balayés un à un.
Il aurait voulu que Romero soit plus sûr de lui, agisse, prenne des décisions. C'était ce qu'il était sur le terrain –il n'hésitait jamais à tenter de nouvelles choses, avait une incontestable présence, entraînait les autres dans son sillage de talent, de puissance et de charisme. Alors pourquoi y allait-il à reculons avec lui, pourquoi le manipulait-il comme une petite chose fragile ?
-Peut-être qu'attendre..., commença Nicolas.
-Ça fait trois ans que j'attends, le coupa Tobio. C'est déjà beaucoup trop.
Trois longues années où ils étaient officiellement en couple, et pourtant rien ne s'était passé entre eux. Ce n'était pas comme si ça avait été facile. Ce n'était pas comme si Tobio ne l'avait jamais reluqué à la dérobée dans les douches, pas comme s'il n'avait jamais songé à mentir sur la persistance du lien pour attirer ce corps entre ses draps –se reprenant au dernier moment dans un accès de bonne conscience, réprimant son désir en se disant qu'il suffisait d'attendre encore quelques mois pour profiter à volonté.
Et à présent que tout était à portée de main, à présent qu'il pouvait enfin accéder à cette nouvelle étape de leur relation –le plaisir charnel- Nico semblait réticent. Le sentiment de rejet s'accompagna d'une nouvelle flambée de colère, froide cette fois, maîtrisée et tranchante comme un rasoir.
-Tu sais quoi, Nico ? dit-il d'un ton glacial. Ce que j'aime le moins chez toi, c'est que tu ne sais pas te décider.
Il savait qu'il était injuste. Nicolas avait toujours été absolument adorable avec lui.
-Pourquoi ce serait à moi de prendre les initiatives ? Parce que c'est moi qui accorde le plus d'importance à notre couple ?
C'était faux. Romero lui avait clairement montré qu'il était intéressé, ils avaient flirté ensemble plusieurs mois avant que Tobio ne prenne la décision de rendre leur couple officiel –et si Nico ne l'avait pas fait avant, c'était probablement à cause de ses réserves sur leur différence d'âge et leur communication. Après tout, c'était bien lui qui avait essayé de l'embrasser en premier.
-Tu sais quoi, je vais être franc avec toi. Les câlins et les bisous sur la joue ça va deux minutes, mais là j'ai envie de toi, de toi tout entier. Et si tu te sers du lien comme prétexte pour ne pas aller plus loin, alors c'est juste que t'es un lâche et que tu ne veux rien assumer.
Un lâche. Comme l'a été Oikawa. Kageyama était conscient qu'il était à la limite du chantage affectif et que Nicolas méritait tout sauf ça. Mais il laissait ses sentiments le dominer, la frustration, la déception, l'irritation, et il poursuivit en s'agitant de plus en plus :
-Alors c'est quoi le problème, entre nous ? Tu m'aimes pas ? Ou c'est plutôt que tu me désires pas ? La relation platonique t'arrangeait bien, hein. En fait, t'as jamais voulu plus. Tu m'as juste laissé croire le contraire pendant trois ans.
Il se leva sans plus lui accorder un regard. Il se sentait horrible.
-Laisse tomber, Nico. Ça te fera sûrement plaisir que je me jette dans les bras d'Oikawa ? Parce que si t'es pas assez déterminé pour me garder, laisse-moi partir.
Il lui adressa un signe de tête ironique, le cœur en miettes devant l'expression complètement figée de Nicolas, et s'en alla.
Ou tout du moins, il essaya.
Il n'avait pas encore atteint la porte qu'il entendit des bruits de pas précipités derrière lui, rapides et sûrs ; une main se referma autour de son poignet, le stoppant net dans son élan et l'envoyant valser contre le mur. Il évita de s'y cogner la tête de justesse, amortissant le choc avec ses mains, mais n'eut pas le temps de s'en décoller que Nicolas était devant lui et lui bloquait le passage –et Tobio se rendit soudain compte d'à quel point il était impressionnant quand il voulait bien l'être, le dominant de toute sa taille, les yeux noirs, l'expression intense, le dessin de ses muscles clairement visible même sous ses vêtements.
Peut-être que le mettre en colère était une erreur.
Tobio sentit un frisson lui remonter tout le dos, et il ne savait plus si c'était de la peur, de l'adrénaline ou de l'excitation. Tout allait trop vite, Romero leva une main, Kageyama se demanda s'il allait le frapper mais n'eut plus le temps de penser que Nico plaquait ses lèvres sur les siennes avec fougue, sans hésiter, passionné, possessif, ses doigts posés derrière sa nuque pour le retenir, et toute idée de partir déserta l'esprit de Tobio.
Ce n'était en rien comme le premier baiser qu'ils avaient eu quelques minutes plus tôt, celui-là était avide, affamé, libérait trois ans de tension accumulée entre eux. Il n'y avait plus de demi-mesure. Il sentit la langue de Nico suivre sa lèvre inférieure et ouvrit la bouche, impatient d'en goûter plus. Leurs langues se touchèrent, se pressèrent l'une contre l'autre, et Tobio eut l'impression d'avoir un feu d'artifice dans la tête, réagissant par pur instinct, s'agrippant aux épaules de Nico comme si sa vie en dépendait. Quand ils s'écartèrent d'un demi-centimètre et qu'il voulut reprendre son souffle, son inspiration était pour moitié un gémissement, et il replongea dans le baiser, en cherchant encore, en cherchant plus, les doigts enfouis entres les mèches brunes de Nico pour l'attirer plus près, toujours plus près.
Ses joues étaient en train de bouillir, ses lèvres bougeaient par automatisme, la manière dont sa langue et celle de Nico s'enroulaient lui faisait tourner la tête. La chaleur et l'humidité du baiser le suffoquaient, et il ne voulait s'en défaire pour rien au monde. Une goutte de salive courut le long de son menton tandis que ses doigts descendaient, tremblant d'impatience alors qu'ils palpaient le torse de Romero, sentant ses reliefs même à travers les vêtements, ses pectoraux, puis ses abdos, avant de commencer à déboutonner sa chemise à l'aveugle.
Il avait envie de toucher, de lécher, de mordre –les mains de Nico s'ancrèrent sur sa taille, il les fit glisser sur ses hanches. Son esprit était brumeux, l'échine parcourue de frissons, le désir en ébullition dans son bas-ventre. Il rejeta la tête en arrière quand Romero délaissa sa bouche au profit de son cou, mordant ses lèvres pour s'empêcher de laisser des sons de plaisir passer sa gorge ; finalement, il l'attrapa par la ceinture pour le coller à lui, rendant évidente leur excitation réciproque. Kageyama entreprit de défaire la boucle de sa ceinture, tâtonnant un peu pendant que la langue de Nicolas –qui se trouvait désormais à l'angle de sa mâchoire, juste sous l'oreille –occupait la majeure partie de sa conscience.
Il venait d'obtenir gain de cause quand Nico attrapa son poignet pour l'arrêter et se recula légèrement –et la vue était aussi aguicheuse que tout ce qui venait de se passer, ses cheveux étaient en bataille, ses yeux embrasés, ses lèvres gonflées et luisantes.
-We're not having our first time against a wall, déclara-t-il.
-We should go to your room, then, répliqua Tobio.
Nico saisit la référence, et un sourire naquit sur ses lèvres –amusé, mais légèrement différent de l'habituel, moins solaire, plus charmeur, plus sensuel et à la limite du carnassier.
Tobio lui adressa un regard de défi.
La nuit serait longue.
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