
Chapitre 15 - Opale
Anthémis dévisagea la jeune femme avec dans le regard la plus totale des incompréhensions.
– Bonjour, lui dit simplement Opale, un petit sourire en coin.
Elle fit quelques pas en direction de la fugitive, sans adresser un seul coup d'œil à Anselme. Les pans de sa robe multicolore virevoltaient autour de ses mollets à chacun de ses gestes, lui donnant l'allure d'une petite fille s'étant faite jolie pour un événement particulier. Ses cheveux, dont une mèche lui obstruait un œil, suivaient le mouvement.
Elle ressemblait trait pour trait à celle qu'avait connue Anthémis à l'époque des Sans-Reflets. Et pourtant, l'Opale qu'elle connaissait n'avait rien à faire au Palais.
– Je ne vous ferai pas de mal, tenta de les rassurer la jeune femme.
Ses yeux brillaient de malice, et son sourire s'élargit. Elle n'avait pas l'air surprise de découvrir Anthémis et un Varlet dans le deuxième sous-sol du Palais, et encore moins affolée par la situation et par l'alarme qui continuait de cracher ses vibrations aiguës au rez-de-chaussée. En vérité, elle donnait l'impression de ne s'être jamais autant amusée qu'à cet instant.
– Anthémis, émit-elle. Tu devrais partir.
La jeune fille fronça les sourcils. C'était Opale qui lui disait cela ? Aucune des deux n'avait intérêt à rester à cet endroit, si du moins elles tenaient à en sortir sans séquelle. Bien sûr, Opale était bien plus agile et forte physiquement qu'Anthémis, mais elle ne saurait pas grandement mieux s'en sortir qu'elle si jamais elle se retrouvait face à une vingtaine de Varlets durement entraînés.
– Retourne à Eleguerio si tu le peux, continua la jeune femme. Va retrouver ce qui reste des Sans-Reflets. Ils ont besoin de toi, et pour le moment tu n'es d'aucune utilité ici. Tu reviendras quand la voie sera libre.
Elle avait tout énoncé sans la moindre marque d'hésitation, comme si elle s'était préparée et connaissait son texte sur le bout des doigts – ce qui laissait deviner qu'elle était au courant de la présence d'Anthémis dans le Palais depuis quelque temps déjà.
La jeune fille ne lui répondit pas. À la place, elle lui posa une question, la seule qu'elle parvenait à articuler tant la situation la dépassait :
– Qu'est-ce que tu fais ici, Opale ?
Anselme répéta ce prénom, visiblement surpris. D'ailleurs, plus que de la surprise, c'était l'angoisse qui lui déformait les traits du visage. Il avait l'air plus étonné d'entendre Anthémis appeler la jeune femme « Opale » que de voir ladite femme dans le deuxième sous-sol.
Opale haussa nonchalamment les épaules et leva les yeux au ciel, comme si elle cherchait la meilleure façon d'expliquer la situation.
– Disons que j'ai vécu ici, finit-elle par rétorquer. Mais peu importe. Tu dois y aller. Vous devez y aller.
– Mais ... mais je ne comprends rien ...
– Il n'y a rien à comprendre. Retourne à Eleguerio, on t'y expliquera certaines choses. Le reste, ne t'en soucie pas. Contente-toi de fuir.
Sur ce, Opale attrapa Anthémis par le bras et la tira avec elle jusqu'au mur devant lesquels les pas dans la poussière s'arrêtaient. Sans laisser le temps à la jeune fille d'assimiler les informations, elle sortit une clef dorée de sa veste ample et l'introduisit à l'intérieur d'une brique, dans une fente si minuscule que ni la fugitive ni le Varlet ne l'avaient repérée. Un cliquetis plus tard, une porte glissa d'elle-même sur le côté, laissant le passage à une cabine blanche dont un panneau de contrôle était recouvert de divers boutons. Ce petit espace secret, entièrement blanc et presque futuriste, différait tellement du deuxième sous-sol sombre et lugubre qu'Anthémis dut se frotter les yeux pour être sûre de bien voir ce qui se tenait face à elle.
Il y avait donc bien un passage secret. Et Opale en possédait la clef.
Les événements s'enchaînaient depuis le début de la soirée, sans laisser le temps à Anthémis de respirer ; à ce stade, en oubliant les sensations bien réelles qu'elle ressentait, elle n'aurait pas été si surprise d'apprendre finalement qu'elle rêvait depuis le début.
– Où allons-nous ? finit par émettre Anselme, alors qu'Opale appuyait sur certains boutons à toute vitesse, ses doigts agiles passant d'un bord à l'autre du clavier comme si elle s'était entraînée à cela toute sa vie.
– Je vous fait sortir d'ici, rétorqua-t-elle de sa voix malicieuse. Vous ne devez plus rester ici.
Elle jeta un vif coup d'œil aux feuilles que tenait toujours Anthémis dans les mains.
– Je vois que tu t'es documentée, lui lança-t-elle. C'est bien. Tu pourras m'aider quand le moment sera venu.
– Opale, tu ne veux rien m'expliquer ? Je ne comprends pas, qu'est-ce que tu fais ici ? Et pourquoi tu n'es pas recherchée comme moi ? Pourquoi tu n'es pas avec les Sans-Reflets ?
– Je te l'ai dit, sourit Opale. J'ai vécu ici. Ils n'ont aucune raison de me chasser. (Elle reporta son attention vers le clavier.) Quant aux Sans-Reflets, je les ai laissés à Eleguerio. Va les retrouver et attends que la voie se libère. Ensuite seulement, reviens à Dryadalis avec les autres.
Anthémis déglutit. Elle ne saisissait vraiment rien à la situation. Elle souleva même intérieurement l'idée que l'Opale qui se tenait près d'elle était fausse et que la vraie Opale était toujours à Eleguerio.
Mais le sourire si typique d'Opale était inimitable. La jeune femme était bien celle qu'elle disait être.
Alors que faisait-elle là, pourquoi disait-elle qu'elle avait vécu au Palais, et pourquoi Anselme avait-il été surpris à l'entente de son prénom ?
Opale finit par appuyer sur un dernier bouton, et la cabine blanche dans laquelle se situaient les trois personnes pivota sur elle-même comme un manège. Sa porte se rouvrit de l'autre côté du mur, et donna sur un petit couloir tout aussi blanc et immaculé. Anthémis se serait crue dans un hôpital.
La jeune femme fut la première à avancer le long du corridor, les talons de ses bottines claquant contre le sol et brisant par la même occasion le silence total qui, jusque-là, régnait dans cette partie du Palais mieux cachée encore que le deuxième sous-sol. Anthémis se décida à la suivre, même si Anselme paraissait toujours hésitant.
– Tu la connais ? lui souffla-t-il alors que sa fille le tirait par le bras.
– Oui. Je ne sais pas si on peut vraiment lui faire confiance, mais ... de ce que je sais d'elle, elle est de notre côté.
Opale avait toujours eu une fascination particulière et assez inquiétante pour les Miroirs, mais elle faisait partie des Sans-Reflets ; malgré son comportement peu rassurant et ses goûts douteux, elle n'était pas une mauvaise personne. Du moins, c'est ce que pensait Anthémis, car en vérité, elle ne connaissait pas tellement cette femme qui avait autrefois été sa coéquipière ; cette nuit-là plus que jamais, elle réalisa qu'elle ne savait rien d'Opale. À part qu'au vu de la situation, elle n'avait pas d'autre choix que de faire confiance à la jeune femme.
Anselme fronça les sourcils, mais ne broncha pas. Il suivit sa fille, qui elle-même se fiait aux chemins qu'Opale empruntait.
Tout était blanc, et Anthémis n'eut le temps que de percevoir cela avant que la jeune femme monte des escaliers menant à, visiblement, une sortie de secours. Elle appuya sur la poignée, et les lueurs de la capitale se reflétant sur l'eau de l'océan se laissèrent percevoir. Elle se décala pour laisser les deux fuyards passer, puis elle porta à ses lèvres une de ses mains gantées dans un geste élégant.
Elle sourit de nouveau.
– Allez-y, leur souffla-t-elle. Je ne dirai rien.
Anselme, obnubilé par la liberté qui s'offrait à lui, derrière cette porte, commença déjà à s'en approcher, mais Anthémis le retint. Elle dévisagea gravement Opale, comme si elle attendait d'elle quelque chose de plus.
– Anthémis, articula lentement la jeune femme. Promets-moi de revenir avec les Sans-Reflets quand la voie sera libre.
– Qu'est-ce que ça veut dire, « quand la voie sera libre » ? demanda la fugitive tout en gardant son regard grave.
– Tu le sauras bien assez vite.
– Mais je ne veux pas retourner voir les Sans-Reflets. (Prononcer cette phrase lui serra le cœur. Au fond d'elle, elle savait que si, elle voulait les revoir. Du moins, elle voulait revoir Edel. Mais cela, elle n'en dit rien.) Je dois rester au Palais, j'ai des choses à ...
– Non, la coupa Opale.
L'autorité se sentait dans sa voix, et pourtant, elle gardait un timbre très doux, presque sensuel, ce qui déconcerta Anthémis.
– Non, répéta-t-elle. Tu n'as plus rien à faire ici. Tu as eu ce que tu voulais. (Elle désigna d'un geste du menton les papiers que la jeune fille tenait dans les mains.) Tu ne trouveras rien de plus dans l'enceinte du Palais, c'est inutile. La tâche que je te confie est plus importante désormais. (Elle repoussa quelques de ses longues mèches noires dans son dos, et adressa un grand sourire à Anthémis.) Retourne à Eleguerio. Crois-moi, tu sauras quand revenir à Dryadalis. Tu le devineras, et les Sans-Reflets le savent. Je leur ai écrit une lettre.
La jeune fille baissa les yeux, comme si elle capitulait. Faire confiance à Opale n'était pas un si mauvais plan. Si elle avait voulu la piéger, elle ne lui aurait pas demandé de retourner à Eleguerio. Elle pouvait certainement suivre ses instructions, puisque cela semblait tellement important.
Anthémis regarda les lumières de la ville qui ondulaient contre les vagues de l'océan.
– Mais ... et toi ? finit-elle par demander à Opale.
– Moi, je reste ici. J'ai quelques petites choses à régler. Avec ma famille.
La femme sourit une nouvelle fois. Ce sourire fit frissonner de la tête aux pieds la fugitive. Elle voulait faire confiance à Opale, mais son comportement ne l'y encourageait pas grandement. Elle était la personne la moins rassurante qu'Anthémis avait connue.
« Avec ma famille ». La jeune fille n'eut pas le temps de réfléchir à ces paroles qu'elle fut poussée vers l'extérieur par Opale, et secondée par son père.
– Allez-y, leur lança la femme en commençant à refermer la porte. Et Anthémis, n'oublie pas la tâche que je t'ai confiée. C'est important.
Elle sourit une dernière fois, et ses yeux brillèrent de leur lueur ambre avant de disparaître derrière l'acier de la porte de secours, qu'elle ferma silencieusement.
Anthémis resta quelque temps, statique, à regarder la porte qui cachait derrière elle Opale, cette femme énigmatique avec qui elle avait cohabité durant neuf mois sans jamais vraiment la connaître. Elle ne comprenait pas. Et contre ce que lui avait dit Opale, elle avait besoin d'explication. Tout de suite.
Elle se tourna vers son père, après avoir jeté un coup d'œil autour d'eux – ils étaient cachés derrière un mur sans fenêtre, personne ne pouvait les voir. Elle était décidée à lui demander ce qu'il savait, mais Anselme fut le plus rapide :
– Comment la connais-tu ?
La jeune fille se mordit la lippe, songeuse. Elle n'était pas sûre de pouvoir répondre à cette question, tout simplement parce qu'elle n'était pas sûre de connaître réellement Opale.
Elle lui expliqua malgré tout l'histoire globale : Ibai, les Sans-Reflets. Anselme l'écouta parler en fronçant les sourcils, visiblement peu satisfait par ces petits récits. Comme si quelque chose bloquait. Comme s'il y avait une chose qu'il n'arrivait pas à comprendre.
– Quoi ? émit Anthémis quand elle eût fini de raconter ses quelques souvenirs de sa rencontre avec Opale. Qu'est-ce qu'il y a ?
– Rien, je ... (Le père passa une main sur son menton imberbe, le regard fuyant.) On devrait y aller.
L'adolescente soupira. Elle n'aurait pas de réponse à ses questions de sitôt.
Mais ils en parleraient plus tard ; son père avait raison, ils devaient s'en aller. Rien n'était plus dangereux que de rester à proximité du Palais. Si Opale les avait fait sortir, c'est qu'elle avait une bonne raison. Anthémis se décida à lui faire confiance pour de vrai. Elle n'irait jamais loin en se méfiant de tout le monde de la sorte.
Anselme empoigna le bras de sa fille et laissa sa tête dépasser de leur cachette, afin de surveiller les alentours. Anthémis, un poing serré contre sa poitrine, ferma les yeux quelques instants et inspira un bon coup. Quand elle rouvrit les paupières, elle perçut directement les lumières de la ville qui ondulaient au rythme des vagues. Elle ressentit autour d'elle des sensations qu'elle n'aurait pas remarquées en temps normal ; l'air un peu frais de la mi-septembre, la douceur de son gilet contre sa peau, le vent s'engouffrant dans ses cheveux courts, la sirène qui continuait de hurler dans l'enceinte du Palais, le bruit des bottes des Varlets dans l'entrée de la Péninsule.
Elle se sentait étrangement vivante.
Elle avait accompli ce qu'elle avait à faire, ou du moins ce qu'elle pouvait faire. Elle avait fouillé au mieux possible le Palais. Désormais, elle suivrait la tâche que lui avait assignée Opale.
Elle retournerait à Eleguerio.
*
– Kleon ?
Anthémis frappa trois grands coups à la porte de la maison. Elle se doutait que personne n'irait les chercher là – ni elle ni son père. Apparemment, Kleon n'avait pas été dénoncé. Sa maison était un endroit hors de danger.
Elle refrappa. Personne ne répondit.
– Il est peut-être encore chez ses parents, soupira-t-elle.
Cela l'étonna un peu, car elle avait cru comprendre que Kleon n'aimait pas grandement ses géniteurs, mais c'était possible malgré tout.
– Ou alors il préfère ne pas venir nous ouvrir parce que toquer à une porte aux environs de deux heures du matin n'est pas la meilleure façon de rassurer quelqu'un, objecta Anselme.
Anthémis haussa les épaules. Elle appuya sur la poignée et découvrit avec surprise que la serrure n'était pas fermée. La porte s'ouvrit silencieusement, laissant place au salon dans le même état que la jeune fille l'avait laissé la dernière fois, c'est-à-dire avec ses affaires recouvrant le canapé et des livres étalés au sol. Du moins, c'est ce qu'elle devinait à la faible lueur de la lune.
Elle fit deux pas dans le salon, suivie par son père, qui referma la porte avec empressement, comme s'il avait peur qu'on ne les découvre d'un instant à l'autre.
Kleon n'était pas là. Il dormait probablement, vu l'heure. Les coups à la porte n'avaient pas dû le réveiller.
Anthémis prit le soin de fermer chaque volet et chaque rideau avant d'allumer la lumière, de peur qu'on ne la remarque à travers les fenêtres. Puis, elle se laissa tomber mollement sur le canapé. Elle ne s'était jamais sentie aussi faible. L'adrénaline l'avait gardée debout incroyablement longtemps, pour l'état dans lequel se trouvait son corps, et plus particulièrement son estomac. Elle avait mal partout – aux côtes à cause du coup que lui avait infligé un Varlet, aux pieds à force de marcher, à la tête à cause de la fatigue, aux yeux pour être restée éveillée malgré son épuisement, à la gorge pour s'être trop retenue de pleurer.
Anselme comprit vite ce que désirait, à cet instant-là, sa fille. Il ne se gêna pas pour fouiller dans les réserves de Kleon et en sortir deux grosses miches de pain, qu'il coupa hâtivement en petits morceaux avant de les tartiner de beurre – n'ayant trouvé que cela dans le grand vide que formait le cellier de Kleon, lui qui ne se nourrissait habituellement que de pâtes. Il les donna à manger à Anthémis. Celle-ci dut se faire violence pour ne pas sombrer dans le sommeil – car si elle était si fatiguée, c'était en partie à cause de la faim qui lui rongeait l'estomac –, et commença à manger en silence.
Pendant qu'elle dévorait son repas, son père s'assit à ses côtés, au sol près du canapé, et soupira longuement. Il se doutait qu'Anthémis ne serait pas d'attaque pour repartir de suite, même s'il savait, puisqu'elle le lui avait dit avant qu'il ne fuient le Palais, qu'elle comptait aller à Eleguerio. Ils passeraient la nuit là. Et tant que tout était calme et qu'il n'y avait personne pour les écouter – à part peut-être Kleon, mais s'il avait hébergé une intruse, c'est qu'il ne devait pas être si attaché aux valeurs de Dryadalis –, il se décida à avoir une petite conversation avec sa fille.
– Cette femme qu'on a vue tout à l'heure, commença-t-il. Tu l'appelais comment, déjà ?
Anthémis, des miettes au coin de la bouche, haussa les sourcils.
– Opale, pourquoi ?
Anselme se gratta la tête, visiblement embarrassé.
– Je vois, émit-il. Je crois comprendre.
– Comprendre quoi ?
La jeune fille le regardait comme s'il délirait. Elle ne voyait pas ce que son père pouvait trouver de si étrange dans le prénom que portait leur alliée. Ce n'était pas un prénom très commun, certes, mais il n'y avait pas de quoi en faire toute une fixette.
– Cette femme, je la connais. Enfin, je l'ai déjà vue.
Anselme fuyait le regard de sa fille, comme s'il avait peur de sa réaction.
– Et ... elle ne s'appelle pas Opale.
Un sourire s'accrocha aux lèvres d'Anthémis. Elle ne savait pas quoi, de la surprise, de la gêne ou d'un réel amusement, la faisait sourire de la sorte, mais elle ne put s'empêcher d'émettre un petit rire. La situation était déjà suffisamment étrange ainsi. Que son père veuille en rajouter une couche en lui apprenant que leur alliée leur mentait sur son identité était presque drôle.
Mais l'adolescente était probablement juste fatiguée. Quand elle avait envie de dormir, elle avait tendance à rire pour un rien, même lorsque la situation ne s'y prêtait pas.
Anselme se releva sans un mot, et longea du regard les murs du salon.
– Tu sais où ton ami garde les tableaux obligatoires ?
Anthémis savait ce qu'étaient les « tableaux obligatoires » ; même si elle n'en avait jamais eu en sa possession, car le gouvernement se moquait bien du fief Nord et de ce que ses habitants gardaient ou non chez eux – tant qu'ils ne possédaient rien d'illégal –, elle savait que tous les Dryadalisiens ainsi que les Varlets et les Vassaux se devaient d'en garder chez eux. Il s'agissait, comme le nom l'indiquait, de tableaux en l'honneur d'Hodei. Des peintures du Temporel, de la Famille Dirigeante, d'un paysage typique de l'île, ce genre de choses.
Elle avait effectivement remarqué que Kleon n'avait rien accroché de semblable aux murs de sa maison. D'ailleurs, il n'avait rien accroché du tout. Son manque de goût pour la décoration était presque triste à voir.
– Non, je n'en ai aucune idée, finit par répondre Anthémis en continuant de manger.
– Il en possède forcément. Je vais chercher.
Alors qu'il s'approchait de la chambre de Kleon, la jeune fille le retint en poussant un petit cri paniqué. Son père la dévisagea comme si elle avait perdu la tête l'espace d'une seconde.
– N'entre pas là, lui dit-elle. Kleon y dort encore, et ... il ne veut pas qu'on entre dans sa chambre.
« Ne pas vouloir » était presque un euphémisme. Anthémis gardait encore en mémoire la très nette sensation des ongles du jeune homme s'enfonçant dans ses poignets quand il avait appris qu'elle avait mis un pied dans sa chambre.
Elle se souvenait aussi qu'il lui avait ensuite ébouriffé les cheveux, comme si elle était une enfant. Sur le moment, elle avait trouvé ce geste très étrange, et surtout très inadapté vu la situation et le fait qu'il venait de la menacer, mais en y repensant, elle se rendit compte qu'il avait eu un regard presque fraternel à son égard. Comme un grand frère qui dispute – un peu trop violemment – sa petite sœur après qu'elle ait fait une bêtise, pour qu'elle comprenne qu'elle ne doit pas recommencer, et qui, ensuite, lui ébouriffe les cheveux comme pour la rassurer.
« Tu ressembles un peu à sa petite sœur », lui avait dit Gleb.
Ces pensées laissèrent Anthémis perplexe, tandis que son père fouillait dans les quelques pièces que contenait la maison de Kleon. Il finit par sortir triomphalement d'un placard un petit cadre sculpté dans le bois. Visiblement fier de sa découverte, il vint se rasseoir près de sa fille et lui tendit le tableau.
La jeune fille reconnut la Famille Dirigeante. Ce devait être un portrait datant d'après la Grande Révolte : Aenor Hodei semblait n'avoir qu'une dizaine d'année et ses parents ainsi que son grand-père, Milio Hodei, n'étaient pas présents – et pour cause, ils avaient été tués.
Anthémis arqua un sourcil, se demandant ce que son père avait à lui montrer sur ce tableau. Et alors qu'elle commençait enfin à rassembler les pièces du puzzle, Anselme désigna du doigt une petite fille se tenant droite aux côtés de sa grand-mère. Elle avait les cheveux bruns et des yeux sombres et bridés. Sur sa tête était posé un diadème d'or, prouvant son appartenance à la royauté. Plus petite que sa sœur, elle était dessinée un peu à l'écart, et pourtant, une fois que les yeux d'Anthémis furent posés sur elle, il ne s'en détachèrent pas.
Son chemisier enveloppé de dentelle laissait en son centre rayonner une petite pierre, raccrochée au cou de la fillette par une chaîne d'argent. Ses couleurs vives et variées ne laissaient aucun doute quant à son origine : il s'agissait d'une opale.
Mais ce qui retint encore plus l'attention d'Anthémis furent les initiales brodées sur la veste de la petite fille, « A.E.H. », ainsi que le nom entier qui apparaissait dans un coin du tableau, accompagné de celui des deux autres personnes.
Arraroa Ekaitza Hodei.
– Ton amie ne s'appelle pas Opale, répéta Anselme d'un air grave. Elle est la sœur de notre reine, et son vrai nom est Arraroa Hodei.
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