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Chapitre 9 - Le marché de Dryadalis

- Ils ne partaient pas dans tous les sens comme ça, expliqua calmement Anthémis en mordant dans un sandwich composé uniquement de tomates séchées et de deux tranches de pain dur. En montant à l'arbre, non-seulement ils pouvaient m'attraper plus difficilement, mais en plus ils étaient trop concentrés sur l'arbre et sur moi pour penser à la bouteille que je tenais dans la main. Quand j'ai renversé ma bouteille sur leur tête, ils n'ont pas eu la présence d'esprit de s'en aller rapidement, et ils se sont fait avoir.

- Tu as risqué ta vie juste pour ça alors qu'on aurait très bien pu se débrouiller autrement ? la sermonna Adélaïde.

- Autrement ? répéta la jeune fille. Parce que tu voyais un autre moyen ? Vous étiez tous en train de balancer vos réserves d'eau au sol sans arriver à en lancer sur les Miroirs. Moi, je les ai eus. Et, regarde, ils sont morts et moi je suis toujours en vie.

- Tu as eu de la chance, c'est tout. En temps normal, tu serais morte depuis longtemps.

- Mais il n'empêche que ce n'est pas le cas. Arrête de râler, Adélaïde.

Les Sans-Reflets s'étaient arrêtés en plein cœur du bois, près d'une petite mare où ils avaient pu remplir à nouveau leurs gourdes, leurs bouteilles et, globalement, tous les récipients qu'ils avaient sur eux. Leurs bagages étaient lourds, mais au moins, avec toute l'eau qu'ils avaient rajoutée à leurs affaires, ils se sentaient plus en sécurité.

Ils pouvaient enfin manger, malgré le fait que l'heure du déjeuner devait désormais être dépassée depuis longtemps. Anthémis dévorait son repas - bien que celui-ci ne fût pas fameux - et, captivée par la nourriture qui, enfin, se trouvait entre ses mains, semblait s'être totalement remise des derniers événements.

- En même temps, pourquoi je ne m'en remettrais pas ? prononça Anthémis sur un ton d'indifférence lorsque Edel lui fit remarquer son détachement. Je ne reviens pas d'un événement très grave. Je ne suis pas morte, les Miroirs ne m'ont même pas touchée. Pourquoi j'irais mal ?

Le jeune homme la regarda, troublé. Elle avait échappé de justesse à la mort, et c'était tout ce que cela lui faisait ?

- Laisse tomber Edel, lui chuchota Jehan. Elle est pas humaine, c'est une tarée.

Anthémis lui jeta un regard noir.

- Moi, au moins, j'ai essayé de faire quelque chose. Toi, depuis le début de l'expédition, tu te contentes de te cacher, lui cracha-t-elle à la figure.

- Oh, oui, tu as essayé de faire quelque chose, et t'as failli te faire refléter, bravo, quel exploit ! l'acclama ironiquement Jehan.

- Et toi, de ton côté, tu n'as rien risqué et tu as préféré laisser les autres se débrouiller et risquer leur vie à ta place, ça aussi c'est une attitude très héroïque, je te félicite !

Le jeune homme eut un petit mouvement de tête, trahissant son embarras, tandis que plusieurs autres Sans-Reflets écoutaient leur échange peu cordial.

- Je les ai laissés faire parce que je savais qu'ils pouvaient se débrouiller seuls, nia-t-il en croisant les bras.

- Oui c'est ça, Monsieur se prend pour un homme viril mais en vérité il a peur de tout ce qui bouge.

- Toi, je vais te ... s'exclama Jehan, devenant rouge de rage.

- Ça suffit les enfants, les coupa Adélaïde en tirant Jehan par la capuche pour l'empêcher d'aller frapper Anthémis comme il s'apprêtait visiblement à faire.

- Enfants ?! s'écria Jehan. J'ai vingt-et-un ans !

- Alors tu devrais apprendre à grandir un peu plus dans ta tête, soupira la commandante. Toi aussi, Anthémis.

- Quoi ? maugréa l'intéressée. C'est lui qui a commencé à me chercher !

- Je t'ai pas cherchée, contesta Jehan, j'ai juste dit que t'étais tarée, et c'est la vérité. J'ai fait part de la réalité des choses.

- Dans ce cas, moi aussi ! Tu es un lâche Jehan, tu te caches tout le temps. Ça aussi, c'est la réalité des choses, tu ne peux pas le nier !

- Mais enfin, qu'est-ce qui vous prend ? Reposez-vous au lieu de vous disputer ! ordonna Adélaïde, exaspérée.

- Je peux pas me reposer avec cet idiot qui m'envoie des insultes tout le temps alors que je ne lui ai jamais rien fait, grogna Anthémis en plissant les yeux en direction de Jehan.

La jeune fille abandonna et se leva avant de partir plus loin dans les bois, recherchant un peu de calme et de tranquillité. Lorsque tous les bruits produits par les Sans-Reflets ne parvinrent plus à ses oreilles, elle respira un bon coup et s'adossa à un tronc au hasard, avant de regarder ses chaussures, peintes dans des nuances de marron, qui n'étaient en vérité rien d'autre que le sang séché du Miroir qu'elle avait tué.

Oui, elle avait tué. Pas un humain, seulement une de ces infectes créatures, mais elle avait tué de ses propres mains. Elle ne fut pas dégoûtée à cette idée, ni heureuse, ni satisfaite, ni triste. Elle avait du mal à mettre un mot sur ce qu'elle ressentait. Ses doigts la démangeaient un peu, comme si eux-même savaient ce qu'elle leur avait fait faire, et qu'ils s'excitaient tout seuls à propos du crime duquel ils étaient les coupables.

Je me sens juste bizarre.

Elle entendit des pas sur les feuilles mortes qui jonchaient le sol, et quelqu'un se glissa à côté d'elle, avant de s'adosser à son tour au même tronc. Les deux personnes se trouvèrent dos à dos, et ne s'échangèrent pas un seul regard. Mais Anthémis n'en eut pas besoin pour deviner qui se tenait près d'elle. C'était Edel. Ça ne pouvait qu'être lui. Il devait encore s'inquiéter pour elle. Il était venu s'excuser du comportement de Jehan, comme il l'avait déjà fait de si nombreuses fois.

Pourtant, ce ne fut pas la voix escomptée que ses oreilles perçurent.

- En tuant ce Miroir, c'est comme si tu m'avais tuée moi.

Une douce voix féminine résonna dans les bois, dans un écho à la fois inquiétant et rassurant, qui inspira à Anthémis les paroles d'un fantôme, et en même temps une des berceuses qu'on lui chantait quand elle était petite. Pourtant, ce que venait de dire la personne lui fit l'effet d'un couteau planté en plein cœur.

- C'est peut-être même moi que tu as tué, qu'est-ce que tu en sais ? continua la voix.

La jeune fille se sentit tout à coup horriblement mal, et pourtant elle ne bougea pas, ne se retourna pas pour voir qui se trouvait derrière elle. L'atmosphère du bois s'alourdissait, et devint presque terrifiante. Les branches des arbres semblaient devenir de longs et maigres bras noirs qui s'approchaient d'elle pour l'étrangler.

- Tous les Miroirs se ressemblent, comment savoir si c'est ma gorge que tu as tranchée ou celle d'un pur inconnu ?

- Les Miroirs ne sont pas humains, murmura faiblement Anthémis.

- Qu'est-ce que tu en sais ? répéta la voix.

Qu'est-ce que j'en sais ? Les Miroirs n'ont rien, absolument rien d'humain en eux. Ils peuvent saigner autant qu'ils veulent, et avoir la même maigreur que les pauvres d'Hodei, ils ont perdu en eux toute trace d'humanité. Définitivement.

- Toi, tu as bien été touchée, non ?

- C'est différent. J'ai été touchée, mais pas entièrement.

- Qu'est-ce que ça change ? Tu as été touchée et tu te sens encore parfaitement humaine. Pourquoi ce serait différent avec eux ?

Anthémis sentit son cœur s'emballer, ses doigts, maintenant devenus des doigts meurtriers, se crispèrent et s'agrippèrent à l'écorce du tronc comme pour se maintenir en place, pour éviter de perdre le contrôle.

- Tu m'as peut-être tuée tout à l'heure, poursuivit la voix. Ça aurait pu être moi comme ça aurait pu être n'importe qui, sous cette carapace noire. Tu lui as tranché la gorge sans te poser de question, sans te demander qui se trouvait sous cette apparence de Miroir.

- Pourquoi je me serais posé la question ? Ce ne sont que des monstres. Ils ne méritent que de mourir.

- Alors moi aussi, je ne mérite que de mourir ? Moi aussi, je ne suis qu'un monstre ?

La jeune fille ferma les yeux, perdue, ne sachant que penser, à la fois terrorisée par cette voix qui essayait de la faire culpabiliser, et terrorisée par ce qu'elle avait elle-même accompli. Elle avait tué et elle n'avait rien ressenti à la vue de ce Miroir expirant.

- Dis-moi, Anthé', est-ce que tu penses vraiment que ce sont les Miroirs qui méritent de mourir ?

Cette fois-ci, ce fut de trop. Anthémis rouvrit les yeux subitement et se redressa, avant de se jeter de l'autre côté de l'arbre.

Mais il n'y avait personne derrière elle.

Dis-moi, Anthé' ... Dis-moi, Anthé' ... Anthé' ...

La voix semblait vouloir dire autre chose. « Dis-moi, Anthé', ma chère petite sœur, tu oublies un peu vite que moi aussi, j'ai été reflétée. »

- Ambroisie ... murmura la jeune fille avant de se laisser tomber au sol, ne sentant soudainement plus aucune force dans ses jambes. Ambroisie ... reviens, Ambroisie ...

Tes paroles m'ont fait mal, mais je veux encore entendre ta voix.

- Ambroisie ... continua-t-elle dans un premier sanglot.

Tu me manques, reviens. Même si c'est ton fantôme qui vient me hanter, je veux juste entendre ta voix ...

*

Edel retrouva son amie recroquevillée sur elle-même, se blottissant contre un tronc d'arbre, à la limite de l'enlacer, comme s'il avait s'agit d'une personne. Elle avait les yeux rougis, et les joues marquées par les traces salées des larmes.

- Anthémis ? émit-il. Qu'est-ce qui t'arrive ?

Il s'inquiéta immédiatement, car il n'avait pas l'habitude de voir la jeune fille pleurer, et si elle le faisait à ce moment-là, c'est que quelque chose de grave se produisait, ou s'était produit.

Il s'agenouilla à ses côtés mais n'osa rien faire durant quelques secondes. Anthémis ne réagissait pas à sa présence, se contentant de regarder le sol en reniflant.

- Anthémis ? répéta-t-il plus bas, comme s'il ne voulait pas alerter les Sans-Reflets en parlant trop fort, restant dans la confidence avec la jeune fille qui, probablement, ne voulait pas que tout le monde sache qu'elle avait pleuré en enlaçant un arbre.

Son amie se contenta de resserrer ses bras autour de ses jambes, son corps ne formant plus qu'une boule blottie contre le tronc et reposant sur les feuilles mortes.

- Ce que t'a dit Jehan t'a à ce point vexée ? questionna Edel, naïf.

Elle ne répondit toujours pas, alors le jeune homme ne chercha pas plus et décida d'arrêter de lui poser des questions, au risque de l'énerver plus qu'autre chose.

La voir aussi effondrée lui fit un singulier pincement au cœur. Il avait envie de la prendre dans ses bras et de lui murmurer des mots réconfortants à l'oreille, il voulait la sentir tout près de lui, et s'il ne pouvait pas la protéger des Miroirs, il voulait au moins la libérer de ses démons intérieurs. Mais il n'osa pas. Parce qu'elle ne semblait pas vouloir de lui. Parce qu'il savait qu'elle ne l'aimait pas comme lui l'aimait. Il se dit que la prendre dans ses bras, même d'une façon amicale, allait paraître déplacé, alors il se contenta de lui caresser légèrement la tête, effleurant seulement ses cheveux, de crainte qu'elle ne le repousse immédiatement.

Anthémis le laissa faire, et pourtant, la présence du jeune homme creusa une nouvelle fois, et encore plus profondément le vide qu'elle ressentait au fond d'elle-même. Il était si gentil, si attentionné, et elle, elle n'était rien. Pourquoi l'aimait-il ? Elle n'était rien et elle n'avait jamais vraiment été gentille avec lui en retour. Depuis le début, depuis le jour où il l'avait sauvée alors qu'elle s'était évanouie dans les ruines de l'ancienne Capitale, il n'avait jamais cessé de s'occuper patiemment d'elle, la traitant presque mieux qu'il ne se traitait lui-même. À quoi bon ?

- On devrait rejoindre les autres, lui chuchota-t-il tout près du visage. Ils s'apprêtent à repartir.

La jeune fille opina légèrement la tête, mais ne bougea pas pour autant.

- Allez, viens.

Edel lui prit doucement la main et l'aida à se relever. Anthémis, le corps aussi mou que celui d'une poupée de chiffon, se laissa une fois de plus faire, le regard dans le vague. Toute trace d'agressivité avait disparu de son visage, quand bien même elle avait quitté l'attroupement de Sans-Reflets en marchant bruyamment, furibonde. Son jeune ami se demanda ce qui avait bien pu se produire pour que son humeur change du tout au tout aussi rapidement. Peut-être qu'au fond d'elle, l'attaque des Miroirs l'avait réellement chamboulée. Peut-être qu'elle avait cru mourir mais que, pudique, elle préférait ne pas révéler ses réels sentiments. Il était sûr que si elle voulait qu'Adélaïde accepte de la considérer enfin comme une vraie Sans-Reflet et pas simplement comme une petite fille, elle avait tout intérêt à faire croire qu'elle avait très bien vécu l'attaque, et qu'elle était prête à recommencer.

Ils rejoignirent leurs coéquipiers quelque temps plus tard, se tenant toujours par la main.

- Ah, Anthémis, tu étais passée où ? s'exclama Adélaïde, qui se tenait debout, déjà prête à reprendre la route.

- J'avais besoin de calme, répondit-elle simplement en haussant les épaules.

Elle avait repris son ton indifférent et son visage neutre après avoir séché ses larmes durant le court trajet effectué avec Edel. Elle ne s'était probablement pas entièrement remise intérieurement, mais elle ne voulait inquiéter personne - et souhaitait encore moins recevoir des remarques désobligeantes de la part de Jehan.

Les Sans-Reflets reprirent leurs affaires et certains commencèrent déjà à s'en aller, rassurés à l'idée d'être bientôt arrivés aux limites du fief Sud.

*

De longues colonnes de fumée s'échappaient vers le ciel, un peu plus loin, au-dessus des sapins qui marquaient les limites du fief Sud. Les Sans-Reflets venaient de traverser le dernier village du fief, Palis ; la dernière fois qu'Anthémis y était allée, accompagnée d'Edel, de Mélopée et de Berbéris, les habitants y étaient encore nombreux. Les Miroirs n'étaient toujours pas parvenus jusque là, ayant préféré se diriger vers l'Ouest. L'ambiance n'y était pas vraiment chaleureuse - on remarquait assez facilement que, comme partout ailleurs en Hodei, les habitants de Palis n'aimaient pas les étrangers, et encore moins si ceux-ci étaient tachés de boue et se trouvaient en compagnie d'une jeune femme sans œil -, mais c'était un village vivant.

Désormais, tout avait disparu. Les habitants, la vie. Il ne restait plus que les habitations, et encore, beaucoup d'entre elles avaient été ravagées comme l'avaient été celles d'Ibai, de Lunaria, de Loreak, de Vremya, et même quelques immeubles d'Eleguerio.

Les Sans-Reflets avaient traversé le village en silence, comme pour respecter les fantômes qui régnaient à cet endroit et qui avaient tant souffert avant de mourir.

Ils se trouvaient maintenant dans un autre petit bois, d'où ils pouvaient apercevoir, entre les branches des sapins et dans le ciel, de grandes et épaisses colonnes de fumée grise, annonçant leur arrivée imminente à la capitale. Anthémis appréhendait le moment où elle poserait les yeux sur les premières habitations de la ville, comme si le simple fait de les apercevoir allait lui poser des problèmes. Mélopée lui avait dit que beaucoup de Varlets étaient en patrouille dans le fief, lorsqu'elle avait été emmenée au Palais. Il était donc possible que certains d'entre eux se trouvent juste là, près des frontières, et n'apprécient guère la présence de pauvres provenant d'autres fiefs.

Mais quand Anthémis (qui était la plus rapide d'entre tous, fascinée à l'idée de pouvoir apercevoir de ses propres yeux la grande capitale d'Hodei, qui devait bien faire quatre fois la taille de Lunaria, voire plus) fit son premier pas en dehors du bois et qu'elle aperçut le Couloir entre les deux fiefs, elle ne vit aucun Varlet. Elle fut soulagée, et put concentrer toute son attention vers l'immense ville qui se tenait devant elle.

Ce furent d'abord les bruits qui la frappèrent. Il y en avait tellement, et de différentes sortes ; des voix, en passant par les marchands qui attiraient la foule vers leur stand, aux enfants qui courraient dans les rues en riant, jusqu'aux habitants qui discutaient entre eux le plus calmement du monde ; et puis d'autres bruits propres à la ville, comme les sonnettes des bicyclettes, le vent qui soufflait contre le linge étendu dans un jardin, le ronflement lointain des usines, les aboiements des chiens, le tintement d'objets en verre, le vrombissement de certains moteurs qu'Anthémis n'avait jamais vus nulle part, la mélodie des accordéons un peu plus loin, les tapes régulières d'un marteau sur un champ de travail.

Le son de la vie, tout simplement.

Et ce dernier avait tant manqué à la jeune fille.

Puis, ce furent les bâtiments qui l'intriguèrent. Ils étaient tous presque aussi hauts que les immeubles d'Eleguerio, et pourtant aussi étroits que les petites habitations d'Ibai. La plupart des maisons étaient à colombages - comme Anthémis les aimait tant, puisqu'elles lui rappelaient la sienne -, et s'étendaient sur quatre à cinq étages, sans compter le rez-de-chaussée, et parfois même le sous-sol. Leur toit de chaume variait de couleur à chaque édifice, passant du brun assez classique jusqu'au bleu ardoise, et ils étaient eux aussi plus hauts que la plupart des toits que la jeune fille ait eu l'occasion d'observer en Hodei. Du lierre avait poussé le long des plus vieilles habitations, mais ne leur donnait pas un air négligé, bien au contraire ; toutes les maisons de la ville semblaient être bien entretenues, et ce lierre leur donnait du charme, colorant ce qu'Anthémis pouvait apercevoir de l'endroit en des nuances de vert, s'alliant à la perfection avec les allées d'arbres fleuris qui longeaient les rues les plus larges - les autres étant d'étroites ruelles serpentant les espaces entre les pâtés de maisons. L'ambiance était festive au sein de la ville, comme si tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes.

- Voilà donc notre capitale, murmura Adélaïde aux côtés de la jeune fille.

- Dryadalis en toute sa grandeur, compléta cette dernière, encore plus fascinée par ce qui se tenait devant elle.

La ville était plus belle et plus majestueuse que dans ses rêves. Pourquoi était-elle si splendide, tandis que la jeune fille avait vécu toute sa vie dans un pauvre village où les rues étaient jonchées d'ordures, et où les habitants devaient utiliser une bonne dizaine de produits régulièrement pour éloigner les rats qui venaient grignoter les réserves des magasins et propageaient des maladies ?

Évidemment, Dryadalis était largement favorisée, parce que c'était là que vivait la Famille Dirigeante. Oui, celle-ci était là, à quelques kilomètres d'Anthémis, dans un grand palais que cette dernière ne pouvait pourtant pas apercevoir, caché derrière des centaines de maisons et de bâtisses colorées.

- Bon, on ne va pas rester indéfiniment ici à admirer la ville, coupa Adélaïde dans la rêverie de la jeune fille. Opale, tu sais où se situe le marché ?

- Un peu plus au Nord je crois, déclara Opale.

- D'accord, allons-y.

La commandante ne semblait pas plus impressionnée que ça par la capitale. À vrai dire, seuls les plus jeunes du groupes - Anthémis, Edel, Jehan et deux autres membres - semblaient être fascinés par Dryadalis, comme enfermés dans un monde enfantin où les grandes villes étaient un lieu magique, même si la plus petite d'entre eux n'était déjà plus en âge de croire à la magie. Les plus vieux des Sans-Reflets se souvenaient encore de l'ancienne Capitale, au fief Nord - certains d'entre eux y avaient même habité -, et voir Dryadalis aussi vivante et à l'écart du cauchemar qu'ils vivaient à chaque instant ne leur faisait ressentir qu'une vague de mépris à l'égard de la ville.

Les Sans-Reflets suivirent Adélaïde qui commençait à longer les bois, sans oser trop s'approcher de la ville et préférant rester dissimulée dans l'ombre des arbres. La première barrière du Couloir n'avait pas été grandement abîmée, mais visiblement, certaines personnes s'étaient récemment risquées à passer par-dessus, au vu des traces de pas encore fraîches entre les deux cloisons - traces de pas en-dessous desquelles des crevasses se laissaient apercevoir dans la terre, comme les cicatrices du sol suite à la série d'explosions de mines qui avait dû se produire quelques mois auparavant, après que l'électricité du fief Sud ait été coupée et que ses habitants aient pu escalader la première barrière.

Ils marchèrent quelques minutes, et le paysage de Dryadalis était toujours le même : de hautes maisons, des banderoles multicolores accrochées en hauteur dans les ruelles, des jardins fleuris et des rues animées. Ça n'en finissait pas, et Anthémis était de plus en plus fascinée par cette ville qui lui était totalement inconnue et qu'elle aurait voulu pouvoir pénétrer. D'ailleurs, n'était-ce pas son but, intégrer la capitale et s'approcher du Palais ? Mais comment pouvait-elle procéder ? La deuxième barrière du Couloir était encore électrique, elle ne pouvait pas l'escalader. Elle l'aurait bien fait, si seulement elle avait vu un moyen - et s'il n'y avait pas eu Adélaïde ou Edel pour l'empêcher d'agir stupidement et impulsivement.

Au bout d'un certain temps, Opale reconnut le marché dont elle avait parlé à sa commandante, et, sans attendre ses compagnons, escalada la barrière avant de retomber gracieusement au sol en un petit saut. Adélaïde et Ephrem la secondèrent, suivis des volontaires, tandis que ceux qui ne ressentaient pas l'envie de les rejoindre tout de suite s'asseyaient au pied des sapins pour se reposer.

Anthémis, sans hésiter, partit rejoindre Opale, qui s'était approchée de l'endroit qu'elle leur avait désigné quelques instants auparavant. Il n'y avait rien d'exceptionnel là-bas, rien qui puisse s'apparenter à un marché. Il y avait bien quelques stands, un peu plus loin, derrière trois ou quatre maisons, mais rien de ce qui leur faisait face, de l'autre côté de la barrière, ne correspondait à un marché. La jeune fille songea que ces marchands, qui échangeaient avec les habitants d'autres fiefs que l'Est, devaient se montrer discrets et ne pas mettre trop en évidence leur commerce, car ils pratiquaient une activité qui était interdite et qui relevait du marché noir. C'était probablement pour cela qu'une simple table avait été posée près de la barrière, comme pour marquer l'endroit, mais sans qu'il n'y ait rien d'autre qui puisse éveiller les soupçons des Varlets.

- J'espère qu'ils sont ouvert, marmonna Opale.

- Tu ne connais pas leurs horaires ? lui demanda Anthémis.

- C'est déjà un miracle que je connaisse l'existence de ce marché, alors de là à connaître leurs horaires ... ! (Elle baissa la voix.) Et puis, ces gens-là, ils s'en fichent des horaires, ils vivent leur vie comme ils la sentent. J'en ai déjà rencontré, des marchands. Tous les mêmes.

La jeune fille haussa les épaules et ne chercha pas ce qu'Opale avait voulu dire par « tous les mêmes ». Elle se moquait de savoir s'ils étaient ouverts ou non. Toute son attention était braquée sur la ville, si bien que, le regard fixé sur les hautes cheminées qui vomissaient des rafales de fumée un peu plus loin, elle ne se sentit pas s'éloigner du groupe, et partir un peu plus loin, à quelques mètres seulement. L'air était bon et embaumé d'une douce sentence de tarte aux fruits s'échappant d'une des maisons. Elle prit le soin de ne pas se présenter en face de la fenêtre pour ne pas se faire repérer, mais elle avait au fond d'elle-même très envie d'aller dévorer ce dessert garni de pommes et de poires, qui reposait dans la cuisine de l'habitation. Le goût fade de son sandwich du déjeuner lui revint en bouche, et elle envia fortement les enfants qui étaient en train de couper la tarte au couteau. Ils étaient un peu plus jeunes qu'elle, de deux ans peut-être. Et pourtant, son visage à elle semblait beaucoup plus fatigué et las de la vie que le leur. Ils paraissaient tellement plus insouciants qu'elle ; ils avaient la belle vie, et ils ne le remarquaient peut-être même pas, comme si c'était normal, d'avoir une belle maison comme la leur, de pouvoir manger de la tarte au goûter, et d'être à l'abri des Miroirs chaque jour qui s'écoulait.

- Tu vas te faire choper si tu restes ici, la prévint une voix masculine.

Anthémis manqua de sursauter, et regarda à côté d'elle, mais il n'y avait personne. Derrière elle non-plus. Tous les Sans-Reflets étaient regroupés plus loin, à sa droite. Méfiante, elle retourna son regard devant elle, et observa ce qui lui faisait face. Quelques buissons, deux lampadaires, et une cloison qui séparait le quartier résidentiel d'une décharge, constituée essentiellement de cartons remplis d'ampoules, et de vieux jouets pour enfants, dont une poupée démembrée qui la défigurait de ses deux grands yeux de verre et qui lui donna des frissons. En soi, rien d'anormal - bien que la poupée était loin d'être rassurante. Elle ne vit personne, à part les enfants qui dégustaient calmement leur délicieuse tarte à l'intérieur d'une des maisons.

Elle se racla la gorge, s'apprêtant à demander qui lui parlait, quand elle remarqua quelque chose bouger à sa gauche, près d'une cabane de bois servant visiblement d'entrepôt pour, probablement, le marché auxquels les stands, un peu plus loin, appartenaient. Elle s'en approcha silencieusement, restant vigilante. Elle ne devait peut-être pas réagir ainsi, elle aurait sûrement mieux fait de partir sans rien dire, mais cette personne ne semblait pas lui vouloir de mal. Il devait s'agir de quelqu'un habitué à voir des gens passer dans le Couloir ; certainement un des marchands.

Elle finit par apercevoir la personne entièrement. Il s'agissait d'un jeune homme, adossé à la cabane, habillé d'un long manteau bleu. Il avait le teint blafard, et son corps était anormalement maigre pour un habitant de la capitale. Il avait l'air malade. Ses cheveux gris - était-ce dû à sa possible maladie, ou était-ce une teinture ? - coupés en dégradé lui cachaient un peu le visage, si bien qu'Anthémis ne put pas vraiment savoir s'il la regardait ou non.

Elle ne lui dit rien, se contentant de l'observer intensément, aussi fascinée par lui que par la ville.

C'est donc à ça que ça ressemble, un Dryadalisien.

La mode semblait être aux dégradés plongeants et aux pantalons rose bonbon, d'après le physique du jeune homme et aux affiches qu'elle avait eu l'occasion de voir sur la façade de certains monuments. Étranges goûts vestimentaires. Les riches lui avaient toujours paru un peu excentriques - et effectivement, ils l'étaient lorsqu'on les comparait aux autres habitants d'Hodei, qui, eux, se contentaient souvent d'habits aux couleurs sobres.

Le citadin ne bougea pas d'un cil, tandis qu'Anthémis le toisait de haut en bas comme s'il était un spécimen qu'elle n'avait encore jamais vu.

Elle remarqua, cousu sur son manteau bleu, un petit symbole doré, qui ressemblait fortement à une version miniature du Temporel, l'emblème d'Hodei et de la Famille Dirigeante. Elle se demanda si l'ensemble des habitants de la capitale se devaient de le porter sur tous leurs vêtements.

- Anthémis ! lui chuchota quelqu'un, derrière elle.

Elle se retourna et fit face à Edel, qui s'était caché à l'ombre des sapins et qui lui faisait signe de s'approcher. Elle fit deux pas en sa direction, mais intérieurement, son attention était toujours braquée sur la ville et sur le jeune homme aux cheveux gris.

- Qu'est-ce que tu fais ? Tu t'es déjà fait repérer ? Ne t'approche pas trop des barrières, tu vas nous attirer des ennuis.

- Mmh, émit la jeune fille. (Elle remarqua un oiseau voler au-dessus de leur tête, et se poser sur un des toits de chaume de Dryadalis.) Ouah, tu crois qu'on a les mêmes oiseaux, à Eleguerio ?

- Anthémis, tu m'écoutes ?

- Oui, oui.

- Tu continues de regarder l'oiseau. Regarde-moi.

- Mais c'est un bel oiseau, j'ai envie de le regarder. Écoute, il commence à siffler ! Les oiseaux ne chantent pas comme ça, dans les autres fiefs. Dryadalis doit vraiment être différente. J'aimerais bien pouvoir y entrer ...

- Ne t'en approche pas, c'est dangereux.

- Tu dis toujours que tout est dangereux. (Elle quitta des yeux l'oiseau pour les poser sur son ami.) Tu le disais aussi pour le Temple. Si je t'avais écouté et que je n'y étais pas allée, on n'aurait jamais rencontré Mélopée.

Edel soupira.

- Sauf que le fief Est est clairement plus dangereux que le Temple. Si tu t'en approches trop et que des Varlets te voient, tu risques gros. Tu sais combien les Varlets peuvent se comporter de manière irréfléchie. C'est toi-même qui m'as raconté que ta sœur s'était pris une balle dans la jambe pour trois fois rien.

- Les Varlets ne peuvent rien faire, les barrières sont électriques. De toute façon, je ne suis techniquement pas à l'intérieur du fief Est, je suis tout à fait dans mon droit en étant ici.

- Tu sais bien que les Varlets s'en fichent de savoir si tu es dans ton droit ou pas. Enfin, laisse tomber. Viens, on retourne voir les autres.

Anthémis mima une moue déçue, mais accepta tout de même de suivre Edel, bien que son regard s'attarda longuement sur les maisons et sur le jeune Dryadalisien. Celui-ci n'avait toujours pas bougé, le visage légèrement levé vers le ciel, comme s'il attendait que quelque chose en tombe. Il était immobile, et la jeune fille se demanda s'il n'était pas une statue. Peut-être qu'elle s'était trompée, que ce n'était pas lui qui avait parlé, ni lui qu'elle avait vu bouger près de la cabane ; peut-être qu'il n'était qu'une simple statue, une statue très réaliste. Les seules statues qu'elle avait eu l'occasion de voir dans sa vie étaient celles à l'éffigie des membres de la Famille Dirigeante, dans le musée d'Ibai, et celle de Sem Hodei qui se trouvait dans chaque village de l'île. Aucune de ces sculptures n'était aussi réaliste que celle-ci.

Les deux jeunes gens rejoignirent leurs compagnons. Adélaïde et Ephrem étaient déjà en train de s'entretenir discrètement avec un homme assez âgé, qui se trouvait de l'autre côté de la barrière, au-dessus de la table sur laquelle il avait posé quelques pancartes indiquant les prix de certains ustensiles. Anthémis le regarda comme elle avait regardé le jeune homme juste avant, avec la même fascination dans les yeux. Oh, un autre Dryadalisien !

- Tu penses qu'il y en a combien, des comme ça, dans la capitale ? souffla-t-elle à Edel en lui tirant la manche.

- Des comme ça ? répéta son ami. C'est quoi, « ça » ?

- Des Dryadalisiens.

- Tu pourrais parler d'eux un peu plus respectueusement ...

- Je suis respectueuse.

- Si tu l'étais, tu ne les aurais pas désignés par « ça ».

- Oh, c'était juste une façon de parler ...

- Fais attention à ce que tu dis.

- Mais je ...

- Vous pouvez vous taire ? grogna un des membres des Sans-Reflets, le même blond qui avait proposé à Anthémis de les accompagner contrer les Miroirs, plus tôt dans la journée. J'arrive pas à entendre ce que raconte le vieux.

La jeune fille lui aurait répondu de se rapprocher du Dryadalisien pour mieux écouter la conversation et de les laisser discuter tranquillement, si seulement elle-même n'avait pas été intéressée par l'échange entre le marchand et leur commandante. Finalement, ce fut elle qui se rapprocha, ayant soudainement oublié qu'elle était en train de parler avec Edel quelques instants auparavant.

- Désolé madame, s'excusa le marchand à l'adresse d'Adélaïde, mais je ne peux pas vous passer de métal comme ça, c'est pas comme ça que ça marche. Si vous voulez vous fabriquer quelque chose avec, il faudra faire fondre le métal et le modeler pour obtenir ce que vous voulez, mais vous n'avez probablement pas le matériel nécessaire.

- Qu'est-ce que vous vendez, alors ? lui demanda la commandante des Sans-Reflets.

- J'ai des ustensiles en métal, en plastique ou en bois, déclara l'homme en essuyant ses mains tachées d'une poudre noire dans un torchon. Un peu de tout. Il vous faudrait quoi ?

- De quoi nous protéger des Miroirs. (Elle fronça les sourcils et s'avança légèrement vers la barrière - bien qu'elle ne pouvait pas trop s'en approcher, compte tenu de son électricité -, et baissa la voix.) Vous savez ce que sont les Miroirs ?

- Oui, d'autres clients qui ont survécu m'en ont parlé. J'en ai même vus quelques-uns passer près d'ici. (Il réprima un frisson.) De vrais monstres.

- Eh bien, voilà, on aurait besoin de quoi se protéger de leur toucher.

- Mmh, je vois.

Le vieil homme fit mine de réfléchir, en se passant la main dans ses cheveux presque inexistants. Il avait un corps enrobé, en passant par ses cuisses qui devaient bien faire trois fois la largeur de celles d'Edel, jusqu'à ses doigts boudinés. Son visage était tiré par les rides, et quelques poils gris et blanc avaient poussé le long de son menton jusqu'au bas de ses oreilles, lesquelles étaient décorées de deux bijoux dorés en forme de soleils. Il était bien différent des vieux hommes du fief Nord ; il suffisait de le comparer à Igor pour comprendre qu'eux deux ne venaient clairement pas du même endroit, et pourtant, leurs deux fiefs étaient voisins.

- Un autre client était venu me demander la même chose, il y a deux mois. Je dois avoir ce qu'il vous faut. (Il jeta un regard inquiet aux autres Sans-Reflets qui étaient assis un peu plus loin.) Mais je ne suis pas sûr d'en avoir suffisamment pour vous tous. (Son regard se posa ensuite sur Anthémis, qui le regardait toujours comme s'il était un extra-terrestre.) Et j'en ai pas pour tous les gabarits.

- Tant pis, montrez-nous ce que vous avez.

- Je reviens tout de suite, annonça le marchand en leur tournant le dos et en s'en allant vers, certainement, sa réserve.

Il finit par revenir plusieurs minutes plus tard, un étrange casque noir dans les mains, qu'il posa délicatement sur la table, près des pancartes. Cette protection rappela vaguement quelque chose à la jeune fille.

- C'est un casque récupéré d'un vieil uniforme de Varlet qui avait été jeté dans la benne de la place centrale, expliqua le marchand. On l'a rafistolé et peint en sombre pour plus de discrétion dans la nuit. C'est rigide et solide. (Il tapa du poing sur la visière du casque, comme pour illustrer son propos.) Ça se fissure difficilement, et j'imagine que ça suffira à vous protéger du toucher des Miroirs. J'en ai une bonne dizaine des comme ça dans la réserve, avec la tenue complète. La plupart des Varlets jettent leur uniforme dans les bennes du centre-ville quand ils sont plus en état, pour pouvoir en racheter un neuf. Après il nous suffit de les récupérer et de les arranger un peu. Si vous repassez dans quelques jours, j'en aurai sûrement des nouveaux.

Adélaïde observa le casque comme elle le put, à travers le quadrillage de la barrière.

- La tenue complète est rigide ? s'informa-t-elle, intéressée.

- Oui madame. C'est de la toile et du caoutchouc, renforcés avec des plaques en polycarbonate sur la poitrine, les cuisses, les tibias et les bras. On se déplace difficilement avec au début, mais on s'y fait, les Varlets du coin pourront en témoigner. (Il posa ses mains à ses hanches et considéra Adélaïde.) Ça vous convient, madame ?

La commandante des Sans-Reflets échangea quelques messe-basses avec Ephrem, semblant négocier avec lui.

- C'est si solide que ça, le ... polycra ... polycro ... polycrabanote ? bredouilla Adélaïde.

- Polycarbonate, la corrigea le marchand. Oui, croyez-moi, ça résiste aux chocs et aux rayures, tout en restant léger. Paraîtrait qu'avant, c'était utilisé pour les combinaisons de protection des gens qui voyageaient dans l'espace, vous savez, les astronautes.

- Oui, enfin, on ne va pas partir en vacances sur la Lune, ironisa Adélaïde, on a juste besoin de se protéger des Miroirs. Vous êtes certain qu'ils ne pourront pas nous refléter, avec cette combinaison ? Parce que tout les Varlets des autres fiefs ont été reflétés, et ils portaient tous ce genre d'uniforme.

- Je ne sais pas madame, mais mon client de la dernière fois a dû être plutôt satisfait de ce que je lui ai vendu, il n'est jamais revenu me demander un remboursement.

Cette information sembla plus inquiéter les Sans-Reflets qu'autre chose, car si le client n'était jamais revenu, ce n'était pas forcément parce qu'il avait été satisfait du produit, mais peut-être pour une raison plus sombre ...

- Alors ? émit le marchand. Si ça ne vous convient pas, on peut essayer de vous préparer quelque chose d'autre ... Des boucliers, ça vous dit ?

- Non ... on va prendre ces uniformes, ça conviendra peut-être, il faut essayer, décida Adélaïde. Vous en avez combien, exactement ?

- Une dizaine, répondit le vieil homme en se grattant le crâne. Je sais pas combien exactement. Vous voulez que j'y retourne ?

- Non, ça ira. On en aura besoin de dix-sept. Vous avez les tailles ? Parce qu'on a des demi-portions avec nous.

Anthémis devina qu'Adélaïde la regardait en disant cela, mais elle n'y prêta pas attention.

- Ha, vous savez, les Varlets ils sont pas tout chétifs, sinon ils seraient jamais embauchés. Je pense pas que j'aurai ce que vous cherchez pour la jeune demoiselle ici présente. Mais je vais essayer de vous trouver quelque chose.

Le marchand s'en alla à nouveau vers sa réserve, et Anthémis se lassa vite de l'écouter négocier avec Adélaïde. Dryadalis était plus intéressante.

Elle se décala du groupe formé par les Sans-Reflets pour essayer de percevoir ne serait-ce que le soupçon de la façade du Palais de la Famille Dirigeante, mais les maisons étaient trop hautes, et la Péninsule - la place sur laquelle le Palais avait été construit, en dehors de la ville - devait se trouver loin, près de la mer. Pourtant, elle pouvait sentir la présence d'Aenor Hodei tout autour d'elle. Elle voyait leur reine à chaque recoin du paysage de la capitale qui s'offrait à elle, elle la voyait dans les drapeaux du Temporel qui pendaient à certaines fenêtres, elle la voyait dans les microphones accrochés aux lampadaires - les mêmes que ceux de Lunaria où elle avait annoncé l'arrivée des Miroirs -, elle la voyait dans cette barrière qui l'empêchait d'accéder à la capitale, elle la voyait dans les crevasses qui formaient le sol sur lequel elle marchait, elle la voyait partout dans Dryadalis, puisque Aenor Hodei était la descendante du créateur de la ville et de l'île entière. Et quand bien même leur reine ne pouvait pas être à l'origine de l'apparition des Miroirs, puisqu'elle était trop jeune la nuit de la Grande Révolte, là où elle avait elle-même été touchée, elle ne restait pas moins l'ennemie principale d'Anthémis. C'était tout de même à cause d'elle, en partie du moins, que les habitants d'Hodei vivaient un cauchemar quotidien.

La fascination que ressentait la jeune fille à l'égard de la capitale n'était qu'éphémère ; elle savait qu'un jour, il lui faudrait délaisser son émerveillement presque puéril, pour regarder les choses en face : elle était prisonnière d'Hodei, tous les habitants l'étaient, même Dryadalis n'était qu'un simple quartier de cette prison géante. Et les personnes qui se trouvaient à l'origine de cette prison résidaient à quelques kilomètres seulement de là où se situait Anthémis. Mais elle ne pouvait pas les rejoindre, elle ne pouvait pas passer par-dessus la barrière et s'en aller vers le Palais. Du moins, pas pour l'instant.

Les paroles du Vassal du fief Sud, Gilen Asko, lorsqu'elle s'était réfugiée chez lui avec Edel, Mélopée et Berbéris, lui revinrent en tête. Va donc au Palais, et si tu survis, tu m'en diras des nouvelles !

Gilen Asko ... il était probablement mort, lui aussi. Anthémis ne pourrait pas lui donner de nouvelles concernant Dryadalis comme il l'aurait voulu. Mais c'était la seule personne qui l'avait encouragée à aller jusqu'au Palais ; il avait peut-être été totalement inconscient en disant cela - autant que l'était Anthémis elle-même -, mais il l'avait encouragée, et même s'il s'était un peu moqué d'elle quand elle avait annoncé vouloir atteindre la capitale, une lueur avait brillé dans ses yeux, cela, la jeune fille s'en souvenait clairement ; une lueur malicieuse, comme un pari qu'il lui lançait, puisque ce pari-là, celui de pénétrer le Palais, était le seul espoir qu'il leur restait.

Alors, plus que vouloir découvrir Dryadalis pour l'immense et fascinante ville qu'elle était, Anthémis voulait intégrer la capitale pour espérer pouvoir y déceler les plus grands mystères des Miroirs, de la Famille Dirigeante, et d'Hodei tout entière. Même si elle était jeune, même si elle était petite de taille, même si elle paraissait chétive aux yeux des autres. Il n'y avait pas d'âge, ni de taille ou de carrure précise pour espérer comprendre les événements desquels elle était la victime.

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