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Chapitre 8 - En route vers l'Est (p.2)

Tout le long du trajet entre les frontières du fief Sud et sa ville la plus imposante, Vremya, Anthémis se tint aux côtés d'Adélaïde sans émettre le moindre mot, encore, au fond d'elle-même, bouleversée par les événements. Sa commandante semblait toujours aussi sûre d'elle, et aucune trace d'angoisse ne se lisait sur son visage pâle. Anthémis songea qu'elle devait bien avoir peur, mais qu'elle le cachait, car comment serait-il possible qu'elle ne ressente rien alors qu'en quelques centaines de mètres seulement, ils avaient déjà repéré plusieurs hordes de Miroirs à l'horizon ?

Un peu en retrait se tenaient les trois autres membres avec qui les deux femmes faisaient équipe. Anthémis avait finalement réussi à se souvenir de leur prénom, bien qu'elle n'était pas sûre d'associer le bon nom à la bonne personne. Colin, le seul homme du groupe, semblait le plus apeuré de tous, et passait son temps à cacher son visage entre ses mains, laissant s'échapper quelques sanglots de sa gorge. D'après les mots de réconfort que lui glissait tout bas Pritha, Anthémis comprit que Lotti était la meilleure amie de cet homme. De son côté, cette certaine Morine, une trentenaire petite de taille avec d'épais cheveux bruns, regardait sur le côté en préférant se chuchoter des choses à elle-même plutôt que d'en faire part aux autres ; il sembla à Anthémis entendre de sa bouche le nom de Satan, et elle préféra alors détourner son attention des paroles de la femme, peu rassurée par cette étrange présence dans son dos qui, visiblement, marmonnait des rites satanistes.

Les autres groupes se laissaient parfois apercevoir entre les arbres et les buissons. Ils n'avançaient pas tous à la même vitesse, d'ailleurs il semblait à Anthémis que leur équipe était la plus lente, car Adélaïde, qui avait beau avoir pour objectif d'atteindre rapidement le fief Est, s'arrêtait parfois pour observer de loin certains Miroirs. Le groupe d'Opale semblait lui aussi faire la même chose, tandis que ceux d'Ephrem et de Jasper traçaient comme des flèches.

Au bout d'un certain temps, alors qu'Adélaïde s'était une fois de plus arrêtée – cette fois-ci pour remplir sa gourde d'eau –, Anthémis aperçut au loin quelques Miroirs, sept tout au plus, qui étaient légèrement cachés d'eux par des arbustes fleuris, et qui se trouvaient trop loin pour les entendre. Les membres n'avaient pas grand-chose à craindre d'eux à cette distance, alors la jeune fille profita du fait que sa commandante fasse une courte pause pour s'asseoir à même le sol et observer comme elle le pouvait ces créatures répugnantes. Elle ne les regarda pas comme Adélaïde les regardait, avec une haine profonde marquée dans ses yeux. Elle ne les regarda pas non-plus comme Opale les regardait, avec fascination. Elle les regarda comme elle les voyait, en bêtes monstrueuses qui avaient autrefois un visage humain. Elle les regarda, et ce ne fut ni la haine, ni la fascination, ni la peur qui la saisit, mais l'incompréhension. L'incompréhension face à ces monstres, à ce monde, à ses habitants, à sa propre personne. Qui étaient-ils, qui étaient les Miroirs, quelle était cette terre qui semblait ne vouloir que leur mort ? Pourquoi étaient-ils nés humains si c'était pour se transformer quelques années plus tard en ces bêtes hideuses et meurtrières ? Elle repensa au sang qui s'était échappé du corps agonisant de ce Miroir, la veille. Lui, gardait-il encore une trace d'humanité en son sein ? Ou avait-il réellement été arraché à son passé d'humain ?

Elle regarda les Miroirs, et ressentit un élan glacé lui traverser l'échine.

Qu'importe qui elle était et qui étaient ces créatures, jamais elle ne se laisserait entièrement refléter.

– Qu'est-ce que tu fais, Anthémis ? Tu vas nous faire repérer si tu restes ici. Viens, on continue la marche.

Adélaïde sortit la jeune fille de sa torpeur. Elle avait fini de remplir sa gourde, avait reposé son sac sur son dos, et regardait à présent Anthémis en haussant un sourcil.

– J'arrive, émit la jeune fille en se relevant.

Elle jeta un dernier regard aux Miroirs, et sentit son cœur se compresser dans sa poitrine. Puis, elle partit rejoindre ses coéquipiers en silence.

*

Le soleil brillait haut dans le ciel ; il devait bien être midi passée, et le ventre d'Anthémis réclamait ardemment à manger, mais Adélaïde refusait de s'arrêter tout de suite, prétendant qu'il serait dangereux de se reposer à cet endroit, avec tous les Miroirs à proximité. Malgré cela, les yeux de la jeune fille avaient tendance à un peu trop lorgner sur le sac de provisions que tenait sa commandante sur son dos. Tant de nourriture devant elle, et elle n'y avait pas droit ...

Le paysage était plus dégagé que jamais. Une vaste étendue d'herbe jaunie par le soleil s'étendait devant eux, sans pratiquement aucun arbre. Les membres des Sans-Reflets devinaient bien la présence d'un bois, quelques centaines de mètres plus loin, mais fallait-il encore qu'ils puissent l'atteindre sans se faire repérer – car une prairie aussi plate et aussi dégagée était un terrain de chasse parfait pour les Miroirs. Ils étaient alors bien loin des champs verdoyants et de la grande forêt jonchée de fougères du fief Ouest, ou encore des longs chemins suivants le cours d'eau de la Diaphane qui sillonnaient l'entièreté du fief Nord, ou même de la petite pinède qu'ils avaient trouvée à l'entrée du fief Sud. L'endroit était alors loin d'être chaleureux ; la terre asséchée était dure comme de la pierre, la végétation semblait être sur le point de mourir, le soleil tapait plus fort que jamais – même pour un mois de mai –, et aucune ombre ne se trouvait à proximité, exceptée celles qui bordaient le bois qui se percevait à l'horizon. En plus de cela, Anthémis n'était pas la seule à avoir terriblement faim, et tout cela ne rendait pas la tâche plus facile pour les membres fatigués des Sans-Reflets.

– Arrivés aux arbres là-bas, on pourra s'arrêter pour manger, déclara Adélaïde pour ses coéquipiers.

Les autres groupes, menés par Ephrem, Opale et Jasper, marchaient un peu plus loin. À ce stade, puisque le terrain était totalement plat, il ne servait à rien de rester séparés ; si des Miroirs arrivaient, ils verraient l'entièreté des membres, que le groupe soit divisé ou non. Mais puisque leur commandante ne disait rien à ce sujet, les Sans-Reflets gardèrent leur position, et continuèrent la marche avec le peu de force qu'il leur restait.

Le groupe d'Ephrem, le plus rapide – car Ephrem n'était pas du genre à traîner, et s'il s'était acquitté d'une mission, il y allait jusqu'au bout et le plus vite possible –, parvint finalement à atteindre le bois tandis que l'équipe d'Adélaïde arrivait avec peine, encore loin derrière. Et se produisit alors ce qui devait se produire : des silhouettes noires apparurent à l'horizon, sortant de nulle part, courant à toute allure, se dirigeant sans aucune hésitation vers les premiers humains qu'ils voyaient – en l'occurrence, le groupe d'Adélaïde. La réaction de la femme ne fut pas celle escomptée par ses coéquipiers ; elle soupira bruyamment, semblant plus exaspérée par la présence des créatures que terrifiée par elles. Elle marmonna quelque chose entre ses dents, qu'Anthémis considéra comme un « bon sang, ils peuvent pas nous lâcher un peu ceux-là », avant de laisser tomber son sac au sol et de détacher de sa ceinture sa grosse gourde d'eau, qu'elle tenait ainsi depuis le début du trajet.

– Allez-vous-en, ordonna-t-elle, je me charge d'eux. Ils ne sont que trois, je m'en sortirai.

Colin ne se le fit pas dire deux fois et prit ses jambes à son cou en direction du bois.

– Je reste avec toi, déclara Anthémis, prenant dans ses mains sa propre bouteille d'eau.

– Pas question, va rejoindre les autres.

– J'ai déjà fui une fois, je ne veux pas ...

– RETOURNE LÀ-BAS.

Le ton sec et autoritaire d'Adélaïde fit sursauter Anthémis ; elle ne l'avait jamais entendu parler aussi fort, et sa voix légèrement tremblante trahit une certaine angoisse qui pourtant ne se lisait pas sur les traits de son visage.

– Mais je fais partie des Sans-Reflets, moi aussi !

– Peut-être, mais ça ne change rien au fait que tu manques de crever à chaque fois que tu t'approches des Miroirs ! Maintenant, fais-moi plaisir et va te mettre en sécurité un peu plus loin ! Regarde, Ephrem et Opale arrivent, je ne serai pas seule.

La violence de ses propos frappa de plein fouet la jeune fille. Tu manques de crever à chaque fois que tu t'approches des Miroirs. Elle se sentit vexée par ses paroles, et pourtant, elle savait qu'il n'y avait que la vérité qui blessait. Elle était faible. Mais ne pouvait-elle pas gagner en assurance face aux créatures d'ébène ? La seule façon qu'elle avait de reprendre toute sa confiance en elle était de contrer les Miroirs, alors pourquoi Adélaïde refusait catégoriquement de la laisser rester à ses côtés ? Ce n'était pas comme si la femme tenait vraiment à elle, après tout. Elle avait beau vouloir la tenir à l'écart de tout danger, elle était loin d'être toujours tendre avec la jeune fille. Et pourtant, en l'écartant comme elle le faisait à cet instant, elle la protégeait, et cela troublait un peu Anthémis, car plus le temps passait, plus elle avait tendance à considérer la femme davantage comme une mère protectrice que comme sa commandante. Une mère protectrice un peu particulière, qui prenait un plaisir malsain à planter des couteaux dans la chair des Miroirs, et qui avait souvent mauvais caractère, mais qui l'avait déjà sauvée deux fois, qui insistait toujours pour la tenir hors de danger, qui l'hébergeait avec elle chez les Sans-Reflets, et qui ne supportait pas de la voir déprimer seule dans sa chambre. Quelque part, il était peut-être rassurant de se dire qu'Adélaïde n'avait jamais eu d'enfant, parce qu'elle aurait probablement été trop dure avec eux, mais d'un autre côté, Anthémis voyait bien qu'au fond d'elle-même, la femme avait un cœur tendre, dompté par un instinct maternel qu'elle n'avait jamais vraiment pu mettre à bien. La jeune fille ne s'en était pas réellement rendu compte jusqu'alors, mais désormais, elle réalisait qu'avec elle, avec Edel, avec Mélopée, et avec, globalement, toutes les personnes qui étaient plus jeunes qu'elle, Adélaïde se comportait d'une façon assez maternelle, les disputant quand ils avaient fait une bêtise, et les gardant sous son aile. Avec ses yeux perçants, son rôle de commandante, et sa tendresse dissimulée sous un masque d'autorité durcit par les années et par la souffrance, elle avait des airs d'une louve menant sa meute.

Mais Anthémis n'eut pas le temps de plus réfléchir au comportement d'Adélaïde, car les Miroirs arrivaient toujours en courant, et qu'Ephrem et Opale avaient rejoint leur commandante, armes en main.

– Tu leurs balances l'eau, et moi je les coupe en rondelles, proposa Opale, ses doigts serrés autour du manche d'Ekaitza.

– Ça marche, déclara Adélaïde. Ephrem, fais en sorte qu'ils ne m'approchent pas trop. (Elle jeta un coup d'œil derrière elle.) Anthémis, qu'est-ce que je t'ai dit ? Va-t-en !

– Je peux t'aider à ...

– Va plutôt demander à Jasper de venir nous aider, la coupa sa commandante.

La jeune fille se résigna à contrecœur, voyant qu'il ne servirait à rien d'essayer de négocier, et partit rejoindre les autres, les poings serrés. Pourquoi se comportaient-ils tous ainsi ? Ne serait-il pas plus simple de contrer tous ensemble les Miroirs ? Pourquoi Adélaïde, Ephrem, Opale, et maintenant ce Jasper tenaient-ils autant à s'attribuer le rôle de laminer les créatures, sans l'aide de personne d'autre – et surtout pas de celle d'une gamine de quinze ans ?

Tandis qu'Anthémis partait rejoindre les autres, Adélaïde se tint prête, sa gourde d'eau ouverte, le regard rivé vers les créatures qui bientôt les atteindraient. Un sourire franchit les lèvres d'Opale, comme à chaque fois qu'elle avait affaire à des Miroirs. Ephrem, de son éternel air impassible, se contentait de fixer des yeux ces bêtes qui se ruaient sur eux, placé devant sa sœur, de sorte à pouvoir la protéger comme elle le lui avait ordonné.

Alors que les Miroirs, n'apparaissant plus que sous la forme d'une tache noire se déplaçant à toute vitesse, parfois ponctuée par l'apparition de deux points ocre qui ne lâchaient pas de vue, même d'un seul millimètre, les visages de leurs proies, se trouvaient à quelques mètres seulement d'elle, Adélaïde lança la moitié du contenu de sa gourde d'eau sur le corps de la première créature qui s'élançait vers elle. Opale n'attendit pas plus longtemps pour brandir Ekaitza avant de se jeter sur le Miroir et de planter sa lame en plein dans la trachée. La jeune femme fut si rapide et si agile que la bête n'eut pas même le temps de laisser s'échapper de sa gorge un faible râle avant que celle-ci ne soit mutilée par ce coup qui lui fut fatal. Du sang se déversa le long de son cou, et Opale sourit davantage, satisfaite de sa funeste performance.

Les créatures étaient au total de trois – deux si l'on retirait celle qui venait de rendre l'âme. Les deux qu'il restait tentèrent de se jeter sur Ephrem, mais Adélaïde ne leur en laissa pas le temps, et leur balança au visage ce qui restait du contenu de sa gourde, avant de détacher de son dos la pelle qui lui servait d'arme de défense.

Opale ne prit pas le temps d'admirer son chef-d'œuvre ; venant à peine de tuer le premier Miroir, elle se retourna subitement et s'apprêta à planter la lame d'Ekaitza dans la gorge de sa prochaine victime, mais l'eau lancée sur les deux créatures restantes ne suffit pas à les affaiblir. Un des Miroirs se jeta sur Ephrem, tandis que l'autre attaqua Opale. Adélaïde, n'ayant plus d'eau en réserve, regarda par-dessus son épaule, en direction du bois, pour voir si, comme elle le lui avait ordonné, Anthémis était allée chercher Jasper.

De son côté, la jeune fille venait d'arriver, essoufflée, là où les autres membres des Sans-Reflets se trouvaient. Elle chercha des yeux Jasper. Il lui semblait qu'il s'agissait de l'homme assez jeune et très grand, à la peau basanée et à la musculature développée qui était déjà sur le point de partir rejoindre Adélaïde et les autres avec les bras chargés de trois grosses gourdes remplies – les provisions en eau que gardaient les membres pour leurs propres besoins.

– Ils vous attendent, lança Anthémis à l'adresse de Jasper.

L'homme acquiesça, et fit signe à ses coéquipiers du groupe qu'Adélaïde avait formé de le suivre. Ils partirent en courant en direction de là où avait lieu le duel. Au vu des sacs ouverts qui étaient étalés au sol, la jeune fille comprit que s'ils ne s'étaient pas plus tôt confrontés aux Miroirs, c'était parce qu'ils avaient pris la précaution d'emporter avec eux toute l'eau qu'il pouvaient.

Anthémis prit le temps de souffler, fatiguée d'avoir couru le plus vite possible sur une aussi longue distance. Ses yeux finirent par se poser sur Edel, à l'ombre d'un arbre, qui regardait avec crainte ses compagnons combattre les Miroirs. La peur se lisait clairement dans ses yeux. La jeune fille tourna la tête dans la même direction, et remarqua alors que quelque chose n'allait pas. Le nombre de créatures semblait s'être agrandi. Une d'entre elles était étalée au sol – le travail d'Opale, devina-t-elle facilement –, et dans ce cas il n'était censé n'y rester que deux Miroirs, or ils étaient à présent bien six ou sept.

– De nouveaux sont arrivés, murmura-t-elle pour elle-même.

– Bien déduit, émit une voix dans son dos. Ça te dit qu'on aille aider les autres ? Ils sont que six contre sept Miroirs.

Anthémis se retourna et reconnut un des membres à qui elle n'avait jamais parlé et dont elle ne connaissait pas même le prénom. C'était un jeune homme, un blond plutôt grand qui tenait dans ses bras une sacoche remplie de ce que la jeune fille devina être plusieurs bouteilles d'eau. Il était secondé de quelques autres membres, qui eux aussi comptaient partir aider Adélaïde et les autres. Seuls Edel, Jehan, Colin, Morine et une autre femme préféraient rester à l'écart, prétendant aller chercher le coin d'eau le plus proche pour remplir les bouteilles vides.

– Adélaïde m'a interdit de rester là-bas, émit Anthémis en balbutiant presque, surprise qu'on lui propose d'aller contrer les Miroirs.

– Oh c'est bon, Adélaïde s'inquiète beaucoup pour rien. Tu risques rien avec nous, assura le jeune homme.

La jeune fille n'en était pas si sûre.

– On va juste les mouiller un peu, tu ne vas pas mourir pour ça, continua le blond. Bon, tu viens ou pas ?

– ... D'accord, je viens.

Le jeune homme essaya de mimer un sourire rassurant sur ses lèvres, bien que la tension causée par la présence des Miroirs crispait son visage. Il sortit une bouteille de sa sacoche et la tendit à Anthémis. Cette dernière prit possession de l'objet, et se retrouva avec sa propre bouteille et celle-ci coincées entre ses bras.

– On y va, lança le blond à l'adresse de ceux qui voulaient le suivre.

Son sourire forcé trahissait une angoisse qui différait de l'assurance qu'il avait essayé de faire paraître en disant à Anthémis qu'elle ne risquait rien. La jeune fille savait bien que si, elle risquait sa vie, mais cela n'avait rien de surprenant. Elle avait toujours risqué sa vie depuis l'arrivée des Miroirs. Elle n'avait pas besoin qu'on la rassure à ce sujet.

Alors que le jeune homme partait en direction des Miroirs, accompagné des autres membres, Anthémis entendit quelqu'un l'appeler. Elle jeta un coup d'œil par-dessus son épaule. C'était Edel.

– Tu les accompagnes ? lui demanda-t-il d'une petite voix.

La jeune fille soupira, et le regard implorant de son ami, qui de toute évidence préférait qu'elle reste là, avec lui, creusa le vide qu'elle ressentait en elle. Elle détourna les yeux.

– Ne t'inquiète pas pour moi, déclara-t-elle.

– Comment veux-tu que je ne m'inquiète pas ? Reste, Anthémis, reste ici, il ne devrait pas y avoir de Miroirs dans les bois, ils préfèrent les terrains dégagés ...

– Je ne veux plus fuir. C'est comme ça, je n'arriverai à rien si je continue de fuir à chaque fois que je vois un Miroir.

La jeune fille baissa la tête, et, sans jeter un dernier regard à Edel, elle s'élança vers ses coéquipiers qui continuaient leur course en guettant de loin les actions des Miroirs.

– Tu n'arriveras à rien non-plus si tu te fais refléter ... ! lui lança le jeune homme, mais c'était trop tard, Anthémis était déjà loin.

Edel soupira. Sa gorge se serra lorsqu'il repensa à la veille, où il avait failli emporter Anthémis avec lui dans les bras du Miroir. Il ne pouvait pas se permettre d'aller la rejoindre, et surtout pas s'il comptait la protéger, parce qu'il savait qu'il n'en était pas capable. Il resterait spectateur, sans pouvoir approcher Anthémis, en espérant seulement qu'elle ne se fasse pas toucher.

– Laisse-la, qu'elle crève si elle en a envie, lâcha Jehan en refermant les sacs étalés au sol.

Edel lui lança un regard réprobateur. Ces deux-là étaient très proches, mais Edel détestait qu'on parle ainsi de celle qu'il aimait. Pourtant, il ne répondit rien, trop fatigué de remettre à sa place Jehan à chaque fois qu'il disait du mal d'Anthémis – car cela arrivait souvent, pour une raison qu'il ignorait.

– Tu viens ? émit Jehan en attrapant un des sacs. On va remplir les bouteilles si on trouve un plan d'eau pas loin.

Edel se releva en acquiesçant, et s'aventura dans les bois avec Jehan et les quelques autres qui étaient restés, en profitant pour se cacher des Miroirs qui ne les avaient pour l'instant toujours pas remarqués. Avant de disparaître derrière les arbres, le jeune homme se retourna quelques instants pour observer de loin Anthémis s'approcher dangereusement des créatures qui leur avaient volé Mélopée, plusieurs Sans-Reflets, et qui l'avaient elle-même arrachée des bras protecteurs de sa grande sœur. Il imagina, un court instant, la jeune fille à la place d'une des personnes qu'ils avaient connues et qui s'étaient fait refléter, et son sang se glaça.

Anthémis rattrapa les membres qui lui avaient proposé de venir avec eux, en serrant contre elle ses deux bouteilles, s'y accrochant comme si elles étaient son dernier espoir.

Allez, tu as déjà survécu tant de fois à des attaques de Miroirs, et tu as même réussi à t'échapper de l'emprise d'un des leurs alors que tu étais seule. Regarde, tu es accompagnée aujourd'hui. De quoi tu as peur ?

Sa voix intérieure essayait de la rassurer comme elle le pouvait, mais la jeune fille dut fermer les yeux quelques secondes pour ne pas avoir à regarder de trop près le corps répugnant et empestant la mort des créatures.

Elle devait le faire. Elle n'avait plus le temps d'avoir peur.

Adélaïde vit la jeune fille, mais ne la réprimanda pas, trop concentrée sur les Miroirs. Tandis que les nouveaux arrivants jetaient toute leur réserve d'eau sur les bêtes, Opale se chargeait de leur enfoncer sa lame en pleine poitrine, ce qui suffisait à les affaiblir avant qu'ils ne meurent et ne deviennent plus qu'un tas de chiffons noirs étalés sur l'herbe jaunie. Malheureusement, les créatures étaient rapides, et souvent, les membres n'arrivaient pas à les viser avec leur jet d'eau. Adélaïde essayait tant bien que mal de les ralentir en les étourdissant à coups de tuyaux de fer, les mouvements des Miroirs restaient tout aussi vifs et les sévices qu'on leur infligeait demeuraient vains.

Alors que la plupart des membres venant d'arriver s'acharnaient à gaspiller toute leur eau en tentant de la lancer au visage des Miroirs sans y parvenir, et que cette eau s'écrasait lamentablement au sol et trempait la terre dure de la prairie, Anthémis observait le massacre de la seule et unique arme qu'ils possédaient contre les créatures sans oser rien faire ni rien dire. Ses deux bouteilles d'eau étaient encore coincées entre ses bras, et elle était décidée à ne pas tout gaspiller maintenant. Pour une fois, elle n'allait pas foncer dans le tas sans réfléchir, en n'étant guidée que par la haine. Elle allait réfléchir, et allait essayer d'agir de façon stratégique – du moins, d'une façon un peu plus stratégique que celle qu'avaient les membres qu'elle avait accompagnés, et qui se contentaient de balancer toute leur réserve d'eau au sol.

Le problème était qu'Anthémis n'avait jamais été très douée pour la stratégie. Elle avait bien une idée en tête, mais qui était risquée et probablement un peu trop suicidaire. De toute manière, il fallait qu'elle attende encore un peu avant de commencer à faire quoique ce soit. Pour l'instant, les Miroirs ne lui prêtaient aucune attention, préférant s'attaquer à ceux qui essayaient de les blesser. La jeune fille était en retrait, et il ne servait à rien qu'elle s'approche tout de suite des créatures, à part si elle souhaitait se faire refléter.

Opale, malgré ses mouvements lestes et bien maîtrisés, commençait à fatiguer à force d'esquiver tous les coups des Miroirs et d'essayer de planter la lame d'Ekaitza dans leur épiderme encore dur quand personne n'avait réussi à mouiller leur peau. Ephrem, qui lui aussi savait se montrer agile avec les créatures, voulut prendre la place de la jeune femme pour qu'elle puisse se reposer. Il s'approcha d'elle alors que les Miroirs commençaient à s'attaquer aux membres qui n'avaient déjà plus d'eau en réserve. Opale tourna la tête vers lui, son attention fut détournée des créatures, et elle ne vit pas celle qui s'apprêtait à se jeter sur elle. Ephrem fut cette fois-ci plus rapide, et repoussa le Miroir comme il le put ; malheureusement, la bête réussit à s'agripper à la main d'Opale. La jeune femme laissa s'échapper du fond de sa gorge un petit grognement, mais ne cria pas de douleur pour autant ; elle resta encore très calme, trop calme pour ce qu'elle était en train de vivre, songea Anthémis, car la souffrance causée par le toucher des Miroirs était de loin la pire qu'elle n'ait jamais connue. Pourtant, la jeune femme ne hurla pas, seule une grimace apparut sur son visage avant qu'elle ne repousse le Miroir – qui, sous la pression de la barre métallique d'Ephrem, était déjà sur le point de lâcher prise – en envoyant son pied s'écraser contre le torse de ce dernier. Elle reprit possession d'Ekaitza, qu'elle avait lâchée alors que sa main se faisait toucher, et sortit de sa poche un flacon d'eau qu'elle tenait caché entre les tissus de sa veste depuis le début de l'expédition. Le flacon ne contenait pas énormément d'eau, mais Anthémis ne douta pas qu'Opale saurait s'y faire même avec si peu de liquide, car elle était d'une précision peu commune.

Tandis qu'Ephrem tenait éloigné le Miroir en tentant de canaliser ses mouvements, la jeune femme avança de deux pas, paisiblement, et la douleur ne se lisait déjà plus sur son visage. Elle s'apprêtait à déverser tout le contenu de son flacon, lorsqu'une autre des créatures se précipita brusquement sur elle, et envoya valser Ekaitza plusieurs mètres plus loin. Opale lâcha sans le vouloir le flacon, dont le bouchon était heureusement toujours fermé. Adélaïde, qui était jusqu'alors en train d'aider d'autres membres à repousser un des Miroirs, vit une forme scintillant à la lumière lui passer au-dessus de la tête. Surprise, elle regarda de quoi il s'agissait, et reconnut l'arme fétiche d'Opale reposer sur le sol mouillé. Cela l'étonna encore plus, car elle n'avait jamais vu la jeune femme lâcher Ekaitza, à laquelle elle était ordinairement accrochée toute la journée, comme on câlinerait une peluche. Elle comprit tout de suite que quelque chose n'allait pas ; un seul coup d'œil en sa direction la laissa comprendre que pour la première fois depuis qu'elles deux se connaissaient, Opale était en danger.

Adélaïde n'attendit pas plus longtemps pour se précipiter vers le Miroir qui avait attaqué sa coéquipière, et avant qu'il n'arrive enfin à toucher cette dernière – qui esquivait tous ses mouvements brusques comme si elle devinait quel geste il allait effectuer –, elle lui asséna un violent coup sur l'arrière du crâne, ce qui étourdit la créature durant quelques secondes. Opale, fronçant les sourcils et contrariée à l'idée qu'on lui ait arraché des mains son arme adorée, mit sa main sous sa veste, et en sortit aussitôt deux petites dagues chacune bien affûtée, incrustées d'améthystes et dont la lame encore neuve brillait au soleil comme un long diamant. Elle n'avait jamais eu à les utiliser, mais les gardait toujours dans sa veste, contre sa poitrine, se sentant rassurée par leur présence. Ce jour-ci, ces deux petites dagues, d'apparence plus proches d'éléments de décoration que de véritables armes, allaient enfin lui être utiles, car Ekaitza se trouvait trop loin d'Opale pour qu'elle puisse aller la récupérer.

Alors que le Miroir reprenait ses esprits, Adélaïde tenta de l'éloigner de la jeune femme et lui asséna un deuxième coup, laissant juste le temps à Opale de ramasser son flacon qui traînait à ses pieds. Elle l'ouvrit, et en déversa tout le contenu sur la tête de la créature. Sans plus attendre, elle resserra ses doigts autour du manche d'une de ses dagues – elle garda l'autre dans sa main droite –, et, sans aucune trace d'hésitation dans le regard, la planta abruptement dans le crâne du Miroir. La lame ne passa pas aisément, il fallut à la jeune femme insister fortement, jusqu'à ce qu'un bruit sourd, celui des os se craquelant, se fasse entendre, raisonnant aux oreilles d'Opale comme une belle mélodie mortuaire. La bête se débattit sauvagement, secouée de spasmes de douleur, mourant dans un hurlement déchirant, avant de tomber au sol sans plus un bruit. Sa meurtrière retira sa dague de son crâne, et essuya la lame ensanglantée en y passant sa main meurtrie par le toucher du Miroir ; l'écarlate du sang contrasta avec l'ébène des doigts d'Opale, qui n'étaient désormais plus que des doigts monstrueux, aussi noirs et nauséeux que ceux de la bête qu'elle venait de tuer.

Il ne restait alors plus que deux des sept créatures qui les avaient attaqués ; les cinq restantes avaient déjà été neutralisées, grâce à toute l'eau qui avait tout de même réussi à atteindre leur épiderme – bien qu'énormément de toute l'eau qu'avaient les membres en réserve ait été gaspillée, ce qui leur posa d'ailleurs problème, car ils n'avaient plus de quoi se défendre. Seule Anthémis avait encore en sa possession deux grandes bouteilles remplies d'eau, ce qui n'échappa pas au jeune homme blond qui lui avait parlé plusieurs minutes auparavant. Il la regarda avec des yeux ronds, entre l'étonnement de voir qu'elle n'avait strictement rien fait pour canaliser les Miroirs, et le soulagement de constater qu'ils leur restait encore de l'eau et que tout n'était pas perdu – même si le fait qu'Opale, la plus intouchable de tous en temps normal, ait été reflétée à la main inquiétait énormément la plupart des membres.

– Passe-moi une bouteille ! s'exclama-t-il.

Et sans lui demander son avis, il en saisit une, celle qu'il lui avait prêtée juste avant.

– Ne gaspille pas tout trop vite, lui lança Anthémis alors que le blond s'éloignait déjà, prêt à reprendre son fastidieux duel contre un des deux Miroirs qu'il restait.

La jeune fille resta debout, statique, observant ses coéquipiers se défendre au mieux possible des créatures. Ces dernières, trop occupées à attaquer ceux qui se trouvaient plus proches d'elles, ne lui prêtaient aucunement attention. Cela aurait peut-être dû soulager Anthémis, mais au contraire, elle se sentait inutile et voyait bien qu'en demeurant ainsi, avec sa bouteille pour elle seule, elle était presque une gêne pour les autres, qui auraient volontiers usé de son eau pour neutraliser les Miroirs.

Elle comprit alors qu'il était temps de mettre son plan à exécution – bien que le terme « plan » n'était pas forcément le plus adapté, étant donné qu'il s'agissait plus d'une stratégie calculée rapidement en espérant (peut-être vainement) que cela la mène à quelque chose.

Elle respira un bon coup avant de commencer à courir vers les bois, duquel les Sans-Reflets s'étaient inconsciemment rapprochés durant leur duel sans merci contre les Miroirs. Elle ne devait pas trop s'éloigner si elle voulait que cela fonctionne, mais il fallait aussi qu'elle puisse atteindre les arbres rapidement.

Arrivée à une distance des créatures qu'elle estima raisonnable, Anthémis se retourna pour faire face à l'attroupement formé par ces dernières et les Sans-Reflets ; les deux Miroirs, encore une fois, ne s'intéressèrent pas à elle, ne la virent même pas.

Elle hésita quelques instants, peu rassurée par l'idée qu'elle avait eue. Adélaïde allait encore lui en vouloir d'avoir agi de la sorte – et pourtant, pour une fois, ce n'était pas une action irréfléchie, si Anthémis le faisait, c'est qu'elle voyait bien qu'il n'y avait plus dix-mille solutions. De toute manière, elle était rapide, elle courrait vite, elle ne risquait pas grand-chose ... enfin, elle l'espérait.

C'est ce moment-là qu'elle choisit pour crier. Crier à plein poumon, crier comme si sa vie en dépendait – ce qui était, quelque part, effectivement le cas. Les Miroirs avaient mauvaise ouïe, mais elle n'était pas si loin d'eux, et son cri était si fort que les créatures, si elles ne l'entendaient pas, devaient être totalement sourdes.

En effet, son hurlement ne passa pas inaperçu. Les Sans-Reflets tournèrent la tête vers elle, perplexes, ne comprenant pas ce que la jeune fille était en train de manigancer – voulait-elle à ce point se faire refléter, en attirant les Miroirs de la sorte ? Mais Anthémis ne reprit sa course vers les bois que lorsqu'elle constata que les créatures avaient dévié leur regard ocre et meurtrier vers elle. Elle était seule, elle était petite, elle était plutôt faible par rapport aux autres Sans-Reflets, et elle n'avait pas l'air bien maline pour crier ainsi sans aucune raison. Elle était la cible et la victime parfaite pour eux. Et cela, Anthémis en avait parfaitement conscience. Mais elle savait aussi qu'elle était rapide, et que les Miroirs ne sauraient pas la rattraper – ou du moins, elle essayait de s'en persuader.

Elle prit donc ses jambes à son cou, s'élançant avec toute la force de ses jambes vers les bois, sans plus jeter un seul regard en arrière pour ne pas ralentir sa course. Si tout se passait bien, elle ne serait pas touchée, mais il n'était pas question qu'elle perde son temps à jeter un coup d'œil en arrière, pour vérifier si elle était suivie par les créatures ou non. Si elle ralentissait, c'était la mort assurée. Elle était seule contre deux Miroirs, elle savait que s'ils la rattrapaient, elle n'avait aucune chance, et qu'elle ne pouvait pas vraiment compter sur l'aide des autres Sans-Reflets, car le temps qu'ils viennent la sauver, toute la surface de sa peau aurait déjà été reflétée.

Et effectivement, même si la jeune fille ne pouvait pas les voir, les Miroirs s'étaient élancés à sa poursuite. Malgré leur vitesse fulgurante, il n'était pas sûr qu'ils puissent la rattraper, car elle avait bien plus d'avance qu'eux vers les bois.

Les Sans-Reflets observaient la scène, confus, essayant de s'expliquer à eux-même la situation sans parvenir à trouver une raison logique au comportement d'Anthémis. Adélaïde, plus particulièrement, sentit un vent glacé la traverser, le souffle lent de l'angoisse, qui s'infiltra entre chaque parcelle de son corps, entre ses os et dans ses tripes. Anthémis allait mourir. Il n'y avait pas de doute là-dessus, elle était totalement inconsciente, elle n'allait pas survivre. Croyait-elle vraiment être plus rapide que les Miroirs ? Cette petite idiote, pensait-elle réellement avoir la possibilité d'échapper aux bras mortels des créatures ? Elle, si petite, si frêle dans ce semblant de carapace solide qu'elle avait voulu se forger mais qu'elle n'avait de toute évidence pas, il était clair qu'elle n'avait pas la carrure nécessaire pour fuir la course de deux Miroirs.

La commandante des Sans-Reflets, même si elle se doutait qu'elle n'aurait pas le temps de rattraper les créatures, n'hésita pas plus et se précipita vers eux le plus vite possible. Elle n'ordonna rien à ses coéquipiers, mais la voyant se mettre à courir, ces derniers reprirent leurs esprits, et, arrêtant de se poser des questions quant à l'action d'Anthémis, suivirent Adélaïde.

La jeune fille atteignit les bois avant que les Miroirs ne puissent arriver à sa hauteur, et avant que les Sans-Reflets ne les rattrapent. Elle s'arrêta devant le plus gros arbre qu'elle vit, un châtaignier, et, puisque son épais tronc était assez court, elle put poser sans trop de problème sa bouteille dessus, avant de s'y faufiler à son tour. Elle la coinça ensuite entre sa peau et son pantalon, de sorte à avoir ses deux bras libres, et elle monta encore un peu plus en hauteur sans trop de difficulté en s'agrippant aux branches les plus solides, avant de s'asseoir sur l'une d'entre elle, la plus épaisse, quand elle considéra être placée hors de portée des Miroirs – qui étaient déjà arrivés sur place et la regardaient de leurs repoussants yeux globuleux. Quand elle était petite, elle montait souvent aux arbres comme elle venait de le faire à cet instant, et avant qu'ils ne déménagent à Eleguerio, elle passait beaucoup de son temps assise sur les branches noires du chêne qui bordait le lac de Diaphane, avec Edel. Mais cette fois-ci, ce n'était pas pour se reposer qu'elle s'était faufilée là ; la situation était bien moins agréable que les autres moments où elle avait pu escalader de la sorte un arbre. Ce jour-là, elle allait devoir être beaucoup plus prudente.

Les Miroirs savaient escalader les maisons – elle l'avait remarqué le jour de leur attaque à l'ancien repère des Sans-Reflets, quand un des leurs était directement entré par la fenêtre de sa chambre, au premier étage –, alors il n'y avait pas de doute sur le fait qu'ils savaient aussi monter aux arbres. Elle n'avait pas de temps à perdre.

Anthémis ressortit sa bouteille, les mains tremblantes, tandis qu'une des deux créatures commençait déjà à monter au tronc. Son cœur battait fort, il cognait contre sa poitrine au point où il lui faisait mal, comme pour essayer de la raisonner, de lui dire que ce qu'elle était en train de faire n'était peut-être pas la solution la plus raisonnable. Mais Anthémis s'en moquait. Il était trop tard pour réfléchir à tout cela.

Elle ouvrit avec peine le bouchon de sa bouteille, car, prise de panique, elle avait du mal à contrôler ses propres doigts, et jeta un dernier coup d'œil à la créature qu'elle allait tuer. Le Miroir était désormais dangereusement près d'elle, elle pouvait l'observer sous toutes ses coutures, de sa peau dure et noire, empestant le brûlé comme une odeur de cadavre carbonisé, jusqu'à son corps entier, long et maigre, cabossé par la forme de ses os tel un véritable squelette ambulant, en passant par ses deux grands yeux ocre, ressortant de son visage comme s'ils s'apprêtaient à sortir de leur orbite, et brillant d'une lueur malsaine qui n'inspirèrent à Anthémis que ses pires cauchemars.

Et pourtant, en apercevant ce corps si maigre, elle reconnut l'anatomie de plusieurs pauvres d'Hodei qu'elle avait déjà eu l'occasion d'observer tout le long de sa vie. Elle revit la maigreur de Mélopée, de Berbéris, et même d'Edel, d'Igor, et de tant de personnes qu'elle avait croisées dans les rues de Lunaria, là où la famine avait crié de ses pleins poumons quelques années auparavant, après la Grande Révolte.

En regardant le visage de ce Miroir, c'est celui d'Ambroisie qui lui vint automatiquement à l'esprit, comme si son fantôme resurgissait de son passé et venait hanter ses nouveaux congénères à la peau ébène.

Anthémis chassa toutes ses pensées de son esprit, sentant des sueurs froides sur son front ; puis, sans s'accorder une nouvelle réflexion de ce style, elle renversa sa bouteille et laissa une bonne partie de son contenu se déverser sur le crâne du Miroir. L'eau ruissela sur le visage de la créature, elle s'infiltra dans son épiderme, noircissant davantage sa peau, la rendant molle et vulnérable à la plus fine des lames, affaiblissant la bête habituellement féroce qui hurla d'agonie, manquant de briser les tympans de la jeune fille.

Puis, la créature se laissa tomber et son corps s'écrasa au sol presque silencieusement comme si elle n'avait été faite que de plumes – car après tout, elle n'avait toujours été qu'un tas d'os, simplement recouverte d'une structure dure comme l'acier mais qui n'était pourtant pas infranchissable.

La jeune fille regarda le Miroir étendu au sol, qui se tordait de douleur, pitoyablement faible. Elle n'avait pas de quoi le tuer directement, mais elle voyait les Sans-Reflets s'approcher, et elle leur confia la tâche de transpercer la peau de la créature pour la rendre inoffensive à jamais.

Le deuxième Miroir arriva plus vite que le premier, mais cette fois-ci, Anthémis n'hésita pas ; alors qu'il venait d'arriver au sommet du tronc, la jeune fille tendit le bras, sa bouteille renversée, et laissa toute l'eau couler sur son crâne et se déverser ensuite sur ses épaules, ses bras, ses doigts, jusqu'à ce que la créature perde le contrôle d'elle-même et commence à crier de la même façon que sa congénère, tombant au sol à ses côtés.

Et alors seulement, Anthémis s'autorisa à respirer et à laisser ses millions de pensées déferler dans son cerveau, comme à chaque fois qu'elle paniquait. C'est uniquement à ce moment-là qu'elle consentit à revoir en esprit le visage d'Ambroisie, pas celui qu'elle avait d'ordinaire, mais celui qu'elle avait adopté en se faisant refléter. Son visage de Miroir, qui était si proche, si ressemblant, si horriblement similaire à celui des deux autres créatures qui hurlaient à s'en déchirer la gorge, au pied du châtaignier. Ambroisie était comme eux, ce qui signifiait qu'ils étaient aussi comme Ambroisie. Ils avaient été humains, et peut-être qu'ils gardaient encore en eux une part d'humanité. Peut-être qu'ils avaient encore des pensées, et que leur cœur continuait de battre pour ceux qu'ils aimaient. Peut-être qu'ils n'étaient pas morts.

La jeune fille secoua la tête pour elle-même, se sentant s'emballer pour un rien. Les Miroirs étaient et resteraient des Miroirs. Ils voulaient la tuer, alors elle leur rendrait la pareille. Et, comme pour se persuader qu'ils n'étaient que des monstres et méritaient de mourir pour de bon, lorsque les Sans-Reflets arrivèrent, elle descendit de son arbre, prit – sans son autorisation – une des dagues d'Opale, et, le visage impassible, trancha la gorge du Miroir le plus maigre.

Tu es aussi affamé de mort humaine qu'étaient affamés les pauvres Lunariens de nourriture, mais ça ne fait pas de toi un humain. Tu es un être ignoble, et je ne te pardonnerai pas d'avoir essayé de me tuer à l'instant, tout comme je ne pardonnerai pas à tes congénères de m'avoir arrachée à ma grande sœur.

Le sang de la créature tachant ses chaussures, Anthémis jeta la dague sur le corps du deuxième Miroir, laissant les Sans-Reflets s'occuper de lui. Elle en avait tué un. Elle s'était prouvé à elle-même qu'elle en était capable. Elle avait chassé toutes ses pensées futiles pour ne se concentrer que sur quoi elle devait se concentrer désormais : survivre.

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