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Chapitre 7 - En route vers l'Est (p.1)

Edel resserra plus fortement son bandage autour de son bras. Le toucher du Miroir lui avait troué le manche de son T-shirt, et il craignait qu'en se cognant à quelqu'un, il ne lui transmette sans le vouloir la sinistre marque de ces monstres traqueurs.

Anthémis le regardait faire sans rien dire. Elle était assise sur une pierre, cachée avec les autres Sans-Reflets – du moins, ceux qui avaient survécu – derrière un énorme rocher qui séparait les bois du cours d'eau de la Diaphane. La terre y était humide, et les Miroirs s'approchaient rarement du fleuve ; ils y étaient donc tranquilles pour un petit moment, mais ne devaient pas trop tarder s'ils voulaient rentrer au repère avant la tombée de la nuit.

C'était Opale qui avait retrouvé Jehan, caché derrière le rocher avec d'autres Sans-Reflets qu'il avait suivi, tremblant de tout son corps, alors qu'elle conduisait justement les autres membres vers cette cachette qu'elle connaissait déjà – sûrement l'avait-elle trouvée durant ses balades dans le fief Ouest que lui interdisait pourtant Adélaïde. Le jeune homme, dont le regard indiquait un sincère soulagement et de la reconnaissance pour l'avoir retrouvé, lui, pauvre chose qui se cachait comme elle le pouvait de la Mort qui semblait vouloir l'attraper dans ses filets, s'était jeté sur Edel dès qu'il l'avait aperçu. Ce comportement n'avait pas manqué de surprendre tout le monde, car Jehan ne s'était jusqu'alors jamais montré affectueux avec personne et aimait se faire passer pour un homme viril qui n'avait jamais peur, ne pleurait pas et ne ressentait aucun sentiment pour personne – à part peut-être de la haine. Pourtant, il s'était retrouvé là, à enlacer Edel, pleurant toutes les larmes de son corps, croyant de nouveau à la vie tandis que sa tête s'était enfouie dans le creux du cou de son ami.

Désormais, les deux jeunes hommes étaient assis l'un à côté de l'autre. Adélaïde les observait de loin. Anthémis, se demandant ce que sa commandante avait à les toiser de la sorte, s'approcha d'elle et se posa en tailleur sur la terre humide.

– Qu'est-ce qu'il y a ? émit la jeune fille.

– Il n'y a rien. Rien du tout. Remets-toi de tes émotions au lieu de causer. Profites-en pour dormir un peu, on est loin d'être au bout du chemin.

– C'est-à-dire ? On rentre au repère après, non ? Il n'est pas si loin, on l'atteindra avant que le soleil ne se couche.

– Je ne sais pas. Opale m'a dit qu'elle avait entendu parler d'un marché plutôt intéressant du côté du fief Est, et qu'on pourrait s'y rendre sans trop de problèmes.

Anthémis fronça les sourcils.

– Un marché ? Au fief Est ? Quel intérêt ? Qu'est-ce que tu veux y acheter ?

– Du métal. On ne peut pas continuer ainsi, il nous faut du métal si on veut se fabriquer un équipement digne de ce nom. (Adélaïde fit un signe de la tête vers Edel.) Regarde-le. Regarde son bras. La douleur se lit encore sur les traits de son visage. (Elle baissa la tête et serra les poings.) Et les autres ...

La femme n'eut pas besoin de préciser à quoi elle pensait lorsqu'elle parlait des « autres ». Anthémis le devinait facilement. Lotti. Et tous ces membres. Ceux qui avaient été étranglés et reflétés sans la moindre hésitation.

– Puisque le plus grand danger avec les Miroirs est de se faire refléter, le meilleur moyen de nous défendre est de nous protéger sous un équipement, une amure, ou n'importe quoi qui soit solide et qui les empêche d'atteindre notre peau. C'est pourquoi nous avons besoin de métal. (Elle soupira.) On en trouve bien dans les matériaux des maisons, et même dans notre propre repère, mais que veux-tu qu'on fasse avec ça ... On ne va tout de même pas se fabriquer quelque chose avec des cuillères et des tuyaux ... Non ... On doit aller au fief Est, c'est la seule solution ...

Adélaïde parlait maintenant plus pour elle-même que pour Anthémis, marmonnant à moitié.

– Mais si on achète du métal, comme tu dis, on va nous le vendre comment ? questionna Anthémis. Je ne pense pas que le métal se vende comme ça.

La commandante haussa les épaules.

– De toute façon, on n'a pas le choix. Si on veut survivre, c'est la seule solution.

Elle prit une gorgée d'eau du fond d'une bouteille, le regard songeur. Anthémis l'observa quelque temps. La femme avait de nouveau son visage normal ; la haine ne se faisait désormais que peu ressentir lorsque l'on croisait ses yeux gris. La jeune fille ne s'étonna pas de voir à quel point Adélaïde détestait les Miroirs ; vu ce qui se tramait sur l'île, tous les habitants qu'il restait devaient éprouver une colère sans limite quand ils croisaient les créatures d'ébène. Mais la peur jouait aussi de la partie, et souvent, gagnait sur la haine. Pourtant, la commandante des Sans-Reflets, elle, n'avait pas l'angoisse qui lui crispait le visage. Non, Adélaïde gardait son sang-froid, et seulement son regard laissait paraître ses sentiments les plus profonds, tous concentrés dans ses iris claires qui pourtant semblaient noircir de rage à la vue des Miroirs.

– Tu nous accompagneras jusqu'au fief Est ? demanda-t-elle à l'adresse d'Anthémis, se rapprochant de la Diaphane pour récupérer de l'eau dans la bouteille qu'elle venait de finir.

– Tu me laisserais vous accompagner ?

– Vu le point où on en est, il est pratiquement aussi risqué de rentrer tout de suite au repère que d'aller jusqu'au fief Est. Il paraît que tous les Miroirs sont concentrés au fief Ouest, et qu'il n'y en a que peu au Sud. De toute façon, on aura besoin de tes mensurations si on veut savoir combien de métal il nous faut.

– D'accord, mais ... qu'est-ce que tu veux qu'on fasse avec du métal ? Tu sais bricoler des trucs avec, toi ?

Pour seule réponse, Adélaïde haussa de nouveau les épaules, ce qui ne rassura pas beaucoup Anthémis. Comment voulait-elle leur fabriquer de parfaites armures avec de simples bouts de métal ? Elle ne s'y connaissait pas dans le domaine, mais il semblait bien à la jeune fille qu'il serait assez présomptueux de penser qu'ils pourraient se bricoler aussi facilement de quoi se défendre sans aucune notion dans la matière, et surtout, avec les simples plaques de métal qu'ils risquaient de payer s'ils demandaient seulement à avoir du « métal ».

Mais elle était prête à les accompagner jusqu'au fief Est. Certes, elle avait cru mourir durant l'heure précédente, et oui, elle avait de nouveau eu ce réflexe de lâche, celui de s'enfuir en laissant les autres derrière elle ; il fallait seulement qu'elle entraîne un peu mieux son sang-froid, et tout devrait mieux se passer ... Enfin, elle l'espérait. Et si c'était pour s'approcher de près du fief Est, cela l'arrangeait plutôt bien ; elle pourrait voir la capitale, Dryadalis, ce qui lui permettrait peut-être de comprendre certaines choses. Après tout, si elle voulait atteindre le palais de la Famille Dirigeante, elle ferait mieux de d'abord se renseigner sur la ville qui formait l'entièreté du fief Est.

Alors qu'Adélaïde était partie parler à Ephrem de son idée d'aller à ce fameux marché, Edel arriva à côté d'Anthémis et s'agenouilla près d'elle. Il ne la regarda pas dans les yeux, se contentant de fixer l'eau qui coulait inlassablement dans la Diaphane. La jeune fille ne vit pas son visage, elle le reconnut par ses cheveux noirs, dont quelques mèches descendaient jusque dans sa nuque. Elle ne dit rien non-plus, glissant silencieusement ses doigts le long de son épaisse et lisse tige de métal, comme pour faire semblant d'être occupée à inspecter l'état de son arme – si l'on pouvait réellement appeler cela une arme.

– Merci pour tout à l'heure, finit par déclarer Edel, sans pour autant regarder Anthémis.

Celle-ci ne répondit rien, toujours plongée dans le même silence qui ne la quittait pas lorsque c'était Edel qui lui adressait la parole.

– Tu as risqué ta propre vie pour sauver la mienne, continua le jeune homme.

Elle se rappela les événements ; Edel pris au piège par le Miroir, elle qui s'était jetée sur eux sans réfléchir, elle qui serait lamentablement morte si Adélaïde n'était pas venue leur porter secours. Ce n'était pas vraiment un sauvetage héroïque. S'il y avait quelqu'un à remercier, ça aurait plutôt été leur commandante, car c'était elle qui avait neutralisé la créature. Mais Anthémis n'en dit rien.

– Merci, répéta Edel, tournant la tête vers le visage de cette dernière.

Toujours aucune réponse de la part de la jeune fille. Il poussa un long soupir.

– Tu pourrais me répondre quelque chose quand même, souffla-t-il. Mais je vois que tu es obstinée à m'ignorer. Dis-moi, qu'est-ce que j'ai fait ? Est-ce que tu as au moins une bonne raison de m'en vouloir ? Je ne comprends pas, tout à l'heure tu étais en train de me défendre, et maintenant tu te remets à faire comme si je n'existais pas. Pourquoi tu me fais ça ?

Anthémis leva soudainement le visage vers Edel. Ses yeux profonds croisèrent ceux du jeune homme, ce qui avait le don de le mettre dans tous ses états à chaque fois. Le sombre de ses iris l'hypnotisèrent, et cette-fois, pas seulement car elle avait, pour lui, les plus beaux yeux du monde – et ce malgré la marque ocre qui tachait son œil gauche –, mais plutôt parce que son regard semblait vouloir lui transmettre quelque chose, une émotion, comme un message codé, au-delà de tout ce que les mots pouvaient signifier.

La tristesse se lisait dans ses yeux. Pourquoi était-elle triste ? Pensait-elle encore à la mort de Mélopée ?

La vérité était que lorsqu'elle croisait le regard d'Edel, Anthémis ne ressentait qu'un grand vide. Pas son vide à elle. Son vide à lui, le vide qu'elle lui laissait en échange de tout l'amour qu'il lui portait. Car elle avait beau essayé de l'imaginer comme les femmes éperdument amoureuses imaginent leur prince charmant dans les contes, elle n'y arrivait pas. Elle ne voulait pas de prince charmant, pas plus qu'elle ne percevait Edel tel quel. Edel était juste Edel. Un garçon adorable, serviable, que personne ne pouvait détester, qui était un petit ange vivant sur Terre. Et peut-être qu'elle l'aimait plus qu'un ami, oui. Elle était attachée à lui comme on s'attache à la dernière personne qu'il nous reste. Mais elle ne lui donnerait jamais l'amour qu'il attendait d'elle, car elle en était incapable. Et ce vide qu'elle lui lançait à la figure la glaçait intérieurement, la culpabilité lui serrait le cœur et lui donnait ce regard triste qu'elle adressait désormais à ce garçon au visage angélique.

Elle baissa les yeux sur le bras recouvert d'un linge blanc et à cause duquel Edel semblait encore souffrir. Et lui vint alors à l'esprit une phrase horrible, qui pourtant résonna et rebondit plusieurs fois contre les parois du crâne d'Anthémis, comme une lugubre mélodie.

Au train où vont les choses, il sera probablement mort avant même qu'il n'ait eu le temps d'espérer que ses sentiments soient réciproques.

Ses yeux s'écarquillèrent à cette simple idée ; non, Edel n'allait pas mourir bientôt. Elle le protégerait. Ou du moins, elle essayerait.

Mais si elle tentait de le protéger comme elle l'avait fait le jour-même, et qu'au lieu de leur permettre de s'enfuir tous les deux, elle se sacrifiait pour lui, elle ne saurait jamais ce qui était arrivé à Ambroisie, elle ne connaîtrait jamais le fin mot de l'histoire ... Sa sœur était morte, elle ne lui devait logiquement plus rien, et pourtant Anthémis continuait de se raccrocher à l'espoir de pouvoir un jour comprendre les événements d'Hodei, de pouvoir se venger de la mort d'Ambroisie. Que valait-il mieux, dans ce cas ? Se sacrifier pour Edel ou sauver la mémoire de sa sœur ?

Adélaïde l'interrompit dans ses pensées lorsqu'elle s'adressa à tous les Sans-Reflets réunis pour leur annoncer que les volontaires pouvaient les accompagner jusqu'au fief Est. La plupart des membres la toisèrent comme si elle avait perdu la tête.

– Quoi ? émit leur commandante. Je sais qu'on sort tout juste d'un événement ... peu agréable, mais nous sommes des Sans-Reflets. Si j'ai créé ce groupe, c'est pour qu'on apprenne plus des Miroirs, plus d'Hodei. Comment voulez-vous qu'on en apprenne plus, qu'on sache se défendre et survivre, si on ne sort jamais du repère ? Oui, on risque la mort à chaque seconde qui s'écoule, je ne le nie pas. Mais en nous intégrant, vous avez accepté de vous confronter à ce danger, et je ne vous ai forcé à rien, c'est vous-même qui avez choisi de nous rejoindre. Que voulez-vous que je vous dise ? Aujourd'hui, notre seul espoir, c'est de nous aventurer jusqu'au fief Est, malgré tous les dangers. Croyez-moi, c'est en allant là-bas qu'on a le plus de chance de survivre, parce que si on arrive à nous fabriquer un équipement solide, on sera bien moins vulnérables face aux Miroirs. Alors, si vous voulez abandonner, allez-y, je ne vous retiens pas. Rentrez au repère.

Les Sans-Reflets n'ajoutèrent rien, personne n'osa prendre la parole. Adélaïde avait beau être assez dure dans ses paroles, elle n'avait pas tort ; ils n'avanceraient à rien s'ils ne se mettaient pas un peu plus en danger et n'allaient pas s'aventurer en dehors de leur repère.

Voyant que personne ne s'en allait, Adélaïde replaça un des sacs de provisions sur son dos et regarda les membres uns par uns, avant de déclarer de son habituel ton autoritaire :

– On y va.

Tout le monde se releva en même temps, prêt à suivre la commandante qui, digne du statut qu'elle s'était elle-même assigné, était la plus motivée d'entre tous pour survivre en cette terre hostile.

Anthémis jeta de nouveau un coup d'œil à Edel. Il essayait de la cacher, mais elle remarquait la faible grimace qui apparaissait légèrement au coin de ses lèvres. Il semblait encore souffrir du toucher du Miroir, et marcher jusqu'au fief Est – c'est-à-dire à l'exact opposé de leur position actuelle en Hodei – allait pour lui être éprouvant. Elle l'aurait bien aidé, mais elle ne savait pas comment. Il n'y avait pas de remède, pas de solution miracle. Il allait devoir supporter cette douleur tout le long du trajet, et personne n'y pouvait rien.

La jeune fille accéléra le pas pour rejoindre Adélaïde.

– Edel ne pourrait pas rentrer au repère ? Il n'est clairement pas en état de se déplacer jusqu'au marché dont tu parles.

La commandante regarda par-dessus son épaule pour observer le jeune homme de loin.

– Il n'a pas bronché quand j'ai dit qu'on irait jusque là-bas, articula Adélaïde en haussant les épaules. Il n'a rien dit, il n'est pas parti. Il a accepté de nous accompagner, quand bien même j'ai annoncé que ceux qui voulaient rentrer le pouvaient. C'est à lui de prendre la décision, pas à moi.

Sur ces dernières paroles, elle tourna le dos à Anthémis et commença à s'orienter à l'aide d'une carte d'Hodei, de sorte à se diriger vers l'Est et à ne pas trop traîner dans la région.

La jeune fille regarda à son tour Edel, accompagné de Jehan qui semblait lui aussi s'inquiéter pour son ami – c'était bien la première fois qu'elle le voyait s'enquérir de l'état de quelqu'un. Effectivement, malgré la marque du Miroir qui lui tenaillait le bras, il avait l'air décidé à suivre les Sans-Reflets jusqu'au bout. Si c'était son choix, alors soit ; elle savait bien que le laisser rentrer au repère seul n'était pas non-plus une bonne idée, alors elle n'ajouta rien et se contenta de suivre les membres vers là où les menait Adélaïde, dans les terrains quasi-inconnus qu'elle avait pourtant déjà visités une fois, lorsqu'elle s'était échappée de l'attaque de Lunaria.

*

Le bleu nuit avait désormais avalé le ciel, plongeant Hodei dans l'obscurité, bercée par l'éclat du croissant de lune qui régnait au-dessus des nuages. Une douce senteur se dégageait de la pinède qui bordait les limites du fief Ouest, intensifiée par la chaleur de cette soirée de printemps. Le silence se faisait roi parmi les membres des Sans-Reflets, qui s'étaient arrêtés juste à l'entrée du fief Sud, mais le calme ne se faisait pas vraiment ressentir en leur intérieur ; toujours aux aguets, ils craignaient qu'un Miroir, ou pire, qu'une horde de Miroirs ne les attaque – ce pourquoi ils s'étaient décidés, et ce même si les créatures d'ébène avaient mauvaise ouïe, de peu parler entre eux afin de faire le moins de bruit possible.

Adélaïde et Opale se désignèrent pour tenir la garde en premier, tandis que les autres membres pouvaient se permettre un petit somme. De toute manière, ils ne pouvaient pas continuer la marche à la faible lueur de leurs bougies, et cela risquerait en plus d'attirer les Miroirs, car même si leur ouïe n'était pas parfaite, leur vue, elle, était d'une précision peu commune ; leurs yeux étaient perçants, et ils pouvaient repérer leur proie à une distance impressionnante, surtout si celle-ci avait eu le malheur de faire un bruit un peu trop fort, et ce même dans le noir de la nuit.

Anthémis s'installa au pied d'un pin, et se roula en boule en priant pour qu'aucun désagrément ne vienne troubler son sommeil ; elle avait bien besoin de dormir, la journée l'avait exténuée – comme elle avait probablement exténué les autres Sans-Reflets. Pourtant, de leur côté, les deux femmes qui tenaient la garde pour ce début de nuit n'avaient pas l'air d'énormément souffrir de la fatigue. Adélaïde était assise, le dos contre un tronc, regardant la lisière de la forêt avec concentration, attendant qu'un Miroir surgisse sans prévenir, et Opale se faisait une couronne avec les fleurs et les fougères qui se trouvaient à disponibilité, comme une petite fille jouerait sans se douter le moins du monde qu'elle pourrait potentiellement être en danger de mort – mais Opale se moquait apparemment bien de savoir si les Miroirs l'attaqueraient ou non. Anthémis ne se demanda même pas comment la jeune femme pouvait réussir à se confectionner une couronne pendant la nuit, à l'ombre des pins. Son œuvre devait sûrement ressembler à tout sauf à une couronne, pourtant, lorsque Opale remarqua que l'adolescente la regardait, elle posa les plantes sur sa tête et déclara, un grand sourire accroché à ses lèvres, qu'elle était une princesse. Anthémis détourna les yeux sans répondre, toujours apeurée par l'inquiétant sourire d'Opale, et préféra essayer de dormir en laissant la jeune femme à ses occupations.

De sombres nuages vinrent bientôt obscurcir davantage le ciel, dissimulant l'éclat de la lune. Opale reposa sa couronne végétale sur ses cuisses, et soupira légèrement, les yeux rivés, comme ceux de sa commandante, vers l'horizon qui se laissait apercevoir entre les pins. La marque des Miroirs qui lui collait au crâne et qu'elle cachait sous sa perruque laissait parfois une faible lueur jaunâtre traverser ses iris ; de la même façon que les créatures d'ébène percevaient le moindre détail même dans les ténèbres de la nuit, elle avait remarqué que ses yeux s'habituaient eux aussi plus vite à l'obscurité qu'auparavant. Les autres avaient beau penser que le toucher du Miroir avait endommagé son cerveau, et qu'elle était devenue folle à cause de ça, elle, elle ne voyait pas où était le problème ; elle avait beaucoup souffert de cette créature qui s'était jetée sur elle et dont le toucher avait ravagé sa peau et fait tomber tous ses cheveux un par un, mais si cela lui permettait de voir plus facilement dans la nuit, ça ne la dérangeait pas tellement. Quand elle l'avait raconté à Ephrem, il avait eu du mal à la comprendre. Comment pouvait-on ne pas plus s'inquiéter de cette marque noire qui tachait son crâne, la zone probablement la plus sensible au toucher des Miroirs ? Il s'était vite résigné à arrêter d'essayer de comprendre la façon de penser d'Opale lorsqu'il avait remarqué la fascination qu'elle portait à l'égard de ces monstres traqueurs.

*

La nuit passa sans encombre, ce qui était presque un miracle étant donné tous les Miroirs qui auraient dû se trouver à proximité. Anthémis se réveilla avec peine, les cheveux pleins de brins d'herbe, et les habits de terre. Elle n'avait pas passé une nuit très agréable, mais au moins, elle avait pu dormir.

Elle remarqua qu'Edel s'était rapproché d'elle – consciemment ou non – pendant son sommeil. Il avait encore les yeux fermés, le visage protégé de l'herbe humide par ses deux mains, et son corps était roulé en boule. Il ne manquait plus qu'il mette son pouce à sa bouche pour compléter ce tableau digne d'une sieste de bébé. Il était adorable, mais Anthémis ne voulut pas trop le contempler, car elle sentait en elle ce vide qui s'agrandissait de plus en plus à la vision du jeune homme.

Jehan s'était levé, et n'hésita pas à réveiller Edel en le secouant légèrement, comme Ambroisie réveillait Anthémis les matins d'école, d'une façon très douce, presque maternelle. En vérité, elle avait du mal à comprendre pourquoi Jehan était aussi tendre avec Edel, en restant aussi brutal et insupportable avec elle et les autres.

Tandis qu'Edel se réveillait en se frottant les yeux, Jehan dut sentir le regard d'Anthémis sur lui, car il leva les yeux vers elle. Ses deux grands yeux bruns la toisèrent avec mépris, comme s'ils lui reprochaient quelque chose. La jeune fille avait l'habitude de ce regard mauvais, mais elle comprit que cette fois-ci, ce n'était pas de la méchanceté gratuite, mais qu'il lui en voulait vraiment ; ça se voyait dans ses yeux, ils la fixaient avec tant d'intensité qu'elle se sentit tout à coup de trop, comme si elle avait réellement commis un acte grave. Mais qu'avait-elle bien pu faire qui aurait à ce point vexé Jehan, lui qui habituellement aimait se faire passer pour un homme insensible ?

Puis, alors qu'Edel se levait, les yeux de Jehan indiquèrent à Anthémis le bandage que le blessé portait à son bras, et la jeune fille comprit ; il lui reprochait de ne pas avoir su protéger correctement le jeune homme. Cette remarque silencieuse, qui n'avait pas même été prononcée par des mots mais seulement par le regard méprisant de Jehan, ne blessa pas énormément Anthémis ; elle s'en voulait déjà de ne pas avoir été plus maline la veille, quand Edel était sous l'emprise du Miroir, mais elle n'avait pas plus à se reprocher que Jehan. Ce dernier n'avait même pas cherché à aider les autres, il s'était directement enfui sans jeter un seul regard à son ami. Et c'était à elle de s'en vouloir ?

Les deux jeunes gens furent tirés de leur jeu de regards par une déclaration d'Adélaïde, qui les incitait à tous reprendre le chemin, en leur assurant que la route jusqu'au fief Est ne serait plus très longue – affirmation qui manqua de faire rire jaune Anthémis, car elle savait bien qu'il restait encore tout le fief Sud à traverser de leurs pauvres pieds fatigués, et qu'elle n'avait jamais senti Dryadalis aussi éloignée d'elle que ce jour-là.

– Pour plus de sécurité, on va séparer le groupe, déclara Adélaïde. On sera plus discrets ainsi. J'ai réfléchi à des groupes stratégiques, mélangeant les personnes les plus à l'aise avec les Miroirs avec les plus trouillards, pour que ce soit plus ou moins équitable.

Elle se plaça en hauteur, sur un petit rocher, et commença à faire la liste de tous les groupes :

– Ephrem, tu pars avec Herveva, Edel et Auro. Opale, tu y vas avec Jehan, Azalée, Nazar et Liska. Jasper, vas-y avec Gwladys et Ukyo. Et moi, j'irai avec Colin, Pritha, Anthémis et Morine.

Elle avait énuméré tous les prénoms d'une traite, et elle dut reprendre son souffle après avoir fini de parler. Dès que le dernier nom fut épelé, des chuchotements se firent entendre entre les différents membres. Certains étaient déçus de ne pas se retrouver avec leurs amis, d'autres étaient rassurés d'être dans le même groupe qu'Ephrem, Adélaïde ou ce certain Jasper parce qu'ils savaient qu'ils ne risquaient rien avec eux. Anthémis, quant à elle, se posait une question cruciale : si Adélaïde avait mélangé des personnes à l'aise avec les Miroirs avec des trouillards, comme elle l'avait annoncé sans mâcher ses mots, dans quelle catégorie se trouvait la jeune fille ... ?

Adélaïde attendit que le calme se fasse entre les membres des Sans-Reflets, avant d'indiquer à chaque groupe la direction qu'il devait prendre.

– Chaque meneur de groupe est en possession d'une carte d'Hodei ou au moins d'une carte du fief Sud. On se dirige tous vers l'Est. On se rejoint à la frontière entre les fiefs Sud et Est. On ne s'éloignera pas trop entre nous, comme ça, si jamais un Miroir arrive, on sera tous à proximité.

Elle leur lança à chacun un regard dur, et prit une voix sèche et autoritaire avant de déclarer :

– Mais je compte sur vous pour ne pas vous faire repérer.

Cette dernière phrase sonnait presque comme une menace que donnerait une mère à ses enfants ; s'ils se faisaient piéger par les Miroirs, Adélaïde allait se fâcher. Et étrangement, cette menace suffit à la plupart des membres pour comprendre qu'ils allaient devoir se montrer discrets tout le long du trajet.

Adélaïde descendit de son rocher et enfila sur son dos son gros sac rempli à craquer de provisions, avant de continuer la marche sans ajouter un seul mot. Les groupes se firent naturellement, dans le plus grand des silences. Anthémis entendit tout de même à côté d'elle les membres du groupe d'Opale se lamenter de se retrouver avec elle, car même si c'était très probablement la plus agile avec les Miroirs, elle était loin d'être rassurante. Un des membres chuchota même qu'Opale lui « filait des cauchemars », et étrangement, Anthémis ne put que comprendre cette confidence.

La jeune fille alla rejoindre sa commandante, aux côtés de ses coéquipiers pour cette expédition improvisée. Elle avait déjà vu ces derniers durant les repas, mais elle ne leur avait jamais parlé ; il faut dire qu'elle était loin d'être très bavarde. Elle tenta de leur coller un prénom sur le front, les prénoms qu'Adélaïde avait épelés quelques minutes auparavant, mais elle en fut incapable. Voilà six mois déjà qu'elle cohabitait avec eux, et elle ne se souvenait toujours pas de leur prénom. Quand elle s'en rendit compte, Anthémis se sentit d'abord vraiment pathétique, et puis, finalement, elle haussa les épaules pour elle-même et se dit que ces gens devaient eux aussi bien se moquer de sa pauvre existence.

Et les Sans-Reflets continuèrent la longue marche qui les mènerait au fief Est, le fief protégé de la Famille Dirigeante, le fief qui leur était interdit, en espérant rester en vie d'ici-là.

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