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Chapitre 4 - L'Antre du Néant

Quatre mois s'étaient écoulés depuis l'anniversaire de Mélopée. Quatre mois pendant lesquels les Sans-Reflets avaient travaillé dur pour récolter quelques informations concernant les Miroirs. Il était question de leur confectionner à chacun-e une armure de métal qui saurait les protéger du toucher des créatures, mais encore fallait-il trouver assez de cuir ou de plate pour cela.

Le printemps s'étant installé et le beau temps étant plus ou moins revenu, les membres purent partir de nouveau en expédition ; ils n'avaient pas remarqué beaucoup de Miroirs durant l'hiver, probablement parce qu'ils étaient tous agglutinés autre part en Hodei, dans un autre fief. En y pensant, les Sans-Reflets avaient beaucoup de chance : jamais aucune des créatures d'ébène ne s'était approchée trop près de leur repère, et même quand c'était le cas, Opale se chargeait de la renvoyer un peu plus loin. La jeune femme était nettement plus à l'aise avec les Miroirs que n'importe quel autre membre. Elle avait l'agilité d'un chat, une telle rapidité qu'on peinait à la voir clairement à l'action, et une confiance en elle absolue. Lorsqu'elle sautait, durant quelques instants elle semblait voler dans les airs comme si elle avait été de plumes ; elle maniait son arme fétiche, Ekaitza, à la perfection bien qu'elle eût été lourde, et tous ses gestes étaient nets, précis, tranchants et auraient été mortels s'ils n'étaient pas adressés à un Miroir. Malheureusement, la lame coupante qu'elle possédait ne suffisait pas à stopper les créatures et ne leur infligeait aucun dégât. Leur peau était dure comme de l'acier, rien ne parvenait à la couper. Opale pouvait simplement les attirer plus loin et se sauver discrètement sans se faire repérer.

Adélaïde refusait toujours catégoriquement d'emmener Anthémis avec eux lors des expéditions, alors que même Jehan, qui était loin d'être aussi confiant qu'elle, était désormais accepté. La jeune fille restait alors au repère avec Mélopée et Edel, et, bien qu'elle appréciait ces deux-là, elle était toujours d'une humeur exécrable. Oui, elle était jeune. Oui, elle n'avait que quinze ans. Oui, elle avait dû être sauvée par Adélaïde, puis par Opale. Pourtant, le jour de l'attaque de Lunaria, elle s'en était très bien sortie toute seule, bien qu'elle s'était fait toucher – mais qu'importait ? Elle était toujours vivante.

En bref, rien de bien intéressant ne s'était produit en quatre mois, et la vie poursuivait son chemin du côté des Sans-Reflets tandis que les Miroirs continuaient de coloniser Hodei.

Le mois de mars avait été un véritable déluge ; la pluie ne cessait de s'échapper en trombe des nuages, s'écrasant au sol en des milliers de petits clapotis. Un pas dehors suffisait à être trempé-e jusqu'à l'os, donnant l'impression d'avoir pris un bain – chose qui était d'un certain côté assez pratique, étant donné qu'habituellement, les Sans-Reflets devaient aller pomper de l'eau dans le lac de Diaphane pour pouvoir se laver.

Malheureusement, une goutte s'écrasant contre le front d'Anthémis pendant la nuit lui avait suffi à comprendre que le toit avait été endommagé. Le matin-même, le parquet de sa chambre était recouvert d'eau de pluie. Il avait fallut poser des seaux là où la fuite se situait, et le changer régulièrement dès qu'il était plein à ras-bord.

Avril avait fini par frapper aux portes, et la pluie s'était quelque peu calmée. Le seau d'eau était resté à sa place au-cas-où, mais Anthémis et Mélopée étaient soulagées de ne plus avoir à être réveillées chaque nuit par le bruit des gouttes tombant par dizaines dans le métal qui formait l'ustensile.

Le beau temps était enfin revenu, les expéditions reprenaient, et Mélopée passait tout son temps dehors à profiter du pâle soleil d'un début de printemps.

Ce jour-là, Anthémis parcourait les alentours du repère. Tous les autres Sans-Reflets étaient à l'intérieur, et la plupart semblaient trop occupés pour penser à venir la déranger et lui ordonner d'aller passer un coup de balais. Elle en avait assez d'être leur esclave, ce n'était pas à cela qu'elle pensait lorsqu'elle avait dit vouloir se rendre utile.

C'était un bel après-midi ; le soleil tapait sur la peau, une agréable brise presque estivale agrémentait la douceur du paysage. L'eau du lac de Diaphane brillait en des milliers de diamants à la lumière filtrée entre les feuilles des arbres, contrastant avec le noir profond de l'ombre des vaguelettes. Anthémis se baissa, balança sa main dans l'eau qui émit un irrésistible bruit à ses oreilles, la faisant frémir. L'endroit était si paisible ! Elle fut tentée de se baigner entièrement, comme si l'eau elle-même l'appelait et l'invitait à plonger dans sa douce froideur. La jeune fille, ayant tout son temps devant elle, finit par se laisser aller au gré de ses envies. Elle retira sa robe, ne laissant sur elle que ses sous-vêtements de coton. Elle plongea directement dans les profondeurs du lac, chose qu'elle ne regretta pas malgré l'eau qui lui glaçait le corps et semblait vouloir lui transpercer la peau et la transformer en glace. Au contraire, cette sensation lui procura un bonheur comme elle n'en avait pas ressenti depuis longtemps ; elle se revoyait, arpentant la rivière d'Ibai, ou apprenant à nager sous les instructions d'Ambroisie. Ce passé si agréable lui revint immédiatement en mémoire, et la tendresse d'une nage libre lui réchauffa le cœur en un instant, bien que son corps ait été frigorifié.

Elle continua de nager rapidement et avec aisance, baignant son corps dans le cœur et les profondeurs du lac. Quand son plaisir fut comblé et qu'elle fut rassasiée de sa baignade, Anthémis sortit de l'eau en deux, trois mouvements et attrapa sa robe en vitesse lorsqu'elle entendit des bruits de pas près d'elle. Elle tourna la tête et reconnut Edel, les mains dans les poches. Il rougit immédiatement quand il vit la tenue de la jeune fille et détourna le regard.

– Mélopée te cherche, lui dit-il simplement.

Anthémis enfila sa robe, la peau encore mouillée, et jeta un petit regard gêné vers le jeune garçon.

– Où est-ce qu'elle est ? s'enquit-elle.

– Dans le jardin, là où les fleurs ont poussé. Elle m'a aussi demandé de venir.

La jeune fille acquiesça. Elle se sentait embarrassée, non-pas parce qu'Edel l'avait surprise en sous-vêtements, mais à cause d'un événement qui s'était produit quelques jours auparavant, et dont elle préférait taire le souvenir.

Elle se dirigea donc vers l'endroit que lui avait désigné son ami, revigorée par sa nage. Edel la suivit, mais resta en retrait. Lui aussi était gêné.

Ils arrivèrent rapidement là où les attendait Mélopée, assise sur l'herbe, dos au petit bois qui séparait leur repère de Loreak, à deux ou trois kilomètres de là.

Ses cache-œils en forme de fleur contrastaient ironiquement avec les véritables plantes à côté desquelles la femme s'était installée ; des pavots, des mauves et des aubriètes jonchaient le sol en un désordre étrangement harmonieux. Ce petit coin coloré avait été repéré par Edel, et il avait immédiatement pensé à Mélopée, elle qui aimait tendrement les fleurs. Cette dernière profitait du soleil en s'asseyant à même le sol, exactement comme elle le faisait à ce moment-là.

– Mélopée ? Tu voulais nous parler ? l'interrogea Anthémis en s'asseyant à ses côtés.

– Oui. Cela fait longtemps que nous ne nous sommes pas retrouvés tous les trois ensemble, sourit la Pythonisse. Discutons un peu au soleil.

La jeune fille arqua un sourcil. Discuter au soleil ? Elle les avait appelés simplement pour discuter de choses et d'autres ? Elle avait cru que quelque chose de grave se produisait !

– La prochaine fois que tu veux nous parler, précise qu'il n'arrive rien d'important, soupira-t-elle. Tu m'as fait peur.

– Ce n'était pas mon intention, désolée.

Edel s'assit à son tour et toucha du bout du doigt une petite marguerite cachée derrière les dizaines d'autres fleurs. Son regard devint tout à coup d'une grande douceur, et un petit sourire apparut sur ses lèvres.

– Cet endroit est vraiment joli, commenta-t-il.

Presque trop parfait, songea Anthémis. Le ciel était bleu, le soleil laissait une agréable sensation de chaleur sur leur épiderme, les fleurs regorgeaient de santé et de beauté.

Mélopée s'allongea auprès des plantes aux corolles multicolores, ses cheveux ondulant autour de sa tête à la façon d'une auréole.

– De quoi tu veux parler ? lui demanda la jeune fille, rapprochant ses genoux de son buste et les entourant de ses bras.

– Je ne sais pas. Qu'avez-vous tous les deux à raconter ?

Anthémis maugréa. Mélopée, qui auparavant était assez renfermée, s'était peu à peu ouverte à eux, voire un peu trop. Désormais, elle aimait tant écouter les histoires des autres et conter les siennes qu'elle semblait complètement changée de ce côté-là. Le problème ? Anthémis détestait parler de sa vie, même à ses amis. Elle le faisait quand ça lui chantait, pas quand Mélopée lui demandait de le faire.

– Absolument rien, grogna-t-elle.

– Allons, n'as-tu pas quelques anecdotes à nous faire part ?

– Aucune.

Edel restait près des deux femmes, ne parlant que très peu. Sa proximité avec Anthémis le mettait mal à l'aise autant qu'elle le rendait heureux, et il ne savait pas comment gérer ces sentiments qui lui entravaient le cœur. Il se contentait d'admirer les fleurs en un silence presque total, tandis que la jeune fille écoutait ce qu'avait Mélopée à raconter, comme si elle avait été son nouveau journal intime.

Le temps passa sous la chaleur d'un fin de mois d'avril. Le soleil était déjà bas dans le ciel lorsque la Pythonisse se redressa et retira de ses volumineux cheveux les brindilles qui s'y étaient installées. Les lumineuses couleurs filtrant à travers les nuages semblèrent embraser ses mèches folles. La jeune fille la regarda sans rien dire. Une pensée lui traversa l'esprit.

La chaleur.

La beauté du paysage.

Les pétales veloutés des fleurs.

Le sourire de Mélopée.

Tout était trop parfait.

À cette pensée, Anthémis eut l'impression que l'atmosphère venait de changer. Lourde, pesante, presque irrespirable.

Elle se leva en vitesse et jeta un coup d'œil au repère. Tout semblait normal. Alors pourquoi avait-elle la sensation de suffoquer ?

Elle tourna les yeux vers ses deux compagnons, s'apprêtant à leur demander s'ils ne ressentaient pas la même chose qu'elle, lorsque son souffle fut coupé court. Mais pour une tout autre raison.

Un cri de femme perça le silence.

Pas le sien.

Celui de Mélopée.

Les images défilèrent à une vitesse inouïe.

Deux yeux ocre et meurtriers.

Un corps criant à l'agonie.

Une créature surgissant des ténèbres, venue prendre la vie de cette femme qui ne savait se défendre.

La peau à la couleur carbonisée, un visage déformé par l'horreur, par la douleur, par l'agonie, par la peur.

La conscience qu'il n'y avait pas de sortie de secours. Qu'il n'y avait pas d'échappatoire. Qu'il n'y en aurait plus jamais.

Mélopée hurlant à s'en briser la voix, submergée par la plus violente des souffrances, par la sensation d'un feu qui semblait s'embraser sur chaque parcelle de son épiderme, par ce vide qui la rongeait en son intérieur, qui dévorait ses tripes et son cœur, qui lui aspirait jusqu'à sa dernière goutte de sang.

Anthémis y revit Ambroisie.

L'histoire recommençait. Ou plutôt, se prolongeait.

Elle fut incapable de réagir à temps, paralysée par une kyrielle de souvenirs l'aveuglant et dont elle n'arrivait pas à effacer les images.

Ce fut Edel qui la sortit de sa stupeur, l'attrapant brusquement par le poignet et l'entraînant avec lui vers le repère. Elle comprit alors la situation et reprit ses esprits.

Un Miroir était apparu du bois environnant, ils ne l'avaient pas vu arriver. Il s'en était pris à Mélopée. À la plus faible.

Elle était en train de mourir devant leurs yeux et ils l'abandonnaient, comme Anthémis avait abandonné Ambroisie. Telle la lâche qu'elle était.

– NON ! hurla-t-elle du plus fort qu'elle le put, possédée par une énergie qui s'accrocha à chacune de ses articulations, qui la contrôla et lui donna la sensation d'être capable de tout à cet instant.

Elle se dégagea de l'emprise d'Edel avec violence, mais celui-ci la rattrapa dans sa course effrénée et la prit par les épaules. Leur regard se croisèrent. Celui du jeune garçon était empli d'angoisse. Il n'eut rien à dire. Seul ses yeux pouvaient communiquer la phrase qu'il voulait formuler mais qu'il n'aurait su exprimer avec des mots.

Anthémis se stoppa net, et sa vie sembla défiler devant ses yeux comme si c'était elle qui était en train de rendre l'âme.

*

La pluie tombait averse cette soirée-là ; les deux jeunes gens s'étaient abrités sur les branches du grand arbre au tronc noir dont les feuilles empêchaient les gouttes de les atteindre, près du lac de Diaphane. Anthémis, de loin, observait chaque parcelle du repère, où la lumière de la cuisine était allumée. On pouvait y discerner Jehan cuisiner calmement, ses sourcils froncés marquant sa grande concentration sur ce qu'il entreprenait. Pourtant, la jeune fille aurait parié que la pièce devait être envahie d'une forte odeur de brûlé. Il n'était vraiment pas doué en cuisine.

Assise ainsi sur sa branche, elle inspira un grand coup de l'air frais de cette fin de journée et se sentit bien. Edel était à ses côtés et brodait des petits motifs de feuilles orangées sur le bonnet qu'il prévoyait de porter pour l'automne prochain. Anthémis lui jeta un coup d'œil, un petit sourire au coin des lèvres. Le jeune garçon le remarqua et lui demanda ce qui la faisait rire. Elle ne répondit pas et retourna son regard vers la pluie.

Anthémis, je peux te poser une question ?

La jeune fille tourna les yeux vers lui, ce qui fit frémir Edel, comme à chaque fois qu'il avait l'occasion de se sentir scruté par ce regard non-pas doux ni chaleureux, mais d'une sincérité sans égale.

Comment tu fais pour te montrer toujours aussi dénuée de sentiment ? Tu es toujours neutre, du moins la plupart du temps, et quand tu souris, tu refuses de me dire pourquoi. C'est pas juste. Toutes mes émotions se lisent sur mon visage, je suis sûr qu'à l'heure actuelle, tu sais tout ce que je ressens. (Ses joues rosèrent, comme pour illustrer son propos.) Alors que toi, personne ne sait ce que tu ressens, ni même ce que tu penses de moi, de nous tous.

Anthémis n'était pas une grande connaisseuse en sentiments, mais elle commençait à comprendre où Edel voulait en venir ; et elle ne savait pas comment réagir.

Tu veux savoir ce que je pense de vous tous ?

Oui.

La jeune fille réfléchit à peine à la question avant de répondre sans plus hésiter :

Nous sommes tous des imbéciles.

Elle le pensait sincèrement. Elle n'avait pas une grande estime en la nature humaine depuis qu'elle savait ce que les Hommes étaient capables d'infliger aux autres et au monde entier. Ils étaient vraiment stupides. Ils détruisaient tout, jusqu'à eux-mêmes.

Edel soupira. Son cas était désespéré ; à quoi bon s'attacher à une personne comme Anthémis lorsque celle-ci n'a aucune compassion ? Il s'apprêta à descendre de l'arbre, le cœur gros face à la réplique de la jeune fille, lorsque celle-ci rajouta :

Mais tu es un des plus intelligents de ces imbéciles.

Ils se regardèrent tous les deux.

Voilà ce que je pense, continua Anthémis, qui se retenait de détourner les yeux, gênée de cette situation à laquelle elle n'était pas habituée.

Les yeux d'Edel reprirent de leur enthousiasme à nouveau, et il respira un bon coup comme s'il avait perdu l'usage de ses poumons durant un instant.

Hum ... merci ? sourit-il.

Il savait pertinemment que ce compliment était le plus beau qu'Anthémis lui ait un jour fait. L'espoir revint dans son regard, tandis que la jeune fille ne le quittait pas des yeux. Il sentit des palpitations dans son cœur alors qu'il plongeait dans la profondeur des yeux de celle qu'il s'était avoué aimer.

Le geste vint tout seul. Il n'eut pas besoin d'y réfléchir, c'était naturel.

Il approcha doucement son visage de celui de la jeune fille, ne quittant pas ses yeux du regard. Anthémis comprit immédiatement ce qu'il s'apprêtait à faire, et elle était bien contente qu'il n'y soit pas allé brusquement ; ainsi, elle avait le temps de le stopper.

Elle posa sa main sur le bras d'Edel pour lui faire signe d'arrêter, et détourna les yeux.

Le sang lui montait à la tête. Elle était très gênée.

Elle n'avait jamais pensé au jeune garçon de cette façon, et n'était pas prête de le faire. Ne sachant quoi dire, elle se contenta de descendre de l'arbre lorsqu'elle entendit l'appel de Jehan à table, et laissa Edel, seul et penaud, méditer sur ce qui venait de se passer.

*

Anthémis n'eut pas le temps de comprendre ce qui était en train de se passer qu'Edel l'attira à lui et l'entraîna le plus loin possible en courant de toutes ses forces. D'autres Miroirs arrivaient.

Elle ne vit que Mélopée, perdant sa forme humaine peu à peu, sa voix autrefois mélodieuse s'étouffant dans un hurlement strident à en déchirer les tympans. Ne pouvaient-ils donc rien faire pour lui sauver la vie ? Devaient-ils se contenter de fuir comme des lâches, de courir au loin en espérant survivre encore quelques jours supplémentaires en ayant sa mort sur la conscience ? En revoyant en boucle les images de ce jour-là, comme Anthémis avait rêvé des milliers de fois de cette nuit où lui avait été arrachée Ambroisie ?

Le temps continuait de s'écouler, les Miroirs d'avancer. Edel voulait fuir, voulait sauver Anthémis puisqu'il n'avait pas pu protéger Mélopée. C'était trop tard. La Pythonisse avait probablement déjà disparu, et tout ce qui restait d'elle était ce cri de plus en plus rauque, qui lui non-plus ne tarderait pas à expulser la dernière trace d'humanité présente dans son être.

Ils ne pouvaient plus rien pour Mélopée.

Elle était déjà partie.

*

Courir.

S'enfuir.

Ne plus revenir.

Telles étaient les règles pour échapper aux Miroirs. Mais Anthémis en avait assez de fuir, de courir à s'en décrocher les jambes, de sentir son cœur cogner contre sa poitrine comme s'il voulait s'y déloger. L'angoisse finirait par la tuer.

Et même les mains chaudes d'Edel tenant fermement son poignet ne sauraient la consoler. Ses mains n'étaient pas très agréables, de toute manière. Elles étaient moites.

Les deux jeunes gens arrivèrent au repère des Sans-Reflets avant que les Miroirs ne les rattrapent, et le jeune garçon alla prévenir tous les membres tandis qu'Anthémis montait les escaliers et partait chercher ses affaires. Elle savait que s'ils ne s'en allaient pas tout de suite, ce serait la fin, et elle ne pouvait se résoudre à quitter cette maison sans prendre avec elle ce qui lui était le plus cher. Dès qu'elle fit ses premiers pas dans sa chambre, elle se jeta sur le portrait de sa famille qui reposait sur une petite table de chevet en bois et le porta à son cœur. Ses mains et ses jambes tremblaient comme jamais, sa vision se brouillait.

Je n'en peux plus.

Malgré les larmes qui lui floutaient la vue, les yeux d'Anthémis se posèrent sur les affaires de Mélopée. Sur son journal. Devait-elle en prendre possession, pour garder à jamais le souvenir de la femme qu'elle était, plutôt que de laisser tout son passé encré à l'abandon dans cette maison assaillie par les Miroirs ?

Au même moment, un bruit retentit au fond de la pièce. Lorsque la jeune fille s'y précipita pour fermer la fenêtre, il était déjà trop tard. Une main couleur ébène s'agrippa au rebord de la lucarne. Un des Miroirs avait escaladé la façade pour atteindre sa chambre, comme s'il avait senti son odeur.

Le souffle court, Anthémis essaya de lui fermer la fenêtre au nez, mais la créature interposa son bras entre l'intérieur de la chambre et la vitre, tout en prenant appui sur le rebord de l'autre bras. La jeune fille, tentant tant bien que mal de repousser le Miroir, songea qu'elle ferait mieux de partir au plus de vite de la pièce. Elle ne pourrait pas tenir éloignée la créature très longtemps.

La force que son bras exerçait contre les carreaux, luttant contre celle d'Anthémis qui, dans un geste désespéré, continuait d'essayer de refermer la fenêtre, finit par faire éclater le verre. La jeune fille recula immédiatement et manqua de s'écorcher avec les débris de la vitre. Le Miroir en profita pour entrer dans la chambre. Anthémis attrapa son épaisse tige de métal et, lorsque la créature se jeta sur elle, usa toute sa force dans le coup qu'elle lui lança en pleine poitrine. Son ennemi fut ralenti, lui laissant tout juste le temps de s'éloigner de quelques mètres, mais ce court moment de répit prit vite fin et le Miroir s'agrippa aux jambes de la jeune fille pour la faire tomber – ce qui ne manqua pas.

Elle devait fuir. Tout de suite.

Le ventre contre le parquet, le Miroir ne lâchant pas ses jambes, seul son instinct de survie la dictait, seule la force de ses mains tandis qu'elle rampait au sol comme elle le pouvait la faisait avancer. Ses jambes la brûlaient, peu importait. Le sol était jonché de morceaux de verre coupants, peu importait. Elle devait survivre, c'était la seule chose qui importait à ses yeux.

Dans un élan d'énergie, Anthémis mania sa tige de métal comme elle le put – et comme sa position allongée le lui permettait – et l'asséna violemment sur la tête du Miroir. Ce dernier, légèrement étourdi, réduit sa pression autour des jambes de la jeune fille, ce qui lui laissa tout juste le temps de se dégager de son emprise et de se relever. À peine eut-elle accompli ces deux actions que la créature reprenait  ses esprits et tentait de se jeter à nouveau sur Anthémis. Cette dernière, à court d'idée pour se défendre à mains nues de la créature, ne vit aucune autre solution que la fuite ; malheureusement, le Miroir lui bloquait le passage, rendant l'accès à la porte de la chambre impossible. Sans réfléchir, la jeune fille s'élança vers le seul endroit lui étant accessible qui saurait la tenir éloignée de la créature, pour un temps du moins : la salle de bain. L'entrée de cette dernière n'était atteignable qu'en passant par la chambre, et un verrou intégré au bois de la porte lui permettrait de retenir le Miroir quelque temps. Cette solution n'était probablement pas la meilleure, mais Anthémis n'en voyait aucune autre et n'arrivait de toute manière pas à réfléchir correctement.

Alors que la main de la créature lui frôlait le dos, elle pénétra dans la salle de bain et referma subitement la porte derrière elle, dont elle activa le verrou. Le Miroir commença à cogner contre le bois, et Anthémis se tint dos contre l'entrée pour essayer de la tenir en place si jamais la créature réussissait à la forcer.

Des gouttes de sueur perlaient sur son front.

Elle n'arrivait pas à se fier à la réalité. Tout était flou autour d'elle sans qu'elle ne comprenne pourquoi. Elle mélangeait souvenirs et réalité. Son esprit était embrouillé dans un méli-mélo incompréhensible. Elle avait mal au crâne, aux jambes et au cœur.

Son visage était mouillé, trempé par les larmes qu'elle n'avait pu retenir.

*

Cette nuit-là, Anthémis, n'arrivant pas à dormir, s'était silencieusement glissée hors de la chambre et s'apprêtait à rejoindre le salon, où les fenêtres donnaient une belle vue du ciel nocturne, lorsqu'elle remarqua une raie de lumière sous la porte de la bibliothèque. Curieuse, elle entrouvrit l'entrée et passa un coup d'œil à la personne qui s'y situait. Elle reconnut immédiatement Mélopée, dans ses habits de la journée, le visage baissé vers la table, sourcils froncés.

Mélopée ? émit la jeune fille. Qu'est-ce que tu fais encore debout à cette heure-ci ?

La jeune femme releva le visage, semblant surprise.

Je te retourne la question, répondit-elle simplement.

Anthémis s'approcha d'elle, interrogative.

Moi je n'arrivais pas à dormir. (Le regard rieur, elle posa une main sur la table.) Et toi, c'est quoi, ton excuse ? Tu sais bien qu'Adélaïde n'aime pas qu'on traîne dans la maison jusqu'à très tard le soir.

Effectivement, la commandante des Sans-Reflets leur avait déconseillé de veiller la nuit s'ils ne voulaient pas qu'elle débarque au moindre bruit et qu'elle les assène de coups. Les membres avaient du mal à s'expliquer ce comportement, mais Adélaïde serait visiblement devenue légèrement paranoïaque depuis le jour de l'attaque d'Ibai, où elle avait été réveillée par le bruit qu'occasionnaient les Miroirs et les cris de ses parents.

Le regard d'Anthémis se posa ensuite sur les feuilles éparpillées sur la table et sur le crayon gras que tenait dans ses doigts Mélopée. Des dizaines de croquis de différentes fleurs aux traits maladroits et légèrement tremblants. Malgré ce détail, la jeune fille – qui n'avait probablement pas un œil très critique en terme de dessin – trouva le travail de la Pythonisse fascinant. Cette dernière poursuivait son entraînement, continuait de perfectionner ses techniques de dessin malgré la vue qui lui avait été interdite. Le dessin était une de ses passions, et pour rien au monde elle ne l'aurait abandonnée. Alors peu importe ce qui tentait de l'empêcher de poursuivre ses envies. Si elle voulait continuer de sentir sous ses doigts le glissement léger et silencieux d'un crayon gras sur le grand blanc d'une feuille de papier, elle le ferait, et au diable son handicap !

À cet instant, Anthémis comprit ce que ressentait Mélopée, elle qui n'aurait quitté l'optique d'un de ses rêves ou d'une de ses passions pour rien au monde. Son entêtement avait été une des premières choses qui l'avait marquée chez la Pythonisse, et la première qu'elle avait admirée.

*

Que devait-elle faire, à présent ? Le Miroir persévérait, essayant d'enfoncer la porte. Il finirait par y parvenir, et Anthémis ne pourrait pas le retenir par la seule force de son corps. Elle devait trouver un moyen de s'en aller, mais son esprit était toujours aussi embrouillé. Elle n'arrivait pas à tirer l'essentiel du chaos que formaient ses millions de pensées lui hantant le cerveau.

Les larmes l'empêchaient de voir correctement.

C'est un cauchemar.

Peu à peu, ses forces se perdirent. Peu à peu, ses doigts se détendirent. Elle n'y arriverait pas. Elle ne tiendrait pas. Ce Miroir pouvait la refléter s'il le souhaitait. C'est ce qui finirait par arriver un jour, de toute manière.

*

Anthémis et Mélopée discutaient tranquillement dans le jardin du repère. Le soleil allait bientôt se lever, il devait être dans les alentours de sept heures du matin. Les deux femmes s'étaient levées tôt, réveillées par le cri qu'avait poussé Anthémis en plein cauchemar. Elle venait une fois de plus de rêver de l'attaque d'Ibai.

Pour lui changer les idées, la Pythonisse lui avait proposé de s'asseoir sur le banc du jardin et d'observer les étoiles d'une douce nuit de mars. L'air était frais, mais il n'y avait rien de plus agréable que de sentir le vent d'un futur printemps sur les joues, en admirant du haut de sa petite taille les astres scintillants qui peuplaient le ciel. Anthémis n'était pas une âme très poétique, mais depuis qu'elle connaissait Mélopée, elle s'était rendu compte que bon nombre de détails anodins de la vie de tous les jours lui paraissaient désormais fascinants. Les étoiles, les fleurs, le vent, les odeurs, le bruissement des feuilles, un sourire réconfortant, le souvenir de sa vie d'autrefois. Il lui fallait profiter de tous ces éléments avant qu'ils ne soient emportés par les Miroirs.

Mélopée lui parla de religion, des cours qu'elle donnait aux enfants des fidèles avant qu'advienne ce qu'elle appela la tragédie.

Tu m'en veux d'avoir dit tout ça sur ta religion ? lui demanda Anthémis.

Qu'as-tu dit sur ma religion ?

Que tu continuais de te voiler la face en te cachant derrière des divinités qui n'existaient pas.

Oh, non, je ne t'en veux pas. Tu n'es pas la seule à penser cela en Hodei. En vérité, je fais partie des derniers à croire encore aux divinités.

Un sourire triste apparut sur ses lèvres, mais elle finit par se raviver, et tourna son visage décoré par ses deux fleurs violettes vers la jeune fille.

Mais tu sais, Anthémis, toi aussi tu crois en quelque chose, lui déclara-t-elle. Tu as mis du temps à y croire, mais c'est finalement arrivé, plus vite que je ne le pensais, même. La première fois que l'on s'est parlées, tu me disais que nous finirions tous par mourir comme ta sœur et qu'il ne servait à rien de prier. Pourtant, à notre seconde rencontre, tu m'as forcée à te suivre jusqu'au fief Ouest pour me sauver des Miroirs alors que je voulais désespérément rester au Temple. Finalement, c'est moi, celle qui espérait le meilleur pour les autres, qui manquait d'espoir. Et c'est toi qui m'as sauvée en te persuadant que nous aurions un moyen de nous échapper, alors que quelques jours auparavant tu étais convaincue que nous finirions tous par rendre l'âme bientôt. (Elle posa une main sur l'épaule de la jeune fille.) Tu n'as peut-être aucune religion, Anthémis, mais tu crois bel et bien en quelque chose, un quelque chose que des centaines, voire des milliers de personnes ont pourtant abandonné. Tu crois en l'espoir. (Un sourire plus grand réapparut sur ses lèvres.) Et cette croyance est une des plus belles qui existent.

*

Mais pouvait-elle encore se permettre d'y croire après ce qui était arrivé ? Après qu'elle ait vu sa sœur puis Mélopée se faire refléter devant ses yeux ?

Le Miroir cogna de son dernier coup avant que le bois de la porte ne craque. Anthémis recula au risque de se prendre le poing de la créature en pleine tête. Elle restait debout, mais ses jambes étaient faibles et continuaient de trembler comme jamais elles ne l'avaient fait.

La plus belle des croyances.

L'espoir.

Les rêves.

Mélopée.

Mélopée était morte, et la faute à qui ? À ces fichus Miroirs qui n'attiraient vers eux que le mauvais.

Anthémis regarda la créature qui était parvenue à forcer la porte, et, l'espace d'un instant, elle crut qu'elle finirait comme Ambroisie et Mélopée. Mais non. Elle ne se ferait pas refléter. Elle se battrait et réussirait à percer les secrets des Miroirs. Elle n'avait plus qu'une envie sur le moment, et c'était de réduire en poussière ceux qui tentaient de lui arracher de force et avec violence tout ce qu'elle aimait.

La colère s'empara du corps d'Anthémis, comme si elle n'était plus la même. Un sentiment incontrôlable.

Ils ont tué celles qui m'étaient chères. Ce Miroir-là est peut-être celui qui m'a pris Mélopée.

La jeune fille resserra ses doigts autour de son épaisse tige de métal et poussa du plus fort qu'elle le put la créature, qui recula d'un mètre à peine. Anthémis, accélérant la vitesse normale de ses mouvements, attrapa au hasard un objet, le premier que ses mains pourraient capturer. Il s'agissait d'une lampe, dont l'utilité était totalement nulle, l'électricité ne passant plus. Sans hésiter, elle écrasa violemment ce qu'elle tenait dans les mains sur la tête du Miroir. L'ampoule se brisa mais les éclats de verre ne s'enfoncèrent pas dans la peau de la créature. Cette dernière ne bougea pas même d'un pouce. Alors qu'elle s'apprêtait à riposter, la jeune fille saisit une pile de livres qui reposaient sur sa table de chevet et l'abattit sur le crâne du Miroir. Il n'eut aucun dégât. Après des dizaines de boîtes de fer et toute sa cargaison de livres, Anthémis dut se rendre à l'évidence : les Miroirs étaient insensibles à la masse des objets qu'on pouvait leur lancer dessus, ainsi qu'aux ustensiles coupants comme le verre. Le pire qui pouvait leur arriver était qu'ils soient légèrement étourdis par le poids d'instruments lourds (la pelle que possédait Adélaïde, par exemple), mais avec de petits objets comme ceux qu'utilisait Anthémis, les Miroirs reculaient simplement et cela ne diminuait qu'à peine la vitesse de leurs mouvements.

Il fallait vite qu'elle trouve un moyen de se protéger ou de bloquer la créature, mais elle ne voyait vraiment pas. Ses pensées étaient désormais centrées sur la haine qu'elle ressentait. Elle ne voyait plus que cela. Le rouge sang, des flammes ardentes brillant dans ses yeux, les traits tirés par la colère, les membres crispés et les nerfs à vif.

Elle ne savait pas comment réagir, mais ce qui était sûr, c'est qu'elle ne se laisserait pas faire. Plus jamais.

Alors elle prit un dernier objet : le couvercle du coffre de Mélopée dans lequel elle rangeait son journal. La chape était assez grande pour protéger son corps à la façon d'un bouclier. Les Miroirs ne transformaient que la chair humaine, elle avait une chance de s'en sortir.

Protégeant son torse, Anthémis s'attaqua à la créature et lui donna plusieurs coups à l'aide de sa tige de métal. Elle la lui enfonça dans le visage, et même si, sous la soudaine force inattendue de la jeune fille, le Miroir tomba, il ne sembla pas souffrir. Mais le pouvait-il ?

Elle continua de cogner, prise dans une transe qu'elle-même n'arrivait pas à comprendre. Une folie meurtrière.

Enfonce, enfonce. Un humain aurait déjà eu le visage ensanglanté.

Frappe, frappe. Anthémis y mit toute sa force, incapable de s'arrêter tant qu'elle n'avait pas puisé toute son énergie.

Elle avait du mal à comprendre les événements, elle n'avait même plus l'impression d'être elle-même. Elle n'était plus Anthémis Vanderguel. Elle était désormais guidée par la haine, la colère et le désir de vengeance. Cette situation lui rappela vaguement quelque chose. Le jour où elle s'était battue avec ce garçon qui la harcelait au collège. Cette fois-là non-plus, elle n'avait pas su se contrôler, et son harceleur avait fini pratiquement défiguré.

À bout de souffle, la jeune fille n'eut d'autre choix que se stopper dans son élan, mais sa transe ne disparut toujours pas. Le Miroir se releva, et avant qu'il ne puisse faire le moindre mouvement à but de la canaliser, Anthémis lui enfonça sa tige de métal en plein torse et le poussa jusqu'à la fenêtre avec un regard meurtrier, presque autant que celui de la créature.

Sans savoir d'où lui provenait toute cette force, elle continua de le marteler de coups au visage.

Elle ne cessait de répéter les trois mêmes mots en une boucle interminable qui n'était ponctuée que par ses mouvements et les sévices qu'elle infligeait au Miroir.

– Je te déteste je te déteste je te déteste je te déteste !

Ses paupières s'écarquillèrent soudainement, et son dernier coup fut le plus brutal.

– MEURS.

Après tout, ce n'était qu'un meurtrier, un robot sans émotion. Il ne méritait pas de poursuivre son chemin en Hodei. Il n'apportait que le malheur, tuait sans remord et ne connaissait que l'horreur. Il fallait le bannir de l'île.

Mais le Miroir finit par reprendre le dessus et profita de sa vitesse pour lui passer derrière. Anthémis avait déjà eu affaire à la même technique, mais la dernière fois, elle avait été sauvée par Adélaïde. Cette fois-ci, elle devait se débrouiller seule.

La créature lui toucha légèrement le dos mais la jeune fille se retourna automatiquement et esquiva du mieux qu'elle le put le coup qui lui était adressé. Elle la poussa avec la force qui lui restait plus loin dans la chambre, espérant pouvoir s'enfuir depuis la fenêtre à la vitre brisée, mais le Miroir se décala au même moment. Malheureusement pour lui, il arriva les pieds dans le seau rempli d'eau qui servait à contenir la pluie s'échappant du trou dans le toit. Il sortit immédiatement son pied de l'eau en émettant un étrange bruit similaire à un gémissement. Anthémis fronça les sourcils.

L'eau semblait lui déplaire.

Elle n'avait pas de temps à perdre, elle ne devait pas hésiter et foncer quoiqu'il arrive. Elle s'empara du seau et le jeta à la figure du Miroir. Toute l'eau se déversa sur son corps, duquel s'évapora directement une étrange fumée grisâtre.

Anthémis assista alors à la situation la plus étrange qu'elle n'ait jamais vue.

La créature poussa un cri.

Un hurlement déchirant, inhumain, un cri tel qu'elle n'en avait jamais entendu et qui fut à la limite de lui briser ses tympans déjà fragilisés depuis les explosions de l'attaque de Lunaria.

Ce cri n'était même pas similaire à celui d'un animal, il était totalement méconnaissable. Des frissons parcoururent l'échine d'Anthémis tandis qu'elle se bouchait les oreilles pour ne plus avoir à supporter cet affreux son.

Peu importe ce qui arrivait ; le Miroir avait été détourné de son but principal, et il ne prêtait plus attention à la jeune fille. Elle profita de l'opportunité et, après avoir attrapé à la volée le journal de Mélopée, prit la fuite vers le couloir sans se retourner.

L'affolement reprit le dessus sur la haine lorsqu'elle fonça sur Edel.

– Où est-ce que tu étais passée ?! s'exclama-t-il, hors de lui. Je t'ai cherchée partout !

Sans lui laisser le temps de répondre, il lui prit la main et l'entraîna avec lui vers la sortie de la maison. Des bruits fusaient dans tous les sens, mais Anthémis était encore sous le choc et trop sonnée pour reconnaître la source de ces sons.

Son monde ne fut plus que chaos. Il perdit tout son sens et toutes les raisons qu'avait la jeune fille de vivre semblèrent s'évaporer.

Arrivés dehors, Anthémis ne trouva nulle part Adélaïde, Ephrem et Opale. Edel l'informa qu'ils affrontaient déjà un Miroir.

– Je dois y aller, déclara-t-elle presque machinalement, sans la moindre trace de motivation dans la voix. Je dois y aller, c'est important, c'est ...

– C'est trop dangereux, la coupa Edel.

Les souvenirs lui remontèrent dans le cerveau.

Trop dangereux. Trop jeune. Petite. Gamine.

Était-elle vraiment inutile à ce point ? Elle venait de gagner face à un Miroir !

– Mais ... je sais comment les arrêter ! s'écria Anthémis. Je sais comment ... je ... je sais ...

Complètement affolée, la jeune fille peinait à exprimer clairement ses pensées, comme si sa bouche s'était déconnectée de son cerveau.

– Calme-toi Anthémis ! Garde ton sang-froid. Ils vont s'en sortir.

– De l'eau ! aboya-t-elle. Il faut leur lancer de l'eau ! Ils ne supportent pas l'eau !

Edel ne réussit pas longtemps à retenir la jeune fille, qui s'élança tête baissée vers la cuisine, là d'où provenaient tous les bruits peuplant la maison. Elle retrouva les trois Sans-Reflets tenant tête à un Miroir enragé. Ce dernier ne la remarqua pas. Elle pouvait mettre à bien son plan sans risque.

Edel arriva bientôt derrière elle, n'ayant pu se résoudre à la laisser tenter la Mort à l'intérieur du repère. Quand il la suivit jusqu'au réservoir, il comprit. Il n'avait aucune idée de ce préparait Anthémis, mais elle avait l'air si sûre d'elle qu'il ne put que l'aider à remplir un seau de l'eau qui reposait dans le grand bac en pierre lié au lac de Diaphane par des tuyaux souterrains. Quand ce fut prêt, la jeune fille n'hésita pas une seconde et, le seau dans les bras, entra dans la cuisine. Les Sans-Reflets tournèrent la tête vers elle. Leurs yeux fatigués s'écarquillèrent. Ils étaient probablement certains qu'elle avait perdu la tête, mais lorsqu'elle déversa toute l'eau contenue dans le seau au visage du Miroir qui n'eut pas le temps de réagir, tous leurs doutes s'évaporèrent.

La créature eut exactement la même réaction que la première ; son cri perçant éclata et ils se bouchèrent les oreilles par réflexe. Anthémis fut la première à quitter la pièce, suivie d'Edel puis des autres membres des Sans-Reflets qui avaient essayé de mettre le Miroir à terre par la seule force de leurs armes.

Sans attendre, tous les membres s'éloignèrent du repère. Trois Miroirs s'y trouvaient encore ; les deux qui avaient été affaiblis par l'eau, et un autre qui occupait le jardin. Dans sa course folle, Anthémis lui jeta un coup d'œil. C'était un Miroir petit de taille, à l'orée du bois, écrasant le parterre de fleurs sous son poids. Il retira doucement le tissu qui recouvrait son visage, et la jeune fille le vit.

Un Miroir sans ses deux grands yeux jaunes.

Le Néant aura fini par la dévorer.












NDA : MinaFreeZoid ce chapitre est pour toi :DD

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