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Chapitre 2 - Artificiel

Après être sortis d'Ibai, les Sans-Reflets avaient visité Loreak et avaient trouvé plus de survivants qu'à Lunaria ; apparemment, quelques Miroirs s'en étaient pris à la ville, mais il n'y avait pas eu de grosse attaque comme aux deux autres villes du fief. La plupart des habitants leur avaient dit qu'ils réfléchiraient à leur proposition, bien que certains n'aient pas du tout été partants et aient préféré se tapir dans l'ombre et se cacher des créatures d'ébène.

Anthémis n'avait pas dit un mot suite à son excursion dans son ancien quartier, et avait fermement tenu contre elle la photographie, comme si elle avait peur qu'elle s'envole. Elle avait néanmoins jeté un coup d'œil au paysage de Loreak, et s'était rappelé des longues balades qu'elle faisait, seule, après les cours, en lorgnant sur les pâtisseries de la boulangerie ou sur les babioles des magasins. Cette époque lui manquait tant, et pourtant cette dernière n'était pas toute rose ; elle avait déjà perdu ses deux parents lorsqu'elle étudiait à Loreak. Mais dans son esprit, tout valait mieux que ce qu'elle vivait actuellement.

En rentrant au repère, elle avait sorti de sa poche le carnet à croquis de Mélopée et s'était apprêtée à le redonner à sa propriétaire, quand soudain elle avait eu une idée. Elle avait passé le cahier à Edel et lui avait demandé s'il pourrait coudre quelque chose en rapport avec ces fleurs que la Pythonisse semblait tellement apprécier, pour son anniversaire qui était le 28 décembre. Le jeune garçon avait vivement acquiescé.

À présent, un jour s'était écoulé depuis leur excursion et elle était allongée sur son lit, dans la chambre qu'elle partageait avec Mélopée. Cette dernière n'était pas là, se trouvant probablement au rez-de-chaussée. Anthémis, regardant par la fenêtre, songeait à son passé et à ce que l'avenir lui réservait. Ce qu'elle avait elle-même vécu n'avait, au final, pas grand-chose d'extraordinaire. Elle était orpheline, comme beaucoup d'autres enfants de son âge en Hodei. Même si elle avait survécu à l'attaque d'Ibai, elle n'était personne d'exceptionnel. Elle n'apprendrait rien de l'île en se référant à ce qu'elle avait vu, alors que grâce à Mélopée, elle avait appris que les Miroirs existaient depuis bien plus longtemps qu'on ne le pensait, et grâce à Edel, elle savait que le monde au-delà de l'océan n'était pas un mythe.

En pensant à cela, elle se rendit compte que les Miroirs se cachaient probablement dans le passé d'Hodei, et que le passé d'Hodei faisait partie du passé de ses habitants. Évidemment, elle ne pourrait pas tout savoir rien qu'en interrogeant des personnes au hasard, mais cela lui apporterait quelques informations supplémentaires. Pourquoi personne d'autre n'y avait pensé ?

*

– Jehan, lança-t-elle.

Ce dernier leva la tête. Il était en train de passer le balais avec Edel – pour une fois que ce n'était pas à elle de le faire.

– Ton enfance s'est passée comment ? lui demanda-t-elle, l'air de rien.

L'intéressé haussa un sourcil, ne comprenant pas d'où venait cette soudaine attention qu'elle lui portait.

– Depuis quand tu cherches à en savoir plus sur moi ?

– J'ai besoin d'informations sur Hodei, lui répondit-elle sèchement. Alors ? Comment s'est passée ton enfance ?

– Je vois pas le rapport avec moi, prononça-t-il, un peu perdu.

– Laisse tomber. Comment s'est passée ton enfance ?

– T'es folle, souffla-t-il.

Anthémis lui jeta un regard noir.

– Pourquoi tu veux pas me parler de toi ?

– Mais parce que t'es flippante ! Dégage, on passe le balais, tu nous déranges.

Jehan recommença à balayer, mais la jeune fille attrapa le manche de l'ustensile tout en ne quittant pas du regard le jeune homme.

– Il ne s'est donc rien passé, dans ta vie ? Tu n'aurais par hasard pas assisté à la Grande Révolte, ou à un autre événement intéressant ? Comment tu as survécu à l'attaque d'Ibai ?

Jehan dégagea le balais de l'emprise d'Anthémis et la chassa de la pièce en menaçant de la frapper avec.

– Si tu crois que je vais te parler de moi ! lui jeta-t-il, après quoi il lui ferma la porte au nez.

La jeune fille soupira. Évidemment qu'il ne voudrait pas lui parler de lui. À vrai dire, elle-même n'avait pas tellement envie de l'entendre parler de sa vie, mais elle n'avait pas vraiment le choix. Maintenant qu'elle savait que Jehan ne lui dirait rien, elle pouvait aller voir les autres Sans-Reflets.

Elle retrouva Adélaïde qui passait dans le couloir.

– Adélaïde ! l'interpella-t-elle. Comment s'est passée ton enfance ?

La commandante fronça les sourcils.

– Pourquoi cette question ?

– J'ai besoin d'informations sur Hodei. Alors, tu veux bien me parler de ta vie ?

– Tu es bien indiscrète ! s'exclama la femme. Je suis occupée, va donc poser cette question à quelqu'un d'autre.

Adélaïde passa son chemin pratiquement sans regarder Anthémis. Cette dernière comprit qu'elle allait avoir du mal à obtenir des informations. Sans se décourager, elle traça jusqu'au salon où elle aperçut Ephrem et Opale assis autour de la table, à étudier un livre traitant de la fabrication d'armes blanches.

– Hé, un de vous deux voudrait bien me parler de son passé ? leur demanda-t-elle d'une voix qui se voulait enjouée.

Ils levèrent la tête en même temps, Ephrem avec son éternel air impassible, et Opale avec ses atypiques yeux malicieux.

– Pour quoi faire ? s'enquit Ephrem.

– Bien sûr ! Viens t'asseoir, je vais te raconter la belle histoire de ma vie, s'enthousiasma sans hésiter Opale en lui désignant un siège à côté d'elle.

Anthémis pris place sur la chaise que lui indiquait la jeune femme, heureuse que quelqu'un accepte enfin sa requête.

– Il était une fois une petite fille née sous un soleil de printemps, commença à raconter Opale. Elle avait deux joues rondes et roses, de grands yeux illuminés et un visage d'ange. De par la grandeur de sa beauté, ses parents lui donnèrent le doux nom d'Opale, telle la pierre précieuse aux milles couleurs.

Et la jeune femme continua son récit sur le même ton. L'histoire avait beau comporter quelques points faisant référence à Hodei, rien de ce qu'il en restait ne paraissait crédible. Il fut même question de lutins et de farfadets. Anthémis se tapa intérieurement le front, désespérée ; elle ne tirerait rien des Sans-Reflets.

– Merci, Opale, mais j'aurais préféré quelque chose de plus sérieux, pas un conte que tu as inventé de toutes pièces ...

La femme aux longs cheveux noirs se pencha vers Anthémis et lui fit son regard le plus glacial, celui qui pouvait pétrifier n'importe qui, de l'âme la plus chétive à la plus costaude des personnes.

– Tu n'as pas aimé mon histoire ? l'interrogea-t-elle en un murmure, un rictus au coin des lèvres.

La jeune fille frissonna.

– Si ! Si, c'était une belle histoire, assura-t-elle en bégayant presque. Mais c'est pas ce que j'attendais, c'est tout ...

– Qu'est-ce que tu attendais, dans ce cas ?

Opale se pencha de plus en plus vers la jeune fille, ce qui la poussa à décaler sa chaise sur le côté.

– Ton passé, ce qui s'est réellement produit ..., expliqua-t-elle. Mais je vois que tu n'as visiblement pas très envie d'en parler, alors ... je vais vous laisser !

Anthémis se leva de sa chaise et se hâta de sortir de la pièce, déstabilisée encore une fois par le comportement de la jeune femme. Elle lui faisait presque aussi peur que les Miroirs eux-mêmes.

Ne sachant que faire pour en apprendre plus sur Hodei, elle se rabattit sur les livres de la bibliothèque – pièce où elle retrouva Mélopée, assise confortablement sur un fauteuil, profitant visiblement du calme environnant.

– Anthémis ? émit-elle.

Ce n'était pas la première fois qu'elles deux passaient leur après-midi à la bibliothèque ; parfois, la jeune fille lui lisait des livres ou lui décrivait des illustrations, mais cette fois-ci, elle avait un but précis en tête, et ce n'était malheureusement pas tenir compagnie à la Pythonisse.

– Salut Mélopée, lui lança-t-elle. Tu ne t'ennuies pas trop ?

Durant les deux mois qui avaient suivi l'attaque de Lunaria, les deux femmes avaient pris le temps de mieux se connaître, et le vouvoiement ainsi que les phrases cordiales étaient vite passés au-dessus de leur tête.

– Non, tout va bien. Je me repose simplement. Qu'es-tu venue faire ici ?

– Je vais chercher des livres concernant Hodei. Les Sans-Reflets traînent trop, et en plus ils refusent que je les accompagne pendant les vraies expéditions. Les livres sont le seul endroit où je peux en apprendre un peu plus, et encore, ils ne sont pas toujours de source fiable ...

Anthémis soupira avant de se diriger vers une étagère au hasard et de chercher des ouvrages comportant le nom de leur île. L'éclairage ne l'aidait pas vraiment ; les fenêtres laissaient bien passer un faible filtre de lumière, mais le pâle soleil des journées hivernales n'éclairait pas grand-chose à l'intérieur de la maison. De plus, l'électricité avait été définitivement coupée au fief Nord, et la maigre lueur de leurs petites bougies était pratiquement inutile. La jeune fille dut se contenter de ce que lui offrait le jour et essaya tant bien que mal de lire le titre des ouvrages.

– Je peux te parler un peu de la capitale, si tu le souhaites, lui proposa Mélopée, toujours assise.

– C'est vrai ? Tu connais des choses sur elle ?

Anthémis s'arrêta dans sa recherche pour rejoindre vivement la Pythonisse.

– Oui, je me rappelle d'elle, plus ou moins. Évidemment, quand j'y étais allée, on me menait jusqu'au Palais et je savais que je risquais la mort. J'avais d'autres choses en tête que la ville qui se tenait devant moi, mais malgré tout je me souviens de plusieurs détails.

– Alors, vas-y ! Raconte !

– Alors, commença Mélopée, la capitale s'appelle Dryadalis, et il me semble qu'elle fait approximativement la taille du fief Est tout entier – si ce n'était pas le cas au moment où j'y suis allée, la ville a dû s'agrandir depuis et ce doit être le cas désormais. Ensuite, les habitations y sont pour la plupart bien plus grandes et bien plus entretenues que celles des autres fiefs. Elles ressemblent à des versions améliorées des bâtiments du fief Nord ; il s'agit pour la plupart de maisons à colombage, faites de bois et de pierre, avec des toits de chaume. Elles sont toutes collées les unes aux autres et s'étendent sur plusieurs étages. À défaut d'être larges, elles sont hautes. Enfin, l'animation y était festive lorsque j'y suis allée. D'innombrables magasins avaient leurs portes ouvertes, des banderoles multicolores étaient accrochées dans les ruelles et sur la Grand Place, et les habitants y paraissaient beaucoup plus heureux que n'importe où ailleurs en Hodei. Les Varlets y étaient par contre plus présents. J'ai dû en repérer une bonne vingtaine, voire une trentaine en patrouille lorsqu'on m'y a conduite.

Anthémis, qui l'avait écoutée parler attentivement, nota tous les renseignements quelque part dans son cerveau, en attendant qu'elle puisse le faire sur du vrai papier. Le fait que les Varlets y soient plus nombreux était une information primordiale si elle comptait un jour infiltrer la capitale – idée complètement folle mais qu'elle ne pouvait retirer de son esprit.

– C'est tout ce que je sais de Dryadalis, conclut Mélopée.

– Merci, tu es la seule à avoir témoigné pour moi. D'ailleurs, toi et Edel êtes les deux seuls à m'avoir donné des informations sur Hodei. Les autres Sans-Reflets sont muets comme des carpes au sujet de leur passé, je ne comprends pas pourquoi ...

– Je ne sais pas ce que tu as fait, mais il ne faut pas les brusquer en leur demandant directement s'ils savent certaines choses. Il faut que le sujet s'installe de lui-même dans la conversation, conseilla sagement Mélopée.

La jeune fille réfléchit à ce qu'elle avait dit, et il lui sembla qu'effectivement, elle avait été un peu brusque dans sa manière de faire.

– Mais ils n'auront pas forcément envie de t'en parler, rajouta ensuite la Pythonisse.

– Je les forcerai, rétorqua Anthémis.

– C'est une très mauvaise idée. Il ne faut jamais forcer les gens à parler s'ils n'en ont pas envie.

– Mais je n'arriverai jamais à rien comme ça ..., soupira la jeune fille.

Elle-même n'avait pas très envie de révéler son passé à n'importe qui, mais ce qu'elle cherchait n'était pas tout à fait la vie des Sans-Reflets ; elle voulait simplement récolter quelques informations, rien de plus. Cette méthode n'était probablement pas la meilleure, mais une des seules qu'elle avait à portée de main.

– Tu sais des choses sur Adélaïde ? demanda Anthémis, songeant tout à coup à quelque chose.

– Non, pourquoi en saurais-je plus que toi ?

– Je ne sais pas, elle te regarde bizarrement et elle est tendue à chaque fois que tu es à côté. Je me suis dit que vous vous connaissiez peut-être ... (Elle repensa immédiatement à un autre détail.) En plus, il paraît qu'elle ne vient jamais aux expéditions qui font s'approcher d'un peu trop près les Sans-Reflets de Lunaria. C'est peut-être en rapport.

Mélopée haussa les épaules et assura qu'elle n'avait aucune idée de ce qui pouvait traverser l'esprit d'Adélaïde. Elle ne chercha pas à en savoir plus, habituée à ce que les gens s'écartent d'elle en la voyant, malgré ses deux cache-œils. C'était presque normal, pour elle.

– Je lui demanderai, déclara Anthémis. Après tout, elle ne pourra pas m'en vouloir pour ça. J'ai le droit de savoir pourquoi ma commandante ne vient jamais aux expéditions à Lunaria, ou ce qu'elle a contre mon amie.

La Pythonisse lui sourit, mais n'ajouta rien. La jeune fille se leva et sortit de la bibliothèque, décidée à aller poser des questions à Adélaïde, que cette fois-ci elle ne pourrait pas juger d'indiscrètes. Malheureusement, en entendant tout ce raffut dans l'entrée, elle comprit que la journée ne serait pas de tout repos pour sa commandante, et qu'elle ne serait pas disposée à lui répondre.

En effet, en s'approchant un peu de la source de tout ce bruit, elle remarqua qu'environ douez et treize personnes inconnues étaient présentes et se déchaussaient de leurs bottes pleines de neige. Elle comprit qu'il s'agissait de certains survivants à qui ils avaient parlé à Lunaria et à Loreak. Ne souhaitant pas avoir à faire avec eux, elle s'apprêta à monter à l'étage lorsqu'elle croisa Edel dans les escaliers. En réalité, plutôt que le croiser, elle manqua de se cogner à lui.

– Aïe ! Fais gaffe ! s'exclama le jeune garçon.

– Oh, pardon, j'étais dans mes pensées, s'excusa rapidement Anthémis.

Elle comptait continuer de monter les marches lorsque Edel lui bloqua le chemin avec son bras.

– Qu'est-ce que tu fais ?

– Tu peux m'expliquer pourquoi tu as demandé à Jehan ce qui s'était passé durant son enfance ? l'interrogea-t-il en arquant un sourcil.

– Oh, ça. C'est rien, prononça-t-elle en haussant les épaules, je me suis mal exprimée. Je cherche juste des infos sur le passé d'Hodei. Puisque les Sans-Reflets n'avancent pas, je fais mes petites recherches de mon côté. (Elle marqua une pause et regarda avec insistance le bras d'Edel.) Tu peux me laisser passer, maintenant ?

– Non, j'ai besoin de ton aide à l'infirmerie. Tu as deux secondes ?

Anthémis grogna ; dès que le jeune garçon trouvait le moindre petit animal blessé, il s'empressait de le ramener à l'infirmerie et demandait à tout le monde de venir l'aider. En deux mois, cette situation s'était présentée quatre ou cinq fois, et les Sans-Reflets commençaient à désespérer, d'autant plus que les animaux en question étaient rarement en danger de mort et auraient très bien guéri tout seuls.

– Non, j'ai pas de temps. Je suis une femme occupée, rétorqua-t-elle fièrement.

– C'est ça, je te crois. Suis-moi.

Sans lui laisser le temps de répliquer, Edel lui prit la main et l'entraîna avec lui vers l'infirmerie située au rez-de-chaussée, près de la salle de bain. La pièce était entièrement blanche, du plafond au carrelage, en passant par la peinture des murs. Une longue table était disposée au centre, et d'autres meubles se tenaient sur les côtés, comprenant des tiroirs dans lesquels le matériel était rangé. Des plantes dont le nom échappait totalement à Anthémis reposaient dans l'eau d'un vase, tandis que certaines autres séchaient, enroulées dans du papier fin.

Sur la grande table, la jeune fille remarqua un petit oiseau visiblement endormi, allongé au creux d'un drap blanc entassé sur lui-même.

– Tu m'as encore fait venir pour un oisillon ? soupira Anthémis.

– Oui, mais il n'y a pas que ça. (Edel alla chercher un grand ouvrage d'au moins mille pages qui devait bien peser six kilos, et le posa à plat sur la table.) Adélaïde m'a passé un livre tiré du marché noir qui reposait à la bibliothèque et qui traite des animaux du monde au-delà de l'océan, et il se trouve qu'ils sont assez différents de ceux qu'on trouve en Hodei. Ce n'est peut-être qu'une histoire d'environnement et de climat, mais en observant cet oiseau, j'ai remarqué quelques ressemblances avec une espèce dont parle le livre. (Il tourna les pages à la recherche de celle qui l'intéressait, et lorsqu'il la trouva, il pointa l'illustration du doigt.) Regarde. La mésange boréale. Cet oiseau y ressemble énormément, et pourtant, par rapport à l'image du documentaire, on voit bien que son cou est un peu plus allongé, son bec plus grand et ses couleurs plus vives.

– Et alors ? émit Anthémis. Il est un peu différent, c'est tout.

– Non, tu ne comprends pas. Tous les animaux énoncés dans le livre sont différents des espèces qu'on peut trouver en Hodei, mais je viens tout juste de remarquer que quelques-uns ont certaines ressemblances avec ceux du monde au-delà de l'océan. Cette mésange boréale est pratiquement identique à l'illustration du livre, pourtant tu vois bien qu'elles sont différentes. C'est pareil pour tous les autres animaux, à croire qu'Hodei héberge des espèces mutantes.

Cette information intéressa la jeune fille, mais elle se rappela soudainement d'un cours qu'elle avait vu juste avant l'attaque d'Ibai.

– Au collège, on nous a parlé de l'évolution des animaux. Il paraît que leur corps peut évoluer en fonction de leur environnement, ou quelque chose comme ça. Je n'ai pas trop écouté ce cours-là, mais ça doit y être lié, non ?

Edel haussa les épaules.

– Je ne sais pas. Hodei n'existe officiellement que depuis le début du siècle, depuis moins de soixante-dix ans. Tu crois que le corps des animaux pourrait changer à ce point en si peu de temps ?

– Honnêtement, je n'en ai aucune idée. (Son regard se dirigea vers la table.) Mais tu devrais plutôt soigner ce pauvre oisillon tant qu'il respire encore, au lieu de te poser toutes ces questions.

Edel s'affola en se rappelant qu'il avait un blessé à sa charge, et retourna à son inspection de l'aile blessée de l'oiseau. Anthémis le regarda faire, ne préférant pas intervenir. L'animal ne bougea pas d'une plume, profondément endormi. Elle se demanda même s'il n'était pas mort, mais au bout de plusieurs minutes, il rouvrit les yeux.

– Voilà mon tout beau, lui murmura Edel avec une tendresse inouïe dans la voix. Ton état n'était pas grave, tu pourras bientôt reprendre ton envol.

Il lui parlait comme s'il s'agissait de son propre enfant, et Anthémis se surprit à se dire qu'il serait plus tard un bon père, aussi aimant que l'avait été le sien.

– Parfois je me demande, commença-t-elle en s'approchant de lui, tu étudies plus pour devenir médecin ou vétérinaire ?

Edel lâcha un petit rire.

– Les deux, si on veut, déclara-t-il. Que ce soit un humain ou un autre animal, je ne fais pas tellement la différence. Quand je vois un être vivant qui souffre, je ne peux pas m'empêcher de vouloir lui porter secours.

– Je ne comprendrai jamais comment tu peux être aussi gentil, souffla Anthémis.

Le jeune garçon lui sourit, et elle crut percevoir ses joues s'empourprer.

– Faudrait que tu en prennes de la graine, lui glissa-t-il sur un ton moqueur, avant de ranger son matériel et de laisser l'oiseau se reposer.

Peut-être bien que oui, Anthémis aussi devrait se montrer plus altruiste, pour rendre fière Ambroisie. Sa grande sœur ressemblait un peu à Edel ; elle voulait toujours aider les autres, malheureusement cela lui avait coûté une balle de Varlet dans la jambe, le jour où elle avait défendu un accusé à tord. C'est probablement ce détail qui repoussait un peu la jeune fille à venir en aide aux autres.

Mais après tout, il n'y avait de Varlets plus qu'à la capitale, désormais. Elle ne risquait plus grand-chose.

– Toi qui cherches des informations sur Hodei et sur le monde au-delà de l'océan, tu peux jeter un coup d'œil à ce livre, lui proposa Edel en quittant la pièce.

Anthémis ne se le fit pas dire deux fois et s'empara de l'ouvrage, après quoi elle suivit la trace du jeune garçon et partit de l'infirmerie en laissant la pauvre petite mésange se reposer.

– Donc c'est Adélaïde qui t'a passé ce livre ? récapitula-t-elle à l'adresse d'Edel. Elle passe beaucoup de temps à la bibliothèque ? Je ne l'y vois jamais.

– Il me semble que oui, répliqua le jeune infirmier en continuant de marcher. Elle m'a raconté que quand elle avait notre âge, au lieu de traîner avec des gens de son lycée, elle préférait lire et se documenter à la bibliothèque. Tu as dit tout à l'heure que les Sans-Reflets n'avançaient pas ; c'est peut-être vrai pour les autres, mais pas pour Adélaïde, du moins ce n'est pas l'impression qu'elle donne. Je crois que comme elle ne peut pas s'approcher trop près des Miroirs, elle étudie plusieurs livres et cherche des réponses là où elle peut.

Voilà un point qu'Anthémis et sa commandante avaient en commun : elles aimaient lire. En plus de cela, elles cherchaient toutes les deux désespérément des informations que beaucoup d'ouvrages refusaient de leur donner.

Les deux jeunes gens montèrent les escaliers et arrivèrent bientôt devant la chambre qu'Edel partageait avec Jehan. Le garçon fit volte-face et se demanda ce qu'Anthémis faisait encore là, à ses côtés.

– Tu veux entrer ? demanda-t-il en haussant un sourcil.

– Pas s'il y a Jehan, grogna la jeune fille.

– Je ne crois pas qu'il y soit. Vu l'odeur de cramé qui règne par ici, on a dû lui demander de faire la cuisine pour le déjeuner ...

Le jeune homme était réputé pour faire brûler absolument tous ses plats. La grande question qui taraudait tous les Sans-Reflets, excepté le concerné, était pourquoi Ephrem s'obstinait à lui demander de cuisiner. Opale avait un jour évoqué l'idée que le vis-commandant aimait bien manger ses plats calcinés. En vérité, elle avait simplement parlé de plats chauds, mais les membres avaient tourné la formulation autrement, et la nouvelle leur semblait plus logique.

– Oh non, je vais encore devoir manquer le déjeuner ... soupira Anthémis.

– La cuisine de Jehan n'est pas si immonde ... Elle est juste ... un peu brûlée.

– C'est soit ça soit je recrache tout juste après. Même moi je cuisine mieux que cet incapable.

– Ce n'est pas un incapable. Il peut faire plein de choses.

– Ah oui, excuse-moi. Il sait très bien comment me mettre à l'écart quant tu es à côté, railla la jeune fille.

– À part ça, soupira Edel. Il sait peindre. Si tu voyais ses paysages ... ! Ils sont un peu abstraits, mais les couleurs se marient à merveille !

Anthémis roula des yeux, fatiguée que le jeune garçon se mette à s'extasier sur les toiles de son ami à chaque fois qu'elle disait du mal de lui. Elle n'avait aucunement envie de voir un jour les œuvres de Jehan.

– Bon, tu m'excuseras, mais j'ai un livre d'au moins cinq kilos dans les bras depuis tout à l'heure et j'aimerais bien me poser quelque part.

– Tu aurais pu te reposer dans ta propre chambre, lui reprocha Edel tout en gardant le sourire.

Il lui ouvrit la porte de la pièce où Anthémis pénétra sans hésiter une seule seconde. Le jeune garçon était embarrassé qu'elle s'installe sans gêne sur son lit, comme s'il avait s'agit de sa chambre à elle, mais d'un autre côté, il était heureux qu'elle veuille rester avec lui.

Elle commença à feuilleter l'ouvrage, mais son esprit était tourné ailleurs.

– Adélaïde t'a raconté des choses sur elle ? Elle semble bien t'aimer. Par hasard, elle ne t'aurait pas dit ce qu'elle reproche à Mélopée ?

Edel fronça les sourcils et répondit par la négative.

– Qu'est-ce qu'il y a avec Mélopée ? demanda-t-il.

Anthémis secoua la tête.

– Non, rien. Je lui demanderai moi-même quand elle sera moins occupée.

Elle se concentra une bonne fois pour toutes sur ce qu'avait à lui offrir le livre qu'elle tenait sur ses genoux. Tout était écrit et dessiné à la main ; les illustrations et les textes étaient précis, révélant le talent et le savoir de la personne qui avait tout créé elle-même.

Effectivement, beaucoup des animaux dont le nom figurait sur les feuilles rappelaient des espèces présentes en Hodei, mais sans y ressembler énormément pour autant. Il n'y avait pas beaucoup d'élevage sur l'île, mais les animaux concernés étaient le cas qu'Anthémis trouvait le plus frappant ; les vaches d'Hodei avaient un long cou, de grandes oreilles, et étaient pour la plupart plus grosses que celles apparaissant sur les illustrations de l'ouvrage. Tout paraissait démesuré en Hodei, alors qu'au contraire, tout semblait minimaliste dans le monde au-delà de l'océan.

Aussi, chose qui jusque là n'avait jamais frappé l'esprit de la jeune fille : les animaux de l'île ne semblaient jamais souffrir. Même la petite mésange qu'avait sauvée Edel n'avait pas eu l'air d'avoir mal, malgré la blessure qui lui entaillait une partie de son aile gauche. Or, dans l'ouvrage, il était souvent répété quel genre de cri poussaient les animaux lorsqu'ils se sentaient en danger ou qu'il souffraient. En Hodei, les bêtes ne criaient jamais.

Soudain, elle pensa à quelque chose. Dans un premier temps de réflexion, elle se dit que ça ne pouvait pas être possible, que la viande n'aurait dans ce cas aucun goût, mais elle ignorait encore tout ce que la technologie pouvait offrir. Aussi bien, son hypothèse allait finalement s'avérer véridique. Que pouvait-elle en savoir ?

– Hodei est une île artificielle, commença-t-elle en gardant les yeux fixés sur la dernière illustration de l'ouvrage. La Diaphane est un fleuve artificiel, le lac de Diaphane est un lac artificiel. La végétation est probablement elle aussi totalement artificielle, tout comme la terre sur laquelle nous marchons. Peut-être que ... que les animaux aussi, sont artificiels ?

Edel ne répondit pas tout de suite, réfléchissant à la supposition d'Anthémis.

– Ça part trop loin, finit-il par rétorquer. Tout ne peut pas être artificiel. Pourquoi se serait-on embêté à créer ne serait-ce que le prototype d'animaux artificiels ?

– Mais si les animaux n'ont jamais mal, qu'ils ne crient pas, que leurs yeux n'expriment jamais aucune émotion, et qu'ils sont différents mais inspirés de ceux du monde au-delà de l'océan, tu vois une autre explication ?

– Tu veux dire que je me casse la tête à soigner toutes ces bestioles alors qu'elles ne sont même pas vivantes ? s'horrifia Edel comme si on venait de lui apprendre que son propre enfant était artificiel et qu'il s'était attaché à une poupée sans vie.

– Je crois que oui, émit Anthémis. Même si je ne suis sûre de rien. Et puis, a-t-on un jour vu un Miroir animal ? Non, parce que les animaux ne sont jamais touchés par les Miroirs. Leur chair ne les intéresse pas. Les Miroirs ne s'attaquent qu'aux humains, et c'est peut-être parce que les autres bêtes ne sont rien de plus que des robots créés de toute pièce pour donner à Hodei un semblant – mais alors vraiment juste un semblant – de vie.

La jeune fille se rendit compte de ce qu'elle avançait, et elle trouva la situation horrible. Elle qui avait toujours cru que les oiseaux seraient heureux si elle leur jetait des miettes de pain, qui pensait que l'amour des maîtres comblait de bonheur les chiens domestiques, ou qu'au contraire certains animaux en cage rêvaient de liberté et brûlaient de rage contre leurs malfaiteurs ... En vérité, ceux-là n'avaient jamais rien ressenti.

La vraie nature ne se trouvait qu'au monde au-delà de l'océan, et nulle part ailleurs.

Tout était faux en Hodei.

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