Chào các bạn! Vì nhiều lý do từ nay Truyen2U chính thức đổi tên là Truyen247.Pro. Mong các bạn tiếp tục ủng hộ truy cập tên miền mới này nhé! Mãi yêu... ♥

Chapitre 17 - Songes nocturnes (FIN)

Une chaleur rassurante émanait de la bougie qu'Anthémis tenait devant elle ; dans la pénombre de la pièce, seule cette petite flamme éclairait le cahier dont les pages étaient couvertes de mots d'encre. La jeune fille, qui, durant la soirée, avait voulu remplir ses feuilles en y inscrivant toutes les questions concernant les Miroirs qu'elle se posait et dont elle voulait impérativement avoir la réponse un jour, s'était assoupie sur son cahier, et s'était par la même occasion taché la joue d'encre. La journée avait été longue et dure. Seulement une dizaine d'heures s'étaient écoulées depuis le matin-même où Edel l'avait embrassée, mais elle avait l'impression que cela s'était produit le mois dernier.

L'expédition avait duré toute la matinée ainsi que l'après-midi, mais Anthémis ne voulait pas s'en souvenir. Cette excursion ne s'était pas déroulée comme prévu. Un Miroir était parvenu à briser la visière d'Auro et avait appuyé sa main monstrueuse contre le visage du pauvre jeune homme ; Jasper avait anéanti la créature mais n'avait pas pu sauver la tête d'Auro. Ce dernier, complètement défiguré, le crâne entièrement reflété, était secoué de spasmes et semblait avoir totalement perdu la raison. Son corps restait humain mais son cerveau avait été endommagé et il n'était plus maître de lui-même. Pour mettre un terme à sa souffrance, Ephrem l'avait poignardé au cœur ; le jeune homme n'avait aucune chance de survivre et serait mort après une terrible agonie si on ne l'avait pas directement tué.

C'était horrible à penser, car jamais on ne devrait s'accoutumer à de telles choses, mais Anthémis s'était habituée à voir des gens se faire refléter devant ses yeux ; pourtant, cette fois-là, voir Auro, qu'elle avait commencé à connaître un peu mieux, perdre totalement la raison et voir un visage qui n'était plus le sien hurler d'agonie l'avait terrorisée. Edel et Jehan, les deux seuls amis du jeune homme, n'avaient pas dit un mot suite à cette tragédie.

La pluie avait sauvé in extremis les Sans-Reflets de l'attaque d'une horde de Miroirs. L'orage avait grondé et les éclairs étaient plus menaçants que jamais, mais Anthémis préférait se faire foudroyer plutôt que se faire refléter. L'image du visage cauchemardesque d'Auro la suivait à chacun de ses pas et était prête à la hanter autant que le Miroir d'Ambroisie et le hurlement déchirant de Mélopée.

Elle n'avait pu s'empêcher de penser que si Ephrem s'était un minimum soucié de ses compagnons, il aurait pu éviter la mort d'Auro ; leur commandant s'était éloigné sans prévenir personne au moment-même où le Miroir s'était jeté sur le jeune homme. Si Ephrem avait été un commandant digne de ce nom, il aurait veillé sur chaque membre et jamais une telle tragédie ne serait arrivée. Adélaïde manquait tant à Anthémis.

La soirée arrivée, la jeune fille s'était installée dans le bureau, une grande bougie placée dans un socle métallique, et avait inscrit dans le cahier qu'Adélaïde lui avait offert une suite de questions auxquelles elle espérait avoir un jour une réponse.

D'où viennent les Miroirs ?

La Famille Dirigeante peut-elle vraiment être la coupable de cette invasion si Aenor Hodei a elle-même été reflétée étant petite ?

Ont-ils d'autres points faibles que l'eau ?

Pourquoi seulement la chair humaine peut-elle se faire refléter ?

Le cerveau fatigué de réfléchir et le corps épuisé par cette expédition, Anthémis s'était endormie la tête dans son cahier, comme elle le faisait lorsqu'elle se mettait à réviser ses leçons seulement à la tombée de la nuit, à l'époque où elle allait encore au collège. Elle s'était réveillée très tard – où très tôt, tout dépend du point de vue –, vers trois heures du matin, avec une désagréable sensation dans le cou, due à sa position peu confortable.

Désormais, les bras croisés sur la table, elle observait la flamme de sa bougie ondoyer élégamment. Il ne restait plus grand-chose de cette bougie, sa cire étant presque entièrement fondue – voilà un beau gâchis, songea Anthémis.

Dans le noir complet du bureau, où tout n'était que ténèbres, cette flamme semblait être la seule source d'espoir que la jeune fille possédait ; et pourtant, celle-ci allait bientôt s'éteindre. Elle devait rejoindre sa chambre avant que la cire ne se consume entièrement.

Regagnant lentement sa chambre, Anthémis laissait ses pas la guider dans une profonde obscurité, n'étant éclairée que par le timide éclat de ce minuscule feu qui, pour l'instant, s'embrasait à l'infini et ne cessait d'onduler en de faibles boucles de rouge et d'orange, de carmin et de safran. Le cœur de la flamme était aussi ocre que les yeux des Miroirs, et la jeune fille songea que la demeure était si noire, aussi noire que la peau de ces monstres, qu'elle aurait pu en cacher en son intérieur des centaines. Qui disait qu'ils n'étaient pas là, à l'observer à chacun de ses pas, à espionner le moindre de ses gestes, essayant de sonder jusqu'au plus profond de son âme ? Les ombres des commodes, des chandeliers, des rideaux, des chaises et des vases garnis de fleurs, contre les murs de la demeure, étaient aussi noires que les Miroirs, et il sembla à Anthémis qu'elles prenaient peu à peu la forme des créatures, la suivant toujours plus profondément dans les ténèbres, aussi silencieuses que des esprits, aussi terrifiantes que des fantômes, aussi infernales que des mânes mais aussi présentes et intouchables que des lares, incrustées dans les murs et hantant les lieux de leurs lugubres et sombres figures.

Anthémis se hâta de regagner sa chambre et ferma la porte derrière elle avec empressement, tentant de fuir ces ombres traqueuses. Pourtant, elles étaient encore là, encore plus hautes et plus imposantes, la guettant de leurs yeux invisibles, imprenables. Le cœur de la jeune fille battait à tout rompre, sans qu'elle ne comprenne vraiment pourquoi. Ce ne sont que des ombres, calme-toi. Mais la nuit était magicienne et transformait tout ce qu'elle effleurait en un terrible cauchemar aussi réel qu'imaginaire, tachant les rêves de sinistres couleurs.

Les ombres bougèrent d'abord en rythme, s'étalant contre le papier peint, puis dansèrent autour de la jeune fille, s'accordant une valse légère, d'une élégance féerique mais d'une étrangeté terrifiante. La chambre d'Anthémis ne fut alors plus qu'un vaste univers fantasmagorique ; les ombres bougeaient, et les objets semblaient en faire de même. La salle commença à tanguer, et l'adolescente, apeurée, se replia sur elle-même mais ne put fermer les yeux, obnubilée par ce spectacle qui s'emparait des ténèbres pour les faire onduler contre les murs, transformant le réel en un tout autre monde, un monde aussi fascinant qu'horrifique.

La bougie continuait de se consumer dans les mains de la jeune fille, et il lui restait si peu de cire que la flamme vint bientôt brûler d'une faible chaleur l'épiderme d'Anthémis. Elle détacha enfin son regard des ombres pour le poser sur le safran de ce petit feu, qui, soudainement, lui rappela la couleur des cheveux de Mélopée. Elle réentendit une énième fois le hurlement de la Pythonisse, suivi de celui empli de douleur d'Ambroisie, puis le cri d'agonie d'Auro, celui de Lotti et enfin, ce furent des centaines d'appels au secours qui vinrent lui agresser les tympans, du même son strident que celui dont faisaient part les Miroirs. Oui, c'était ces cri-là, les cris de tant et de tant de Miroirs, qui s'insérèrent dans les oreilles d'Anthémis, ne créant dans son esprit plus qu'une longue et fantomatique cacophonie. Elle se boucha les oreilles, mais cela ne changea rien. Toujours, et encore, ces voix qui prenaient possession d'elle, de son cerveau, de tout son corps. Tant de douleur s'échappait de ces cris que la jeune fille avait l'impression de la ressentir elle-même, comme des milliards de couteaux se plantant dans son cœur sans qu'elle n'en meure, telle une éternelle agonie et la pire des tortures.

Elle le réalisa alors. Si les Miroirs ressentaient la douleur de la même façon que les humains, si leur corps était empli de sang comme celui des humains, s'ils gardaient la corpulence des personnes qu'ils étaient autrefois, si les personnes en partie seulement reflétées gardaient leur vie d'humains et si seul le cerveau devait être touché pour que le corps n'obéisse plus à son maître ou à sa maîtresse, pourquoi seraient-ils en tout point différents des humains ? Pourquoi ne garderaient-ils pas, au fond d'eux, leur partie humaine ? Pourquoi dirait-on qu'une personne reflétée était morte ? Pourquoi se persuader qu'Ambroisie et Mélopée étaient parties à jamais ? Pourquoi ne pourrait-on pas les sauver ?

Et pourquoi ne pourrait-on pas dire qu'en tuant ce Miroir, cette fois-là, elle n'avait pas tué quelqu'un ? Pourquoi ne serait-elle pas une meurtrière ?

Les cris se firent de plus en plus forts, de plus en plus oppressants. La salle tanguait si fort, et les ombres dansaient autour d'Anthémis sans s'arrêter, valsant de plus en plus vite, ne devenant rapidement plus que de simples traits difformes s'étalant sur toute la longueur des murs.

Une douce et familière voix, par-dessus ces cris incessants, se glissa lentement jusqu'aux oreilles de la jeune fille.

« Est-ce que tu penses vraiment que ce sont les Miroirs qui méritent de mourir ? »

Puis, tout d'un coup, les ombres disparurent et les cris se dissipèrent. La chambre ne fut plus que silence et ténèbres.

La bougie s'était éteinte, emportant avec elle les ombres qui causaient tant de maux à Anthémis.

*

La jeune fille se réveilla le matin avec la sensation d'avoir fait un horrible cauchemar ; pourtant, ce dernier semblait si réel qu'elle ne put savoir si elle avait rêvé, halluciné ou si tout s'était vraiment produit. En tout cas, aussi étrange cela était-il, elle s'était réveillée allongée non-pas dans son lit mais sur le parquet de sa chambre, exactement au même endroit où elle s'était recroquevillée sur elle-même durant son « cauchemar ».

En repensant à ces ombres et à cette phrase que le fantôme d'Ambroisie lui avait murmurée, Anthémis eut soudainement la conviction qu'elle s'était trompée depuis le début. Que tout le monde s'était trompé.

Les Miroirs ressentaient la douleur ; sous leur carapace noire se trouvait un corps humain, du sang humain, un cerveau et un cœur humains. Auro s'était fait refléter la tête et il avait perdu la raison, mais il n'en était pas mort. Refléter ne voulait pas dire tuer. Se faire refléter ne voulait pas dire mourir.

Mélopée était encore vivante.

Et Ambroisie aussi.

Anthémis se redressa vivement, son crâne frappé par cette révélation pour laquelle elle n'avait pas de preuve concrète mais une conviction inébranlable. Alors qu'elle avait passé ces dernières semaines à désespérer, ne sachant que faire, se lamentant de devoir regarder tous ses camarades « mourir » les uns après les autres sans pouvoir les sauver, ce matin-là, elle se serait presque sentie heureuse. En neuf mois de calvaire, c'était la première fois qu'elle avait une chance de mettre fin à cette horreur ; elle ne savait pas comment, mais, en sachant que se faire refléter n'était pas fatal, elle n'avait pas une simple lueur d'espoir mais un feu entier qui s'enflammait à l'intérieur d'elle, et avec lui, elle se sentit capable de tout. Elle savait qu'elle pouvait sauver Ambroisie. Elle en était sûre. Et le seul moyen d'apprendre comment faire pour lui redonner son apparence humaine était d'atteindre la capitale, Dryadalis, et d'affronter la Famille Dirigeante, puisque, même si Aenor Hodei avait été touchée en 2355, c'était malgré tout la royauté qui était la plus grande suspecte dans cette histoire.

Sans plus attendre, poussée par son habituelle impulsivité, Anthémis se leva et sortit de sa chambre en courant avant de frapper trois grands coups à la porte de la chambre d'Edel. Encore une fois, ce fut Jehan qui vint lui ouvrir.

– Quoi ? maugréa-t-il en se frottant l'œil.

– Edel est ici ?

– Non.

– Il est où ?

– Pourquoi je te le dirais ?

La jeune fille soupira et croisa les bras ; malgré le fait que le comportement de Jehan s'était quelque peu amélioré ces derniers temps, il restait assez pénible avec elle.

– J'ai besoin de lui parler de quelque chose d'important, déclara-t-elle.

– Tu vas lui faire ta déclaration ?

– Quoi ? Non !

– À moins que tu lui aies déjà faite hier ? Je sais bien qu'il s'est passé quelque chose, Edel avait l'air particulièrement heureux hier matin.

– Ça ne te concerne pas.

– Je suis le meilleur ami d'Edel, je devrais être au courant.

– Son meilleur ami, vraiment ?

– Oui, son meilleur ami ! Avant il me racontait tout, mais maintenant il me parle si peu ...

Jehan baissa les yeux, une mine triste apparaissant sur son visage. Il soupira à son tour et finit par déclarer :

– Edel est monté, il est dans l'infirmerie.

Anthémis le considéra quelque temps, et un étrange sentiment de compassion s'insinua en elle. L'amitié entre Edel et Jehan aurait été rompue par sa faute ? Il ne serait pas étonnant qu'Edel ait cessé de raconter ses histoires de cœur à Jehan car il ne voulait pas le blesser.

La jeune fille remercia son camarade et reprit sa course pour atteindre le plus vite possible l'infirmerie, toujours rivée sur son objectif, celui de parler à son ami de sa « découverte ».

La porte de la salle blanche était ouverte, et Anthémis pénétra la pièce sans grande grâce, c'est-à-dire à pas d'éléphant et en se cognant malencontreusement le pied contre le mur en voulant faire un virage.

– Ça va ? s'inquiéta Edel quand il aperçut une grimace de douleur sur le visage de la jeune fille.

– Oui oui, assura-t-elle. (Elle prit un ton sérieux et s'approcha de son ami.) Il faut que je te parle de quelque chose.

– C'est à propos d'hier matin ? demanda le jeune homme en passant une main dans ses cheveux, s'empourprant au passage.

Anthémis revit dans sa tête le baiser de la veille, mais elle effaça cette image ; elle ne devait pas y penser, cela avait tendance à la rendre anxieuse.

– Non, à propos de quelque chose que je viens de comprendre et qui va changer la vision que nous avons des Miroirs.

Edel la considéra, une mine intéressée s'installant sur son visage.

La jeune fille s'approcha encore un peu de lui, son cœur tambourinant contre sa poitrine à l'idée de lui souffler ces quelques mots :

– Les Miroirs sont encore des êtres humains au fond d'eux. Leur toucher n'est pas irréversible.

Son jeune ami haussa les sourcils, semblant peu convaincu par les paroles d'Anthémis.

– Qu'est-ce qui te fait dire ça ? lui demanda-t-il.

– Rien en particulier, articula l'adolescente. C'est juste que c'est évident !

– Évident pour qui ? Pour quelqu'un qui désespère au point d'aller inventer des idioties. Allez, viens ici. (Edel ouvrit grand les bras, incitant la jeune fille à se reposer blottie contre lui.) Je comprends que tu ailles mal, mais ne cherche pas les faux espoirs. Repose-toi quelques secondes et reprends tes recherches comme tu l'as toujours fait.

Anthémis laissa une moue déçue apparaître sur les traits de son visage. Edel ne la croyait pas, il fallait le convaincre.

– Je ne désespère pas et je ne cherche pas les faux espoirs. Je suis persuadée que j'ai raison. Les Miroirs ne sont pas des créatures inhumaines et on peut sauver ceux qui ont été victimes de leur toucher. Je peux sauver Ambroisie et Mélopée.

Face à son ton déterminé, Edel baissa ses bras et les croisa contre son torse, toisant l'adolescente comme si elle délirait.

– Encore une fois, qu'est-ce qui te fait dire ça ? répéta-t-il.

– Mais, rien ... ! Enfin si, tout ... ! Non ... non, je n'ai pas de preuve concrète, c'est vrai ! Tout simplement parce que si nous voulions une preuve concrète, il faudrait pouvoir sonder l'âme des Miroirs, ou alors réussir à leur rendre forme humaine, ce qui, pour l'instant, nous est totalement impossible ... Mais j'ai réfléchi, et tout nous pousse à penser que ce que je dis est vrai. Les Miroirs ne sont pas des monstres à part, puisqu'ils se transforment à partir de la chair humaine ; ils font perdre la raison à leurs victimes et reflètent leur corps, mais ça reste des corps humains, alors qui dit que leur toucher est réellement irréversible et qu'une personne reflétée est morte ? Moi, je ne pense pas, non, je suis sûre qu'une personne reflétée n'est pas morte, mais a simplement été rendue folle par les Miroirs, par cette substance répugnante qui recouvre leur corps de traces noires. Il suffirait probablement de leur enlever cette couche de peau pour que les victimes guérissent ...

Anthémis s'approcha encore d'Edel, les yeux écarquillés, fascinée par sa propre découverte. Son visage apeura légèrement le jeune homme, qui jugea préférable d'éloigner le sien.

– On doit aller à Dryadalis, conclut l'adolescente, c'est là où nous avons le plus de chance d'apprendre comment sauver toutes ces victimes !

Edel la considéra encore quelques instants, et le silence retomba dans l'infirmerie. Le seul réflexe du jeune homme fut alors de poser une main sur le front d'Anthémis, persuadé qu'elle était malade. Il s'avéra qu'elle n'avait pas de fièvre, ce qu'il trouva encore plus inquiétant.

La jeune fille s'éloigna de lui, comprenant qu'il pensait qu'elle délirait.

– Tu ne me prends pas au sérieux, fit-elle remarquer.

– Non, en effet.

Anthémis reçut cette dernière réplique comme un coup de poing au ventre ; Edel, son plus proche ami, le seul qui habituellement la comprenait, refusait de voir toute la vérité qui résidait dans ses paroles !

– Dryadalis ? répéta Edel en s'asseyant sur une chaise pour réfléchir plus posément. On va mourir si on y va, ce n'est même pas la peine d'y songer. Et comment veux-tu y aller ? Les barrières y sont encore électriques et la capitale est truffée de Varlets.

La jeune fille s'assit à ses côtés.

– Je n'ai jamais dit qu'on n'y risquait rien, mais on n'y risque pas plus la mort qu'autre part en Hodei.

– Les Miroirs, on peut les fuir si on est suffisamment rapides. Le gouvernement, lui, il nous traquera jusqu'à ce qu'il nous attrape, et s'il ne nous attrape pas, il attendra qu'on meure d'épuisement à force de s'en cacher. (Il regarda droit dans les yeux son amie en fronçant les sourcils.) Les Miroirs sont féroces mais ils ne sont pas toujours très malins, s'ils nous perdent de vue, ils iront chercher d'autres victimes. Les humains, eux, sont sadiques. Dès lors qu'ils nous auront repérés, ils n'oublieront jamais notre visage et ils feront en sorte que ce qu'il nous reste de vie soit un cauchemar encore plus invivable que celui dans lequel on vit déjà.

– Le gouvernement est sadique mais c'est un idiot, je n'ai pas peur de lui.

Edel sentit son estomac se nouer à l'entente de cette terrible phrase. Je n'ai pas peur du gouvernement. Seuls les plus fous pouvaient penser une chose pareille.

– La Famille Dirigeante ne me fait pas peur, continua Anthémis. Je suis prête à tout pour sauver ma sœur. Je n'ai vécu ces derniers mois qu'avec l'espoir de pouvoir la venger, ou du moins de pouvoir comprendre ce qu'il lui est vraiment arrivé, et maintenant, je vis avec l'espoir de pouvoir lui redonner forme humaine. Tu ne me feras pas croire que c'est le gouvernement ou un quelconque Varlet qui m'empêchera d'atteindre ce but-là.

– Et moi, est-ce que je pourrais t'en empêcher ?

Anthémis considéra Edel sans comprendre ce qu'il voulait dire par là.

– Est-ce que si moi je te demande de rester ici et de te mettre en sécurité, tu seras sage et tu accepteras ?

– ... Je te l'ai dit, Edel. Je ne vis que pour sauver ma sœur. Alors même toi, tu ne sauras pas me persuader de rester ici. Et puis, tu sais bien qu'on n'est en sécurité nulle part. En Hodei, si on ne se fait pas refléter, on meurt de faim.

– Tu délires, Anthémis. Tu délires et ça me fait peur.

– Je ne délire pas, je n'ai jamais été aussi sérieuse qu'aujourd'hui !

– C'est bien ce que je dis : tu as l'air parfaitement sérieuse et pourtant tu racontes des choses beaucoup trop énormes pour être les paroles d'une personne saine d'esprit !

– Tu es en train de dire que je suis folle ?

– Peut-être bien que oui !

La jeune fille marqua une pause, interloquée. Edel venait de lui dire qu'elle était folle ; lui, qui jamais n'avait osé la critiquer méchamment ni quoi que ce soit de ce style, la traitait de folle ?

– Excuse-moi, mais quand quelqu'un me sort de pareilles sottises concernant les Miroirs et m'annonce vouloir se rendre à Dryadalis, je ne peux pas considérer cette personne comme étant en parfaite santé mentale ... !

Le regard d'Anthémis perdit tout son enthousiasme pour redevenir aussi vide qu'à son habitude. Vide d'émotions.

– Tu penses que je suis folle, murmura-t-elle, d'accord.

– N-Non, je ...

– Tu pensais que j'étais désespérée et maintenant tu dis que je suis folle, je vois.

– Pardonne-moi Anthémis, je ...

– À aucun moment tu n'as pensé à prendre mes paroles au sérieux. Je mérite donc si peu de considération ?

– C'est pas ça, c'est juste que ce que tu me racontes, ça me fait peur, j'ai peur que tu meures en essayant de jouer l'héroïne, et ...

– « Jouer l'héroïne » ? Tu crois vraiment que c'est un jeu, pour moi ?

– Non, pardon, je m'exprime mal ...

– Tu ne t'exprimes pas mal. Tu dis le fond de ta pensée. Tu trouves que je suis folle et tu penses que je vais m'aventurer à Dryadalis par pur plaisir, parce que tout ça n'est qu'un jeu.

– Anthémis, arrête de jouer la susceptible !

– Tu m'as traitée de folle et je devrais le prendre bien ?!

– Je regrette !

– C'est bien de regretter, mais ça n'efface pas les paroles !

Edel soupira longuement et se passa une main sur le visage.

– Arrêtons cette dispute idiote, souffla-t-il.

– Oui, acquiesça Anthémis, arrêtons-la. Si tu ne veux pas m'accompagner, ne m'accompagne pas. J'irai seule.

– Quoi ? Non, ne fais pas ça !

– Tu ne me laisses pas le choix.

– Tu pourrais rester ici, avec nous ... avec moi ! Tu m'aimes, non ?

La jeune fille s'était levée et regardait maintenant Edel avec son regard le plus vide et le plus froid. Elle ne répondit rien.

– Hein, Anthémis, tu m'aimes ?

Elle détourna le regard et s'apprêta à quitter la pièce.

– Anthémis !

Edel se leva et la prit dans ses bras, s'agrippant à elle comme si elle allait s'envoler.

– Pourquoi tu ne dis rien ? Hier ... Hier matin, ça ne voulait rien dire ?

La jeune fille tenta de se défaire de l'étreinte, mais son ami la tenait fermement contre lui.

– Un baiser, dit-elle, c'est juste un baiser.

Après ces quelques mots, un lourd silence s'installa dans la pièce. Les bras d'Edel déserrèrent leur pression autour des épaules de l'adolescente, et Anthémis s'en dégagea faiblement. Elle jeta un coup d'œil au visage du jeune homme, qui, à son tour, n'exprimait plus rien, si ce n'était de l'amertume.

– Pourquoi tu m'as laissé penser que tu m'aimais ? lui reprocha-t-il.

– Ça n'a plus d'importance, émit Anthémis sur un ton d'indifférence.

– Pourquoi ça n'en aurait pas ?

– Parce que je m'en vais.

Edel se redressa et serra les poings. Elle allait vraiment partir ; comme Adélaïde, la détermination se lisait dans sa voix et dans ses yeux, et personne ne pouvait la faire changer d'avis. Elle partirait coûte que coûte, avec ou sans lui. Mais il ne pouvait pas rejoindre la capitale avec elle ; il voulait sauver les victimes des Miroirs, toute sa vie il n'avait vécu que pour venir en aide aux autres, mais il avait peur, il ne serait qu'un fardeau pour elle – si du moins il ne mourrait pas dès son premier pas en dehors de la demeure.

Il ne pouvait rien faire. Ni retenir Anthémis, ni partir avec elle. Il aurait pourtant pensé pouvoir aller jusqu'au bout du monde à ses côtés, mais désormais, il se rendait bien compte qu'il avait été naïf de le croire ; il ne se sentait pas même capable d'aller à l'autre bout d'Hodei, alors qu'en était-il du monde ?

Au lieu d'être triste, ce fut une tout autre émotion qui vint lui entraver le cœur ; une émotion qu'il n'avait connue que peu de fois : la colère.

– Sérieusement ? Tu vas vraiment partir sur un coup de tête, m'abandonner comme ça, alors que j'ai tant fait pour toi, que je t'ai tout donné, jusqu'à mes sentiments les plus sincères ? Je t'ai tout pardonné, et c'est comme ça que tu me remercies ? En t'en allant en mission suicide ?

– « Tout pardonné » ? Qu'est-ce que j'ai commis qui demande que tu le pardonnes ?

– Déjà, le fait que tu ais feint de m'aimer – parce que oui, j'accepte de te pardonner ça, même si l'idée que tu sois si peu sincère avec moi me fait mal. Ensuite, je t'ai pardonné toutes ces semaines où tu as refusé de me parler ni même de m'accorder la moindre importance. Je t'ai pardonné ton comportement puéril, agaçant et parfois odieux. Je t'ai pardonné tes crises de colère, tes caprices et ton orgueil. Je t'ai même pardonné de m'avoir empêché de sauver mon père, le soir de l'attaque à Lunaria.

– Quoi ? Parce que tu m'en avais vraiment voulu pour la mort d'Igor ? Mais je t'ai sauvé, cette nuit-là !

– Et c'est exactement ce pourquoi je t'ai pardonné, mais j'ai eu du mal !

– Mais ... pour une fois que je sauvais quelqu'un !

– Tout ce temps, je n'ai pu m'empêcher de me dire que si tu avais agi à temps, tu aurais pu me prévenir qu'il y avait des mines enfoncées dans le sol, et tu n'aurais pas sauvé une seule personne, mais deux : mon père et moi.

– Là tu es en train de me reprocher de nouveau la mort d'Igor. (Elle serra la mâchoire, sentant une colère de plus en plus intense lui monter le long de la gorge.) Si c'est comme ça que tu le prends, moi aussi je peux te reprocher de m'avoir empêchée de sauver Mélopée. Si tu ne m'avais pas retenue et si tu m'avais laissée faire fuir ce Miroir, elle ne se serait peut-être pas fait refléter.

– Tu n'aurais jamais pu le faire fuir, tu serais morte avec Mélopée.

– Tu ne sais pas. Et puis, Mélopée n'est pas morte, c'est ce que je me tue à te dire depuis tout à l'heure ; elle s'est seulement fait refléter.

– Ça veut dire quoi, ça ? Un humain reflété n'est pas mort ? Ça veut dire que quand on tue un Miroir, on tue un être humain ? Ne va pas me dire que tu es une meurtrière parce que tu as tué un Miroir un jour.

– Si. Je suis une meurtrière, j'en ai conscience désormais.

– Ne raconte pas n'importe quoi.

– Quand comprendras-tu que je ne m'amuse pas à te raconter n'importe quoi ? Je suis sérieuse !

– Tu bases tous tes espoirs sur une hypothèse ! Tu ne peux pas savoir si ce que tu penses est vrai ou non !

– Mais c'est la seule chose sur laquelle je peux me reposer si je veux sauver Ambroisie ! Alors je m'en fous de crever ou non à Dryadalis ! Que les Varlets essaient donc de m'attraper et de me torturer, je ne me laisserai pas faire ! Je vais à Dryadalis, je pars sauver ma sœur, Mélopée, et tous les autres, que ça te plaise ou non, que tu m'accompagnes ou non, que tu me soutiennes ou non ! Je pars !

Sur ce, Anthémis tourna les talons et quitta la salle sans adresser un seul regard à Edel.

*

Deux jours passèrent. Sous le coup de la colère, la jeune fille n'avait pas beaucoup réfléchi, et, même si elle était toujours sûre d'elle et n'avait pas perdu de vue son objectif de se rendre à la capitale, elle avait besoin de prendre le temps nécessaire à l'organisation de son départ. C'est ainsi que, durant ces deux jours, Anthémis mit en place dans sa tête tout son programme – bien qu'après son arrivée à Dryadalis, son plan était quelque peu flou et qu'elle aurait sûrement à improviser le moment venu – et parla aux autres Sans-Reflets de sa « découverte », ou plutôt de la révélation qui lui avait frappé le crâne.

Sans grande surprise, personne ne la crut, ou pire, personne ne l'écouta. Une gamine comme elle n'avait pas le droit à la parole, et les adultes comme Ephrem avaient mieux à faire que l'entendre babiller. Alors tant pis, avait songé Anthémis, j'irai seule. Mais elle avait alors réalisé qu'elle n'irait pas forcément aussi seule qu'elle le pensait ; une personne restait susceptible de l'accompagner durant le voyage : Adélaïde.

La jeune fille décida alors qu'elle passerait par Lunaria avant de se diriger vers Dryadalis. Peut-être que son ex-commandante l'accompagnerait ; elle préférerait sûrement savoir Anthémis « en sécurité » à ses côtés que seule, perdue dans l'immensité inconnue d'Hodei.

Et, un matin de fin de juillet, l'adolescente fit ses bagages et monta à l'étage, sûre d'elle et plus déterminée que jamais. Elle préférait que son aventure chez les Sans-Reflets s'arrête là, quitte à délaisser Edel. Elle refusait de penser à son ami, apeurée à l'idée de réaliser pleinement ce qu'elle s'apprêtait à faire et de changer d'avis pour finalement rester aux côtés de celui qu'elle chérissait tant, non-pas de manière amoureuse mais d'un amour sincère malgré tout. Elle devait sauver sa sœur, c'est ce qui importait le plus. Oui, elle s'était juré d'essayer d'être digne de l'amour que lui portait Edel, mais elle avait fait de son mieux ; elle lui avait proposé de l'accompagner, il avait refusé, elle n'y pouvait rien. Ambroisie devait être sauvée et c'était le plus important.

Ce matin-là, Anthémis monta lentement les escaliers, et longea plus doucement encore les couloirs, contemplant les personnes qu'elle croisait ou qu'elle voyait vaquant à leurs activités, et qui avaient formé ses camarades durant les derniers mois.

Elle observa même quelque temps Jehan, dans la réserve qu'il avait aménagée en atelier, une toile déjà bien entamée devant lui, un bout de bois garnis de mélanges de gouache dans une main, un gros pinceau dans l'autre, s'attardant sur les plus petits détails de sa peinture. Derrière sa puérilité et son orgueil, il avait une âme d'artiste – et, Anthémis devait se l'avouer, il avait un certain talent. Edel lui avait raconté que Jehan, plus jeune, était considéré comme un « voyou » et aimait taguer les murs d'Ibai ; il avait arrêté ses études à seize ans pour devenir un véritable artiste et vendre ses propres tableaux. Une fois, sa cousine, de laquelle il était très proche, lui avait acheté un de ses tableaux, mais n'ayant pas d'argent de poche, elle lui avait donné en échange son collier de perles rouges. Depuis que sa cousine s'était fait refléter, il ne quittait jamais ce collier, qu'il portait chaque jour sans exception. Étrangement, en repensant à cette triste anecdote, Anthémis trouva que Jehan n'était vraiment pas si méchant qu'il en avait l'air ; après tout, il possédait des sentiments aussi humains que ceux de n'importe qui d'autre. Certainement, lui aussi voudrait revoir sa cousine vivante. L'adolescente allait essayer d'exaucer son souhait.

Elle s'arrêta une nouvelle fois, cette fois-ci devant le salon, où elle contempla rapidement Ephrem et son visage toujours aussi impassible, sa mèche blond cendré qui recouvrait la moitié de son front, son teint bronzé et ses petits yeux gris et inexpressifs, sa haute taille et sa carrure imposante, ses piercings à l'oreille et ses taches de rousseur sur ses joues. Elle n'avait jamais pris le temps de regarder de la sorte son nouveau (et bientôt ancien) commandant et n'avait jamais vraiment réalisé qu'il ressemblait à cela, comme s'il avait longtemps été un sans-visage dans son esprit. Elle ne savait toujours rien de lui, même si Adélaïde lui avait raconté qu'il était autrefois un petit garçon capricieux qui voulait toujours avoir le contrôle de tout et qui jalousait sa sœur pour être l'aînée de la famille. Anthémis ne tenait pas spécialement à en savoir plus sur lui. Elle ne l'aimait décidément pas, il était un médiocre commandant qui ne pensait que peu à ses compagnons.

En continuant son chemin vers l'entrée de la demeure, elle croisa Opale, qui lui sourit et lui demanda si elle comptait atteindre le palais de la Famille Dirigeante. Après avoir acquiescé, la jeune fille observa son ancienne coéquipière s'en aller en sautillant gaiement, telle une petite fille innocente. Finalement, Anthémis n'aura jamais su si Opale était vraiment la propriétaire des pièces dorées – bien que c'était ce qui semblait le plus probable – et elle n'aura jamais pu lui poser de question et encore moins recevoir de réponse. De toute manière, elle doutait du fait qu'elle aurait réussi à parler naturellement à la jeune femme, qui lui donnait la chair de poule à la simple vision de son sourire inquiétant et d'Ekaitza accrochée dans son dos, qu'elle ne quittait jamais, comme une peluche porte-bonheur. Elle n'aura jamais connu plus en profondeur l'histoire d'Opale, et, plus que de ne pas vouloir en savoir plus, elle avait peur d'en apprendre davantage sur le passé de cette jeune femme énigmatique au regard et au sourire terrifiants.

Il ne restait plus qu'Edel, la seule de ses plus anciennes connaissances chez les Sans-Reflets qu'elle n'avait pas croisée ou repérée dans une des salles de la demeure. Il devait se cacher. Espérer qu'elle changerait d'avis et l'attendre sagement. Prier pour qu'elle reste près de lui. Mais elle n'en avait pas décidé ainsi. Elle le blesserait une dernière fois, et elle partirait à tout jamais.

Remettant en place son gros sac sur son dos, une boussole à la main et couverte de sa combinaison, Anthémis s'aventurera au dehors ; elle avait bien choisi son jour, il pleuvait ce matin-là.

Elle jeta un ultime coup d'œil à la demeure qui l'avait hébergée durant quelques mois. Cette demeure que jamais n'aura connue Mélopée, pourtant membre des Sans-Reflets. Cette demeure que jamais n'aura connue Ambroisie, alors qu'elle aurait dû rester aux côtés de sa jeune sœur, ne serait-ce que le temps que cette dernière grandisse encore un peu et devienne adulte.

Anthémis croisa alors le regard d'Edel, qui la regardait depuis la porte d'entrée. Il s'y était glissé en silence mais ne comptait visiblement pas la rattraper. Il se contentait de la regarder de loin, s'apprêtant à la laisser partir, comme un oiseau qu'on aurait libéré de sa cage.

La jeune fille ne put pas se permettre de rester plus longtemps statique, à le contempler à son tour comme si elle regrettait déjà sa décision. Elle avait fait un choix, elle avait un objectif, et une bonne fois pour toutes, elle s'y tiendrait.

Alors, elle se retourna lentement, et débuta sa longue marche en direction de Lunaria.

En la voyant s'éloigner un peu plus de lui à chacun de ses pas, Edel ne put se contenir et éclata en sanglot. Son corps, faible, se laissa tomber au sol et il agrippa ses mains à son crâne, comme pour s'arracher les cheveux. Son âme tout entière criait à Anthémis de revenir, mais sa voix refusait de s'élever, et seuls des murmures plaintifs s'échappèrent de ses lèvres. Qu'allait-il devenir, sans elle ? Aurait-il ne serait-ce que la force de continuer à vivre, alors qu'il avait perdu sa famille, maintenant celle qu'il aimait, et que le monde lui était si hostile ?

Quant à elle, Anthémis ne vacilla pas, toujours fidèle à elle-même, rivée sur ce qu'elle devait accomplir, marchant en direction de Lunaria une dernière fois avant de rejoindre la capitale, Dryadalis, cœur de tous les maux d'Hodei.

Elle aurait pleuré, si seulement elle en avait vu l'utilité.

Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro