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Chapitre 18 - Mélopée

Berbéris ne revint que le lendemain matin, et personne ne sut ce qu'il avait fabriqué dehors toute la nuit. Anthémis avait essayé de parler de l'homme à Edel, mais il ne l'avait pas crue. D'après lui, Berbéris avait toujours eu cette odeur et il ne la trouvait pas si étrange que cela. Visiblement, le jeune garçon n'avait jamais directement fait face à un Miroir.

Gilen Asko s'était levé vers neuf heures du matin et avait retrouvé les quatre rescapés réveillés, prêts à s'en aller. Juste avant qu'ils ne partent, Edel lui avait demandé s'il savait pourquoi l'électricité, le gaz et l'eau avaient été coupés au fief Ouest - ou du moins à Eleguerio. Le Vassal avait haussé les épaules, et supposé que puisqu'il n'y avait plus de survivant là-bas, la Famille Dirigeante ne se serait pas embêtée à leur fournir encore de quoi équiper leur maison. Maintenant qu'elle y pensait, cela paraissait logique dans la tête d'Anthémis.

Le petit homme leur avait donné une carte d'Hodei pour qu'ils se repèrent plus facilement.

- De nos jours, ils ne distribuent plus de carte de l'île tout entière, leur avait-il dit. Juste de petits schémas pour se repérer dans un fief. Mais maintenant que les barrières sont détruites, cette carte vous sera utile.

- Merci infiniment ! Mais pourquoi un Vassal comme vous est aussi généreux avec nous ? lui avait timidement demandé Edel.

- Puisque c'est bientôt la fin, autant passer mes derniers jours à aider les autres ... !

Donc il ne se décide que maintenant à être gentil ... avait pensé Anthémis.

Les quatre rescapés étaient sortis de la maison mais avaient fini par s'arrêter en plein centre de Palis. C'est à cet endroit qu'ils se trouvaient à présent, ne sachant pas où aller.

Anthémis tourna la carte dans tous les sens, ne comprenant pas du tout comment cette feuille pouvait les aider à avancer. Les inscriptions qui y étaient encrées étaient illisibles. On ne lui avait jamais appris à se servir d'un plan - elle n'en avait pas vraiment l'utilité, étant donné qu'elle n'avait quitté Ibai que pour aller à l'école, à Loreak.

Edel lui attrapa les mains doucement pour qu'elle arrête de s'affoler sur la carte.

- Tiens, regarde. (Il lui désigna un point perdu au sud de l'étrange forme que devait former Hodei.) On est ici, à peu près.

- Gilen Asko a dit que cette carte date d'avant la Grande Révolte, se souvint Berbéris. Des choses ont dû changer depuis. On ne peut pas se fier uniquement à ce qu'il y a de dessiné et écrit dessus.

- La Péninsule collée au fief Est n'y paraît même pas, remarqua Anthémis, qui commençait à comprendre à peu près le fonctionnement d'une carte.

Berbéris s'éloigna du groupe pour aller inspecter les environs. La jeune fille en profita pour glisser à Edel :

- Tu comptes vraiment continuer le chemin avec lui ?

- C'est quoi, cette question ? (Il regarda Anthémis en fronçant les sourcils.) C'est la seule famille qu'il me reste. Bien sûr que je resterai avec lui. Peu importe tout ce que tu pourras dire sur son odeur.

Elle soupira. Elle devait s'en douter. D'un autre côté, Berbéris ne semblait pas vouloir de mal à Edel.

- De toute façon, où est-ce que tu veux qu'on aille ? On est plus en sécurité ici qu'ailleurs.

- Pour l'instant. Mais quand les Miroirs reviendront, on n'aura plus le temps de fuir. Le plus sûr, c'est d'aller chez les Sans-Reflets et d'apprendre des créatures. Leur repère se trouve en pleine campagne, c'est la seule maison du coin, les Miroirs n'iront pas là-bas en premier, et pendant ce temps on pourra les étudier et savoir comment s'en défendre.

Anthémis tenait vraiment à rejoindre les Sans-Reflets. Ils ne l'accepteraient peut-être pas, mais elle voulait ne serait-ce qu'essayer. Au lieu de foncer tête baissée vers le Palais et se faire enfermer dès les premiers pas faits dans le domaine de la Famille Dirigeante, il était plus raisonnable d'apprendre plus des Miroirs. Ensuite, elle pourrait y aller.

- J'ai rien contre l'idée d'aller chez ces ... Sans-Reflets, comme tu dis. Mais je ferai selon Berbéris. J'irai avec lui. Je sais qu'il n'est pas toujours très ... agréable. Mais je le connais depuis neuf ans, il fait partie de ma famille maintenant. Je ne peux pas le laisser seul.

- Je comprends. (Elle tourna la tête vers la Pythonisse.) Mélopée, qu'est-ce que vous voulez faire ?

Cette dernière, toujours aussi discrète, était restée à l'écart.

- Je ne veux pas continuer avec cet homme, dit-elle simplement.

- Et moi non-plus. Vous voudriez retourner au fief Nord avec moi ?

- Attendez, vous voulez qu'on se sépare ? s'exclama Edel. Mais pourquoi ? On se débrouillera mieux à plusieurs !

Plus on est et mieux on saura se défendre des Miroirs. Anthémis était toujours convaincue par cette affirmation, mais elle voulait surtout rejoindre les Sans-Reflets, et n'avait clairement pas confiance en Berbéris. Elle préférait partir avec Mélopée, quitte à laisser Edel.

- Alors, Mélopée ? insista-t-elle en ignorant le jeune garçon.

- Je suis partante, répliqua la Pythonisse.

Edel les regardait toutes les deux, abasourdi.

- Me laissez pas seul ! se plaignit-il.

- Tu ne seras pas seul, tu auras la charmante compagnie de Berbéris.

- Je vais essayer d'en discuter avec lui, déclara-t-il avant de s'en aller rejoindre l'homme.

Il semblait tenir à rester avec elles. Anthémis s'était attachée à lui, à sa gentillesse, à ses sourires, à son entêtement à vouloir aider tout le monde, à son regard bienveillant. Elle était un peu contrariée à l'idée de se séparer de lui, mais pas de là à continuer le chemin aux côtés de Berbéris. Il finirait par la tuer si elle restait avec lui. Encore la veille, il avait manqué de l'étrangler.

Elle vit de loin les deux hommes se disputer ; de toute évidence, Berbéris ne comptait pas rejoindre les Sans-Reflets - et c'était tant mieux.

- J'aimerais bien me reposer encore un peu avant de repartir, déclara Mélopée en tirant Anthémis de ses pensées. Nous pourrions rester quelques temps dans un hôtel ... Y en a-t-il un ici ?

- Un hôtel ? On n'a pas de temps à perdre, plus on attendra et plus les possibilités de s'enfuir se fermeront.

- Mais je suis trop fatiguée pour continuer. Allez-y sans moi si vous ne voulez vraiment pas attendre.

La jeune fille aussi se sentait fatiguée, mais sa motivation la poussait à continuer le chemin malgré les limites que voulait lui imposer son corps. Seulement, faire tout le trajet seule ne l'enchantait pas vraiment.

- Bon, d'accord. Mais on ne restera pas trop longtemps.

Edel finit par revenir, penaud.

- Je crois qu'on va devoir se séparer, déclara-t-il tout bas en regardant le sol. Berbéris ne veut pas prendre le même chemin que vous.

- Il compte aller où ?

- Vers le fief Est si l'entrée est libre, ce qui m'étonnerait, ou juste visiter le fief Sud. Je ne pense pas qu'il ait un plan, à mon avis il va juste se balader de fief en fief sans trop savoir où aller. Ça lui ressemblerait bien.

- Et tu vas le suivre alors que tu ne sais même pas ce que vous allez faire ?

- Je ne veux pas le laisser seul.

La jeune fille roula des yeux, même si elle pouvait comprendre ce que ressentait Edel. Ambroisie non-plus n'était pas très organisée ; si elle avait survécu à l'attaque, elle aurait probablement eu le même comportement que Berbéris et aurait vagabondé en Hodei sans savoir où se diriger. Et Anthémis aurait suivi sa sœur, peu importe ce que l'avenir leur aurait réservé.

- On se reverra quand même ? demanda innocemment Edel.

- Espérons.

Elle aurait plus penché sur un « non », étant donné que les Miroirs finiraient tôt ou tard par se présenter à eux - et qui sait ce qui pourrait arriver à ce moment-là -, mais elle se dit qu'il valait mieux être optimiste pour cette fois.

- Non, finit par émettre Edel avec un air sérieux braqué au visage. N'espérons pas. Il faut qu'on y croie. Moi je te promets qu'on se reverra.

- ... D'accord.

Anthémis ne savait pas quoi répondre, et le sut encore moins lorsque le jeune garçon l'étreignit. C'était la deuxième fois qu'il lui donnait un signe affectif, et la jeune fille n'était pas du tout à l'aise. Malgré tout, elle voulut répondre à son étreinte, mais l'enlacer à son tour lui paraissait trop gênant, alors elle se contenta de lui tapoter doucement le dos.

Edel sentait bon. Rien à voir avec l'odeur de Berbéris.

- On se reverra chez les Sans-Reflets. Je te le promets. (Il approcha son visage du cou d'Anthémis.) Reviens-moi vivante, lui souffla-t-il à l'oreille. Et sous forme humaine, de préférence.

Reviens-moi vivante. Il lui avait murmuré cette phrase si proche de son oreille.

La jeune fille sentit le sang lui monter à la tête. Edel avait des manies bien étranges, il allait falloir qu'il apprenne à communiquer autrement. Elle ne comptait pas à ce qu'il lui dise de pareilles choses si près de l'oreille. C'était plus gênant qu'autre chose.

Il mit fin à l'étreinte lorsque Berbéris l'appela. Anthémis regardait le jeune garçon sans rien dire, à la fois mal à l'aise et déçue de devoir le laisser partir. Ils se regardèrent droit dans les yeux quelques instants. Elle finit par ouvrir la bouche, et Edel s'attendait probablement à un discours d'adieu, mais ce fut tout autre chose :

- Les provisions ! C'est Berbéris qui les a. Nous aussi on en a besoin. Il n'a pas intérêt à partir avec sans nous en passer.

Il soupira. Il aurait mieux vu des adieux déchirants comme ils étaient racontés dans les livres, mais Anthémis n'était probablement pas le genre de fille à y prêter la moindre importance. Les provisions, elles, étaient visiblement plus importantes.

Lorsque la nourriture fut partagée plus ou moins équitablement - et pour cela il fallut négocier avec Berbéris -, les chemins des quatre rescapés se séparèrent. Il ne fut pas question d'adieux déchirants, ni de pleurs incontrôlés ou de cœur brisé - sauf peut-être dans l'esprit d'Edel, qui était plus sensible que les autres. Chacun avait son but en tête. Visiter Hodei. Apprendre des Miroirs. Rester auprès d'un être cher. Survivre. Et c'était bien la seule chose à laquelle ils s'autorisaient de penser.

*

Avec l'argent qu'elles avaient réussi à négocier en même temps que les provisions, Anthémis et Mélopée eurent de quoi payer une chambre dans un minuscule hôtel dans le centre de Palis. Elles deux formaient pratiquement la seule clientèle de l'endroit, ce qui n'était pas pour leur déplaire ; le silence qui y régnait leur permettait d'enfin avoir les oreilles en paix. Elles restèrent un certain temps sans se parler, à juste savourer ce moment de répit où elles n'étaient que deux et où aucun petit bruit suspect ne venait briser leur repos.

La chambre ne comportait que deux lits séparés par une petite table de chevet, sur laquelle Mélopée posa soigneusement son livre à la couverture et au ruban dorés. Anthémis plaça la statuette de l'Envol juste à côté, et se laissa tomber sur le matelas moelleux.

- C'est la première fois que je vais dans un hôtel, avoua-t-elle en regardant le plafond.

Elle tourna la tête vers la Pythonisse qui ne répondait pas. Celle-ci était aussi allongée sur son lit, mais il était impossible de discerner si elle s'apprêtait à dormir ou non. Il n'était que dix ou onze heures du matin, mais y avait-il une heure précise pour faire la sieste ?

- Vous dormez ? lui demanda Anthémis.

- Je n'en ai pas l'impression, rétorqua-t-elle ironiquement.

- On va faire quoi pendant ce temps ?

- Sommes-nous obligées de faire quelque chose ? Je comptais me reposer, personnellement.

- On peut se reposer en faisant quelque chose. J'ai pas envie de passer la journée entière à regarder le plafond, il faut que je me trouve une occupation.

Mélopée ne répondit pas. Dormir devait être pour elle une occupation satisfaisante, mais pas pour Anthémis.

Au bout de plusieurs minutes, si ce n'est plusieurs heures, la Pythonisse finit par se redresser et attraper son livre doré. Elle hésita quelques instants, mais finit par proposer à la jeune fille :

- Si vous voulez une occupation, vous pouvez me lire à voix haute le contenu de ce cahier.

Anthémis inspecta l'ouvrage avec curiosité, avant de l'attraper à son tour et aussi délicatement qu'elle le put.

- Je vous ai vue le serrer contre vous pendant tout le trajet, se souvint-elle. Qu'est-ce qu'il y a à l'intérieur pour que ce soit aussi important ?

- Je ne l'ai jamais fait lire à personne. Si je vous le fais lire, c'est seulement et uniquement parce que j'ai besoin de me remémorer mais que je ne suis plus en capacité de lire. Il y a si longtemps que je voulais réentendre ces quelques phrases encrées ...

« Il y a si longtemps que je n'avais pas touché d'arbre», « Il y a si longtemps que je n'avais pas senti la douceur de ces pétales sous mes doigts», « Il y a si longtemps que je voulais réentendre ces quelques phrases encrées ». Mélopée semblait avoir attendu ces petites choses de la vie de tous les jours comme si elles étaient des bénédictions, si on se fiait au ton qu'elle prenait lorsqu'elle prononçait ces phrases commençant toutes de la même façon. « Il y a si longtemps que je souhaitais quitter le Temple » était ce qu'elle semblait dire au fond d'elle-même, bien qu'elle ne veuille visiblement pas l'avouer.

- Promettez-moi que vous ne répéterez jamais à personne les quelques lignes que je vous demande de lire pour moi.

Anthémis n'était pas toujours de bonne foi, mais elle tenait ses promesses.

- Je vous le promets.

Mélopée marmonna un faible « bien », et s'installa plus confortablement dans son lit, à l'écoute. La jeune fille tourna la couverture dorée et découvrit la première page du cahier. Il s'agissait d'une feuille de papier fin, sur laquelle avaient été inscrites des dizaines de lignes à l'encre noire d'une écriture soignée. Des croquis de fleurs ornaient toute la longueur de la page. Quand elle vit que la première inscription était une date, Anthémis songea à un journal de bord, mais son hypothèse fut vite écartée.

Le 24 janvier 2354

Si on m'avait dit un jour que je tiendrai un journal intime, je n'y aurais pas cru. Il y a encore quelques temps, je ne savais toujours pas écrire. Mais tenir ce stylo s'avère très agréable. L'encre apparaît comme par magie, c'est amusant.

On m'a offert ce magnifique cahier hier, pour fêter mes onze ans. En vérité, je suis née un 28 décembre, mais je ne vis chez Coronna et Ancolie que depuis quelques jours, et elles tenaient à fêter mon anniversaire, même en retard. Elles sont toutes les deux adorables, mais je ne pense pas que je resterai longtemps chez elles. Tout recommencera, comme à chaque fois. Et je devrai encore changer de famille. J'en ai l'habitude.

Coronna et Ancolie ont décidé de m'appeler Mélopée. J'aime bien ce prénom, mais j'imagine que je vais bientôt devoir le changer. J'en ai changé tellement de fois. Je ne me souviens même plus de mon premier prénom.

Le 8 mars 2354

Satis, la première fille adoptée de Coronna et Ancolie - et par conséquent ma sœur adoptive -, m'a fait visiter le Temple. Elle semble lui accorder une très grande importance. C'est un beau monument, mais toutes ces histoires qu'elle m'a racontées à propos de religion m'ont un peu ennuyée. Elle m'a laissée tranquille après ça, mais Coronna a insisté pour m'initier à sa religion. J'aime bien Coronna, mais elle tient un peu trop à cœur toutes ces histoires farfelues. Je n'ai même pas retenu le nom de sa religion.

On m'a dit que le Temple était au départ ce qu'on appelait une église, construite par la Famille Dirigeante. Je ne sais pas ce que c'est, mais en tout cas, les Lunariens ont fini par tout redécorer à leur façon, et de nos jours l'église n'existe plus vraiment. C'est le Temple, maintenant.

Je ne suis pas sûre d'aimer cet endroit. Il fait froid, dans le Temple.

Le 29 avril 2354

Coronna et Ancolie passent la majorité de leur temps dans le Temple. Comme Satis est souvent occupée, je n'ai pas vraiment le choix et je reste avec elles. Je les regarde faire. Finalement, je me suis habituée à l'atmosphère du Temple. Comme c'est le printemps et qu'il fait particulièrement chaud en ce moment, les croyants viennent profiter de l'air frais qu'il y a là-bas, et avec tout ce monde, c'est plutôt animé. Je ne pensais pas qu'un endroit pareil puisse me paraître un jour agréable.

Généralement, je vais là-bas en journée et je m'occupe en dessinant. Je recopie les bas-reliefs qui ont été sculptés sur les murs de pierre du Temple. Ils sont magnifiques.

Le 15 juin 2354

Les fidèles se sont habitués à ma présence dans le Temple. Ils disent que je fais partie de la famille. Je me sens à peu près à ma place, ici. Je me sens parfois encore un peu à l'étroit, mais beaucoup moins qu'avant. Je me suis vraiment attachée à Coronna, Ancolie et Satis. Ce serait vraiment dommage si je devais changer de famille maintenant.

Le 25 juin 2354

Tout à l'heure, alors que je dessinais, j'ai fredonné une petite mélodie. Des fidèles m'ont entendue. Ancolie a vanté mes talents de chanteuse, et tout le monde a voulu que je chante pour eux. Je n'étais vraiment pas à l'aise, mais quand j'ai ouvert la bouche, les notes se sont échappées d'elles-mêmes. J'ai chanté les paroles que j'ai écrites, l'autre jour. Ça s'appelle Le ciel d'aujourd'hui. Je l'ai écrit en pensant à tout l'espoir que je ressens lorsque je suis avec ma nouvelle famille.

Ils ont tous trouvé ça très beau. Pourtant ma voix tremblait et je devais être rouge comme une pivoine.

Le 30 juillet 2354

Satis m'a montré un dessin qu'elle a créé avec une amie. Elle m'a dit qu'il s'agissait du design de leur emblème à toutes les deux, l'Envol. Elles se sont inventé toute une histoire à propos de cet emblème, mais elle n'a pas voulu trop m'en parler. Elle dit que je ne comprendrais pas. Pourtant, elle m'a proposé d'arranger un peu leur emblème, parce qu'elle ne le trouvait pas très beau. Je l'ai modifié à ma façon. J'ai allongé les deux ailes supérieures de leur étrange petit bonhomme, arrondi ses deux ailes inférieures et rapetissé le rond de sa tête. Satis est contente du résultat. Pourtant je n'ai pas changé grand-chose.

Après ça, on s'est promenées dans le parc toutes les deux. On a joué à chat, mais elle a des jambes beaucoup plus longues que les miennes, alors c'était plus simple pour elle, évidemment. Je crois que Satis a dix-neuf ans. Elle me paraît si grande, ça me fait étrange de me dire que j'aurai un jour son âge.

Le 19 septembre 2354

Aujourd'hui, je bats officiellement le record du temps passé dans une même famille. Mon ancien record était d'un peu plus de sept mois. Là, ça fait huit mois pile. Je me sens à ma place, ici. Je n'échangerai cet amour que je reçois de la part de ma famille pour rien au monde.

Le 5 octobre 2354

Je commence à comprendre l'importance que Coronna et Ancolie accordent à la religion. Quand je les vois prier, je ressens tout l'espoir qu'elles canalisent dans ce qu'elles appellent la croyance. Je les vois prier pour tout et n'importe quoi. J'ai entendu des gens à Lunaria dire que c'était totalement stupide et que ça n'apporterait rien. J'étais furieuse contre eux, même si je n'ai rien osé dire. Comment peuvent-ils penser que l'espoir est inutile ?

Le 28 décembre 2354

Aujourd'hui, j'ai eu douze ans. Coronna et Ancolie m'ont offert un cahier à dessin, un vrai, pas juste une pochette avec des feuilles volantes. J'ai passé l'après-midi entier à dessiner le paysage de Lunaria.

Satis, elle, m'a offert une couronne de fleurs qu'elle a elle-même fabriquée. Bien sûr, les fleurs finiront par faner, mais le temps d'une journée, je me suis sentie vraiment élégante. Je crois qu'elle a volé les fleurs du bouquet que Mme Sofelle, notre voisine, a laissé reposer sur le rebord de sa fenêtre. Si Coronna et Ancolie l'apprennent, elles vont être furieuses. Elles réprimandent sévèrement le vol. Mais moi j'étais trop heureuse avec ma couronne pour culpabiliser.

Le 6 avril 2355

Je n'ai pas écrit depuis des lustres ! J'étais occupée à aider Coronna et Ancolie au Temple, et le reste du temps je dessinais ou jouais avec Satis. Je n'allais pas trop voir les gens de mon âge, jusqu'à récemment, où Ancolie a décidé de m'inscrire à l'école. Je n'y étais jamais vraiment allée. Ma vie était trop instable jusqu'à présent, je changeais de famille, de maison et de prénom comme on change de vêtements.

Donc je suis allée au collège. Je ne me suis pas vraiment fait d'amis, mais je m'entends plutôt bien avec les autres. Je n'ose pas trop aller les voir, mais ils viennent me parler d'eux-mêmes, alors ça se passe bien.

Le 18 mai 2355

Satis est de plus en plus absente. Elle est toujours avec son amie. J'avouerais que je suis un peu jalouse de son amie, j'ai l'impression qu'elle me vole ma sœur. Pour compenser, je sors un peu avec un groupe de filles avec qui je m'entends bien. Mais en ce moment, c'est plutôt tendu entre nous. Elles ont appris que je fais partie de la communauté du Temple, comme elles disent, et elles me trouvent bizarre. Elles font probablement partie de ceux qui trouvent la croyance et l'espoir inutiles. J'essaie d'être tolérante et d'accepter le fait qu'elles ne puissent pas comprendre tout ça, mais je crois que ce sont elles qui me prennent de haut et crachent sur ma religion. Je reste calme malgré tout. Ancolie m'a dit que le calme et la sagesse étaient mes deux meilleurs alliés pour tenir tête à quelqu'un.

Le 15 août 2355

J'ai chanté à la chorale du collège, hier. Coronna et Ancolie sont venues me regarder, mais pas Satis. Elle était encore avec son amie. Je l'ai vue ce matin, elle m'a fait un câlin en s'excusant de ne pas avoir pu venir. Je ne lui en veux pas tellement, mais j'aimerais savoir ce qui se passe pour qu'elle soit si peu présente.

Le 27 juillet 2360

Cinq ans se sont écoulés depuis la dernière fois que j'ai écrit dans ce cahier. Je n'avais pas la force d'écrire. J'ai passé mon temps à dessiner et à chanter - même si ma voix sonnait comme une voix brisée. Une voix brisée pour une fille brisée.

Le 28 août 2355, pendant la nuit, a eu lieu ce que tout le monde appelle maintenant la Grande Révolte. Les gens se sont rebellés contre la Famille Dirigeante et ont voulu mettre le feu au Palais. Je n'y étais pas, n'habitant pas à la Capitale, mais même à Lunaria c'était la folie. Des Varlets ont commencé à tirer sur la foule. Bien que notre ville soit pratiquement collée à la Capitale, beaucoup d'habitants n'avaient rien à voir avec la révolte, et pourtant beaucoup d'entre eux sont morts.

Dont Coronna et Ancolie.

Je n'étais même pas là au moment de leur dernier souffle. Mais je ne sais pas si j'aurais supporté la vision d'elles mourantes.

Ce n'est pas tout.

Satis faisait partie des premiers à s'être approchés du Palais. Elle avait tout planifié depuis longtemps, avec son amie et d'autres rebelles. C'est pour ça qu'elle était si souvent absente. L'Envol était en fait l'emblème de leur clan rebelle. Je lui en ai longtemps voulu de m'avoir caché ça.

C'est Satis qui a tué Milio Hodei. Je ne sais pas comment elle s'y est prise, mais elle a tué notre roi. Des Varlets lui ont tiré dessus et l'ont accrochée à l'immense portail du Palais pendant des heures, la laissant se vider de son sang jusqu'à ce qu'elle meure. C'était censé prévenir les autres rebelles de ce qui les attendait s'ils osaient continuer la révolte. Mais ça n'a pas suffi. Ils ont continué, et tout Hodei semblait s'être donné rendez-vous au fief Nord.

Il ne reste aujourd'hui que des ruines de la Capitale de l'époque, et des centaines de personnes sont mortes. Satis est appelée la martyre de Lunaria. L'Envol a été sculpté sur la façade du Temple à son effigie. Pour se souvenir de la rebelle qui a tué Milio Hodei, bien que ce meurtre n'ait au final rien apporté.

Je ne sais pas ce qu'est devenue son amie. Elle est probablement morte, comme les autres. Comme ma famille.

Le 4 janvier 2361

J'ai passé les cinq dernières années à m'occuper du Temple, puisque Coronna et Ancolie ne sont plus là pour ça. Je suis resté forte malgré tout. Enfin, il me semble.

Pour oublier ma peine, je me suis tuée à la tâche. Après la Grande Révolte, il a surtout s'agit de soigner les blessés. Nous avons utilisé le Temple pour entreposer les corps, puisque l'hôpital avait été brûlé. De vrais médecins sont venus. Il n'avaient pas vraiment besoin de moi, mais je les ai assistés. Je leur apportais les outils, je leur indiquais où ils pouvaient trouver telle chose dans l'enceinte du Temple. J'ai supporté la vue du sang et les cris de douleur. Alors que je n'avais que douze ans.

On a voulu me trouver une nouvelle famille, mais j'ai refusé. Et alors qu'ils insistaient, je me suis enfuie. Je suis restée une nuit entière dans la campagne, perdue. Quand on m'a retrouvée, je leur avais suffisamment montré à quel point il était hors de question que je me fasse de nouveau adopter. Les fidèles qui me connaissaient m'ont aidée à les convaincre, et je suis au final restée au Temple comme s'il s'agissait de ma maison. Je n'avais pas de famille à proprement parler, mais plusieurs croyants avaient perdu leur maison et ont vécu avec moi quelques temps. J'étais appréciée. Je chantais pour endormir les enfants des fidèles, je décorais le Temple pour lui donner meilleure allure, j'étudiais avec avidité la religion pour partager mon savoir aux autres.

Au fil du temps, les croyants se sont trouvé de nouvelles maisons, et ils sont partis. Beaucoup d'entre eux ont cessé de croire, parce qu'ils avaient beau prier, la situation d'Hodei empirait de plus en plus.

Aujourd'hui, je suis seule dans le Temple, mais je continue de sortir et de raconter des histoires aux enfants des anciens fidèles. On continue de bien m'aimer. J'ai toujours le sourire aux lèvres, je reste optimiste quoiqu'il arrive. J'espère leur donner un semblant d'espoir. Parce que nous allons en avoir besoin pour endurer tout ce qu'il nous reste à endurer, sur cette misérable île.

Et ce fut la dernière page encrée du cahier. Anthémis arrêta sa lecture, la gorge serrée, et releva les yeux vers Mélopée. Celle-ci ne bougea pas.

- Qu'est-ce qui s'est passé, après ? ne put s'empêcher de demander la jeune fille.

- Pourquoi vous le dirais-je ?

- Vous ne pouvez pas me laisser en plan comme ça ! Et puis, je vous ai dit que je ne répéterai rien.

La Pythonisse ne répondait toujours pas.

- Votre histoire m'intéresse, avoua Anthémis.

Quelque part, parler à quelqu'un devait la soulager, car Mélopée finit par raconter la suite, ce qu'elle n'avait jamais pu écrire dans ce cahier :

- Quelque temps après avoir rempli cette dernière page, toujours en 2361, des Varlets sont venus me chercher. Je n'avais aucune idée de ce qu'ils me voulaient, ni de ce que j'avais bien pu faire. Ils m'ont fait monter sur un de leurs chevaux et n'ont pas voulu répondre à mes questions. Ils m'ont seulement dit « la nouvelle reine vous veut au Palais ». Aenor Hodei venait tout juste de se faire couronner. À cheval, nous sommes vite arrivés à Dryadalis, la nouvelle capitale d'Hodei, située au fief Est. Nous sommes passés par un chemin que je ne connaissais pas, qui semblait être le croisement entre les quatre fiefs. Nous sommes arrivés au Palais à la nuit tombée, et je ne savais toujours pas ce qu'on attendait de moi. On m'a menée jusque dans une pièce sombre à l'intérieur, et j'y ai vu quelque chose d'horrible. Quelque chose qui m'a sauté au visage. Quelque chose qui m'a fait si peur que j'ai eu la force de m'échapper des bras des Varlets. Et j'ai commencé à courir. Au début, on a essayé de me rattraper - chose qui ne devait pas être bien difficile -, mais j'ai entendu une voix leur dire de me laisser filer. Il s'agissait probablement d'Aenor Hodei. « Laissez-la retourner chez elle, je suis intéressée par la tournure que vont prendre les choses. » Je ne comprenais pas ce qu'elle disait, ce que cela signifiait. Je suis retournée au fief Nord au lever du soleil, et lorsque j'ai croisé mon reflet sur les vitres des magasins, j'ai remarqué que mes yeux étaient devenus jaunes, et que la peau atour de mes orbites avait pris une couleur noire.

Mélopée fit une pause dans son récit, ce qui laissa le temps à Anthémis de réfléchir à ce qu'elle venait de raconter. Elle avait du mal à réaliser.

- Ce quelque chose dans la pièce sombre, c'était ... un Miroir ? lui demanda-t-elle presque timidement.

La Pythonisse hocha la tête.

- Et c'était en 2361 ?

La réponse fut toujours la même. Oui.

- Alors ... les Miroirs étaient en Hodei depuis plus longtemps que ce qu'on pensait ... Mais pourquoi Aenor Hodei vous a fait venir au Palais ?

- Elle voulait me transformer en Miroir. Comme si j'étais une cobaye.

Tout sembla s'éclaircir dans l'esprit d'Anthémis, en même temps que de nouvelles idées l'embrouillaient. Elle ne savait pas si l'histoire devenait de plus en plus claire, ou si au contraire, elle s'obscurcissait.

- Les Miroirs étaient donc là depuis longtemps. Et Aenor Hodei avait besoin de cobayes pour s'assurer qu'ils faisaient bien leur travail. Qu'est-ce qui s'est passé de votre côté, ensuite ?

- Lorsqu'ils m'ont vue, les Lunariens ont pris peur. Peu importe combien ils avaient autrefois pu m'apprécier, je n'étais alors à leurs yeux qu'un monstre, à tel point que certains me nommaient la vue de Satan. Moi-même j'avais peur de ce que j'allais devenir. J'avais atrocement mal au crâne, aux yeux, à la peau. Je brûlais de partout. Alors les Lunariens ont fait ce qui leur semblait le plus juste. Ils m'ont crevé les yeux.

Anthémis s'empêcha de pousser un cri de stupeur.

- Quoi ? Ils vous ont fait ... ça juste parce que vous aviez les yeux jaunes ?

- Nous ne savions pas ce qui en retournait. Moi non-plus. Alors je les ai laissés faire.

La jeune fille, qui elle-même avait un œil de cette couleur, ne pouvait concevoir le fait qu'on ait recours à ce genre de méthode. Même si avant de rencontrer les Sans-Reflets, elle commençait à avoir peur d'elle-même, jamais elle n'aurait laissé quelqu'un lui crever son œil.

- Je suis restée bloquée dans le Temple. Je ne voyais rien, et mes yeux étaient probablement plus effrayants encore crevés que jaunes. Je ne pouvais pas sortir sans me sentir extrêmement mal. J'étais traitée de monstre partout où j'allais. Seuls d'anciens fidèles me soutenaient plus ou moins, venant me rendre visite de temps en temps. Même si c'était eux en personne qui avaient crevé mes propres yeux.

- Alors en plus ce sont vos amis qui vous ont fait ça ?

- Ils pensaient bien faire. Je les ai même remerciés par la suite, persuadée que le sort qui semblait m'avoir été jeté s'était envolé et que j'étais en sécurité. J'ai passé le temps en chantant, en tentant tant bien que mal de dessiner même sans voir, et en essayant de communiquer avec les divinités.

- Les divinités vous parlent vraiment ?

- Et vous Anthémis, pensez-vous que les divinités puissent me parler ?

- Moi ? Je ne pense pas que ce soit possible.

- C'est bien ce que je me disais. Il serait inutile que je vous affirme le contraire si, de toute manière, vous n'y croyez pas. (Elle soupira légèrement.) Je suis devenue la Pythie de Lunaria, c'est du moins ainsi que m'appelaient les fidèles. Les autres me surnommaient la Pythonisse aux yeux de sang. J'ai toujours détesté ce surnom. Comme si seule mon absence d'yeux me caractérisait.

Anthémis se rappela à quel point Edel était terrorisé à l'idée d'aller chez la Pythonisse aux yeux de sang. Elle se souvint aussi avoir craché sur la religion devant Mélopée.

Elle se sentit soudainement très mal.

- Je suis restée dans le Temple durant sept années entières. Parfois, il m'arrivait de sortir dehors, mais seulement la nuit. J'étais aidée par deux anciens fidèles, qui avaient peur de moi mais surmontaient leur peur à chaque fois qu'ils mettaient un pied dans le Temple. Je ne sais pas si je leur étais reconnaissante de m'aider, ou si je leur en voulais d'avoir peur de moi. (Elle se tourna dans son lit et soupira une nouvelle fois.) Ils doivent être morts, à l'heure qu'il est.

La jeune fille resta sans rien dire un certain temps, émue et à la fois abasourdie par le récit qu'elle venait d'entendre. Elle savait que Mélopée avait un passé un peu particulier, mais elle ne s'attendait pas à ça. Pourtant, elle ne la prit pas par pitié. Elle n'était même pas vraiment désolée pour elle. Non, ce qu'elle ressentait à la vision de la femme s'approchait plus de la compassion que d'autre chose.

- Vous n'êtes pas un monstre, lui dit-elle. Vous êtes juste une victime de la Famille Dirigeante. Comme moi. Comme tout le monde.

Anthémis pensa intérieurement que peu importe les épreuves, peu importe les événements, peu importe si elle risquait ou non sa vie, elle garderait espoir. Parce que nous allons en avoir besoin pour endurer tout ce qu'il nous reste à endurer, sur cette misérable île.

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