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Il n'avait pas su quoi lui répondre.
Nines était assit sur le canapé du salon, Sumo à ses pieds, tandis qu'il regardait les photos éparpillés sur la table basse qu'il avait ressorti. Le carnet en main, il repensait à sa rencontre avec la sœur de Gavin.
Elle lui avait demandé si il l'aimait, mais il n'avait juste.. rien dit en retour. Il aurait voulu dire "Non, je suis une machine, je ne peux pas", mais rien n'était sorti. Il hésitait. Pourquoi est-ce qu'il hésitait ? Pourquoi s'imaginer sans sentiments le dérangeait ? Il était un déviant maintenant, oui, mais il ne comprenait rien aux sentiments !
Comment pouvait-il mettre des mots, des sensations sur l'amour, alors qu'il ne savait pas ce que c'était ? Il avait été programmé pour obéir et détruire. Il était le parfait petit soldat de CyberLife, le dernier modèle infaillible, incapable de céder à la déviance.
Alors pourquoi, lui, si ?
Pourquoi s'était-il réveillé dans une déchetterie, en pièces ? C'était à cause de ça, de sa déviance ? Et puis, comment était-il devenu déviant ?
COMMENT ?!
Gavin le savait, c'était certain ! Il était là ! A sa mort, il était là, il devait forcément savoir ! Pourquoi est-ce que sa disparition l'avait tant affecté, qu'est-ce qu'ils se passaient entre eux, avant cette tragédie ? De l'amour, de l'amitié ?
Il serra ses poings, manquant de tordre le carnet entre ses doigts. Baissant son regard vers celui-ci, il entreprit de se calmer, avant de se saisir de la première de couverture. Adèle lui avait conseillé de lire les écrits de Gavin. Il pourrait trouver des réponses, n'est-ce pas ?
Il pourrait comprendre s'il était une erreur, une machine défaillante ou.. Ou juste, quelqu'un.
Tournant alors la couverture, ses yeux se posèrent sur la première page qui n'était que rempli de gribouillis. Le Détective semblait avoir passé ses nerfs, sur cette première page. Ne pouvant rien y déceler, il la tourna.
J'écris, car je crois que c'est la seule solution que j'ai trouvé pour me vider la tête sans juste éclater la gueule de quelqu'un. J'ai envie de rien, et tout m'agace. Les gens m'insupportent, j'ai autant envie de les frapper, que de les ignorer. "Pourquoi ils vivent, alors que d'autres crèvent ?" C'est ce que j'arrête pas de me répéter, en voyant tout ce foutu monde vivre leur vie autour de moi.
J'aurais jamais cru réussir à avoir de l'empathie pour un putain de grille-pain. Mais quand je l'ai vu s'écrouler devant moi, j'ai eu l'impression de revivre la perte de ma mère. J'avais l'impression d'y être, et de la voir tomber à genoux pour finir inerte au sol. Sauf que c'était pas elle, c'était Nines.
Et je crois que c'est pire.
J'ai fais tout mon possible pour retrouver ce connard et le foutre en taule. J'ai réussi. J'ai aussi réussi à mettre les deux autres cons sous surveillance. Fowler peut plus aller contre les androïdes, maintenant, il était obligé d'agir.
Sauf que ça le ramènera pas, et ça j'ai bien compris. Comme à mes 10 ans, quand mon père m'a apprit qu'elle ne rentrerait plus jamais à la maison. CyberLife a récupéré le corps de Nines, mais je sais pas ce qu'ils en ont fait, car aucun RK900 n'est revenu le lendemain, ni le sur-lendemain, ni les autres jours.
Il était parti, pour de bon. Et je comprends pas pourquoi. Une pompe à thirium, c'est remplaçable, non ? Pourquoi ils ont juste pas été foutu de lui en donner une nouvelle ? Pourquoi il a carrément fallu le faire disparaître ?
Je pensais pas que j'étais aussi attaché à cet androïde de mes deux. J'avais enfin réussi à voir quelqu'un, en lui. A me convaincre qu'il était vivant, pas aussi con qu'il en avait l'air, qu'il était un véritable ami. Mais ils me l'ont enlevé. Et je suis seul, à nouveau.
Je sais juste.. pas ce que je vais faire, sans lui.
Je pars pour le Canada. Demain. J'ai démissionné y a une semaine, et tout est prêt maintenant. J'ai pris un appart dans le quartier apprécié des androïdes réfugiés. C'est plus petit qu'ici, mais j'en ai vraiment rien à foutre.
Je peux plus rester dans cette ville, à passer dans la rue où je l'ai vu mourir, à voir les autres me prendre en pitié à chaque fois que je croise leur regard. Je suis pas un gars à plaindre bordel ! C'est tellement écœurant de les voir prendre un ton mielleux, ou juste me regarder avec leur tête d'imbéciles en pensant que ça m'aiderait.
Ils savent pas ce que ça fait réellement. A part Hank, y a quasi personne dans ce foutu commissariat qui connait la douleur que de perdre quelqu'un. Il est le seul à pas me regarder avec pitié. Il me parle normalement, m'insulte autant que je lui crache dessus, et c'est tout c'que je demande.
Je dors plus.
Je passe mes nuits à fixer le plafond ou la vue de mon balcon, à réfléchir, à pas pouvoir empêcher mon cerveau de ressasser de vieux souvenirs perdus. Je ferme les yeux, je vois son visage. J'ai dû laisser les photos que j'avais de lui, et celles qu'il avait prit de moi, dans le tiroir. Je peux plus les regarder, j'y arrive pas. J'ai mal.
J'ai la gorge qui se bloque, la poitrine qui se compresse, le cœur qui se serre. J'entends plus rien autour de moi à part ma respiration bruyante, difficile. Je veux autant pleurer qu'hurler, je veux autant me jeter du balcon que de continuer à vivre pour pas l'oublier.
Je le veux près de moi. Je veux l'insulter, continuer à lui dire à quel point il m'énerve lui et sa tête sans émotions. Je veux continuer à avoir un doute sur son droit d'être libre en voyant ses yeux vivre. Je veux oublier de temps à autre qu'il est un androïde lorsque l'on parle. Je veux le détester, le frapper, l'aider, lui parler, le voir sourire. Peu importe ce que je veux et ce que je dois faire.
Je veux juste qu'il revienne.
Elle est partie et j'ai dû l'accepter, mais lui, lui je veux pas. Non. C'est injuste, ça avait aucun putain de sens. J'ai été seul trop longtemps, j'ai tout gardé pour moi trop longtemps. Je suis devenu dépendant. Merde. Il m'a écouté, il m'a aidé. C'était un ami, un vrai.
J'avais pris l'habitude qu'il m'emmerde avec son inquiétude sur mon état de santé, qu'il reste avec moi le soir juste pour me tenir compagnie ou parce que je réussissais à le lui demander. J'avais pris l'habitude qu'il me pose des questions sur les humains et ce qu'ils ressentaient, qu'il me demande si il pourrait être vivant un jour, aussi.
J'avais juste pris l'habitude qu'il soit là. Et maintenant, tout va de travers, plus rien ne va. Ma vie m'échappe, je passe mon temps à penser, je réagis plus. C'est monotone, je vois encore moins de couleur que lorsqu'il était présent. Je déteste tout, j'ai mal. Chaque respiration est un calvaire, chaque retour à la réalité une torture.
Je vis plus. Putain.
Nines était pas qu'un ami.
Ça a jamais été qu'un ami.
Je l'aime. Putain de merde, je l'aime.
Nines laissa le carnet tomber lourdement sur la table, soulevant les photos posées à proximité à cause d'un nuage d'air. Sa LED avait gardé une couleur jaune tout du long de sa lecture, mais elle était maintenant devenue rouge. Un rouge pur, synonyme de ce combat qui se livrait dans ses circuits, dans sa tête. C'était sanglant, sans pitié, ça retournait tout son système.
Il passa ses mains sur son visage, les gardant contre, tandis qu'il soutenait sa tête en ayant posé ses coudes sur ses genoux. Il ne savait plus quoi penser. Non. Il n'y arrivait juste plus. Il était une machine, créé pour être différent et presque similaire à l'humain. Il ne ressentait pas. Et pourtant, il ressentait tout.
Les mots de Gavin étaient semblable à se retrouver criblé de balles. Ils le secouait dans tous les sens, transperçaient son corps avec une facilité déconcertante, et le faisait saigner abondamment dans le but de porter atteinte à sa vie.
L'amour que lui portait son collègue était bouleversant. Ça paraissait aussi douloureux qu'agréable en se rendant compte qu'il lui suffisait d'un rien de sa part pour se sentir mieux. Est-ce qu'il pouvait aimer comme ça, lui ? En était-il seulement capable ?
L'androïde que Jesse avait agressé, c'était lui. Il en était certain. Et, maintenant qu'il savait plus ou moins la cause de sa mort, allait-il s'arrêter là, laisser Gavin se reconstruire au Canada ?
Non.
C'était égoïste, mais non. Il refusait de s'arrêter là, de simplement se rendre à un magasin CyberLife pour subir une réparation, puis une récupération de sa mémoire interne. Il aurait pu simplement faire tout ça, dès le début. Ne jamais tenté de retrouver Gavin, et opter pour la facilité afin de récupérer ses souvenirs.
Nines n'a jamais cherché à retrouver son passé. Il n'a jamais essayé de savoir qui il était. Depuis le début, le tout début, lorsqu'il a ouvert les yeux au beau milieu de cette déchetterie d'androïdes, c'était Gavin qu'il tentait de retrouver. C'était lui, et simplement lui. Tout ce qu'il avait fait jusqu'ici n'a jamais été dans son propre intérêt, de retrouver celui qui détenait tout ses secrets, non. C'était pour lui, le Détective Reed.
Il n'a jamais été question de lui, mais de cet humain.
Il a toujours su qu'en retrouvant son partenaire, il deviendrait enfin qui il souhaitait véritablement être. Il était né androïde, mais il voulait plus que tout apprendre à vivre aux côtés de Gavin. Il était devenu déviant pour cela, pour simplement une seule et unique personne. Et pourquoi ?
Parce que, lui, Nines, était inévitablement aussi tombé amoureux.
Il n'a jamais été une erreur, une machine défaillante. CyberLife s'est trompé, le monde entier s'est trompé. Il avait autant le droit d'aimer et de ressentir qu'un être-humain. Alors, oui, il était capable de ressentir autant de chose que Gavin.
Car lui aussi,
Oh oui,
Lui aussi l'aimait. Il l'aimait à littéralement en mourir s'il le lui demandait.
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