La quatrième fois que Asano laissa quelque chose pour son rival, il ne s'attendait pas à ce que ce dernier revienne le voir plus tard dans la journée. Il l'avait simplement trouvé recroquevillé sur lui-même, toujours devant le même parterre de fleur interdit d'accès. L'orangé ne fut même pas surpris d'y apercevoir le sadique. Ce qui l'étonna, ce fut les soubresauts causés par les larmes qui dévalaient silencieusement les joues du garçon.

Le délégué ne savait pas son arrivée avait été entendue, il ne savait pas s'il serait correct de parler, il ne savait pas s'il devait lui offrir des mouchoirs. Il ne savait pas quelle serait la bonne chose à faire. Ca lui arrivait parfois, d'être perdu. C'était rare, mais ça lui arrivait, et il devait se retrouver à improviser et tâtonner des solutions sans certitude du résultat. Il se doutait bien qu'Akabane n'accepterait jamais une aide direct, il acceptait ses cadeaux uniquement car ils étaient offerts avec un certain recul et qu'il avait la liberté de les ignorer ou de les jeter.

Dans un geste plus inconscient que réfléchi -ce qui lui arrivait à vrai dire jamais- Gakushuu s'avança à pas lent et déposa doucement sa veste sur les épaules tremblantes. Le rouge se crispa immédiatement mais ne se retourna pas, probablement paralysé par l'effroyable idée d'être prit en flagrant délit de faiblesse. Asano déposa également une bouteille d'eau sur le sol avant de quitter les lieux sans un mot, sans un bruit.

Ce fut seulement après de longues minutes de tentative de se calmer que Akabane se retourner vers l'absence notable d'humain aux alentours. Il ouvrit la bouteille pour en vider la moitié du contenu en serrant la veste contre lui. Ses sentiments étaient mitigés, son esprit était à la fois paniqué et rassuré, mais au moins ses larmes avaient cessé. Il sécha les cours pour le reste de la matinée, mais passée la pause repas, il retourna en classe dans l'espoir de repérer à quel élève manquait une veste.

◾◽◾

La quatrième fois que Akabane Karma reçut une aide anonyme fut bien différente des autres fois. Cette fois, c'était physique, directe, en face en face -enfin, le rouge était de dos par rapport à l'inconnu, mais ca ne changeait rien au fait qu'il était présent. D'ailleurs, il ne savait même pas s'il s'agissait du même individu ou non. Il n'avait aucun moyen de le savoir.

Il garda la veste, ne sachant pas trop quoi en faire d'autre, et décida de l'inspecter pour y chercher une étiquette ou un nom, mais comme d'habitude, ses recherches étaient vaines. Déçu mais pas réellement étonné, il retourna dans la partie publique de l'établissement lorsque l'heure du déjeuner sonna. Ses idées étaient complètement embrouillées par les évènements, il passa l'après-midi dans le flou le plus total, réagissant à peine à ce qu'on lui disait. C'était sans doute à cause de cet état d'esprit confus qu'il alla engager la conversation avec le délégué durant le dernier cours de la journée. Chose qu'il n'aurait jamais faite en temps normal, ou, en tout cas, certainement pas de cette manière-là.

Le cours d'EPS se déroulait normalement. Karma s'était discrètement mis de côté, n'étant pas intéressé par l'activité proposée, et observait ses camarades souffrir avec un certain plaisir dans son regard. Durant un temps de pause ou les élèves s'en allèrent se désaltérer, l'enseignant envoya Asano ranger du matériel dans le local près duquel le sadique était assis. Si, au début, ils s'ignorèrent poliment en se concentrant à leurs occupations respectives, le rouge finit par briser le silence sans réfléchir.

- Dis, ça te fatigue pas d'être la boniche de tout le monde ?

L'orangé se tourna vers lui, mais s'aperçut que l'adolescent aux cheveux écarlates ne le regardait même pas.

- Qu'est ce que tu veux dire ?

- Bah, t'es toujours en train de courir partout à te taper le sale boulot que les gens te refoulent. Que ce soient les profs ou les élèves, tu gères toutes leurs petites affaires comme s'ils étaient pas capable de se démerder seuls. A se demander si ça te fait plaisir d'être un chien-chien.

Son ton n'était pas aussi moqueur qu'il aurait pu l'être, pas aussi hautain qu'il aurait dû l'être. Les interactions entre les deux meilleurs élèves de l'établissements ressemblaient normalement à une compétition d'orgueil et de supériorité, où ils cherchaient à chaque mot à rabaisser l'autre et blesser son ego. Ce jour-là, la voix du rouge paraissait plutôt curieuse, voire presque douce.

- Ca s'appelle avoir des responsabilité et rendre service.

- Je comprends pas, t'y gagnes quoi, toi ?

Asano haussa les épaules et retourna à son rangement tout en reprenant la conversation.

- La confiance des gens, de l'autorité et des privilèges.

- Quels genre de privilèges ?

- Tu pourrais entrer dans un club pour le savoir.

- Euh, non merci.

L'un fit une grimace tandis que l'autre affichait un léger sourire, mais, se tournant dos, aucun ne le remarqua.

- Quand les gens te déchargent des tâches, continua d'expliquer l'orangé, ils t'offrent également l'autorité qui va avec. Et ça te donne des passe-droits, comme par exemple avoir une excuse pour tes retards en cours, par exemple.

- Tu me tends une perche ?

- Je donne simplement un exemple.

Le délégué entendit derrière un léger rire, très bref. Il ne se retourna pas. Un nouveau silence s'installa, plus léger que le premier. Et, comme précédemment, ce fut le même lycéen qui y mit fin :

- Du coup, si quelqu'un te demande un truc, tu vas l'aider directement ?

- Hum, tout dépend de si je peux me rendre utile pour cette tâche, je suppose. Pourquoi ?

Karma hésita. Il se posait également la question. Pourquoi avait-il engagé la conversation ? Il n'en avait strictement aucune idée. Ses pensées ne s'étaient toujours pas clarifiées depuis ce matin. Il avait encore la veste dans son sac. Il ne savait pas ce qu'il cherchait. Il ne savait pas ce qu'il espérait. Encore une fois, sa bouche s'ouvrit avant que son cerveau puisse juger l'intérêt des mots qui s'apprêtaient à en sortir.

- Je . . . Je crois que j'ai un stalkeur.

Gakushuu fit de son mieux pour ne pas se figer sur place.

- Tu "crois" ?

- Façon de parler.

- Je vois. Et qu'est ce que ce stalkeur fait, exactement ? Est-ce quelqu'un du lycée ?

- Ouais, ca doit etre un élève, j'imagine mal un des profs me laisser des surprises dans mon casier avec des petits mots...

Asano se donna le temps de réfléchir. Il ne voulait pas que son interlocuteur le soupçonne, et il ne pouvait pas non plus prendre l'affaire à la légère. Ca faisait effectivement parti de son rôle de s'assurer du bien-être des élèves et d'éviter ce genre de discorde. Il avait déjà eu affaire à des problèmes de harcèlement auparavant, il avait su les défaire en travaillant main dans la main avec les enseignants. Mais cette fois, c'était différent. L'accusé était lui-même, pour un crime qu'il valait mieux garder secret aux yeux des chefs de l'établissement.

- Peut-être est-ce un admirateur secret ? proposa-t-il.

- Vu le contenu, non. C'est quelqu'un qui m'observe et qui sait ce que je fais de mes journées même quand je suis pas en cours.

L'orangé se tourna enfin vers le sadique, qui jouait avec deux cailloux sur le sol, comme un enfant.

- Est-ce que tu veux que je retrouve cette personne ? Que je lui demande de cesser ?

- Mmh...

Il ne savait pas si cette réponse était positive ou négative. Karma n'avait plus l'air de l'écouter, mais el délégué le connaissait assez pour savoir qu'il ne fallait pas se fier aux apparences. L'air détaché qu'il aimait se donner ne témoignait pas de ses réelles intentions.

- Est-ce que je peux connaître le contenu de ces cadeaux ?

- Non, répliqua catégoriquement le rouge.

- D'accord.

Gakushuu n'insista pas. Il n'avait pas d'intérêt à le faire, de toute façon.

- Peux-tu au moins m'expliquer les intentions de ce stalkeur ? Cherche-t-il à te faire du mal ? A te menacer ? Ou bien à te faire passer un message ?

La chevelure flamboyante de Karma s'agitait en l'air tandis qu'il secouait négativement la tête.

- Nan, nan, il ne me dérange pas en fait. Il est juste... là, une micro seconde, et puis il s'en va.

- Pourrais-tu me le décrire ?

- Si j'étais capable de le reconnaître, je serais pas là à parler avec toi.

Le délégué soupira légèrement avant de croiser les bras sur sa poitrine. Il avait l'air pensif.

- Hum . . . Dans ce cas, je ne comprends pas ce que tu attends de moi, j'en suis désolé. Je ne peux pas agir si tu me donne aucun indice.

Une étincelle de panique s'alluma dans le regard ambré d'Akabane, qui se redressa en vitesse en époussetant ses vêtements.

- Nan mais, en fait, tu sais quoi laisse tomber. C'est pas... pas important, je voulais simplement voir comment t'allais réagir.

Asano pencha la tête sur le côté alors qu'un léger sourire moqueur se dessina sur ses lèvres et qu'une lumière de curiosité fit briller son regard.

- J'espère avoir su répondre à tes attentes.

- Tu es étonnamment une agréable distraction, se surprit à avouer Karma.

Avant que les rougeurs d'embarras ne prirent possession de ses joues, il ajouta, lui-même peu convaincu :

- Mais clairement, t'as oublié que je suis le Numéro 1 de cette école ! J'ai pas besoin d'aide pour gérer ça, clairement. C'est pas un stalkeur nul qui va m'effrayer, haha !

Gakushuu ne tenta pas de retenir le garçon. Il savait qu'insister d'avantage ne ferait que de mauvais effets, vu la condition particulière du sadique. Il ne voulait pas le brusquer pour avoir des réponses. Il était disposé à lui laisser de l'espace, et à encourager les autres étudiants à faire de même.

- Je vais tout de même ouvrir l'œil, au cas-où, annonça l'orangé.

Le fuyard s'arrêta pour l'observer le temps de quelques secondes, puis, ne sachant pas quoi ajouter, il tourna à nouveau les talons et s'en alla.