Sous la poudre et les cendres (JeongLix, TW: Mature content)
Style : Mature, UA Mafia, Violence, Amour
⚠️ Attention, gros TW ⚠️ : Cet OS aborde les sujets reliés au monde de la mafia : la violence, la prostitution forcée, les agressions sexuelles, la drogue, les meurtres, la pédocriminalité.
Si vous êtes sensible à ces sujets, ne lisez pas cette histoire ! Préservez-vous.
13 094 mots
Résumé :
Neveu d'un chef de gang qui le méprise, Jeongin ne fait qu'exécuter les ordres. Il est un chien à la solde de son oncle. Rien de plus.
Jusqu'à ce qu'une étincelle vienne éclairer ce monde morne et proche de l'effondrement.
Il n'y avait jamais eu que du gris.
Il n'y avait jamais eu rien d'autre. Le gris du béton, le gris du ciel, le gris des yeux vitreux qu'on menaçait. Tout n'était que grisaille. Terne, sans saveur, rien hormis la couleur de la poudre sur les doigts après un coup de feu et les cendres lors des incendies.
Ce jour là ne faisait pas exception.
En toquant à la porte devant lui, Jeongin se doutait bien de ce qu'il allait trouver. Une âme éplorée, incapable de lui dire où se trouvait le débiteur de la dette familiale. La voix tremblante et la peur dans le regard, elle suppliera de lui laisser quelques semaines de répit pour trouver de l'argent. Lui n'était là que pour ça. L'argent. C'était le nerf de sa guerre, la guerre de son réseau et de son gang. Manipuler les gens faibles et sans le sou pour appuyer leur influence. Ce n'était question que de ça.
Jamais on ne lui avait fait assez confiance. Même en étant un Yang, relié par le sang au chef du gang, il avait toujours eu la sensation d'être mis de côté. Un poids pour son oncle, et ce depuis sa tendre enfance. Il avait encore des preuves à fournir, des débiteurs à ramener, des escortes à réaliser avant de pouvoir tenir lui même sa propre arme. Bientôt, lui aussi aurait le Jeoseung Saja tatoué dans son dos. Lui aussi serait un émissaire de l'Au-delà pour accueillir l'âme de ses clients.
A moins que l'humiliation ne dure encore longtemps.
Le palier sur lequel il se trouvait avec ses deux acolytes était poussiéreux. Le béton était abîmé en de nombreux endroit, les murs nus présentaient des traces sombres, et on entendait dans les étages un bambin hurler à plein poumon. Jeongin trouvait ça ironique, de venir habillé dans un costume qui coûtait probablement plus cher qu'un loyer dans un taudis pareil. Mais ce n'était rien qu'un détail. Un parmi tant d'autre.
Il leva la main pour frapper plus fort à la porte.
Derrière celle-ci, il entendait des bruits. Il savait que l'appartement n'était pas vide. Après avoir patiemment compté jusqu'à trois, il mit autant de coups dans la porte du plat de la main. Le cuir de ses gants frappa avec force le bois fragilisé par la moisissure. Il n'aurait eu aucun mal à reculer de deux pas et à défoncer cette porte d'un coup de pied.
« Si vous n'ouvrez pas, je m'en occupe moi-même. » lança t-il assez fort pour se faire entendre.
Étrangement, le cliquetis caractéristique ne se fit pas attendre. Jeongin s'était attendu à tout : à une femme en larmes, à un enfant terrifié, à un vieillard tremblant. Mais lorsque la porte s'ouvrit, il n'aurait jamais cru voir un jeune homme de son âge tout au plus. A peine plus petit que lui, les cheveux mi-longs sales, des vêtements quelconques probablement en mauvais état, des tâches de rousseurs bardant ses joues. Seuls ses yeux semblaient vivants. A travers eux, Jeongin reconnu la peur, l'angoisse et la tristesse. Ce n'en était qu'un parmi d'autres.
« Où est Jack ? » demanda Jeongin au garçon devant lui. Le regard brillant, les mains tremblantes, tout y était.
« ç-ça fait plusieurs jours qu'on ne l'a pas vu. » chuchota l'inconnu à peine assez fort pour se faire entendre. Il semblait maigre sous ses vêtements trop grands et sa voix grave était étranglée par la crainte. « Mon frère va vous rembourser avant la fin de la semaine... »
« Ton frère nous doit presque cinquante millions de wons. » continua t-il sans sourciller. Ce n'était qu'un grain de sable dans l'empire de son oncle, mais tout argent était bon à prendre. « S'il n'était pas doué pour les courses de chevaux il aurait pu s'en rendre compte avant. »
« D-désolé, depuis que notre père est parti c'est compliqué vous savez... »
Le jeune homme devant lui avait beau trembler de toute part, il avait quelque chose dans le regard qui interpellait Jeongin. Sa peau de lait semblait crasseuse, ses tâches de rousseur lui donnait un certain charme malgré tout. A travers ses yeux, il y voyait autre chose que la terreur.
Mais lui était là pour une bonne raison.
« Où est ta mère ? » demanda t-il sans sourciller.
« E-elle... elle dort. » répondit le jeune homme qui semblait soudain mal à l'aise. « Elle boit à cause de tout ça et... »
« Il y a quelqu'un d'autre dans l'appartement ? »
Jeongin ne connaissait rien de cette famille. Tout ce qu'il savait, c'était que Lee Jack était un immigré d'Australie qui s'était lancé dans les courses de chevaux. Il avait passé des paris avec les mauvaises personnes et avait contracté des dettes auprès des Yang. Encore et encore. Le gang le harcelait depuis plusieurs semaines pour réclamer son dû et Jack s'était volatilisé. Alors il ne restait qu'une solution : la famille.
« Non, il n'y a que ma mère et moi ici. » reprit le frère de Jack, les mains crispées sur la poignée de la porte. De nouveau la terreur, de nouveau la crainte.
Malgré son habitude à côtoyer ce monde, Jeongin ne pouvait pas s'empêcher de sentir un pincement au cœur à chaque fois. Il n'avait jamais lui même fait quoi que ce soit de ses mains. Il ne faisait que nouer les sacs où on enfermait les traîtres avant que d'autres ne les lancent à l'eau. Il ne faisait qu'armer les pistolets servant aux exécutions. Il ne faisait que répandre l'essence lorsqu'il fallait mettre le feu. Il ne faisait rien de plus que ce qu'on lui ordonnait de faire. Et ce jour-là, on lui avait ordonné de trouver Jack pour qu'il rembourse sa dette.
D'un geste de la tête, Jeongin fit signe à la brute à ses côtés. L'homme passa devant lui sans aucune hésitation et avant même que le garçon devant lui puisse faire un geste, la brute l'attrapa par les bras pour le traîner vers lui. Il y eu un cri, quelques suppliques, à peine s'était-il débattu. Mais bientôt, ses joues couvertes de tâches de rousseur furent baignées de larmes lorsque la deuxième brute lui attacha les mains avec un collier de serrage si fort que même Jeongin s'en rendit compte. Sans aucune douceur, le jeune homme fut attrapé pour être porté.
« Non, non je vous en prie !! » criait-il en battant des jambes pour essayer de se défaire de l'étreinte qui se resserrait sur lui. « Qu'est ce que vous... Pourquoi... »
« Il faut bien que quelqu'un paye les dettes. » répondit simplement Jeongin en se détournant de lui.
Alors que les deux brutes emmenaient le frère de Jack, pleurant et suppliant de le laisser, son regard se glissa dans l'entrebâillement de la porte. Il y vit simplement le gris de l'appartement : les murs maussades, la peinture monotone. D'un coup d'œil il aperçu une femme allongée à moitié sur le sol, à moitié sur un canapé délabré, une bouteille à la main et la tête rejetée en arrière.
Jeongin ne prit pas la peine de fermer la porte derrière lui. Peut-être que cette femme était déjà morte et il ne pouvait rien y faire.
—
Il n'avait pas repensé au frère de Jack pendant presque trois semaines.
Rien ne lui en avait donné l'occasion. Il avait été obligé de visiter d'autres débiteurs depuis, il avait aussi dû nettoyer un hangar qui servait de plaque tournante pour faire entrer la cocaïne dans plusieurs clubs de la ville à cause d'une descente de flics prévue pour la semaine suivante. Il ne fallait aucune trace, pas un indice, rien. Parfois, son oncle avait pensé à lui faire intégrer lui même la police. Avec son air propre sur lui, Jeongin était au dessus de tout soupçon. Mais la confiance manquait, toujours et encore.
Ce n'était qu'une soirée comme une autre. Jeongin avait été invité dans un des salons de son oncle ce soir, pour passer du bon temps et pourquoi pas, parler de son ascension dans l'organisation. Il n'y croyait pas vraiment. Son oncle le méprisait au moins autant que l'inverse. Il savait qu'il allait se faire ridiculiser mais il ne pouvait pas y couper court. Tant pis.
En entrant dans la succursale de l'hôtel où la réunion avait lieu, Jeongin fut confronté à la fumée. Les cigares et les cigarettes se consumaient bien trop vite, au milieu de l'ambiance cossue de la pièce. Que ça soit les tentures rouges, les bibliothèques décoratives, les boiseries sculptées ou encore les canapés de cuir, tout était terne. Mort et triste. Les rires gras s'élevaient sans peine du salon où se trouvaient déjà plusieurs invités. Jeongin les connaissaient tous. Des politiciens. Des chefs de police. Des journalistes. Les malles de cuir étaient sagement alignées le long des canapés, le cadeau pour le silence assourdissant autour de leur existence.
Et au centre, l'homme qu'il haïssait le plus dans toute cette crasse. Son oncle.
Yang Kangin était l'homme le plus puissant du gang. L'Empereur des Hyènes. Habillé de son costume bleu marine, le chrysanthème noir accroché à sa boutonnière voulait passer son message au milieu des quelques puissants qu'il avait regroupé ce jour. Dans les volutes de fumée du cigare qu'il fumait, son unique œil le fixa directement. L'orbite vide avait toujours effrayé Jeongin quand il était enfant. Il était là lorsque Kangin avait perdu son œil, à cause de son père.
« Ah mes amis. » lança l'Empereur, interrompant les discussions de son ton puissant et sévère. « Voici mon neveu : Jeongin. Viens donc t'asseoir. »
Le jeune homme ne daigna pas accorder un seul regard aux membres attablés autour de son oncle. Il contourna la table pour prendre la place libre à côté de ce dernier. Au milieu des cendriers débordant de cendres, une carte de la ville était étendue sous les yeux de tous. Des points stratégiques, des lieux vides ou au contraire remplis de leurs activités. Jeongin reconnu d'ailleurs l'emplacement du hangar dont il avait dirigé l'évacuation quelques jours plus tôt. Il était indiqué comme actif sur la carte, alors qu'il était vide. Le jeune homme comprit aussitôt que la soirée avait pour but de vérifier si les invités étaient des indic' et rien d'autre. Il savait très bien que des patrouilles allaient rôder dans les prochains jours autour du hangar.
« N'est-il pas trop jeune ? » demanda un homme autour de la tablée. Jeongin l'observa des pieds à la tête : un chef de police d'un des secteurs sud de leur territoire, répondant au nom de Kwon. Un trouillard qui trouvait toujours le moyen de s'embarrasser devant les autres invités.
« Oh, il est largement assez âgé. » répondit Kangin en reprenant son cigare. « J'ai tué son père devant lui quand il devait avoir 10 ans, je lui devais un œil en moins ça me semblait équitable. »
Jeongin avait l'habitude des humiliations publiques. Il ne broncha pas à l'entente de cette histoire : il l'avait entendu des dizaines et des dizaines de fois. Une dispute, une arme à feu. Son père avait tenté de tuer son oncle et ce dernier avait réussi à retourner l'arme contre lui. Au début, la scène tournait en boucle dans sa tête. C'était comme plonger une lame chauffée à blanc dans une plaie béante. Et à force d'être cautérisée, la blessure était devenue indolore. Froide. Morte.
Le chef de police semblait mal à l'aise à l'évocation de cette histoire et Jeongin ne répondit rien. Ses lèvres seraient scellées ce soir, comme tous les soirs. Il avait beau être le neveu de l'Empereur, ce dernier ne lui faisait pas confiance. A l'époque, il ne s'était pas débarrassé de lui.
« Les chiens maltraités deviennent de vraies menaces lorsqu'on les dresse mal. »
Jeongin était considéré comme tel. Un chien qu'on avait maté pourvu qu'il exécute les ordres. Mais il n'attendait qu'une chose : pouvoir mordre la main de son maître. Il attendait juste le bon moment. Kangin devait finir mutilé, broyé, écrasé. Il voulait être la main vengeresse, car c'était son rôle à lui seul. Faire tomber l'Empereur des Hyènes : il n'y avait que ça qui comptait.
A défaut de prendre part aux négociations et aux discussions, Jeongin écoutait. Il détaillait les expressions des visages, ignorait les nausées qui montaient, restait de glace aux anecdotes de certaines des raclures autour de la table, qui provoquaient pourtant l'hilarité chez les autres. On ne lui laissait rien manier mais il était connu pour n'avoir aucune émotion. Il était gris. Comme tout le reste. Pas de regret. Pas de doute. Juste le trou béant de la vengeance qui lui permettait de serrer les dents et d'ignorer les suppliques et les hurlements.
« Ma nièce n'est qu'une garce. » lança un des politiciens, Jeongin se souvenait qu'il occupait un poste de conseiller à la mairie. « Quinze ans et déjà le comportement d'une chienne en chaleur. Empereur, heureusement que vous étiez là pour la faire taire quand j'en avais besoin. »
« Je sais que la course au poste de maire vous intéresse mon ami. » répondit Kangin d'un air aimable que Jeongin savait être faux. « Quelques arrangements entre nous ne fait de mal à personne. »
Le jeune homme ne réagissait pas. Ça ne servait à rien. Il devait attendre le bon moment, juste le bon moment. Ce n'était qu'une vie brisée parmi tant d'autres. Jeongin savait être un écrou dans ce rouage et rien n'y changerait jamais.
« J'ai quelques amusements pour vous d'ailleurs ce soir. » reprit Kangin en faisant signe à un des hommes de main derrière lui. « Si l'envie vous dit, des chambres sont à votre disposition. »
Les hommes autour de la table remercièrent bruyamment l'Empereur des Hyènes et se tournèrent pour observer une des portes de la pièce s'ouvrir. Des claquements de talons, des exclamations de peur, des murmures se firent entendre. Jeongin se refusait de se tourner. Il savait ce que c'était. Des membres des familles des débiteurs, des prostitués, des enfants parfois. La gorge serrée, il tâchait d'ignorer les mines réjouies des immondices devant ses yeux. Kangin le regardait. Il le savait. Son visage ne laissait rien transparaître et il devait jouer le jeu : juste un peu, pour ne pas attirer les soupçons. Il décida de tourner la tête et la nausée monta de nouveau dans son ventre.
Des âmes effrayées se tenaient là. En longues tenues de soie et apprêtées, elles vacillaient maladroitement entre quelques hommes de main de Kangin. Il y avait beaucoup de femmes : des épouses, des sœurs, des filles des débiteurs qui ne payaient pas leurs dettes. Les quelques hommes étaient jeunes, drapés dans des robes de soirées qui baillaient sur leurs torses plats. Les regards étaient rivés sur le sol ou désespérément fixés sur les portes de la salle. Il fallait payer les dettes avant de songer à s'enfuir, si on pouvait l'espérer un jour.
Ce fut alors qu'il le reconnut.
Au milieu des visages d'inconnus, Jeongin retrouva des traits familiers. Quelques semaines auparavant, dans cet immeuble maussade où le béton semblait s'effondrer sur lui même, il avait rencontré ce garçon. Le petit frère de Jack se tenait debout, serré dans une robe fourreau rouge qui dévoilait ses clavicules. Ses lèvres étaient serrées si fort qu'elles n'étaient qu'un trait fin sur son visage blafard, bardé de tâches de rousseur. Les yeux rivés sur le sol, les mains pressées l'une contre l'autre dans une prière silencieuse, le jeune homme espérait peut-être passer inaperçu au milieu des chairs offertes gracieusement par l'Empereur des Hyènes. Alors que les hommes de la tablée commençaient à se lever pour faire leur choix, Jeongin ancra son regard sur le frère de Jack. Il observait les traits angéliques, la douceur du visage, les grands yeux désespérés... Le jeune homme ne laissa rien transparaître lorsque ceux-ci se levèrent sur lui. Mais au fond de sa poitrine, quelque chose s'était allumé.
A défaut de mordre, peut-être pouvait-il grogner.
« Mon Oncle. » lança t-il en se tournant vers l'Empereur des Hyènes, l'air le plus placide possible. « Puis-je avoir une distraction ce soir ? »
« Mhm. » fit mine de réfléchir Kangin une seconde avant de prendre une inspiration sur son cigare. Il souffla la fumée sur le visage de Jeongin, qui cilla à peine. « Pourquoi devrais-je t'y autoriser ? »
« Kwon va vous trahir. » répondit-il à voix basse pour éviter de se faire entendre à travers les exclamations de joie des invités devant la chair à leur disposition. « C'est lui la taupe et vous vous en doutez déjà. »
Tout était assez clair pour Jeongin. Les fausses indications sur la carte, la nature des invités de la soirée, la façon dont le chef de police semblait nerveux. Ce n'était qu'un piège de la part de son oncle pour trouver qui allait le trahir, rien de plus. Et lui n'avait aucun scrupule à appuyer les dires de l'Empereur pourvu que ça serve ses intérêts.
« Vous devriez l'orienter vers le laboratoire de méthamphétamines des Kim. » reprit-il : évoquer les ennemis naturels du gang des Yang allait probablement détourner assez l'attention de son oncle pour qu'il concède à son caprice. « Dire que c'est une de nos succursales, et s'il y a une descente vous saurez d'où vient l'info. »
Kangin s'arrêta de bouger quelques secondes avant de laisser un léger sourire se dessiner sur ses lèvres. Le jeune homme craint l'espace d'une seconde que ses attentions soient dévoilées, mais son oncle finit par hocher la tête. Jeongin détourna la tête pour vérifier où en étaient les invités. Le frère de Jack semblait prostré dans un coin pour ne pas attirer l'attention.
« Va donc te prendre une putain. » finit par répondre l'Empereur des Hyènes. « Fais donc comme ton traître de père et va en baiser une. A croire que c'est de famille. »
« Merci mon Oncle. » répondit Jeongin, ignorant le nœud de colère dans le creux de son ventre pour se lever et s'approcher des âmes éplorées.
Certains des invités de son oncle avaient déjà jeté leur dévolu sur des femmes du groupe. Mais lorsque Jeongin s'approcha du frère de Jack, tétanisé contre le mur derrière lui, Kwon venait de lui attraper le poignet. Le jeune homme en robe rouge lui jeta un coup d'œil paniqué, les lèvres désespérément serrées et les yeux fous.
« Celui-ci est pour moi. » déclara alors Jeongin une fois arrivé à côté du chef de police et du jeune homme paniqué. Le chef de police tourna la tête pour l'observer une seconde, hésitant à relâcher le garçon avant qu'un sourire goguenard ne s'empare de ses lèvres.
« Retourne lécher les pompes de ton oncle chéri. » gronda t-il en resserrant l'étreinte sur le poignet du frère de Jack qui rentra la tête dans les épaules à la douleur.
« Tu oses contredire un Yang ? » reprit Jeongin sans faiblir. « Je n'ai pas besoin d'arme pour t'arracher un œil et te le faire manger si tu continues sur cette voie. »
Kwon hésita de nouveau, le regard incertain. Ses yeux étaient légèrement paniqués et cherchait probablement l'appui de l'Empereur des Hyènes. Mais ce dernier n'en avait que faire des batailles pour une simple putain. Le chef de police relâcha le poignet du frère de Jack et se détourna de lui sans un regard de plus. Jeongin n'hésita pas : il attrapa l'épaule du jeune homme pour le guider vers une des portes sans aucune cérémonie. Il n'y eu aucune lutte, aucun mot, rien que le son des chaussures qui le suivaient précipitamment hors de la salle remplie de fumée, de rires gras et de cris de femmes terrorisées.
Jeongin emprunta le couloir réservé aux invités de marque de la soirée et ouvrit une des premières portes à sa disposition. Sans hésiter, il précipita le frère de Jack à l'intérieur de la chambre et s'y engouffra à son tour avant de la verrouiller à double tour. Ce fut soudain comme s'il était coupé du monde extérieur : il n'y avait plus rien. Les doublures des chambres étaient insonorisées, c'était comme entrer dans un épais nuage de coton. La seule odeur qu'il y avait était celle du propre, des fleurs fraîches et d'un reste de fumée de cigare. Il inspira profondément l'air pour se calmer : la seule émotion qu'il venait de laisser paraître de la soirée. Puis il décida de se tourner vers le frère de Jack.
Ce dernier était prostré sur lui-même. Les bras désespérément enroulés autour de lui pour se protéger, les yeux rivés sur le sol et les mains tremblantes. Jeongin ne pouvait pas détailler son visage. Le jeune homme était fermé comme le plus dur des coquillages. Il ne bougeait pas, restait recroquevillé et attendait. Ses cheveux noirs étaient bien brillants sous la douce lumière de la chambre.
Jeongin prit la clef de la chambre et l'enfonça dans la poche intérieure de son veston avant de contourner le garçon. La pièce était luxueuse, comme tous les établissements publics qui appartenaient au gang de l'Empereur des Hyènes. La moquette rouge était accordée aux draps de satin du lit, les encadrements d'acajou faisaient ressortir la blancheur des murs où des œuvres d'art de contrefaçon servaient de décoration. A côté du grand lit double, une table où un bouquet de chrysanthèmes reposait dans un vase richement décoré. Jeongin alla dans la salle de bain : la lumière blafarde lui fit cligner des yeux à plusieurs reprises. Après s'être lavé le visage, il resta quelques secondes appuyés sur le lavabo. Il ne savait même pas pourquoi il avait emmené le frère de Jack à l'abri pour cette nuit là. Ce n'était pas comme si les autres membres de famille des débiteurs étaient différents. Ils étaient tous là à cause d'un proche qui ne remboursait pas sa dette envers les Yang, et qui avait assez peu de scrupules pour abandonner un être aimé à la prostitution. Peut-être se sentait-il coupable d'avoir emmené cette pauvre âme lui-même à l'abattoir. Il n'en savait rien.
En retournant dans la chambre, il fut surpris de voir que le jeune homme n'était plus prostré dans l'entrée. Le frère de Jack était allongé sur le ventre dans le lit, la tête tournée du côté opposé à la salle de bain. La robe en soie rouge était remontée jusqu'en haut de ses cuisses, ses jambes étaient légèrement écartées, comme déjà prêtes à recevoir quelqu'un entre elles. Jeongin ne voulait pas laisser les émotions le prendre à la gorge, mais il sentit un nœud remonter le long de son ventre. Il haïssait ce monde où il était né. Il haïssait tout de cet univers, jusqu'au plus profond de ses os.
Jeongin s'assit au pied du lit. Il était mal à l'aise et ça faisait longtemps que ça ne lui était pas arrivé. Du moment qu'il arrivait à se détacher des victimes du gang, tout allait bien pour lui. Il arrivait à rester éloigné de la souffrance et des atrocités commises. Dehors, tout était noir et lui voulait rester gris. Il voulait se préserver. Il tourna la tête vers le garçon allongé et par instinct, approcha sa main pour prendre délicatement la cheville de ce dernier entre. Le frère de Jack était frêle.
« Je ne te ferais rien. » murmura t-il en poussant légèrement cette cheville maigre pour lui faire refermer les cuisses. « Tu peux te reposer ce soir. »
Son regard remonta le long du corps du jeune homme et il fut surpris de croiser ses yeux. L'air hagard, l'incompréhension baignait ses traits. Jeongin sentit son cœur manquer un battement. L'homme en robe rouge semblait de nouveau humain : il n'était plus qu'une bête effrayée.
« M-mais... » commença t-il à bredouiller d'une voix tremblante.
« Quel est ton nom ? » demanda Jeongin, incapable de réfréner sa propre question. C'était une erreur, il le savait. Il ne fallait pas s'intéresser à d'autres. Il était seul, il menait sa propre guerre seul depuis des années et il ne pouvait pas se permettre de s'encombrer d'émotion autre que la rage. L'empathie était proscrite.
« F-Félix... » répondit le frère de Jack, l'air perdu. « Pourquoi ? »
C'était une erreur, mais Jeongin n'avait pas pu s'en empêcher. Il était seul depuis trop longtemps.
Son grand-père dirigeait les Yang avant la succession. Kangin avait toujours été prédestiné à être le nouveau chef, son frère cadet et futur père de Jeongin n'avait jamais été intéressé par les histoires familiales. Jusqu'à ce qu'il ne s'entiche d'une prostituée.
Jeongin était né un an plus tard, au même moment où son grand-père décédait. Pendant que son père embrassait sa vie loin des crimes, de la drogue, de la violence, Kangin devenait le nouvel Empereur des Hyènes. Pendant dix ans il les avait laissé en paix. Jusqu'à ce que son père veuille le faire tomber.
Depuis il était seul.
Fils de traître, enfant de putain. Il ne devait sa survie qu'à son obéissance et à la magnanimité de son oncle. Il devait devenu le chien rêvé, celui qui partageait son sang avec l'Empereur et qui avait assez de rage pour devenir inhumain.
« Je m'appelle Jeongin. » reprit le jeune homme avant de relâcher sa poigne sur la cheville de Félix. « Je suis désolé de t'avoir emmené là dedans. »
Le jeune homme à côté de lui se roula sur lui même presque aussitôt. Il était toujours effrayé bien entendu, mais Jeongin lisait en lui d'autres émotions. Si lui tâchait d'en être dépourvu, il lisait chez le garçon à ses côtés de la curiosité, et peut-être même une étincelle d'espoir. Impossible de l'aider plus longtemps qu'une nuit. Mais ça allégeait sa conscience aussi menue était-elle.
Le dénommé Félix s'assit sur le lit, les genoux repliés contre son torse et les bras enroulés autour pour le protéger de tout. Ses bras étaient maigres, son visage creusé par la fatigue et l'angoisse. Trois semaines auparavant il n'était pas non plus en bon état. Et ce soir, c'était pire encore. Jeongin détaillait le grain de sa peau abîmée, probablement par quelques coups. Il se sentait étrange. Comme si ce jeune homme lui faisait confiance malgré tout.
« C'est à Jack que je dois en vouloir. » répondit Félix en acceptant pour la première fois de desserrer les lèvres pour parler. « Si je suis toujours là, c'est qu'il n'a rien fait j'imagine ? »
« Je n'en ai aucune idée. » soupira Jeongin : il s'occupait régulièrement des débiteurs, mais ceux dont on enlevait les proches faisaient rarement surface après coup. Une fois les dettes remboursées, il était rare de libérer la famille dans tous les cas...
« Je ne sais même pas si ma mère est vivante... »
Jeongin ne devait pas se laisser attendrir. Ce n'était rien qu'un grain de sable dans le désert. Félix n'était rien. Rien qu'un prostitué forcé, à cause d'un frère joueur qui avait eu à faire à un gang puissant. Rien d'important, rien qui ne vaille la peine. Il y en avait des dizaines comme lui chaque jour victime de l'empire des Yang. L'Empereur des Hyènes n'avait que faire de la compassion. Pourquoi avoir de la peine pour quelqu'un si ce n'était pour devenir faible à son tour ? Jeongin ne devait pas faire cette erreur. Son père l'avait commis en tombant pour une prostituée et à eux deux lui avait offert la vie.
Quel cadeau empoisonné.
« Je ne peux t'épargner que ce soir. » déclara t-il, ignorant la supplique du garçon à ses côtés. « Je ne suis pas dans les bonnes grâces de mon oncle pour faire plus. »
Félix resta quelques secondes silencieux avant d'hocher la tête et de sourire.
Un sourire timide mais sincère.
Jeongin ne pouvait que le contempler, ce visage emprunt à la douleur et aux drames et pourtant souriant. Le jeune homme frêle dans sa robe de soie rouge s'autorisait à lui faire assez confiance pour lui sourire. Lui n'en voyait plus depuis des années et n'avait plus envie d'en faire. Il n'en avait pas l'occasion. La gorge serrée, il détourna le regard pour ne plus à avoir le supporter.
Pas d'empathie, pas de pitié. Ces émotions étaient gênantes lorsqu'il fallait condamner une âme innocente. Il devait se protéger de tout. Surtout d'un cœur pur.
« Qu'est ce que je peux te faire pour te remercier ? » murmura la voix de Félix, grave et douce.
Jeongin sentit le poids du matelas sous lui bouger lentement. Lorsqu'il concéda à tourner la tête de nouveau, il contempla le visage du jeune homme qui s'était approché. Son sourire était à peine effacé de ses lèvres et ses yeux n'étaient plus effrayés. Il était reconnaissant. Félix était sincère. Et ça le brisait.
« Rien. » répondit-il sans plus de cérémonie. « Prends toi un bain, repose toi. Demain ça sera fini. »
Le jeune homme semblait sincèrement surpris. Mais il hocha la tête et se releva du lit pour aller dans la salle de bain. La robe de soie rouge moulait son corps, soulignait ses rares formes, mais Jeongin ne pouvait pas en détacher le regard. Il ne détourna les yeux que lorsqu'il vit la silhouette de Félix se dénuder pour glisser dans la baignoire et savourer quelques instants de repos.
Jeongin enleva sa veste d'un geste mécanique. Il ne comptait pas profiter du corps de ce prostitué, il n'était pas là pour ça. Il voulait dormir par contre, mais il n'y arrivait jamais vraiment bien. Les années de souffrance avaient fini par corrompre le moindre souvenir et la moindre bribe d'apaisement. Il n'y avait que la douleur qui tournait en boucle, même dans ses rêves et surtout dans ses cauchemars. Le moindre de fois où il se réveillait en sursaut en pleine nuit, couvert d'une sueur froide et l'envie de tuer à la gorge était incalculable. Il voulait du repos. Chaque souvenir le poussait à en avoir toujours moins.
Il s'allongea par dessus les draps, habillé de sa chemise, son veston et son pantalon et fixa le plafond. Être dans une pièce insonorisée avait pour mérite d'au moins le couper du bruit des suppliques et de la souffrance extérieure. Il n'y avait que le clapotis de l'eau du bain et les frottements de la peau de Félix contre le linge qui perçait le silence. Jeongin se sentait seul.
Bientôt, il entendit la baignoire se vider et des pas timides s'avancer dans la chambre. Par instinct, son regard glissa sur Félix qui sortait de la salle de bain. Enveloppé d'un grand drap blanc, tremblant légèrement et le rouge aux joues, le jeune homme semblait hésiter sur quoi faire. Jeongin tendit alors son bras pour tapoter la place libre dans le lit à ses côtés, sans aucun mot.
Félix ne posa aucune question. Nu sous son drap de bain, il s'approcha du lit et défit les draps de son côté pour se glisser en dessous. Jeongin ne le quittait pas du regard : c'était plus fort que lui. Il semblait si fragile, sur le point de rompre, que pour la première fois depuis longtemps il se remettait en question.
Est-ce que ça en valait la peine ?
Faire tomber l'Empereur des Hyènes allait prendre du temps. Et Félix en manquait cruellement. Lorsque sa dette sera estimée comme remboursée, il n'allait pas être libéré. Il était joli, surréaliste dans cet univers si sombre. Il sera probablement gardé pour continuer de rapporter de l'argent. Et exécuté lorsqu'il sera trop abîmé pour plaire.
Est ce que ça en valait vraiment la peine ?
« J-j'ai froid... » murmura Félix à côté de lui, l'épaisse couche de draps les séparant malgré tout dans le lit.
Le jeune homme releva des yeux incertains vers lui et Jeongin sentait les émotions qu'il repoussait depuis bien trop longtemps dans son cœur. La compassion. L'empathie. La bienveillance. Il hésita longuement, assez en tout cas pour que Félix se roule en boule à côté de lui dans les draps.
Jeongin finit par regarder le plafond de nouveau et tendit le bras vers le jeune homme, au dessus de sa tête. Félix soupira légèrement et s'approcha de lui, se blottissant dans les draps de satin et se collant contre la chaleur de Jeongin. Ce dernier sentit la forme du corps du pauvre garçon, la main de celui ci se glisser sur son torse pour le tenir prêt de lui. Et Jeongin referma son bras autour des épaules frêles et nues, encore légèrement humides du bain relaxant que Félix venait de prendre.
Sans un mot, ils sombrèrent dans les méandres du sommeil. Pour une fois, Jeongin ne se réveilla pas en pleine nuit.
—
C'était devenue une habitude. Une sale petite habitude dont Jeongin n'arrivait pas à se défaire et ça le frustrait.
L'intrusion de Félix dans son quotidien avait changé les choses. Il ne savait pas quoi en penser : lorsqu'il était à l'extérieur sur ordre de son oncle il n'y avait aucun problème. Il était toujours obéissant, toujours efficace. Toujours dans la noirceur de ses crimes et de la pourriture qui l'enveloppait. Jamais il ne rechignait à préparer des exécutions, à échanger des mallettes sans qu'il n'en connaisse le contenu, à superviser des opérations. Mais dès que venait la possibilité de voir Félix...
Il avait trouvé le moyen de réclamer le garçon de temps à autre, lui épargnant des soirées affreuses à se prostituer pour éponger la dette de Jack. Félix prenait toujours un long bain, comme pour effacer les bleus de sa peau, avant de venir se blottir dans ses bras pour dormir. Jeongin ne pouvait que le contempler, savourer des traits épuisés mais reconnaissants. Parfois un sourire et une caresse le long de sa joue. Ils parlaient peu. Il ne voulait pas en savoir plus.
La compassion n'était pas la bienvenue mais Félix venait l'enfoncer dans sa gorge impitoyablement.
—
Il y avait ces moments hors du temps, lorsqu'ils se contemplaient dans un lit partagé, les yeux dans les yeux. Jeongin en oubliait jusqu'à son prénom, son nom, sa vie terrible et sans aucune pitié. Devant lui, Félix ne faisait que le regarder. Il sondait son âme, cherchait des réponses à des questions silencieuses qu'il n'avait certainement pas la force de formuler. Pourquoi ? Celle-ci était la plus récurrente.
Pourquoi Jeongin s'encombrait-il ainsi ? Il était plus solide en étant seul. S'attacher à quelqu'un, c'était le mettre en danger. Son oncle pouvait lui faire du mal s'il abattait Félix. Il ne devait rien savoir, c'était proscrit. Il avait sa propre mission, faire tomber l'Empereur...
Et Félix dans tout ça ?
Il était là, ses grands yeux bienveillants et ses tâches de rousseur que Jeongin comptait encore et encore lorsque le jeune homme finissait par s'endormir en lui tenant la main.
Alors il le tenait étroitement dans ses bras, dans les draps de satin. L'envie de protéger cette pauvre âme broyait Jeongin au plus profond de lui même. Il voulait le chérir, le sauver.
Il était foutu.
—
« Il y a eu une descente au laboratoire des Kim. » l'informa un jour l'Empereur des Hyènes alors qu'il venait de convoquer Jeongin dans son bureau. Les boiseries étaient épaisses, le parquet craquait sous les pas des hommes de main et la fumée du cigare de son oncle s'enroulait paresseusement autour des silhouettes autour de lui. « Kwon était en effet l'indic'. »
Jeongin ne cligna même pas des yeux à cette annonce. Il s'en doutait déjà de toute façon. Ce n'était pas une surprise pour lui, il l'avait deviné. Planté devant le bureau de son oncle, le jeune homme ne le quittait pas des yeux, impassible.
« J'ai décidé de t'accorder une récompense. » déclara son oncle en reposant le cigare qu'il fumait. « Réclame ton os à ronger. »
Il fallait qu'il se décide vite. Si le premier réflexe aurait été de répondre qu'il voulait sa tête, Jeongin n'était pas assez stupide pour tenter de faire passer ça pour de l'humour noir. Son oncle était sadique, jamais il ne lui accorderait la récompense qu'il souhaitait. Il voulait le voir frustré et en colère : Jeongin ne devait céder pour rien au monde. Offrir de la satisfaction à l'Empereur des Hyènes était la dernière chose qu'il voulait faire. Il pouvait réclamer plusieurs choses : sa première arme à feu, une femme, son tatouage... La vie de Félix.
Il pouvait protéger le jeune homme s'il le voulait. Et il n'était pas dupe : son oncle devait s'être rendu compte qu'il prenait Félix à part régulièrement. C'était un miracle d'ailleurs qu'il ne l'ai pas encore éloigné de lui par pur plaisir sadique. Il fallait la jouer fine.
« Je souhaiterais avoir le tatouage du Jeoseung Saja ou obtenir ma propre arme, mon Oncle. » décida t-il de répondre.
« Mhm. » soupira Kangin, l'air étonné. « Moi qui pensait que tu t'étais entiché ces derniers temps, me serais-je trompé ? »
Jeongin ne pensait pas que son oncle allait amener la question si rapidement sur le tapis. Lorsque Kangin fit un geste de sa main libre, le jeune homme guetta du coin de l'œil l'homme de main qui se déplaçait dans la pièce. Comme d'habitude, le masque de marbre sur son visage ne trahissait aucune émotion en voyant une porte s'ouvrir sur une silhouette frêle qu'il ne connaissait que trop bien désormais. D'habitude blotti dans ses bras, Félix se tenait maladroitement debout, avançant avec un regard de bête affolée dans la pièce, habillé d'un simple jean et d'un pull trop grand pour lui. Kangin fit amener le garçon devant son bureau par son homme de main, qui fit s'agenouiller le garçon devant Jeongin.
La colère bouillait dans ses veines, mais rien ne devait transparaître.
Rien ne devait être deviné. Pas d'attachement. Pas de pitié.
« J'ai vu qu'en soirée tu prenais régulièrement ce garçon avec toi. » reprit son oncle, guettant la moindre de ses réactions. « Pourquoi ? »
« Il est d'une correcte distraction mon Oncle. » répondit Jeongin : il gardait les yeux rivés sur Kangin pour éviter de croiser le regard de Félix. Il n'était pas certain de pouvoir garder son masque d'indifférence s'il le faisait.
« D'après ce que je sais, il travaille dur pour rembourser sa dette, les cuisses écartées et le cul en l'air. » continua l'Empereur des Hyènes sans un regard pour son prisonnier qui se mit à trembler. « Je ne t'offrirais pas ton tatouage, ni ta première arme. A la place, tu auras cette putain. »
Ne rien laisser paraître, ne rien dire. Ne pas soupirer de soulagement ou sourire. Il savait que son oncle ne lui donnerait ni le tatouage ni l'arme. Jeongin savait aussi que s'il avait réclamé Félix, il aurait eu une arme à feu pour lui tirer une balle dans la tête. Ce n'était rien qu'un tourment de plus de la part de Kangin, rien de plus.
« Merci pour votre générosité mon Oncle. » déclara t-il en s'inclinant profondément devant l'homme qu'il rêvait de tuer chaque matin.
« Tu n'auras qu'à en faire ce que tu veux lorsque tu te seras lassé. » reprit Kangin, l'air dédaigneux. « Sors cette chose de mon bureau, il pue le foutre. »
Jeongin resta incliné encore quelques secondes avant de s'approcher de Félix. Ce dernier était tétanisé, presque recroquevillé sur lui même lorsque qu'il se pencha au dessus de lui pour attraper son bras. Le jeune homme se laissa faire sans rien dire, avec les lèvres, d'habitude souriantes pour lui, pressées en un mince trait. Jeongin ne s'attarda pas à faire demi-tour pour emmener Félix hors du bureau : rien ne pressait plus.
Sans parler, ils descendirent le complexe où se trouvait le siège des Yang pour en sortir rapidement. Jeongin ne voulait pas faire de vague, il ignora les regards perplexes en sa direction jusqu'à ce qu'il n'atteigne le parking et qu'il pousse Félix dans sa voiture sans aucune cérémonie. Il habitait à l'extérieur du complexe principal, dans un appartement payé par l'organisation. Mais hors de question d'y aller ce soir : il se méfiait que son logement soit sur écoute.
A la place, il prit le volant et quitta le complexe sans un regard en arrière, Félix roulé en boule dans le siège passager ne disait mot. Jeongin décida de prendre le chemin d'un hôtel, assez éloigné d'où ils se trouvaient. Il faisait à peine nuit et le jeune homme n'hésita pas une seconde. Alors que Félix allait parler à côté de lui, il lui fit signe de se taire. Il se méfiait aussi de sa propre voiture.
Au bout de longues minutes de conduite, Jeongin se gara dans le parking de l'établissement qu'il avait choisit : un hôtel de gare classique, à peine assez correct pour y dormir convenablement. Mais rien n'importait plus que pouvoir échanger librement avec Félix. Ils descendirent du véhicule ensemble et Jeongin aurait pensé alors que le jeune homme en aurait profité pour s'enfuir. Le parking donnait sur l'extérieur, il aurait pu facilement prendre les jambes à son cou. Il n'avait aucune arme, rien pour le retenir. Mais Félix vint aussitôt se placer à côté de lui, attendant un geste de sa part pour le suivre partout où il irait comme le chiot obéissant qu'il était.
Cette fois-ci, Jeongin lui attrapa délicatement la main. Celle de Félix était minuscule dans la sienne, ses doigts courts s'accrochèrent à lui aussitôt, réclamant sa présence au plus proche de lui. Ils échangèrent simplement un regard avant d'entrer dans l'établissement gris à côté d'eux. L'intérieur était banal, comme tout le reste. Le réceptionniste leva à peine la tête vers eux lorsque Jeongin demanda une chambre pour une nuit. Il régla d'avance la note et les deux jeunes hommes ne daignèrent pas regarder en arrière lorsqu'ils s'enfoncèrent dans les couloirs de l'hôtel pour trouver leur chambre.
Ce ne fut qu'en fermant la porte derrière eux que Jeongin sentit son corps se relaxer légèrement. Il avait l'impression que la pression descendait en flèche : il n'était pas cerné par le gang, la pièce ne pouvait pas être surveillée, ils étaient en sécurité pour la nuit c'était certain. Le jeune homme se tourna vers Félix, debout à quelques pas de lui. Dans la chambre grisâtre, il semblait être irréel avec ce visage concerné et sincère.
« E-est ce que tout va bien ? » demanda t-il en s'approchant de Jeongin sans pour autant le toucher.
« Tu l'as échappé belle. » répondit le jeune homme en bouclant la chambre à double tour derrière lui. « J'ai cru un instant qu'il allait me demander de t'exécuter. »
Le corps de Félix faillit faire un mouvement en arrière, Jeongin le sentit. Mais le garçon ne bougea pas, restant fixé sur place, pétrifié. Ses grands yeux, si expressifs, détaillaient Jeongin comme s'il le voyait pour la première fois. Il ne savait pas par quel miracle il avait réussit à sortir Félix de là et il préférait ne pas y penser. Son oncle pouvait penser ce qu'il voulait, il s'en moquait. Pour la première fois depuis des années, il avait rencontré une étincelle dans l'océan insipide qu'il traversait tous les jours. Et il était hors de question de la laisser s'éteindre.
« Pourquoi aurait-il demandé une chose pareille ? » reprit Félix, l'air perdu.
« Parce qu'il pense probablement que je tiens à toi. » lança Jeongin sans le quitter des yeux. « Il veut me faire souffrir, et je le sais. »
Le jeune homme laissait son regard plonger dans le sien. Toute la nervosité semblait s'évaporer de ses nerfs. Il était en confiance, Jeongin savait qu'il ne risquait rien ici. Son oncle voulait le briser il le savait, et il devait se rendre aussi compte de sa force mentale. Épargner Félix était certainement un moyen pour l'Empereur des Hyènes de l'encombrer, mais il se trompait. Jeongin trouvait en ce garçon bien plus de force qu'il ne pouvait imaginer.
« Et... est ce que c'est vrai ? » murmura Félix, sa voix grave et suave.
Jeongin aurait dû répondre non. Que ce n'était pas vrai, qu'il n'avait aucune émotion en particulier à son égard. Qu'il pouvait mourir devant lui et que ça ne lui ferait rien. Mais ce n'était pas le cas. Il ne connaissait pas ce garçon, mais tout ce qu'il savait de lui, c'était que son sourire l'avait rendu de nouveau humain. Il ne faisait plus mécaniquement les tâches imposées par son oncle. Il réfléchissait et nourrissait sa haine envers lui jour après jour. Toujours un peu plus que la veille.
Devant son absence de réponse, un sourire emprunta les lèvres de Félix comme un baiser chaste. Jeongin se sentait perturbé en le voyant faire et fut incapable de bouger lorsque le jeune homme devant lui tendit les mains pour attraper les siennes. Il semblait si doux, si fragile, et pourtant il le guida dans la chambre morne jusqu'à ce qu'ils s'asseyent ensemble sur le lit. Félix aurait pu s'enfuir, il ne l'aurait pas rattrapé. Il voulait simplement le préserver.
« Félix... je... »
« Moi je tiens à toi. » reprit le jeune homme sans relever les yeux vers lui désormais. Sa peau était blafarde, Jeongin n'aurait eu aucun mal à compter la moindre tâche de rousseur. « J'avais perdu tout espoir quand tu es venu me chercher la première fois, et je t'ai vraiment haïs. Mais lorsque tu m'as permis de me reposer ensuite... et la fois d'après... »
La sincérité au travers des mots de Félix faisait se tordre le cœur de Jeongin dans sa poitrine. Il n'avait pas ressenti ça depuis des années. Un désert maussade, aride et sans espoir. Son cœur était mort lorsqu'il était venu le chercher dans cet appartement miteux pour récupérer la dette de son frère. Jeongin avait sentit pourtant cette étincelle dans les ténèbres.
« J'aime ces soirées avec toi, je sais que tu ne me feras jamais de mal. » continua Félix en souriant de nouveau vers lui, les joues rosées. Trop pur pour ce monde, trop innocent pour cette vie.
« Tu ne sais pas dont je suis capable Félix. » le coupa Jeongin, des sensations contradictoires dans son corps qui fluctuait.
« Je le sais. » reprit le jeune homme, l'air doux. « Je le sais très bien. »
Jeongin resta sans bouger lorsque Félix prit ses mains pour y déposer ses lèvres. C'était bien trop tendre, bien trop délicat par rapport à tout ce qu'il connaissait. Il n'arrivait pas à bouger, il se laissa simplement faire lorsque les mains du garçon si fragile devant lui vinrent se nouer autour de son visage et de sa nuque. Elles étaient si petites. Si douces.
Il aurait pu s'enfuir, mais il était là. Son étincelle.
« Qu'est ce qu'il va se passer maintenant ? » demanda le jeune homme, l'air incertain.
« Tu es à moi, techniquement. » répondit Jeongin sans le quitter des yeux. « Je dois réfléchir à comment je pourrais te couvrir pour que tu sois tranquille. »
« Je veux rester avec toi ! »
Félix semblait soudain plus paniqué, moins sûr de lui. Ses doigts se crispèrent dans la peau de Jeongin, le tenaient comme s'il craignait qu'il ne s'éloigne. Il sentit alors un lourd battement dans sa poitrine, un soubresaut, comme un électrochoc qui le secoua des pieds à la tête. Lui non plus ne voulait pas se séparer de Félix, mais c'était inévitable. C'était bien trop dangereux de le garder à ses côtés. Autant pour lui que pour le jeune homme.
« J-je te dégoûte ? » demanda ce dernier, le sourire disparu de ses lèvres. Encore une nouvelle émotion dans le cœur de Jeongin qui vint le broyer. Lui qui était si seul avant et si solide, il se sentait terriblement fragile lorsque Félix enleva les mains de son corps.
« Non. » rétorqua t-il fermement, venant attraper le jeune homme pour qu'il ne s'éloigne pas. « Non Félix, ne va jamais imaginer ça. »
Il était la plus belle chose qui lui était arrivée au fil de ces dernières années. Félix était devenu une raison de se battre, une raison de fuir, une raison de tout abandonner. Il voulait que ce garçon reste à ses côtés, lui offre des sourires et lui permette de tout oublier. L'enfermer dans une boite, le protéger du regard extérieur, l'empêcher de souffrir, le garder égoïstement pour lui, rien que pour lui. Félix ne méritait pas d'être abaissé à la condition où il était pour rembourser la dette familiale, il méritait bien plus.
Ce visage effrayé, il ne voulait plus le voir. Il voulait que Félix ne lui offre que des sourires, que de la joie, rien de plus.
« Efface tout s'il te plaît... » le supplia t-il en s'approchant de nouveau de lui, les yeux brillants plus que l'espoir qu'il représentait lui-même. « Efface tout... »
Jeongin ne su pas vraiment comment ils en étaient arrivés à là. Tout ce qu'il savait, c'était que la caresse des lèvres de Félix sur les siennes était irréelle. Il baignait dans un rêve et rien n'était possible autrement. La peau du jeune homme, parsemée de bleus, était douce sous ses mains. Ses soupirs, engloutis par des baisers, sonnaient comme une ode à la liberté. Les tremblements incontrôlés de ses mains qui s'agrippaient à ses épaules, à la seconde où Jeongin prit son corps, lui donnèrent le tournis. La larme qu'il effaça d'un revers de la main se métamorphosa en sourire.
Jeongin se sentait lui même quand son corps nu se fondit contre celui de Félix, il se sentait vivant.
Pour la première fois, ils s'endormirent sous les draps miteux ensemble. Leurs corps pressés l'un contre l'autre, encagés pour ne jamais se séparer. Au milieu de la nuit, Jeongin se réveilla pour contempler le visage du jeune homme endormi contre lui, savourer la blancheur de sa peau à la lumière de la lune.
Il n'était plus seul.
—
Jeongin se méfiait de son oncle. Les jours suivants son généreux cadeau, la vie ne semblait pas spécialement changer pour lui. Son travail à l'organisation se cantonnait aux même tâches qu'avant, il était toujours impassible, toujours froid, sans émotion. Il craignait d'être suivi et sur écoute. Depuis qu'il avait réussit à faire sortir Félix de l'organisation, ils changeaient d'hôtel presque tous les soirs. Jeongin ne payait qu'en liquide, et si au début il avait du mal à faire taire les soupçons qui lui disaient que Félix s'enfuirait à un moment ou à un autre, le jeune homme était toujours là à ses côtés. Il l'accueillait avec un baiser, une caresse, un sourire.
Il voulait s'enfuir avec lui.
Ses plans initiaux étaient de gravir les échelons pour détruire son oncle. L'Empereur des Hyènes était méfiant et Jeongin s'était rendu compte d'une chose : il ne lui laisserait certainement jamais tenir une arme de sa vie. Tant que Kangin allait diriger l'organisation, c'était impossible pour lui de faire ses preuves autrement. Voilà plus de dix ans qu'il n'était qu'un chien à son service. Même s'il lui avait offert quelque chose dont il ne soupçonnait pas la valeur en la personne de Félix, son oncle tenait à le faire souffrir et espérer en vain.
Il allait devoir faire autrement.
Alors qu'il allait inspecter un des ateliers de faux papiers de l'Empereur des Hyènes, Jeongin réussit à se débarrasser des deux hommes de main qui l'accompagnaient partout où il allait. Comme tout le reste des activités illégales, la cave dans laquelle les membres des Yang travaillaient était calfeutrée dans un sous-sol d'un grand magasin de luxe. A la lumière des néons blafards, Jeongin fit mine d'examiner quelques faux passeports d'un air intéressé.
« Pourquoi ceux-ci sont à la poubelle ? » demanda t-il en attrapant deux étuis de cuir tamponnés par le faux sceaux national. En les ouvrant, Jeongin ne voyait aucune différence avec de réels papiers si ce n'était le manque de photo d'identité sur les deux passeports.
« Juste un souci de puce biométrique. » répondit un des travailleurs, alors concentré sur le découpage d'un étui. « C'est même pas un problème de conception, elles sont juste restées trop longtemps à l'humidité. Même si ça passe aux frontières, ça peut bipper. »
Un contrôle à l'aéroport pouvait être désastreux en cas de passe ratée. Une mule mal équipée pouvait se faire prendre et parfois la corruption ne résout pas tout. Jeongin acquiesça et fit mine de reposer les deux étuis dans la poubelle. Dès que l'employé à ses côtés lui tourna le dos, il les enfonça profondément dans la pochette de son veston.
Il ne récupéra les hommes de main que quelques minutes plus tard pour quitter la cave sans un mot. Les yeux vides, rivés sur l'insignifiant gris du bâtiment, Jeongin savait que son temps était compté. Il devait trouver une porte de sortie pour lui et surtout pour Félix. Si ce dernier avait échappé au pire, il n'en était toujours pas moins connu par l'Empereur des Hyènes. Il fallait qu'il trouve le moyen d'envoyer le jeune homme dans un autre pays le temps qu'il règle ses affaires familiales. Félix devait être en sécurité à tout prix.
—
« Tu penses qu'on s'aime ? »
Le plaisir s'évaporait doucement des veines de Jeongin. Sa peau frissonnait, à cause de la température glaciale de la chambre et de sa transpiration brûlante qui séchait sur lui. Le corps de Félix était incandescent contre le sien, aussi trempé que lui, encore haletant. La joue posée sur son torse, les grands yeux rivés sur lui, Jeongin ne pouvait que le contempler encore et encore.
Dans les ténèbres de la nuit, à l'abri des regards, il n'y avait qu'eux deux. Personne d'autre pour les écouter, personne d'autre pour essayer de comprendre. Ils étaient à l'abri de tout. La violence, le désespoir. Chacun n'existait que pour l'autre. Félix était la seule raison pour laquelle il en était là. Après avoir suffoqué dans ce désert de souffrance pendant des années, il lui avait offert cette bulle d'oxygène pour prendre une profonde bouffée. Un sourire, une caresse, sous la grisaille et les cendres il n'y avait que ça qui lui donnait la sensation d'être vivant. Jeongin quant à lui était certainement sa seule bouée de sauvetage dans ce monde. Mais était-ce la seule raison pour laquelle Félix restait ? Il en doutait.
Il aurait pu s'enfuir des dizaines de fois. Chaque soir, il s'attendait presque à découvrir la chambre d'hôtel vide. Et pourtant Félix était toujours là. Il refermait lui même la porte derrière lui, l'aidait à se débarrasser de sa veste, lui disait à quel point il était reconnaissant. Jeongin ne s'en lassait jamais, savourant la délicatesse du garçon en face de lui, buvant ses sourires, sa tendresse. Il n'y avait que lui qui comptait, rien d'autre.
« Je pense qu'on s'aime oui. » murmura t-il dans le noir. Le corps de Félix se pressa davantage contre le sien et un frisson parcouru son échine lorsqu'un baiser se planta sur sa poitrine, pile où son cœur battait.
—
A la seconde où il entra dans le couloir de l'hôtel, Jeongin comprit que quelque chose clochait.
Comme d'habitude, il changeait régulièrement de chambre avec Félix pour ne pas se faire suivre par pure précaution. Son oncle s'était certainement rendu compte qu'il ne rentrait que très rarement chez lui et devait le faire suivre. C'était la seconde fois qu'il venait dans cet établissement, à quelques semaines d'écart. Félix était censé être déjà dans une des chambres de l'hôtel et devait ouvrir à Jeongin lorsque celui-ci viendrait le rejoindre dans la soirée.
Mais quelque chose planait étrangement dans l'air.
Après une profonde inspiration, il longea le couloir sur la pointe des pieds. La soirée était bien entamée et il n'y avait aucun passage dans ce couloir d'hôtel insipide. Il n'y avait pas spécialement de bruit, seulement le grondement lointain de la buanderie et le passage des voitures à l'extérieur. Mais en tendant l'oreille, Jeongin fut certain d'entendre des bruits étouffés, des froissements de tissus, des plaintes. Son corps se tendit aussitôt à l'approche de la chambre qu'il partageait avec Félix. Il avait fait probablement une erreur. Il n'y avait pas d'autre explication.
Arrivé à la clenche de sa porte de chambre, il glissa sa main dessus pour l'actionner. La porte s'ouvrit sans peine et Jeongin glissa un œil dans l'encadrement de la porte.
Son sang ne fit qu'un tour.
Il voyait deux silhouettes sur le lit. Félix était allongé sur le dos, le visage écarlate, des larmes coulant le long de ses joues, ses doigts minuscules tentant d'enlever les mains qui étranglaient son cou. L'homme au dessus de lui était un des hommes de main de l'Empereur des Hyènes que Jeongin connaissait terriblement bien. A genoux au dessus de Félix, il semblait appuyer de toutes ses forces pour chasser la vie du corps du jeune homme.
Jeongin poussa la porte d'un coup de pied. Le gris avait disparu. Il ne restait que le rouge. Le rouge sanguin lorsqu'il attrapa la lampe de chevet à côté du lit et l'arracha de toutes ses forces de la prise électrique pour l'abattre sur la tête de cet enfoiré. L'étreinte autour du cou de Félix fut relâchée aussitôt, provoquant un énorme bruit de respiration de la part du jeune homme. L'homme de main recula, sonné, tombant du lit dans un fatras ridicule. Mais ce n'était pas fini, loin de là.
D'un coup d'œil, Jeongin vit que Félix reculait sur le lit en tentant de respirer normalement, le souffle erratique. Il prit alors sans hésiter la chaise à côté de lui et la souleva. L'homme de main eu à peine le temps de tourner la tête que le bois de la chaise craqua contre son dos, le faisant s'écrouler de nouveau sur le sol dans un bruit sourd.
Le rouge. Il n'y avait que le rouge qui comptait, rien de plus. Le rouge du sang, l'odeur de la mort qui emplissait ses poumons.
Jeongin ignora les débris de la chaise pour venir s'installer à califourchon sur le dos de l'homme de main. Il souleva sa veste sans cérémonie, lui retirant son arme à feu pour la jeter au coin opposé de la chambre, avant de prendre sa tête entre ses mains.
Il n'avait jamais eu d'arme à feu, mais comme le chien enragé qu'il était, il n'en avait pas besoin.
Le premier coup contre le sol sonna creux. Le type en dessous de lui commença à se débattre mais Jeongin souleva de nouveau sa tête pour la frapper encore sur le sol. Et encore. Et encore.
Et encore.
Ses mains étaient écarlates, le sang maculait son visage, et pourtant il continuait de frapper cette tête contre le sol. Ses propres râles de bête sauvage auraient pu lui faire peur tant il débordait de rage. On avait touché à Félix. Ce sale connard avait osé lui faire du mal. Il avait posé ses mains autour de son cou et avait serré jusqu'à ce que cette pauvre âme dépérisse. Il avait voulu tuer la seule bonne chose qui était arrivé dans sa vie, le seul être à le faire sentir humain.
La tête continuait d'heurter le sol encore.
Et encore.
« Jeongin... Jeongin, je vais bien... »
Les doigts entremêlés aux cheveux poisseux, trempés de sang, Jeongin releva la tête en entendant la voix de Félix. Le souffle court, les yeux fous, il chercha du regard le jeune homme. Ce dernier était assis au bord du lit, la peau du cou d'une couleur lie de vin, presque violette, le visage trempé de ses larmes. Mais vivant. Terriblement vivant. Il l'observa de ses grands yeux et semblait être sur le point de rompre.
Jeongin se releva, ignorant le corps inerte entre ses jambes, pour s'approcher de lui. Félix ne recula pas en le voyant couvert de sang, il lui tendit simplement des mains tremblantes. Il était tétanisé encore, de retour à l'état de bête sauvage effrayée alors qu'il avait réussi jusqu'alors à lui apaiser le cœur. Félix était plus éthéré que jamais, avec cette peau violacée qui ornait sa gorge délicate et les grandes rainures de larmes qui barraient son visage. L'instinct parla pour lui : Jeongin attrapa les mains tremblantes qu'on lui tendait et embrassa le jeune homme aussitôt.
Le goût métallique du sang envahissait sa bouche mais qu'importe. Les lèvres de Félix étaient brûlantes contre les siennes, plus vivantes et offertes que jamais. Avide, il voulait l'engloutir tout entier, le prendre et l'enfermer à l'abri de tout. Il ne méritait pas ça. Il devait vivre, il devait être choyé, il méritait plus que quiconque d'être le joyau le plus précieux d'une vie. Jeongin avala ses soupirs, la tête qui tournait, ses mains engluées de sang caressant les mains, puis les joues du jeune homme à ses côtés. Lorsqu'il reprit sa respiration, il pouvait contempler sa beauté : le carmin cachait à peine les tâches de rousseurs sur la peau diaphane.
La bouche entrouverte, les yeux hagards et un vague sourire aux lèvres, Félix semblait être à deux doigts de fondre en larmes. Jeongin l'attira alors à lui, le serrant dans ses bras de toutes ses forces.
« Je te promets, c'est bientôt fini. » murmura t-il, la voix rauque. Son regard glissa de lui même jusqu'à l'arme à feu jetée dans un coin de la pièce.
C'était bientôt fini.
—
Ils ignorèrent le cadavre dans la chambre. Ils prirent le temps de faire une douche, de se changer et de s'habiller chaudement. Jeongin confia les deux passeports qu'il avait falsifiés lui même à Félix, en les faisait ranger bien sagement dans la poche interne de sa veste. Le jeune homme semblait perdu mais hocha la tête lorsqu'il lui dit de les garder précieusement. La chambre fut nettoyée de fond en comble, la faïence de la salle de bain fut récurée pour effacer les tâches de sang apparentes. Il fallait faire vite maintenant.
Jeongin récupéra les clefs de la voiture sur le corps sans vie de l'homme de main. Il prit aussi son arme à feu et son étui tout en vérifiant les munitions. Il n'y avait que deux balles.
Après avoir roulé le cadavre dans les draps du lit, Jeongin prit le temps de ramasser les débris de la chaise, le linge de salle de bain sec et ouvrit le mini-bar pour en sortir la seule bouteille d'alcool proposée dedans. Il en versa le contenu sur le corps et les draperies avant d'y mettre le feu sans même hésiter.
Ils quittèrent la chambre avec les quelques affaires qu'ils possédaient en fermant bien la porte à clef derrière eux. Les systèmes à incendie se mettraient à sonner d'ici quelques minutes, le temps qu'ils rejoignent le parking et qu'ils s'en aillent avec la voiture de l'homme de main.
Félix ne posait aucune question. Il ne faisait que serrer sa main fort dans la sienne, si fort qu'il tremblait presque. Mais Jeongin savait ce qu'il faisait : il ne comptait pas partir sans un coup d'éclat. Il fallait partir le plus loin possible. Après avoir actionné le bip de la voiture, ils la trouvèrent sans aucune peine et grimpèrent à l'intérieur rapidement avant de filer dans la nuit pour fuir les lieux du crime.
Jeongin savait où il fallait aller. Ce soir là, l'Empereur des Hyènes était dans un des salons de massage qu'il possédait dans la ville pour son plaisir personnel. L'endroit était moins gardé que d'habitude, il le savait car il était parfois lui même affecté à la surveillance de la soirée. Hormis un ou deux hommes de main, il n'y avait personne d'autre. C'était le moment où jamais.
Il conduisit sans un mot, la main de Félix posée doucement sur son genoux comme pour le calmer. Il était là, brûlant, à lui, apaisant. Il n'y avait que pour lui qu'il pouvait se battre, pour personne d'autre.
En arrivant aux abords de l'établissement, aux néons éblouissants dans la nuit, Jeongin le contourna pour aller se garer à l'arrière. Dans la ruelle sombre, il devinait les formes des poubelles, leur odeur pestilentielle, les silhouettes des rats se faufilant le long des murs de briques gris. Il sentait son cœur battre plus fort dans sa poitrine, venir tambouriner contre ses côtes. Il n'y avait pas de retour possible, c'était maintenant ou jamais. D'instinct, il posa sa main sur celle de Félix pour la serrer tendrement. Ce n'était que pour lui.
« Je veux que tu m'écoutes s'il te plaît. » lança t-il en se tournant vers le jeune homme qui le contemplait de son regard tendre. « Si tu entends des bruits à l'intérieur et que je ne reviens pas dans la minute, je veux que tu fonces à l'aéroport. »
« Jeongin... »
« Laisse moi parler. » le coupa Jeongin sans hésiter. Il sortit une carte bancaire de l'intérieur de son manteau pour la tendre au jeune homme. « Tu prends un billet pour l'avion qui part le plus vite possible et tu vides entièrement le compte de cette carte. »
« Je ne pars pas sans toi ! » s'exclama alors Félix l'air horrifié. Ses yeux s'embuèrent presque aussitôt de larmes. « On part tout de suite, je ne sais pas ce qu'on fait là mais on part immédiatement ensemble. »
« Tant que mon oncle sera en vie, on aura aucun répit. » reprit Jeongin en tentant de rester calme. « Mais promet moi de partir si je ne sors pas de cet endroit. »
Félix l'observait, tétanisé sur son siège, les mains crispées autour des siennes. Jeongin était mortellement sérieux. Il pouvait tout laisser tomber pour lui, mais il connaissait bien trop Kangin. Ce dernier n'aurait aucun repos tant qu'il le saura en vie, quelque part dans le monde. Il tolérait son existence par simple pitié, car il restait un Yang. Mais il était trop instable aux yeux de son oncle pour être fiable.
« J-je ne pars pas sans toi. » répéta Félix, dévasté rien qu'en imaginant une chose pareille. « Je ne suis rien sans toi, je... »
« Félix, tu mérites une autre vie. » continua t-il, plus doucement. « Si je sors de là, on y va ensemble. Sinon je ne serais jamais en paix. »
Ces quelques mots semblèrent avoir effet sur Félix. Il hocha péniblement la tête avant d'approcher les mains de Jeongin de ses lèvres pour les embrasser. Ces mains de meurtrier, encore pleine de sang quelques heures auparavant, cet ange les embrassaient délicatement comme s'il craignait de le blesser. Jeongin esquissa un sourire en le voyant faire : il méritait tout et bien plus encore.
Il sortit de la voiture, laissant Félix prendre place sur le siège conducteur avant de vérifier l'arme dans l'étui accroché à son torse. Dans la froideur de la nuit, la moindre parcelle de son corps se mit à frissonner. Ce n'était que la conclusion d'une histoire, rien d'autre. Quoi qu'il arrivait, ça ne pouvait que bien se passer. Tant que Félix irait bien, tout irait bien. Il inspira profondément, figeant ses poumons de l'odeur affreuse des déchets autour de lui, avant de passer par la porte de service de l'établissement de massage.
L'odeur d'huiles essentielles agressa ses sens. La lumière tamisée du couloir d'accès était à peine suffisante pour y voir clair et le rythme de la musique de fond couvrait le bruit de la porte qui se fermait derrière lui. Jeongin devait redevenir ce mur infranchissable, ce chien enragé que l'Empereur des Hyènes avait passé des années à façonner lui-même. Il pensait qu'il serait obéissant envers lui ? Comme à un maître dévoué ?
Il irait lui déchiqueter la main.
Jeongin avança le long du couloir prosaïque, tendant l'oreille pour entendre d'où venait le bruit autour de lui. A peine fit-il quelques pas qu'une jeune fille se présenta devant lui, l'air perplexe. Elle le regarda des pieds à la tête avant de s'incliner légèrement.
« Où est l'Empereur ? » demanda t-il une fois arrivé à sa hauteur.
Elle resta figée une longue seconde avant de regarder autour d'elle. Elle semblait terriblement mal à l'aise et hésitait sur la marche à suivre. Jeongin sortit alors une liasse de billets de sa poche, attirant aussitôt le regard de la pauvre fille. Elle était à moitié nue, les cheveux graisseux. Il n'hésita pas à lui tendre l'argent.
« C'est à toi si tu me dis où il est et que tu fais en sorte d'occuper son homme de main. » reprit Jeongin, l'air morne.
« Deuxième porte à droite. » répondit-elle aussitôt dans un coréen haché et maladroit. Elle avait un fort accent chinois : probablement une pauvre immigrée clandestine comme une autre.
Jeongin tendit plus franchement la liasse de billets et la fille la prit immédiatement pour l'enfoncer dans la poche de son peignoir. Elle hocha la tête, l'air moins effrayé qu'auparavant et le contourna. L'homme de main devait attendre dans le salon principal, comme lui devait le faire lorsqu'il venait ici. Il fallait juste que cette fille l'occupe assez de temps pour qu'il règle ses affaires avec l'Empereur des Hyènes.
En s'enfonçant dans le couloir, Jeongin pouvait voir les années de souffrance qu'il avait traversé seul. L'assassinat de son père. L'exécution de sa mère. Les insultes. La haine. La violence quotidienne. Il n'y avait rien eu en dix ans pour le sauver. Rien d'autre que la rage qui le poussait à tenir jusqu'à pouvoir enfin se venger. Et désormais il avait quelque chose à protéger.
Quelqu'un.
Félix était lui aussi un naufragé de ce désastre et Jeongin voulait le sauver. Il pouvait le faire quoi qu'il en coûtait. Ce garçon méritait de vivre une vie heureuse, loin du gris, loin de cette pourriture empestant le monde. C'était la seule chose à faire.
Jeongin poussa la deuxième porte du couloir à droite pour tomber sur une pièce privative de massage. Il n'y avait personne d'autre que l'homme confortablement installé sur son gros fauteuil massant, drapé d'une simple serviette de bain autour de la taille et la tête légèrement rejetée en arrière. L'odeur des huiles essentielles était gâtée par l'âcre fumée du cigare flottant dans la pièce, celle qui brûlait les poumons et grattait la gorge. Il n'y avait aucune fenêtre vers l'extérieur, rien.
Il ferma alors doucement la porte et Kangin abaissa la tête pour l'observer.
Le sourire goguenard s'effaça bien rapidement de ses lèvres. Jeongin sentit la tension monter dans ses tempes alors qu'il contemplait l'homme qui avait brisé sa vie, sa famille, et qui avait aussi voulu lui prendre son amant. L'Empereur des Hyènes était vulnérable, étendu ainsi, nu et sans arme à sa portée. C'était un homme comme les autres.
« Quelle surprise. » grogna t-il en tendant la main pour attraper son cigare encore fumant dans le cendrier à côté de lui. « Tu as finis ta journée, tu peux rentrer chez toi. »
« Vous avez baisé la fille que je viens de croiser ? »
Jeongin avait ce ton morne, monotone qu'il prenait sans cesse pour cacher ses émotions face à son oncle. C'était comme enfiler un costume pour cacher sa réelle nature car il ne voulait pas que cette ordure possède la moindre prise sur ses émotions. Kangin eu un ricanement avant de commencer à fumer.
« Elle m'a bien servie. » répondit-il, l'air indifférent. « C'est pour ça qu'on a des putes. Ton père le savait bien lui. »
L'attaque était gratuite. Ce n'en était qu'une parmi les centaines qu'il avait déjà entendu. Rien de nouveau. Jeongin prit le temps d'ouvrir son manteau et prit l'arme à feu qui reposait encore dans son étui. Le poids dans sa main avait quelque chose de jubilatoire. Sans dire mot, il dégaina et braqua le canon sur la tête de son oncle. Sa main ne tremblait pas, son regard était acéré. L'expression sur le visage de l'Empereur des Hyènes se figea alors dans le doute.
Le silence était pesant. On entendait simplement la musique de relaxation se diffuser dans l'établissement, une fontaine à eau quelque part, et rien de plus. Il était tard, la circulation était plutôt rare dans le quartier. Jeongin ne clignait même pas des yeux : l'adrénaline pulsait si fort dans ses veines qu'il en aurait hurlé de joie. D'un simple glissement du pouce, il ôta la sécurité de l'arme à feu.
« Où est ce que tu as eu cette arme ? » demanda Kangin, son œil unique le fixant durement. « Tu n'as pas le droit d'en porter une encore. »
« Vous avez fait une erreur mon oncle. » répondit Jeongin, plus calme qu'il ne l'aurait jamais imaginé. « Vous auriez dû me tuer lorsque j'étais encore enfant. »
« Les Yang n'auraient jamais toléré un meurtre d'enfants au sein de leur famille ! » s'exclama son oncle, les lèvres retroussées dans une grimace ridicule.
Jeongin avait presque envie de rire. Jusqu'à rencontrer Félix, il avait espérer mourir jour après jour. Il avait perdu ses parents, traînait au milieu d'hommes et de femmes qui n'avaient aucune morale, aucune bonté d'âme. Considéré à peine mieux qu'un chien enragé, on l'avait dressé pour devenir aussi froid qu'une lame d'acier. Et ils ne l'avaient pas brisé.
« C'est fâcheux mon oncle. » continua t-il sans trembler.
« Tu n'oseras pas tirer. » cracha Kangin en prenant ses aises dans son fauteuil. « Tu n'as jamais tué qui que ce soit de ta vie, et tu ne risques pas de commencer par moi. »
« C'est la votre deuxième erreur. »
Son oncle l'avait toujours empêcher de tenir une arme entre les mains et l'empêchait de procéder lui-même aux exécutions. N'importe qui aurait pu dire que c'était pour alléger la conscience de son cher neveu, mais Jeongin savait très bien pourquoi il le faisait : il voulait l'humilier au sein du gang, le rabaisser sans cesse à son rang de sous-fifre pour lui rappeler à quel point son ascendance était faible.
Le visage de l'Empereur des Hyènes semblait soudain emprunt au doute avant que Jeongin y lise enfin le déclic tant recherché.
« Tu as buté Jung ?! » s'exclama t-il en se redressant cette fois-ci sur son siège. « J'espère qu'il a eu le temps de massacrer cette putain qui... »
« Félix a survécu. » le coupa Jeongin, plus serein que jamais. Il avait l'impression de flotter au dessus des nuages tant le plaisir coulait dans ses veines. « Et il m'attends, je ne vais donc pas m'attarder plus longtemps en votre répugnante compagnie. »
Le visage figé de son oncle se grava dans la mémoire de Jeongin. L'œil unique tourné vers lui, cet homme qui ressemblait tant à son père et qui était pourtant si différent de lui, ce masque de colère et de rage, celui d'un Empereur acculé et prêt à tomber de son trône. L'euphorie aurait presque pu faire trembler sa main, mais sa conviction était solide. Un souffle tremblant passa ses lèvres en glissant plus fermement son doigt sur la gâchette.
Le sourire qui s'installa sur les lèvres de Kangin se crispa.
« Entiché d'une putain... Tu es vraiment comme ton p... !! »
Un coup sec parti de l'arme à feu lorsque Jeongin l'actionna froidement. L'Empereur des Hyènes ne pu terminer sa phrase, la balle avait crevé son œil restant et s'était aussitôt figé dans son crâne pour en chasser les bribes de vie restantes.
Le bruit sourd. Seuls les battements de son cœur se faisait entendre.
Jeongin entendait un sifflement dans son oreille, un acouphène causé par la détonation de l'arme à feu. Il contempla le corps encore chaud de Kangin avant de faire demi-tour et d'ouvrir la porte d'un coup de pied.
A l'extérieur de la salle de massage, il entendait quelques cris, des pas précipités. Il ne demanda pas son reste et fila dans le sens inverse du couloir sans hésiter. Plus une seule seconde à perdre. La mort d'un chef de mafia était toujours un événement redouté et attendu. Une fois l'Empereur des Hyènes mort, on chercherait vaguement qui était l'instigateur mais surtout il y aurait une guerre de succession. Et Jeongin devait en être le plus loin possible.
Il bifurqua dans le couloir et vit une ombre opposée à la porte de sortie. D'un coup d'œil, il reconnu l'homme de main de son oncle et braqua de nouveau son arme. Il tira un coup de feu, faisant reculer son assaillant mis en garde avant de se mettre à courir vers la porte de sortie.
Félix pouvait être loin. Il pouvait avoir mis le contact et avoir filé vers l'aéroport sans l'attendre. Il ne lui en aurait pas voulu.
Mais Félix était là, la voiture grondante et les mains crispés sur le volant. Ses grands yeux tournés désespérément vers la porte de service de l'établissement. Jeongin croisa son regard et fonça sur la porte passager ouverte que le jeune homme avait préparé pour lui. A peine était-il grimpé à l'intérieur qu'il referma la portière d'un coup sec : Félix appuya de toutes ses forces sur la pédale d'accélération et la voiture parti en trombe dans un crissement de pneu strident.
Jeongin sentait de nouveau son sang battre dans ses tempes. Son cœur battait un rythme infernal dans sa poitrine alors qu'ils déboulaient à toute vitesse sur le boulevard principal. Au loin, il entendit deux coups de feu et puis plus rien. Ses mains étaient encore crispées sur l'arme brûlante, l'adrénaline pulsant encore et encore dans ses veines comme si on la lui injectait directement.
Au bout de plusieurs boulevards dépassés, il se permit de tourner la tête vers Félix. Ce dernier avait les yeux rivés sur la route, l'air concentré. Sa force se voyait dans la fermeté de son regard, dans la puissance de ses mains vissées sur le volant. Son cou était violet mais il avait survécu. Il avait dépassé toutes les épreuves, toute cette vie morne et sans saveur. Il était vivant.
Alors qu'ils roulaient à vive allure vers l'aéroport, Jeongin baissa sa vitre pour jeter l'arme dans un bas côté. Il jeta également les gants de cuir qu'il portait et réussissait enfin à se calmer lorsqu'une main chaude se posa sur son genou. Son regard se plongea alors de nouveau dans la contemplation de Félix. Son nez en bouton, ses joues pâles, son sourire.
« C'est fait ? » demanda t-il de sa voix grave, si suave et douce.
« C'est fait. » confirma Jeongin en posant sa main sur celle de Félix.
Ce sourire sous les cendres, il était libre de le savourer désormais.
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