Metamorphosis (Minsung)
Style: Omégaverse, Drame, Romance
Pairing: Minsung
13 487 mots
Pour: @KimGoldess qui a gagné le tirage au sort du mois de décembre!
Résumé:
Le néant. La peine. La solitude.
Jisung peinait à avancer au quotidien. L'Oméga se sentait dépassé, abandonné. Il n'était pas adapté à la société, aux relations, aux carcans qu'on lui imposait.
Seul face à ses peurs et ses appréhensions.
Qui pouvait le comprendre et l'aider à avancer?
Attention TW: Les thèmes abordés sont l'isolation sociale et la peur de la parentalité / grossesse. Cette fiction est profonde, et peut remuer car il s'agit en grande partie d'un drame qui peut vous secouer. Pensez à vous, si les thèmes ne vous conviennent pas, préservez-vous.
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Est- ce que ça en valait vraiment la peine ?
Ces heures perdues à réfléchir au sens de sa propre existence, de ses propres envies ou de ses pensées même. Des heures où rien ne se passaient, rien ne bougeait... Le sentiment d'abandon qui serrait la poitrine, qui donnait une boule dans la gorge ou encore qui emplissait les yeux de larmes. En quoi était-ce important ? En quoi était-ce utile ? Tout ça ne servait à rien. Ce n'était rien de plus que ce vide qui creusait cette poitrine encore et encore. Le torse plein, le cœur battant, et pourtant ce gouffre sans fond. Quand Jisung y pensait, il avait envie d'y plonger. Prendre son courage à deux mains et creuser encore et encore, plus profond, jusqu'à racler son âme et ne plus rien ressentir. L'idée même de ne plus rien ressentir, c'était ça ce qu'il lui fallait. Être engourdi par son propre corps, l'agréable plénitude du néant.
Il avait pourtant des raisons de se sentir important. Lorsqu'il croisait les regards paniqués des femmes ou des Omégas, lorsque leurs cris de souffrance résonnaient dans ses oreilles et que leurs hurlements écorchaient son humanité. Mais lorsque ces plaintes étaient remplacées par un regard unique au monde, des larmes de bonheur, cet instinct sauvage qui les étreignait dès que leurs yeux se posaient sur le nourrisson que Jisung tenait dans ses bras... Il posait alors cette âme si pure, si innocente et pourtant si fragile sur l'être courageux qui l'avait mis au monde. Et les cris étaient remplacés alors par des pleurs de joie.
Ça l'effrayait.
Porter un enfant, il en était incapable.
Tout autour de lui n'était que déception. Lui-même en était une. Pour lui-même, pour ceux qu'il avait le malheur d'aimer, pour tous les autres. Il pouvait concevoir, il pouvait porter un enfant à l'intérieur de son corps. Il était fait pour ça. Ses chaleurs se déclenchaient, son Oméga intérieur réclamait de porter un enfant à chaque cycle, encore et encore... et pourtant il était terrifié. Il ne voulait pas. C'était au-dessus de ses forces. Il avait déjà rencontré des Alphas responsables, avec qui il aurait pu bâtir une famille. Mais à chaque fois qu'ils abordaient le sujet avec lui, Jisung refusait catégoriquement. Il avait vu des centaines de corps déformés par la grossesse, il entendait chaque jour à son travail des diagnostics qui le terrorisait, il avait recousu des intimités réduites en charpie par le miracle de la vie. Il ne voulait pas que ça lui arrive. Il ne voulait pas que lui-même soit déformé, que son ventre gonfle pour abriter la vie. Il voulait être lui, simplement lui, sans ce parasite qui venait dépendre de lui pendant des mois avant de l'avoir à charge toute sa vie et bien plus encore.
Alors les Alphas partaient.
Ils partaient tous inexorablement. Malgré leur gentillesse ou leur compassion. Leur désir d'avoir eux même des enfants passait au-dessus de tout, inévitablement. C'était dans leur nature, c'était logique. Ils voulaient tous sans exception cet Oméga docile et désireux de porter en son sein leur descendance. Jisung n'en était pas un. Il n'était pas de ceux-là. Il avait peur, si peur que tout son corps était paralysé à l'idée d'être forcé à porter en lui un être dont il ne voulait pas.
Encore une fois il était seul.
Est-ce que ça en valait vraiment la peine ?
Depuis de longues minutes, il fixait son réveil digital dans les ténèbres de sa chambre. Il s'était réveillé en sursaut en pleine nuit, comme à son habitude. Parfois déréglé par les changements de quart à l'hôpital, il n'arrivait jamais à se réguler. Ses insomnies frappaient qu'importe ses horaires de travail. Une poignée d'heures de répit et plus puis rien, si ce n'était l'écrasante tristesse qui écrasait sa poitrine dès qu'il ouvrait les yeux, l'empêchant de se rendormir. Ce sentiment de solitude serrait ses dents l'une contre l'autre, sa mâchoire était si crispée qu'il était obligé de la faire craquer dès le saut du lit pour ne pas la déboîter. Jisung était épuisé, mais le sommeil ne venait pas. Il ne venait jamais. Il sentait alors les larmes pointer dans ses grands yeux bruns, son odeur de muguet écœurante le baignant dans son propre nid. Contre le velux de son duplex, il entendait la pluie s'écraser sur le verre. C'était presque une berceuse, c'était relaxant. Et pourtant, l'Oméga se sentait plus mal que jamais. Le parfum de sable chaud de son dernier Alpha restait perceptible à son odorat. Quelques bribes étaient encore là, dans les draps chauds, contre le nez de Jisung. Il n'avait pas eu le courage de les laver encore.
En fermant les yeux, il espérait retrouver le sommeil. Il en avait besoin, il se sentait plus fatigué que jamais. Il avait de longues journées de travail devant lui, encore et toujours. Mais le sommeil ne venait pas. Il ne venait plus depuis des nuits entières désormais. La chaleur d'une paire de bras enroulée autour de sa taille lui manquait de trop pour ça.
Abandonnant le combat, le jeune homme finit par décider de se lever. La nuit était encore pleine, mais il savait que ça ne servait à rien de rester ici. Jisung s'assit sur le rebord de son lit, les yeux rivés sur le velux sans volet. La lune était pleine, cachée derrière les épais nuages chargés de pluie et de froid. Aucune étoile visible, rien que la lumière orangée des lampadaires dans la rue devant chez lui. Il attrapa ses lunettes pour les chausser sur son nez et se leva péniblement. Ses muscles ankylosés et ses pieds couvert d'ampoules le firent grimacer avant qu'il ne s'approche de sa fenêtre. A travers celle-ci, il ne voyait que les rues vides à cette heure avancée de la nuit, les torrents dans les caniveaux et les rares arbres ployaient sous le poids de l'eau. L'envie de descendre de son appartement pour se glisser sous la pluie, prier qu'elle lave son âme et sa douleur, broya son cœur. L'Oméga laissa un souffle tremblant franchir ses lèvres. Son cœur voulait céder, et noyer ses yeux de larmes. Mais il s'y refusait.
Il finit par se détourner du velux. Dans le roulis de la pluie s'écrasant contre le verre, il contempla sa chambre. Des vêtements traînaient partout, ses draps étaient sales, les étagères de son armoire étaient encore vides des affaires de son ancien compagnon. Jisung décida de ne pas rester dans cette pièce, où il avait trop souvent entendu des « je t'aime » murmurés tendrement dans le creux de son oreille. Des paroles vides de sens, fausses et intéressées. Tout s'évaporait dès qu'il s'agissait de fondre une famille et de porter le fruit de l'amour. Ce sentiment vénéré était alors remplacé par du mépris et un regard de pitié qu'il ne supportait plus. Le jeune homme quitta sa chambre pour aller dans la salle de bain attenante. Il alluma la lumière du plafonnier, révélant la cabine de douche trop petite par la lumière jaune et le lavabo encore couvert de produits utilisés la veille. Dans son miroir, Jisung contempla le reflet d'un trentenaire épuisé. Ses cernes bleutés creusaient ses traits, sa barbe naissante était négligée et les coins crispés de ses lèvres portaient déjà des stigmates de son âge.
Péniblement, il se lava le visage à l'eau froide en espérant améliorer son apparence. Mais rien à faire, il devait vraiment se raser. L'Oméga prit alors sa mousse et la lame de son rasoir avant de prendre son temps, devant ce miroir mal éclairé. Le raclement de la lame contre sa peau crissait. Il tirait ses joues rondes, repassant chaque endroit épargné par le passage du rasoir. Ce ne fut qu'une fois son visage dépourvu de barbe que Jisung se sentit moins oppressé. Sa poitrine n'était plus écrasée par une montagne, juste par un mont. Après avoir essuyé sa peau, le jeune homme décida de se rendre dans les pièces à vivre. Il descendit l'escalier minuscule pour arriver au palier de son duplex. Dans la pièce principale, il se rendit compte qu'il avait oublié d'éteindre la télévision cathodique la veille avant d'aller dormir. Baigné dans la lumière blanche de l'appareil, le salon avait presque l'air fantomatique. Son plat préparé la veille à peine mangé sur la table basse, les couvertures jetées en fatras sur le canapé, la bouteille de bière couchée sur le sol... L'Oméga décida de ranger. Tout était en vrac, et il prit pourtant le temps de mettre de l'ordre dans ses affaires. Il savoura la lumière de l'ampoule en allumant la lumière et le froid du lino sous ses pieds. Pas à pas, il mettait les déchets à la poubelle, remettait en ordre sa cuisine ouverte en jetant les aliments périmés ou cuisinés depuis trop longtemps, passait le balai pour ramasser les poussières. L'aube n'était pas encore là, mais la vision de son appartement presque propre apaisa un peu le cœur de Jisung.
Incapable de retourner se coucher, le jeune homme décida de mettre une émission de nuit avec un son assez faible pour ne pas déranger le voisinage. Il essaya de se concentrer dessus pour penser à autre chose, n'importe quoi pourvu qu'il ne pense plus aux étreintes brûlantes contre lui, à ces mots doux murmurés ou encore la tendresse dont on le couvrait encore quelques semaines auparavant. Passant longuement sa main le long de sa joue fraîchement rasée, Jisung finit par somnoler. La pluie avait fini par le bercer.
Malgré le mauvais temps, il se réveilla de nouveau lorsque l'aube pointa à l'horizon. L'Oméga ouvrit les yeux face à la lumière du soleil qui caressait son visage. Son regard fut aussitôt attiré par la fenêtre de son salon : la pluie avait cessé et le ciel était dégagé. Le jeune homme se laissa quelques secondes pour contempler cette vue offerte : les rayons de l'aurore perçant les nuages rosés, la cime des arbres penchant à cause du poids de l'eau, les volutes de fumée s'échappant des cheminées... Aucun doute que l'air marin de Yeongdeok apportait son lot de froid sur la côte. Mais Jisung préférait mille fois vivre à la campagne que subir les affres de la capitale. Le cœur moins lourd, il finit par se lever de son canapé afin de se préparer à aller au travail.
Il ne savait toujours pas si ça en valait la peine, mais il décida d'essayer d'avancer ce jour-là.
Sans perspective d'avenir avec qui que ce soit, Jisung n'avait le cœur de rien. Pour autant, il savait que se morfondre ne ferait pas avancer sa situation. Il avait une mission, son travail. Des femmes et des Omégas comptaient malgré tout sur lui pour réussir là où lui échouait. Admiratif de leur courage, il fallait qu'il assurer leur sécurité. Malgré toute sa répugnance à voir son propre corps subir la mise au monde, il était paradoxalement engagé dans le soin des êtres nourris de la dévotion ultime : sacrifier sa vie pour celle d'un futur à venir. L'Oméga prit sa douche et s'habilla chaudement avant de quitter son appartement. Il descendit dans la rue, savourant les rayons du soleil sur sa peau meurtrie par ses larmes. En longeant le trottoir bordant la route, Jisung gardait son regard rivé sur l'arrêt de bus au bout de sa rue. C'était son transport de prédilection pour se rendre à l'hôpital où il exerçait. Malgré l'air froid contre ses joues, le jeune homme gardait son visage sorti de son col.
Il n'y avait jamais beaucoup de monde à cet arrêt de bus. Jisung y reconnaissait les même personnes, matin après matin, soir après soir. Des personnes âgées, des parents avec leur enfant, des adolescents... Toujours les mêmes odeurs. Tous se mouvaient dans un ballet impersonnel, froid, sans interaction ou même affection. Lui ne faisait jamais attention à qui que ce soit. Il était le locataire de l'immeuble gris, habitant au troisième étage sous les combles. Malgré son air aimable avec ses lunettes et ses joues rondes, l'absence de sourire sur ses traits le rendait inaccessible. Même lorsque le petit garçon qu'il voyait grandir depuis des années lui offrait un regard poli, il ne trouvait que rarement la force de lui répondre par la pareille. A la place, il détournait le regard.
Les mêmes corps pressés les uns contre les autres l'attendaient à l'arrêt de bus ce matin-là, sans exception. Sa besace pesait lourd sur son flanc, mais il restait aussi droit que possible malgré son envie de s'effondrer. Sans un regard à qui que ce soit, il s'adossa au mur derrière l'arrêt pour attendre son transport. Autour de lui, on lisait un journal ou le dernier manga sorti. Les gens ne prêtaient aucune attention à son air morose et à sa souffrance. Ça lui allait très bien.
Le bus arriva quelques instants après, dans un grondement sourd et le vrombissement de son moteur. La porte automatique s'ouvrit sur le groupe de voyageurs et tous y montèrent sans exception. Jisung fut le dernier à gravir les marches. Le chauffeur ne lui accorda pas un regard, l'air concentré sur les informations à la radio et la circulation inexistante dans le quartier. Le regard de l'Oméga balaya l'ensemble du bus, et il reconnu chaque personne. Il s'installa à sa place : côté vitre à la cinquième rangée à gauche. Là il pouvait sortir son walkman et espérer se perdre quelques minutes dans la musique pour oublier et laver son esprit de la douleur. Le vague à l'âme le secouait sans cesse. Rien n'avait grand intérêt. Il n'avait hâte que de retrouver ses patients et patientes, les rassurer, tenir leur main lorsque les contractions broyaient leurs corps car personne d'autre n'était là pour le faire. Le cœur lourd, il mit son walkman en aléatoire et pria tomber sur une musique assez mélancolique pour le faire se sentir encore plus mal. Fermant les yeux lorsque la voix du chanteur murmurait ses espoirs d'une vie meilleure dans le creux de son oreille, Jisung appuya son front contre la vitre et ferma les yeux.
Six musiques plus tard, il ouvrit les yeux sur le carrefour avant l'hôpital. Devant lui, les voies réservées aux ambulances étaient saturées par des voitures de particuliers et des taxis. Les klaxons résonnaient ci et là, les gyrophares des pompiers ou des ambulanciers perçaient la lumière matinale. Le gigantesque centre hospitalier se dressait comme une ombre au-dessus des gens parcourant le goudron devant lui. Tantôt rassurant tantôt synonyme d'instant grave, l'hôpital portait toujours un symbole particulier pour les gens. Jisung le sentait autour de lui à chaque fois qu'il descendait du bus. Peu de voyageurs osait regarder le bâtiment, beaucoup détournait le regard.
Pourtant, l'infirmier fut surpris de descendre avec quelqu'un ce matin-là. Il le suivit dans le couloir du bus jusqu'à prendre la porte de sortie. L'homme s'arrêta un instant, l'air abasourdi devant la grande structure qu'était l'hôpital. Jisung tourna ses yeux vers lui et frissonna. L'inconnu dégageait une odeur de vétiver, il semblait être un Alpha par sa carrure et son expression presque sévère. L'Oméga n'était pas du genre à dévisager les autres, mais l'homme à côté de lui était surprenant. Il ne l'avait jamais vu dans le bus, et ses traits avaient quelque chose de particulier. Une forme de beauté éthérée, presque sculpturale, qu'il portait comme un masque d'indifférence. Le jeune homme se sentit l'espace d'un instant transporté ailleurs. Les cheveux mi-longs de l'homme à ses côtés encadrait un visage simplement beau, bien dessiné aux pommettes hautes et au nez fin. Lorsque les yeux bruns profonds se tournèrent vers lui, Jisung se sentit papillonner des yeux et détourna maladroitement le regard. Sans un mot pour l'inconnu, il prit le chemin de son service. Il allait finir par être en retard s'il se faisait déconcentrer par le premier venu.
L'Oméga traversa les différentes voies, esquivant quelques patients matinaux ou des collègues qui affluaient vers le lieu de travail. Il longea le bâtiment réservé aux naissances, empruntant le chemin réservé au personnel soignant. Les trottoirs étaient de guingois, au moins autant que son parcours de vie. Presque amusé par la comparaison, le jeune homme releva la tête au moment de passer la porte du personnel. Il ôta ses écouteurs d'un geste las, enfonçant le petit walkman dans la poche de son blouson. Dès qu'il badgea à l'entrée et tira la porte, il sentit l'odeur de désinfectant, de javel et de médicament qui flottait dans l'air. Avec le temps, il avait fini par apprécier l'odeur. C'était neutre, vide. Sans prise ni même marque. Ça lui allait. Jisung longea de nouveau son chemin, bifurquant dans les couloirs, saluant d'un geste de la tête les collègues et autres services ou du sien, avant d'arriver dans les vestiaires. Là, il déposa dans son casier son manteau, sa besace et ses vêtements. Il enfila son uniforme propre, gêné par la rigidité que le calcaire offrait au tissu à force d'être lavé et étala sur ses glandes odorantes la pâte réglementaire pour annihiler les parfums pouvant gêner les patients. La lumière blafarde de la pièce lui donna presque mal au crâne alors qu'il prenait le temps de se laver les mains et les avant-bras soigneusement. Alors qu'il se séchait les mains, il salua deux collègues qui entraient dans le vestiaire lorsque lui en sortait.
Et il retrouva cette banalité réconfortante.
Il n'était plus vraiment seul. Dans les couloirs aseptisés, froids et résonnant aux sons des moniteurs, Jisung ne se sentait plus aussi mal que lorsqu'il était blotti dans ses draps, dans la pénombre de sa chambre. La gorge était moins serrée, sa poitrine moins écrasée. Là, il pouvait aller et venir au gré des besoins et de ses envies et adoucir la vie des gens autour de lui. Il se sentait utile à quelque chose. Il savait que sa peine ici était bonne à aider les autres. Malgré la fatigue, il décida de faire le premier tour de son service. Il salua ses collègues, les quelques patients et patientes qui ne dormaient pas en attendant la délivrance. En faisant un tour à la pouponnière, il vit deux nouveaux venus qui étaient arrivés pendant la nuit. Le bracelet de plastique noué autour de leurs poignets brillait à la lumière des néons, reflétant le choix des prénoms pour les décennies à venir. Jisung posa sur eux un regard soulagé : il était heureux que leur santé soit bonne. Pour autant, il ne ressentait aucune envie d'en tenir un dans ses bras. Se détournant de la plaque en plexiglas qui le séparait des nouveaux nés, l'Oméga fut interrompu dans sa ronde par un de ses collègues. Celui-ci l'invitait à rejoindre la salle de pause. Le jeune homme hocha la tête, curieux, et le suivit jusqu'à la pièce où étaient regroupés tous ses autres collègues du service de jour. Le jeune homme ne prêta pas attention à quoi que ce soit, avant de sentir une odeur étrangement familière.
Dès qu'il reconnu la fragrance du vétiver, il releva la tête pour en trouver l'origine. Il resta un instant suspendu dans le vide, les yeux rivés sur l'inconnu du bus qui était à côté de son chef de service. Ses cheveux longs étaient attachés dans un chignon serré et son air détaché le rendait presque froid. Mais c'était bien lui, dans un uniforme d'infirmier et avec un badge accroché à sa poitrine. Jisung était sincèrement étonné de voir un nouveau visage parmi eux. Le travail ne manquait pas : une paire de bras en plus n'était certainement pas de trop.
« Je m'appelle Lee Minho. » lança l'inconnu avec une voix étrangement douce pour sa carrure et son air détaché. « Je suis un Oméga, j'ai eu trente deux ans l'année passée. J'ai exercé à Séoul et à Busan pendant dix ans dans le service des naissances auprès du professeur Kim. Je suis ravi de pouvoir intégrer votre équipe comme collègue. »
L'inconnu au parfum de vétiver s'inclina poliment face à l'équipe, qui le salua avec tout autant de déférence. Jisung le salua également et se perdit dans ses pensées. L'inconnu du bus était donc un Oméga tout comme lui. Beaucoup de personnes du personnel médical l'était. Les croyances populaires mettaient ça sur le dos d'être naturellement enclin à s'occuper des autres, des petits, des Alphas... Le jeune homme était persuadé que tout ceci n'avait rien à voir. Mais comment lutter contre autant de clichés ? Lorsque le regard du dénommé Minho se planta dans le sien, Jisung sentit un frisson parcourir son dos. Cet inconnu faisait peser sur lui un poids étrange. Il ne le connaissait pas, il ne savait rien de sa vie, et pourtant il avait cette sensation brûlante au fond du ventre qui lui disait que Minho n'était pas comme tous les autres. Perturbé, le jeune homme se détourna du nouveau venu pour sortir de la salle de pause pour ne pas affronter ses yeux perçants.
Sans croiser le nouveau venu de toute la matinée, un accouchement se préparait sur le temps du midi. Il s'agissait d'une Bêta au visage juvénile et l'air terrifiée. Elle était accompagnée par son Alpha, une grande femme brune au masque impénétrable qui tâchait de garder la face. Jisung avait vu ses ongles : elle les rongeait tellement qu'ils étaient presque à vif.
Pratiquer son travail pour Jisung était cathartique, aussi étrange que ça pouvait paraître. Il guida la Bêta dont le corps commençait à être en proie aux douleurs que lui redoutait tant dans la salle d'accouchement. D'autres membres de son équipe vint l'assister, préparant l'Alpha afin qu'elle reçoive la tâche délicate de couper le cordon. C'était un bal familier dans lequel Jisung se sentait libre. Là, à cet instant et à cet endroit précis, il connaissait sa valeur, son importance. Il aidait une personne en souffrance à se libérer de ce fardeau qu'était le don de la vie. C'était son rôle, et le seul instant dans sa vie où il pensait à autre chose qu'à sa propre solitude.
Les cris, les pleurs, les suppliques. Et les gémissements, suivi par des murmures rassurants. Jisung guidait la Bêta dans sa délivrance, accompagnant sa respiration à chaque contraction, guettant ses réactions. L'Alpha lui tenait la main, rassurante, malgré son propre visage dont le masque de l'indifférence avait fini par craqueler pour laisser paraître l'inquiétude. Jisung guidait, inlassablement, chaque poussée, chaque effort. Quand la mère arrêta de hurler de douleur, le cri de l'enfant retentit dans la salle. L'Oméga prêtait peu attention à son front couvert de sueur, à ses mains tremblantes ou encore à son souffle court. Il accueillit le nouveau né entre ses mains aussi délicatement que possible, détaillant sa peau rougie et ses lèvres ouvertes dans un cri strident.
Le soulagement.
Jisung glissa le nourrisson sur le torse de la Bêta, dont les yeux brillaient de larmes. Elle attrapa maladroitement le nouveau né, l'air épanouie, comme si l'amour venait d'éclore dans son regard.
« C'est une fille, félicitations. » lança Jisung alors qu'il laissait ses collègues gérer avec l'Alpha la coupe du cordon ainsi que l'après.
L'Oméga inspira profondément en sortant de la salle, le cœur battant la chamade et les nerfs à vif. Aider à donner la vie était bon pour lui, mais remettait sans cesse en doute ses propres envies. Il savait qu'il ne voulait pas subir ça, il était terrifié à l'idée de se retrouver les cuisses écartées dans des étriers, l'intimité scrutée par des inconnus tout ça pour voir la déformation de son corps nourri par le parasite dans son ventre. Le jeune homme frissonna en s'adossant contre la paroi en face des lavabos. Sa tenue était tâchée de sang et de liquide amniotique. Il devait se changer.
Après s'être consciencieusement lavé les mains et s'être changé, Jisung sortit des vestiaires de jour pour tomber nez à nez avec le nouveau venu du service. Le dénommé Minho s'arrêta net face à lui, tout aussi surpris de le voir si proche de lui.
« Oh, désolé. » lança aussitôt l'Oméga, l'air confus. « J'ai entendu que tu avais mené l'accouchement du jour, je tenais à te féliciter. »
Surprenant, pensa aussitôt Jisung en entendant l'homme en face de lui. Il resta un instant coi, incapable de prononcer le moindre mot face à Minho. C'était un accouchement comme il en avait effectué des centaines d'autres depuis le début de sa carrière. Même si en effet, il ne perdait pas cette étincelle à chaque réussite, Jisung trouvait toujours le moyen d'être admiratif du courage de ces personnes désirant porter un enfant en elles.
« M-Merci ? » bredouilla t-il, perplexe. L'odeur de vétiver était douce, même cachée par le baume obligatoire que le personnel soignant devait porter il arrivait à la sentir très légèrement.
« Je t'en prie c'est naturel. » répondit Minho en esquissant un vague sourire. « Que dirais-tu de prendre une pause ? »
« Non, merci. » finit par répondre Jisung machinalement. Il n'avait pas spécialement envie de se mêler à ses collègues. Il les voyait souvent comme des fantômes hantant le seul endroit au monde où il se sentait utile. Il n'avait pas envie de s'attacher à eux ou d'apprendre à les connaître. Il n'avait pas besoin de ça.
Contrairement à ce qu'il aurait imaginé, Minho lui sourit alors plus franchement. Ce n'était pas un sourire qu'il avait l'habitude de voir, il n'était ni navré ni compatissant. C'était étrange de voir ce visage d'apparence si froide, presque intouchable, se métamorphoser en une expression délicate. Presque tendre. Jisung sentit un soubresaut dans sa poitrine. Il n'aimait pas être prit en pitié, il détestait qu'on puisse compatir à sa peine ou encore qu'on le prenne pour un idiot. Pour autant, il ne décelait aucune de ses émotions sur le visage de Minho. Rien qui n'indiquait qu'il avait de la peine ou qu'il se sentait mal pour lui.
« Très bien, je pense rapporter des chocolats ou des pâtisseries pour les pauses un jour ou l'autre. » reprit le nouveau venu sans le quitter des yeux. « J'espère que tu les apprécieras. »
Sans aucun autre mot, Minho se détourna de lui et disparu dans les couloirs du service. Jisung sentait encore ses genoux trembler à cause de l'adrénaline de l'accouchement qu'il venait d'accompagner. Mais ce n'était pas encore ce qui le secouait le plus.
Ses collègues connaissaient son humeur taciturne. L'Oméga vivait sa vie comme ses relations : en dent de scie. Il pouvait être d'humeur éclatante chaque matin pendant plusieurs mois, le temps de découvrir la vie avec un Alpha plaisant qu'il aimait et avec qui il passait des moments incroyables. Et ça se ressentait au travail. Sans pour autant être plus avenant, il daignait sourire, répondre aux questions avec enthousiasme... Et lorsque tout s'écroulait, ses collègues le fuyait comme la peste. Il était morose, et malgré son dévouement au travail, ça se sentait. Perdu dans ses pensées, il resta adossé quelques secondes au mur derrière lui avant de reprendre sa ronde dans le service.
Il termina sa journée alors qu'une femme commençait à ressentir les premières contractions régulières. Il l'avait accompagné une partie de l'après-midi dans des exercices de respiration et d'apaisement. Ce fut une réelle peine pour Jisung de devoir partir, l'abandonnant à l'équipe de nuit alors qu'il avait veillé sur elle une bonne partie de la journée. Alors qu'il saluait ses collègues pour rentrer chez lui, il capta le sourire de Minho et son geste de la main alors que celui-ci s'apprêtait aussi à partir. Le jeune homme se pressa alors pour aller dans le vestiaire et se changer afin de retrouver sa tenue de civil. Il n'avait pas envie de sentir une once de douceur autour de lui. Sortir de son travail était synonyme de retour à la douleur du quotidien et à sa grande solitude. Et pour le moment il voulait s'y complaire pour se sentir encore plus vide.
Le temps ne s'était pas amélioré dans la journée. Si le matin même, la pluie avait finit par céder la place à un soleil timide qui perçait à peine les couches de nuage, elle était revenue plus forte dans la soirée. Jisung se confina dans les couches de son manteau, tremblant et fatigué de sa nuit courte et de sa journée longue. Marcher jusqu'à l'arrêt de bus sous la pluie n'avait rien de plaisant, mais ça lui convenait. Il sentait ses chaussures s'imbiber d'eau, l'humidité sur son visage. L'Oméga aurait presque eu l'impression que son âme était lavée par le temps. Les corps autour de lui étaient aussi tétanisés par le froid en attendant le bus et lorsqu'il arriva enfin, ils s'engouffrèrent comme un seul homme à l'intérieur. Comme le matin, Jisung grimpa en dernier pour s'installer à sa place sans un mot pour le chauffeur.
Alors que le bus allait repartir, il fut surpris de voir une silhouette encapuchonnée courir le long du trottoir. Elle ne s'arrêta qu'au niveau de la porte pour tambouriner dessus et supplier ainsi le chauffeur de le laisser entrer. Ce dernier ouvrit donc la porte, et le retardataire entra, le blouson luisant tant de pluie que des gouttes tombaient sur le sol. Jisung jeta un coup d'œil intrigué à la silhouette, la main déjà dans la poche pour attraper son walkman et écouter les six musiques qui le séparait de son appartement. Pourtant son cœur se figea dans sa poitrine lorsque le flâneur ôta sa capuche pour trouver une place assise.
Il s'agissait de Minho.
Aussitôt, l'Oméga détourna le regard pour ne pas affronter celui de son nouveau collègue. Il daigna ne prêter aucune attention à lui. Il voulait être seul, il ne méritait aucunement la compagnie de qui que ce soit. Jisung mit ses écouteurs, l'air de rien en regardant par la vitre à côté de laquelle il était assis. Il ne relâcha son souffle que lorsque Minho le dépassa pour aller s'asseoir plus loin.
Le sursis qu'il s'accorda jusqu'à chez lui était salvateur mais pas miraculeux. Une fois les chansons écoutées, il dû se résoudre à se relever pour retrouver le vide de son duplex. D'un regard, il vérifia que Minho était descendu à un arrêt précédent : il n'était en effet plus dans le bus.
Machinalement, il regagna son nid de solitude. Lorsqu'il referma la porte derrière lui dans un bruit sec, le regard de Jisung se posa sur son lieu de vie. Fraîchement rangé du matin, l'endroit aurait pu être chaleureux. Il y avait une décoration somme toute simple mais agréable, qui reflétait la personne qu'il était quand tout allait bien. Quand il était aimé. Quand on daignait le considérer comme une personne et pas que comme un réceptacle à porter et concevoir.
La pensée l'étrangla aussitôt. On l'abandonnait, on trouvait toujours le moyen de l'abandonner. Pourtant, que faisait-il de mal ? Pourquoi réagissait-on comme ça vis-à-vis de lui ? N'avait-il pas le droit au bonheur lui aussi ? Qu'avait-il fait de mal pour ainsi se retrouver, si seul, si isolé, alors qu'il accordait tout dès qu'on l'aimait ?
Pourquoi dès qu'il mettait une barrière, on l'abandonnait ?
Jisung eu beaucoup de mal à enlever ses chaussures. La gorge broyée par la tristesse et l'angoisse, le jeune homme ôta son manteau trempé de pluie pour le mettre sur le dossier d'une chaise. Il n'avait pas faim, pas soif, tout ce qu'il voulait se résumait à une chose : ne plus penser à rien.
Tout ceci en valait-il la peine ?
Parfois il en doutait. Il entendait encore les suppliques de ses parents pour trouver quelqu'un de respectable avec qui passer sa vie. Eux non plus ne comprenaient pas pourquoi il ne voulait pas d'enfant ni même la peur qu'il en découlait. Son père Oméga avait accouché de lui et de son frère sans rechigner. Alors pourquoi ça aurait été différent pour lui ?
Le jeune homme finit par avancer dans son duplex. Il n'alluma pas la télévision et ne prêta aucune attention à la vaisselle sale dans son évier de cuisine. A la place, il monta dans sa chambre pour retrouver un semblant de sécurité. L'air était encore chargé de cette odeur de sable chaud qu'il aimait à contre cœur. Il se détestait profondément pour ça. Il aurait voulu la haïr et tourner la page, mais cette odeur avait été la seule chose réconfortante pour lui pendant ces derniers mois... Avant de devenir synonyme d'abandon et de malheur. Jisung sentit sa poitrine de plus en plus lourde alors qu'il déambulait maladroitement jusqu'à son lit. Il s'y assit et prit la tête entre ses mains. Autour de lui, le silence résonnait. L'oppressait. Le martyrisait presque.
Est-ce que tout ceci en valait la peine ?
Après s'être allongé sur ses draps encore gorgés de l'odeur de son ancien compagnon, Jisung laissa ses pensées vagabonder. Il n'avait ni froid ni chaud. Il était juste là, existant sur cette planète, à essayer de trouver sa place. Ce système n'était pas adapté pour lui, mais il n'avait pas le choix. Jamais il ne s'était sentit compris par qui que ce soit. Pas à sa place dans ce monde qui attendait de lui une simple chose : porter la vie. Même par amour, il en était incapable.
Est-ce que ce Minho avait une famille ? Avait-il un Alpha attentionné et à l'écoute ? Son odeur de vétiver avait-elle la chance d'être aimée au-delà de son caractère ? Sa moitié voulait elle simplement l'avoir à ses côtés quelques étaient ses choix ? Peut-être même avait-il un enfant, ou plus. Il était légèrement plus âgé que lui, plus beau aussi à ses yeux. Il semblait être attentionné à vouloir apporter de la nourriture à des gens qu'il ne connaissait pas pour simplement faire plaisir. Malgré son air glacial, il était d'une douceur incomparable dès qu'il souriait. Comment pouvait-on être si parfait d'apparence ? Comment cet inconnu pouvait-être beau et si doux ? Jisung était-il jaloux de lui ?
Rincé par ses émotions, l'Oméga finit par s'endormir. Dans son sommeil sans rêve, il ne trouva aucun repos. Lorsqu'il se réveilla en pleine nuit, ce fut enroulé dans ses draps puants et une larme coulant au moins de son œil. Son réveil digital indiquait que la nuit était encore jeune, mais Jisung se leva malgré tout.
Comme la veille, il prit le temps de se doucher, de ranger, et de manger un peu. Cette fois-ci, malgré la lassitude son corps réclamait sa part. Il daigna la lui accorder. La nourriture n'avait aucune saveur et il n'y trouva aucun plaisir, mais il se força. Tout se déroulait comme d'habitude, inlassablement. L'insomnie, l'entretien de son quotidien, une vague sieste sur son canapé élimé, l'aube qui se levait au loin... Puis il devait se préparer, se laver, enfiler ses chaussures, retrouver les inconnus du bus, et reprendre sa vie, encore et encore et encore...
Seulement, un point avait légèrement changé la donne dans ce quotidien qui l'exécrait.
L'arrivée de Minho aurait pu paraître comme étant un évènement insignifiant dans la vie de Jisung. Ce n'était qu'un collègue de plus, au même niveau que tous les autres. Au fil des jours passés à travailler dans le même service que lui, l'Oméga se surprenait pourtant à imaginer des tonnes de choses au sujet de ce nouveau venu. Minho était toujours d'une politesse exemplaire avec tout le monde. Sans pour autant dire qu'il était souriant, il était aimable et avenant. Son oreille attentive pour les patients était appréciée et il trouvait toujours des mots justes lorsque c'était nécessaire. Jisung s'était surpris à l'observer de temps à autre d'un côté de couloir ou de loin. Il l'imaginait sans peine tenir un enfant dans ses bras, le bercer tout contre lui, donnant un regard plein d'un amour inconditionnel. Il aurait fait un père formidable, le jeune homme en était persuadé sans savoir pourquoi. Lorsque leurs regards se croisaient, il détournait toujours le regard comme s'il craignait que Minho puisse lire dans ses pensées. Que ça soit au travail ou dans le bus, il faisait tout pour éviter le contact.
« Cette place est libre ? »
C'était un matin comme un autre. Après une nuit baignée par l'insomnie et l'isolement, Jisung ôta son écouteur à la troisième musique de son walkman. Assis à sa place dans le bus, il contemplait avec un étonnement mal dissimulé Minho qui attendait dans l'allée centrale pour s'asseoir à la place à côté de la sienne. Perturbé, le jeune homme avait envie de dire non. Il voulait encore être seul et ne penser à rien. Mais l'air terriblement doux de l'Oméga en face de lui le déstabilisa.
« Oui. » finit-il par répondre, le cœur au bord des lèvres.
Le temps était plus clément ces derniers jours, si bien que les manteaux n'étaient plus trempés autant qu'auparavant. Minho prit place à côté de lui, posant sa besace sur ses genoux. Jisung l'observa quelques secondes avant de commencer à se sentir nerveux. Il aurait pu esquiver, mais l'Oméga à ses côtés ne semblait pas spécialement être de cet avis.
« Quel beau temps, c'est toujours agréable quand le printemps arrive à sa fin. » lança Minho l'air de rien. « Tu as prévu de partir un peu pendant les vacances d'été ? »
« Je ne prends pas souvent de vacances l'été. » répondit-il sans oser regarder son collègue. « Je... je laisse ça souvent aux parents s'ils veulent partir en famille. »
Jisung ne savait pas pourquoi il disait ça. Il ne comprenait même pas pourquoi il confiait ce genre de chose à cet homme qu'il ne connaissait pas. Il se serait attendu à recevoir une remarque condescendante, lui expliquant que c'était normal pour lui sans enfant de céder sa place aux familles pour des congés si importants que la pause de l'été. Mais non. Ce ne fut pas la réponse qu'il entendit.
« Oh, je faisais pareil avant. » soupira Minho en faisant mine de réfléchir. « Puis, je me suis dis que c'était injuste de ne pas pouvoir profiter de la plage sous prétexte que d'autres ont décidé d'avoir des enfants à foison. Ne le répète pas au chef de service, mais je compte bien profiter de ma semaine de congés au mois de juillet comme tout le monde. »
Surpris par un tel discours, Jisung tourna la tête vers l'Oméga pour le regarder. Ce dernier avait un sourire en coin sur le visage, l'air taquin et amusé. Était-il sérieux ou faisait-il simplement ça pour papoter avec lui ? Le jeune homme ne savait pas comment l'interpréter, mais le visage de Minho était si doux qu'il se sentit lui-même légèrement sourire. Depuis qu'il était arrivé, ils n'avaient jamais réellement échangé.
« Tu n'as jamais eu de souci pour ça ? » demanda Jisung, incapable de se retenir de poser la question.
« Oh bien sûr que si. » répondit l'homme à ses côtés. « Mais que veut-tu qu'ils fassent ? Quelques mots sincères entre collègues n'ont jamais fait de mal à personne. »
Déconcerté, Jisung fut incapable de se retenir de sourire en croisant le regard de Minho. Son collègue semblait avoir un caractère bien trempé, particulièrement difficile à cerner et à suivre. Mais c'était un bon collègue, il n'en demandait pas plus. Des questions brûlaient sa langue, l'Oméga avait piqué sa curiosité. Il ne semblait pas avoir d'enfant lui non plus, mais il était incapable de lui poser une question si personnelle.
Pour la première fois depuis bien longtemps, Jisung n'écouta pas l'entièreté de ses chansons pour arriver à l'hôpital. Par pure politesse, il était resté sans ses écouteurs au cas où Minho avait décidé de parler. Mais l'homme assit à côté de lui était resté silencieux. Il était juste à ses côtés, sa douce odeur de vétiver l'accompagnait, l'enveloppait. Elle était agréable, et l'infirmier sentait clairement à quel point la présence d'un Oméga à ses côtés l'apaisait. Après des semaines passées dans la cruauté de la solitude, avoir simplement quelqu'un assis à côté de lui dans le bus dont il connaissait le prénom et avec qui il parlait offrait la sensation d'alléger son cœur.
Lorsque la silhouette imposante du centre hospitalier se dessina devant eux, ils quittèrent le bus à leur arrêt.
« Il y a un chemin à prendre pour éviter de passer par l'accueil ? » demanda Minho alors qu'ils longeaient la voie de bus pour se diriger vers le bon bâtiment.
« Oui, je vais te montrer par où passer avec le badge. » répondit Jisung en brandissant le sien de la poche de son manteau.
Ils prirent alors le chemin du service réservé aux accouchements, parcourant ensemble les trottoirs en évitant les passants et les patients. Jisung se sentait étrangement à l'aise avec Minho : sa présence à ses côtés était paisible, il ne le forçait pas à parler de lui ou à simplement faire mine d'être plus aimable qu'il ne l'était en réalité. Même la présence de quelqu'un en marchant à ses côtés avait manqué à l'Oméga : ce n'était pourtant pas grand-chose, mais c'était plaisant. Entendre les pas au même rythme que les siens, la chaleur d'une épaule proche de la sienne... Il aurait presque pu en sourire.
Après être entrés dans le grand bâtiment, le jeune homme guida Minho dans les couloirs afin de l'emmener jusqu'au vestiaire principal. Là, ils se débarrassèrent de leurs tenues de civils et Jisung lutta pour ne pas observer son aîné. Son regard glissa pourtant sur les épaules larges de son collègue avant de se reconcentrer sur lui.
Probablement son Alpha devait savourer la moindre de ses étreintes : Minho semblait si confiant et sûr de lui. C'était impossible de se sentir esseulé en sa présence.
Ils cachèrent leurs odeurs avec le baume et entrèrent dans le service après s'être lavé les mains longuement. Alors que Jisung voulait éviter de se confronter à ses collègues, et voulait surtout faire sa ronde matinale, Minho l'entraîna dans la salle de pause pour saluer le personnel de nuit. Le jeune homme se sentait étranger à son propre comportement, à être plus avenant qu'il ne l'était d'ordinaire. Il se sentait comme un chiot qui suivait son nouveau maître partout. Quand cette pensée effleura son esprit, il se contenta de consulter les transmissions de l'équipe nocturne sans prêter davantage attention aux autres.
Après cette longue journée, où il fut étonné de croiser régulièrement Minho dans les couloirs et dans les salles d'examen, il se surprit à attendre celui-ci dans les vestiaires le soir en repartant. Assis sur l'un des bancs de la pièce, il prit un temps infini pour lacer ses chaussures et hésita même à sortir son walkman pour patienter.
« Tu m'attendais pour repartir ? » demanda l'aîné des deux en entrant dans le vestiaire quelques minutes après que Jisung eut fini de s'être préparé.
« P-pas spécialement. » balbutia le jeune homme en guise de réponse, le cœur au bord des lèvres. Pour rien au monde il n'aurait avoué le contraire.
« C'est gentil. » répondit aussitôt Minho avant de se ruer sur son casier. « J'en ai pour deux minutes, j'arrive. »
En effet, en quelques instants l'Oméga était en tenue de civil, les glandes propres sentant bon le vétiver. Jisung se mordit la langue pour s'empêcher d'observer son aîné du coin de l'œil alors qu'il se changeait. Ils quittèrent le bâtiment ensemble, prirent le bus ensemble et n'eurent que quelques paroles tous les deux sans grand intérêt. Mais lorsque Minho le quitta en descendant à son arrêt de bus, il lui offrit un sourire et lui souhaita un bon repos.
Ce soir-là, Jisung changea les draps de son lit et réorganisa son armoire, comblant les trous que son ancien compagnon avait laissé en reprenant ses affaires. L'idée que l'odeur de sable chaud disparaisse de sa vie lui serra la gorge, mais il tint bon. Malgré la fraîcheur extérieure, il ouvrit en grand les fenêtres de son duplex pour faire circuler l'air. Jusqu'à une heure tardive, il fut pris une frénétique envie de rangement. Il fit tourner deux lessives, récura sa salle de bain et sa cuisine, contempla presque avec fierté sa vaisselle propre dans son égouttoir et s'écroula dans son canapé alors que la nuit était déjà bien entamée. Sur sa peau, il sentait encore la fraîcheur de l'extérieur et la sueur cristallisée sur son front. Il trouva la force de dîner avant d'aller se laver et de se coucher dans des draps propres. L'odeur de lessive mêlée à la sienne le rassura. Pour la première fois depuis longtemps, il dormit de longues heures sans se réveiller en proie à ses angoisses.
Depuis plusieurs semaines, ses jours de repos étaient vides de sens. Il peinait à sortir de sa chambre, sans parler du reste. Ce fut étrange pour lui de trouver la force de sortir faire quelques courses, se confronter aux regards des inconnus qui semblaient tout savoir sur sa vie et sa solitude. Mais Jisung fit de son mieux pour les ignorer, remplissant ses sacs en plastique pour apporter de quoi manger chez lui. Son père l'appela le lendemain, entachant son moral en demandant si son ancien compagnon avait daigné le recontacter.
« Il faut savoir faire des efforts tu sais... » avait-il soupiré après avoir dit qu'il n'avait reçu aucun appel. « Tu n'as plus vraiment l'âge de faire le difficile... »
Jisung avait raccroché avec un goût de bile dans la bouche. Il était encore tôt dans la journée mais devait se coucher pour commencer sa semaine de nuit. Il dormit quelques heures à peine. Méritait-il vraiment de finir seul ? Devait-il céder et finir par avoir un enfant malgré son absence d'envie ? Était-ce dans l'ordre des choses ? Jisung ne voulait pas être seul, c'était une crainte qui broyait sa poitrine constamment. C'était au-dessus de ses forces. Alors que ses jours de congés avaient été plutôt bons par rapport aux dernières semaines passées, le jeune homme se sentit projeté en arrière. La sensation d'avancer s'était métamorphosée en désagréable impression de faire du sur-place et d'être inutile.
Lorsqu'il fut contraint de quitter son duplex en début de soirée, l'Oméga retrouva les habitués du soir à son arrêt de bus. Ils étaient moins nombreux que le matin, il s'agissait souvent de jeunes adultes encore en études qui partaient faire la fête ou qui allaient aux cours du soir. Malgré le grand nombre de places libres dans le bus, le jeune homme s'assit comme à son habitude à la cinquième rangée et sortit son walkman. Il avait juste besoin de compter le nombre de musiques.
Jamais il n'aurait imaginé se faire effleurer l'épaule au bout de quelques minutes. En tournant la tête, Jisung s'étonna de voir Minho devant lui. Un sourire accroché aux lèvres, son odeur de vétiver baignant l'air tout autour de lui. Il semblait presque rayonnant. Hagard, le jeune homme se sentit mordre ses lèvres.
« Cette place est libre ? » demanda Minho en désignant le siège à côté de lui.
« Oui. » répondit aussitôt l'Oméga sans réfléchir, se tassant sur lui-même pour faire de la place à son aîné. Ce dernier se glissa à ses côtés pendant qu'il enlevait les écouteurs enfoncés dans ses oreilles.
« As-tu pu te reposer ? » reprit-il de sa douce voix.
Bien malgré lui, Jisung glissa son regard sur les mains de l'homme à ses côtés. Elles étaient serrées autour de sa besace, plutôt fines et petites pour sa carrure. Elles semblaient chaudes, les ongles étaient propres et bien manucurés. Son Alpha devait être attentif et apprécier ce genre de détail. Lui aurait adoré en tout cas.
« Oui, je ne suis pas beaucoup sorti. » souffla Jisung en détournant le regard pour se porter sur le visage de Minho. Ce dernier le regardait avec un air si doux qu'il sentit son cœur s'écraser dans sa poitrine.
« Tant mieux, les services de nuit sont toujours les plus difficiles à mon avis. » affirma son aîné sans le quitter des yeux. « Si seulement on pouvait éteindre avec un bouton les contractions la nuit, ça ferait du bien à tout le monde. »
La déclaration était si étonnante que Jisung sentit un sourire amusé se dessiner sur ses lèvres malgré lui. Minho était étrange, il avait quelque chose de froid et de paradoxalement très attachant. C'était difficile pour lui de soutenir le regard de son aîné mais il s'y força. La présence de l'homme à ses côtés balaya les idées moroses implantées dans son esprit depuis des jours entiers.
« Les personnes enceintes seraient les premières soulagées si tu veux mon avis. » répondit-il en guettant la réaction de l'Oméga.
« Bien évidemment. » confirma ce dernier dans un sourire. « J'ai préparé des biscuits à la cannelle ce matin, tu viendras en salle de pause pour en goûter ? »
« Peut-être. »
Ils échangèrent un sourire avant de finir par se taire en détournant le regard. Son walkman serré dans sa main, Jisung sentait le mont pressé contre sa poitrine devenir une simple butte. Comment la présence d'un Oméga à ses côtés pouvait autant l'apaiser ? Il n'en avait aucune idée, mais c'était plaisant. Ils n'avaient jamais beaucoup parlé avec Minho, ils échangeaient même plus dans le bus qu'au travail. Jamais ils ne s'étaient retrouvés en binôme. Hésitant un instant, il finit par donner un de ses deux écouteurs à Minho. Celui-ci l'observa d'un air étonné et finit par l'enfoncer dans son oreille.
Lorsque le bus s'approcha de l'hôpital, le jeune homme regrettait que le trajet soit déjà terminé.
Ils arrêtèrent d'écouter de la musique pour gagner le service où ils exerçaient. Même si les horaires de nuit étaient difficiles, l'ambiance était tout de même plus calme. Accompagné par Minho, Jisung se prépara dans les vestiaires et le suivit jusque dans la salle de pause. Il y salua ses collègues et fut incapable de ne pas lorgner sur la boite en plastique que son aîné déposa sur un des comptoirs. A l'intérieur, des biscuits secs mordorés luisant de sucre. Ça aurait été mentir que de dire qu'il n'avait pas envie d'y goûter.
La nuit fut longue et éprouvante, mais quitter l'hôpital au petit matin en compagnie de Minho, la bouche pleine de biscuit à la cannelle et le soleil se levant à l'horizon avait quelque chose de réconfortant.
Sans qu'il s'en rende compte, Jisung ouvrit de plus en plus sa vie à cet Oméga au fil des jours.
Minho était d'une compagnie agréable, qui ne lui faisait plus penser à son quotidien esseulé dans son duplex en rentrant de ses services à l'hôpital. Au travail, ils s'entendaient bien et étaient de bons collègues. Lors des trajets en bus, qui étaient silencieux, Jisung commença à parler sans retenue. Parler à son aîné était naturel, et les silences n'étaient jamais pesants. Vivre plusieurs heures en sa présence était un vrai cadeau dont le jeune homme appréciait la valeur jour après jour. Son appartement avait retrouvé son ordre, l'odeur de sable chaud avait disparu sans que ça ne torde son cœur... Sans pour autant dire qu'il trouvait sincèrement du positif dans son quotidien, l'Oméga ne se sentait plus oppressé par ses propres émotions. Elles l'accompagnaient, son vague à l'âme était toujours présent mais il s'imaginait dansant avec plutôt que de le combattre.
« Tu voudrais venir dîner un soir à la maison ? » demanda brusquement Minho alors qu'ils attendaient le bus pour repartir chez eux.
Passer davantage de temps en compagnie de l'Oméga était une bénédiction, Jisung en était persuadé. Mais jamais il n'avait franchi cette barrière avec un collègue. C'était entrer dans son quotidien, dépasser le simple fait d'entretenir une relation cordiale... C'était développer autre chose. Quelque chose de plus personnel et de plus fort. Alors qu'il allait accepter sans condition, sans réfléchir, quelque chose retint Jisung au dernier moment. C'était une ombre pesante au-dessus d'eux qu'il avait toujours imaginé et dont, inconsciemment, le jeune homme se savait jaloux. C'était quelque chose dont ils ne parlaient jamais, dont ils n'avaient jamais évoqué le sujet.
« Je ne voudrais pas m'immiscer... Enfin, ton Alpha serait d'accord ? » demanda t-il maladroitement en observant son aîné.
« Mon Alpha ? » rétorqua Minho, l'air surpris. « Je n'ai pas d'Alpha, je n'ai personne dans ma vie Jisung. »
La réponse tétanisa l'Oméga sur place. Comment un être aussi parfait que Minho n'avait personne dans sa vie ? Il était l'homme parfait, attentionné, tendre et attentif... Comment cet Oméga n'avait pas d'Alpha ? Pourquoi n'avait-il personne dans sa vie? Son aîné le détaillait avec les sourcils haussés, interrogateurs. Mais bientôt son visage fut de nouveau baigné par cette tendresse qui serrait la gorge de Jisung. Elle étreignait son cœur.
« Tu acceptes le dîner ou pas du coup ? » insista t-il en souriant.
« Oui, d'accord. Je peux apporter le dessert. » répondit le jeune homme, incapable de retenir un sourire.
« Ramène plutôt des fleurs, j'adore le muguet c'est bientôt la saison. » rétorqua Minho l'air taquin.
Le bus approchait, faisant se presser les gens autour d'eux en ligne pour y monter rapidement. Mais Jisung était tétanisé sur place. Minho avait-il dit ça simplement pour lui faire plaisir ou bien était-il sincère ? Le muguet était son odeur, il la trouvait parfois trop doucereuse ou ronde sur sa langue... Mais l'Oméga en face de lui se détourna sans aucune cérémonie, grimpant dans le bus pour l'inciter à le suivre. Le jeune homme se força à le suivre, le cœur battant la chamade et l'air peu sûr de lui.
Le temps du trajet, Minho nota sur la feuille arrachée d'un carnet son adresse ainsi que le code pour entrer dans son bâtiment. Il fixa le dîner au jeudi soir suivant, et laissa Jisung à son arrêt avec un sourire et un geste de la main. L'infirmier contempla les lettres sur le papier d'un air abasourdi. Il ne comprenait pas vraiment ce qu'il se passait, mais la perspective de passer du temps en compagnie de Minho l'apaisait un peu plus encore. Pourquoi avait-il besoin à ce point de l'Oméga ? Il ne le comprenait pas lui même. Mais il s'accrochait à ces instants si précieux. Il s'agissait de sa bouée de sauvetage dans l'océan dans lequel il essayait de survivre.
Les jours passaient, les services défilaient aussi vites que les trajets de bus s'évaporaient en un clin d'œil. Seules les nuits étaient longues. Jisung s'y sentait seul, isolé de tout et mis à l'écart. Mais savoir que Minho n'avait pas d'Alpha apaisait légèrement sa peine. Il n'était pas si seul que ça. Quelqu'un vivait la même chose que lui.
Ce fut avec quelques brins de muguet et le ventre noué par l'angoisse que le jeune homme se présenta au domicile de son collègue, le jeudi suivant. Il avait troqué ses fripes habituelles pour inaugurer un jean presque neuf ainsi qu'une chemise blanche qu'il avait retrouvé dans son armoire en faisant le tri. Il composa le code nerveusement à l'interphone et poussa la porte après avoir sonné chez Minho. Les couloirs étaient propres, les lumières tamisées, et Jisung sentit son cœur faire des bonds incommensurables dans sa poitrine en toquant à la bonne porte.
Celle-ci s'ouvrit sur son aîné, un grand sourire aux lèvres comme à son habitude. Il portait un tablier à l'effigie d'un chat noir ainsi qu'un pull léger qui dévoilait ses clavicules. Ses cheveux étaient retenus en un petit chignon haut à l'arrière de son crâne, affinant encore plus son visage délicat. Jisung entra sans hésiter, le cœur battant la chamade et l'odeur de vétiver caressant sa langue.
« C'était une blague lorsque je t'ai dis d'amener du muguet ! » lança aussitôt Minho en prenant tout de même les fleurs dans ses mains. L'enthousiasme de Jisung faillit retomber comme un soufflet avant que son aîné ne reprenne la parole « Tu as dû avoir tant de mal à en trouver autant en avance, les clochettes sont adorables, merci ! »
Il était vrai qu'il avait eu bien du mal à trouver ces quelques brins, mais il était plutôt content d'avoir réussi. Jisung laissa alors son regard parcourir tout ce qui était à sa portée. L'entrée de l'appartement de Minho donnait directement sur une kitchenette ainsi que sur une porte donnant probablement accès à la salle de bain. Sur la plaque de cuisson, Jisung reconnu l'odeur d'un japchae entrain de cuire dont l'odeur était absolument divine.
« Je t'en prie, donne moi ton manteau et mets-toi à l'aise. » reprit son aîné en lui indiquant une porte plus loin dans le salon. « Je vais le poser dans ma chambre pour éviter les odeurs de cuisine. »
Incapable de prononcer un mot pour protester, Jisung se délesta de son manteau pour le confier à Minho. Ce dernier fila dans sa chambre, entrouvrant à peine la porte pour y entrer pendant que le jeune homme se mit à déambuler dans le salon. La décoration était si douce, dans les tons crèmes et beiges, qu'il se sentit aussitôt bien. Quelques plantes étaient exposées dans un mur végétal, de belles bibliothèques étaient remplies de livres autour de la grande télévision cathodique posée sur son meuble. Un petit coin repas était même aménagé entre la cuisine et le salon. D'épais rideaux étaient tirés sur les fenêtres, isolant l'intérieur du froid où quelques bougies étaient allumées pour apporter de la lumière en plus des lampes. L'attention de Jisung fut aussitôt attirée par la masse de poils roux dans le canapé, un chat à la mine renfrognée qui l'observait du coin de l'œil. Il adorait les animaux, mais le propriétaire de son duplex les refusait. Aussi, il s'approcha du chat roux et s'accroupit devant lui pour guetter ses réactions. L'animal semblait curieux.
« Il s'appelle Soonie. » lança alors la voix de Minho alors qu'il revenait de sa chambre. Le jeune homme tourna la tête pour le voir ôter son tablier et l'accrocher dans sa cuisine. « Il a bon caractère, Doongie par contre est une tête de cochon, il s'est caché sous le lit dès qu'il a entendu la sonnette. »
« Tu aurais dû me dire, je n'aurais pas sonné pour ne pas l'effrayer. » répondit Jisung, la gorge enfin plus légère. La présence de son aîné à ses côtés le calmait.
« Oh, il l'aurait prit comme une trahison, ça valait mieux comme ça. »
Ils échangèrent un sourire et Minho autorisa au jeune homme de caresser Soonie. Jisung fut ravi, tendant la main et laissant le temps au chat de la sentir avant de donner un coup de tête dedans. Après s'être fait demandé ce qu'il voulait boire, l'infirmier reçu un verre de bekseju et s'assit dans le canapé à côté de son nouvel ami ronronnant.
« Tu n'as pas eu trop de mal à trouver ? » demanda Minho en s'asseyant à l'autre bout du canapé.
« Pas du tout, ton parc est même plutôt joli. » répondit le cadet sans cesser de caresser la tête de Soonie qui baillait longuement. « Mon appartement est bien plus petit que celui-ci. »
« J'ai déménagé il y a peu, l'immobilier à Séoul et ici ça n'a rien à voir... Pour le même loyer je n'avais qu'une seule pièce à vivre c'était n'importe quoi. »
Jisung avait imaginé des dizaines de scenarii possibles quant à l'arrivée de Minho ici, à Yeongdeok. Une rupture amoureuse, une envie de voir ailleurs, l'envie de s'éloigner de sa famille... il y avait des possibilités infinies et le jeune homme mourait d'envie de le questionner. Il hésita quelques secondes, laissant le silence s'installer entre eux avant de reprendre :
« Pourquoi être venu vivre ici ? »
« Oh, tu sais vivre à Séoul est tellement particulier. » affirma Minho en posant son verre sur la table basse où se trouvaient pêle-mêle des magazines et la télécommande de la télévision. « Et je t'avoue qu'avoir mes parents intrusifs constamment sur le dos me pesait. Alors plutôt que devoir aller chez eux à chaque jour de repos... Je me suis éloigné. »
« Pourquoi ils étaient si intrusifs ? Si ce n'est pas indiscret. » demanda aussitôt Jisung, l'air perplexe.
« C'est indiscret. » le taquina son ainé avant de reprendre. « Tu n'as peut-être pas le même discours que moi dans ta famille, et je t'envie si c'est le cas, mais tu connais la mentalité de nos parents... La famille, les enfants... »
Malgré la présence de Minho à ses côtés, le jeune homme sentit aussitôt refluer les dizaines d'appels de ses parents pour l'inciter à bâtir une vie de famille. Trouver quelqu'un, comme si sa propre existence n'avait aucune importance si elle n'était pas attachée à celle d'un Alpha. Il était libre, indépendant financièrement, et il mourait d'envie d'être protégé de la solitude. Pour autant, sa terreur d'avoir des enfants l'empêchait d'exister aux yeux de ses parents.
Faire des efforts, lui disait constamment son père. Ce n'était pas la question. Il pouvait faire des efforts pour être plus ponctuel ou encore être plus ordonné dans sa vie. Mais il craignait la grossesse, il craignait l'idée même d'avoir des enfants et de devoir les assumer. Ce n'était pas quelque chose sur lequel il pouvait ou devait faire des efforts.
« J'ai touché une corde sensible ? » reprit la voix de Minho, le faisant sortir de ses pensées et attraper son verre d'alcool. « Désolé, je ne voulais pas... »
« Ce n'est rien. » répliqua le jeune Oméga, la voix légèrement étranglée par l'émotion.
« Si tu veux, tu peux me poser une autre question indiscrète en échange. » proposa son aîné pour le mettre de nouveau à l'aise.
Jisung se tourna pour l'observer un instant. Il n'y avait aucune malice dans son regard, juste de la sincérité et de la compréhension. Minho n'était pas vil ou mesquin. Il s'intéressait à la personne qu'il était, indépendamment du fait s'il était un Oméga ou non. Il ne le jugeait pas, malgré son caractère revêche et solitaire de nature.
« P-pourquoi... Enfin, comment un Oméga comme toi peut-être seul dans sa vie ? » demanda t-il, regrettant la question à la seconde où il l'avait posé.
« Un Oméga comme moi ? » répéta Minho, l'air perplexe. « Comment ça, « comme moi » ? »
« ça n'a rien de péjoratif, je t'assure. » reprit précipitamment Jisung. « Comme toi, j'entends tu es attentionné, doux, toujours à l'écoute, tu es indépendant et... »
Plus il parlait, plus le jeune homme se sentait rougir. Il ne savait pas pourquoi, ni comment, mais la présence de Minho à ses côtés le désinhibait totalement. Comment était-ce possible ? Il n'en avait aucune idée. A ses côtés, il se sentait tant en sécurité qu'il parlait plus vite qu'il ne réfléchissait.
« Je te remercie pour cette cascade de compliment. » répondit Minho après quelques secondes de battement, se réarrangeant sur son canapé pour s'approcher légèrement de lui. « En réalité, je n'aime pas vraiment les Alphas. »
Jisung resta muet à la déclaration, tétanisé par ce que partageait son aîné.
« Je les trouve balourds, irrespectueux, prétentieux... » reprit l'Oméga à ses côtés. « Il y a quelques centaines d'années, lorsque la médecin ne permettait pas de calmer les chaleurs je peux comprendre que nous dépendions d'eux, mais maintenant... Je refuse d'être considéré comme un Oméga avant d'être considéré comme un être humain. »
Jamais Jisung n'aurait imaginé qu'il était possible de se passer du moindre Alpha dans sa vie. Pour lui, la présence d'un Alpha était nécessaire : ses parents fonctionnaient comme tel, ses grands parents, ses voisins... tout ceci était normal ? Vivre en couple selon les codes sociaux c'était...
« Les Alphas pensent que nous avons besoin d'eux pour être heureux. » continua Minho en l'observant. « Ils se pensent indispensables alors que c'est tout le contraire. Je n'ai besoin de personne pour vivre hormis de moi-même. »
« Tu es... étrange. » murmura Jisung, incrédule devant un tel discours.
« C'est gênant ? » demanda aussitôt l'Oméga à ses côtés, les sourcils haussés.
« Non. » répliqua t-il aussi. « Non, au contraire. »
La réponse eu le mérite de faire rire Minho. Plus détendu encore, le jeune homme bu sa boisson et le sujet de conversation dévia sur d'autres thèmes. Ils échangèrent sur leurs centres d'intérêts, stupidement proches avec du recul. Ils avaient grandis en regardant des mangas et autres magicals girls, aimaient les promenades au bord de mer, s'intéressaient aussi à la peinture. Ils s'installèrent dans la minuscule salle à manger, abandonnant Soonie dans le canapé qui baillait allègrement au milieu de leur conversation. Minho servit son japchae cuit à la perfection qui fit manger Jisung bien plus que d'ordinaire. Il en savourait la tendresse de la viande sur son palais ou l'assaisonnement assez léger pour ne pas lui donner envie de cracher du feu.
« J'avais deviné que tu n'aimais pas trop mangé épicé. » lança Minho alors qu'il débarrassait les couverts. « A la pause tu ne prends jamais de plats trop relevés. »
Rarement le cœur de Jisung s'était senti si léger dans sa poitrine. Il se sentait bien. Depuis des semaines entières, il se sentait enfin bien. L'odeur de Minho était apaisante, le recouvrant comme un cocon où il se savait en sécurité. Ici, il n'y avait aucun jugement. Il était en sécurité, à l'abri des regards indiscrets et des médisances de l'extérieur. Lorsque son hôte apporta le dessert, le jeune homme l'observa d'un air très curieux. Il s'agissait d'une meringue nappée de crème chantilly ainsi que d'une compotée orangée sentant bon la mandarine.
« C'est une pavlova. » répondit Minho à sa question silencieuse en posant son assiette devant lui. « D'habitude je la fait avec des fruits rouges mais ce n'est pas encore la saison. »
« Je ne connais pas ce dessert, ça a l'air succulent. » déclara son cadet encore émerveillé de voir la gourmandise qui semblait si légère.
« C'est un dessert qui vient d'Océanie. » reprit alors l'Oméga en s'asseyant face à lui. « Pavlova était une ballerine réputée dont on disait qu'elle ne dansait pas, mais qu'elle s'envolait lors de ses représentations. C'est un chef réputé éperdument amoureux d'elle qui a créé ce dessert en hommage à ses sentiments. »
Jisung sentit ses yeux se lever pour croiser ceux de Minho. Dans sa poitrine, son cœur manqua un battement. L'homme en face de lui le couvrait encore de cette tendresse. Le méritait-il ? Comment... et surtout pourquoi Minho semblait s'enfoncer dans sa vie avec autant de facilité et de légèreté ? Dans la valse de son cœur, Jisung peinait à relâcher la main de son vague à l'âme. Et pourtant, la présence de son aîné à ses côtés le forçait, avec la plus grande douceur à lâcher prise. Juste se laisser aller... Sentir son ventre bouillir de nouveau face à l'étincelle de l'inconnu.
Et de l'attraction.
« C'est une magnifique histoire. » réussit-il à répondre en attrapant sa cuillère, la voix encore blanche.
Ils continuèrent leur repas, parlant de chose et d'autre, et Jisung peinait à suivre le fil de la conversation. Il sentait sa gorge se serrer inexorablement. Quel était le but de cette invitation ? Pourquoi Minho était-il si doux en sa compagnie ? Pourquoi... Pourquoi était-il simplement là ? Il ne méritait pas autant d'attention, autant de douceur. C'était plus fort que lui, alors qu'il peinait à savourer le croquant de la meringue sur sa langue, Jisung sentit ses émotions rouler sur lui. Les larmes montèrent toutes seules à ses yeux.
Il fut incapable de les retenir, les laissant couler le long de ses joues. Il se sentait pathétique, alors qu'il passait la meilleure soirée qu'il avait vécu depuis longtemps, à ainsi se laisser submerger. Devant lui, Minho le contemplait avec un air surpris. Tétanisé.
Il avait tout gâché.
Alors que des mots d'excuses se formaient sur sa langue, Jisung eu le malheur de voir Minho se lever sans un mot. Il voulait le retenir et le repousser. Il voulait tendre les mains vers lui pour l'empêcher de s'éloigner et aussi l'écarter pour qu'il ne le voit pas dans cet état.
Mais Minho s'approcha de lui, inexorablement, jusqu'à venir à sa hauteur. L'odeur de vétiver l'enveloppa totalement à l'instant même pour l'Oméga à ses côtés glissa une de ses mains dans ses cheveux, caressant sa tête jusqu'à ce que Jisung vienne de lui même la poser contre son ventre. Impossible pour lui de s'empêcher de bouger, le cadet enserra alors la taille de Minho dans ses bras et sentit un énorme sanglot l'étrangler de plus belle. La douceur du pull de son aîné contre sa jour le calmait à peine, sans parler de la caresse dans ses cheveux ou encore de l'odeur de l'homme contre lui.
« Je suis désolé... » bredouilla t-il en serrant l'Oméga plus fort contre lui.
« Tout va bien se passer Jisung. » répondit doucement Minho. « Je suis là. »
Le jeune homme n'eut aucune idée de combien de temps il resta là, à sangloter pressé contre le ventre de son aîné. Ses pensées ne cessaient de tourbillonner, encore et encore, s'écrasant comme des vagues contre lui pour le rabaisser et le mettre plus bas que terre. Il ne se calma qu'au bout de longues minutes, bercé par les chuchotements de Minho qui ne cessait de caresser ses cheveux et de le rassurer. Épuisé, Jisung accepta le thé chaud proposé par l'Oméga et eu la plus grande peine du monde de le laisser partir de ses bras pour le lui préparer.
Honteux, Jisung avait envie de présenter ses excuses pour son comportement. Il contemplait la silhouette de son aîné du coin de l'œil lui apporter un thé pendant qu'il essuyait ses lunettes tâchées de larmes. Minho s'assit à côté de lui cette fois-ci, les deux tasses brûlantes en face d'eux dans un silence complet. Le jeune homme ne se faisait pas confiance pour ouvrir la bouche mais il le fallait... Il avait gâché ce repas parfait, cet instant hors du temps alors que c'était la première fois en plusieurs semaines qu'il se sentait enfin bien...
« Je ne pensais pas que mon incroyable talent culinaire aurait cet effet sur toi. » lança alors son aîné d'un ton plutôt détaché. « Je vais devoir trouver le moyen de moins bien cuisiner pour nos prochains dîners... »
Pris de cours par les mots de Minho, Jisung l'observa quelques instants. Encore une fois, aucune malice ni sarcasme dans sa voix ou sur son visage. Il n'y avait que de la bienveillance et de la tendresse. Le jeune homme comprit alors. Son aîné ne voulait pas entendre d'excuse, il ne voulait pas qu'il lui demande pardon. Il voulait juste qu'il se sente bien et en confiance à ses côtés. Alors au lieu de murmurer qu'il était désolé, cette fois-ci il prit le temps de le remercier. Et Minho lui répondit par une caresse dans le dos.
Plus calme, Jisung apprécia que l'homme à ses côtés ne pose pas plus de question que nécessaire. Ils restèrent de nouveau dans ce confortable silence qu'il aimait tant partager avec Minho. Ému, il savoura ces instants de paix en compagnie de l'homme qui semblait le comprendre par delà les mots. Mais la nuit avançait, inexorablement, et même si la conversation reprit un fil plus calme et sans enjeu, Jisung sentait la fatigue l'envahir. Ils travaillaient le lendemain et assurer un service complet allait être terriblement difficile.
« Je vais t'appeler un taxi pour rentrer chez toi. » déclara Minho alors qu'il allait se lever pour aller chercher son téléphone fixe.
« Oh, non ça va aller, je vais rentrer à pied. » répondit le jeune homme, embarrassé à l'idée de se voir offrir le taxi pour retourner chez lui.
« Non, il est tard et je préfère t'offrir le taxi. Je serais rassuré. » rétorqua son aîné.
Quelques minutes plus tard, ce fut sur le palier de l'immeuble de Minho que Jisung se trouvait. Il avait quitté l'appartement avec un pincement au cœur, et non sans avoir offert à Soonie une caresse au dessus de la tête. Enrobé dans son manteau sentant le vétiver et accompagné par son collègue en bas du bâtiment, le jeune homme vit le taxi s'arrêter devant la grille du parc d'habitations. Il se sentait légèrement groggy, sans savoir pourquoi ni comment. Ses émotions avaient une fois de plus lessivés son âme jusqu'au blanc de ses os. Les forces lui manquaient. Il avait passé une excellente soirée malgré son craquage sans aucune explication. Alors qu'il se tournait vers Minho pour le remercier, Jisung fut surpris de le voir si près de lui.
L'Oméga était à peine plus grand que lui, et pourtant il avait la sensation d'être enveloppé par son ombre et sa présence. En levant les yeux pour croiser son regard, le jeune homme sentit son cœur s'emballer dans sa poitrine. De nouveau cette étincelle crépitante, si proche de son âme qu'il la sentit tressaillir. Le rouge envahit ses joues lorsque Minho leva la main pour caresser une de ses mèches de cheveux et en replaça une autre derrière la branche de ses lunettes.
« N'hésites pas à faire sonner mon téléphone lorsque tu seras arrivé chez toi, d'accord ? » demanda son aîné en souriant. « Je voudrais te savoir en sécurité. »
Jisung ne fit une fois de plus pas confiance à sa voix pour répondre. A la place, il hocha la tête et se figea en voyant Minho se pencher à peine vers lui. Par réflexe, il humidifia ses lèvres et sentit ses yeux se fermer d'eux même. Son corps parlait pour lui, il était incapable de lutter. Un frisson parcouru entièrement son corps en sentant une délicate caresse sur le coin de ses lèvres, un effleurement, à peine perceptible, qui enflamma pourtant sa poitrine une bonne fois pour toute. Ses mains étaient crispées dans ses poches et il retint son souffle jusqu'à l'instant même où l'ostensible baiser cessa. Lorsque ses yeux s'ouvrirent, ils tombèrent sur le regard profond de Minho.
« Rentre bien. » murmura t-il contre ses lèvres avant de reculer définitivement.
Jisung sentit presque les ailes lui pousser lorsqu'il offrit un sourire à son aîné. Ce dernier le regardait tendrement, comme s'il était le trésor le plus précieux qu'il n'avait jamais eu la chance de voir ou même de posséder. Il souhaita une bonne nuit à Minho et déambula le long de l'allée pour sortir du parc.
Jamais Jisung n'avait sentit son cœur aussi léger. L'impression de courir sur un nuage ne le quitta à aucun instant. Une fois arrivé au taxi, il se tourna et vit Minho appuyé dans l'encadrement de la porte de son immeuble, un sourire aux lèvres. Le jeune homme lui fit un geste de la main pour lui souhaiter une bonne soirée et se dépêcha de rentrer dans la voiture pour éviter de courir en sens inverse. Même à travers la vitre du taxi, il continuait de lui faire signe.
Ce ne fut qu'en rentrant chez lui après son trajet d'une dizaine de minutes que Jisung prit réellement conscience de ce qu'il venait de se passer. La soirée avait été incroyable. Une véritable bulle de douceur après le désert de solitude qu'il traversait depuis des semaines. Sans qu'il s'en rende compte, Minho était entré dans sa vie l'air de rien. Il était arrivé alors qu'il se sentait au plus mal, avec sa douceur incroyable et sa délicatesse. Sans lui poser de question ou déborder de curiosité, l'Oméga l'avait accompagné dans un quotidien qu'il trouvait morne, triste et sans avenir.
Dans son duplex bien rangé, sentant sa propre odeur de muguet et enrobé par celle de vétiver imprégnée dans son manteau, Jisung ne sentait plus cette butte dans sa poitrine. Tout ce qu'il ressentait, c'était la légèreté de ce baiser sur le coin de ses lèvres, de ce parfum de liberté et de relation qu'il n'avait jamais imaginé possible entre deux Omégas... Et pourtant, pourquoi pas ? Jamais il ne s'était imaginé vivre sans Alpha, et pourtant il se voyait encore plus mal vivre sans Minho. La présence de son aîné dans sa vie de tous les jours était devenue un phare dans la nuit. Elle l'accompagnait, encore et toujours.
Extatique, le jeune homme pensa bien à décrocher son téléphone pour prévenir Minho qu'il était bien arrivé chez lui. Il laissa filer deux tonalités avant de raccrocher, un sourire aux lèvres. C'était une nouvelle perspective qu'il n'avait jamais imaginé. L'Oméga qui était entré dans sa vie lui apportait tant de bien qu'il n'arrivait pas à poser de mots sur ce qu'il ressentait. Alors qu'il se préparait à se doucher, Jisung se demanda même s'il n'avait pas été jaloux de l'Alpha qui aurait pu partager la vie de Minho plutôt que de Minho lui-même...
Il était un homme merveilleux avant d'être un Oméga.
Jisung prit plaisir à prendre soin de lui ce soir là. Il s'autorisa à prendre une longue douche, à se masser avec des produits qu'il n'avait pas utilisé depuis des semaines pour s'embellir et se sentir beau. Malgré le visage marqué par la fatigue qu'il vit dans le miroir de sa salle de bain, il se sentait apaisé. Tout n'était pas parfait, bien entendu, mais quelque chose de nouveau s'était déclenché en lui.
Il se coucha dans son lit, les yeux rivés sur le velux donnant sur l'extérieur. La lumière des lampadaires baignait d'orangé la nuit et la lune perçait à peine derrière les nuages. C'était un spectacle qu'il n'aimait plus contempler depuis longtemps, mais cette fois-ci, il y trouva du réconfort. Ce ne fut pas suffisant pour s'endormir cependant. Après de longues minutes à s'enrouler dans les draps chauds sentant le muguet, Jisung sentit une pointe de culpabilité naître dans sa poitrine. Comme s'il craignait de réveiller quelconque esprit dans son duplex, il descendit sur la pointe des pieds jusqu'à son entrée pour récupérer le manteau sentant encore le vétiver. Il s'endormit avec le vêtement dans ses bras, le cœur apaisé et l'esprit plus calme.
Pour la première fois depuis des semaines, ce fut son réveil digital qui le réveilla le lendemain matin. Le nez enfoui dans son manteau portant le parfum à peine dissipé de Minho, Jisung ouvrit ses yeux sur le matin naissant à travers sa fenêtre. Le ciel était dégagé, les éclairages publiques étaient éteints et laissaient la lumière rosée de l'aurore baigner les nuages. Un vague sourire accroché à ses lèvres, il se leva.
Affronter une nouvelle journée, ça en valait la peine.
Le jeune homme se prépara dans sa salle de bain et trouva même le temps de grignoter quelque chose avant de partir de son appartement. Son cœur était plus léger, son visage plus apaisé. Cette fois-ci en croisant le regard du garçon à son arrêt de bus, il échangea un sourire avec lui. Jisung ne se sépara cependant pas de ses habitudes. Après être monté dans le bus, il s'installa à sa place le long de la vitre et le walkman serré dans sa main. Le temps était clément : la pluie du printemps allait finir par céder la place à l'été. De belles journées s'annonçaient, Jisung en était certain. Le chemin allait être encore long à parcourir mais il se sentait la force désormais. La force de se lever et d'avancer pas après pas.
Il avait un exemple à suivre, et il voulait être à sa hauteur pour prendre de la valeur à ses yeux.
Après quelques chansons écoutées tout en étant ballotté par le mouvement du bus, Jisung osa détourner le regard de la vitre pour regarder les nouveaux passagers prendre place à un des arrêts. Son cœur tressauta dans sa poitrine lorsqu'il reconnu le visage tant attendu de Minho parmi les nouveaux venus. Son regard tendre tomba aussitôt sur lui, et l'Oméga s'approcha jusqu'à son niveau sans hésiter.
« Cette place est libre ? » demanda t-il en lui souriant.
« Non. » répondit Jisung, un sourire aux lèvres lui aussi. « Elle t'est réservée. »
L'expression amusée de Minho donna du baume à son cœur. Son aîné se pencha sur lui pour embrasser délicatement sa tempe, baignant Jisung dans son odeur de vétiver et toute sa tendresse. Puis, l'Oméga s'assit à ses côtés avant que le bus ne redémarre.
Comme à son habitude, Jisung lui tendit un de ses écouteurs usés. Minho le prit pour l'enfoncer dans son oreille. Le jeune homme contempla ce profil, toute cette douceur à portée de sa main. C'était un renouveau, l'étincelle de son quotidien. Il était certain de pouvoir nourrir un brasier avec lui jour après jour.
Dès que la nouvelle chanson commença, Jisung tendit la main pour la glisser sur celle de Minho. Comme il l'avait imaginé, elle était chaude, délicate, parfaite pour lui. Son aîné n'hésita pas une seconde à entrecroiser ses doigts aux siens sans un mot. Son regard chaleureux fit battre son cœur plus fort dans sa poitrine.
C'était un nouveau départ.
Ça en valait la peine. Il en était persuadé.
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