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Double Je(u) (ChanLix, TW: Violent Content)

Style: SummerFic, Romance, Mafia

Pairing: ChanLix

21 359 Mots

Pour: @kimgoldessstories qui a organisé ce super défi!

Résumé:

Chan a une mission, une mission d'une grande importance qui inclut l'enlèvement d'un jeune homme répondant au nom de Lee Félix.

Il allait devoir le charmer, l'attirer dans ses filets, pour réussir à l'emmener sans résistance et sans que les amis du jeune homme ne se doute de quoi que ce soit.

Perdu dans la chaleur caniculaire de l'été, dans ce cadre idyllique et luxueux, Chan allait devoir ruser pour s'approcher de ce garçon.



Les yeux acérés, la peau de la cicatrice barrant son visage qui le tirait, Chan détaillait sa proie à travers ses lunettes de soleil. Ce dernier irradiait si fort que l'homme sentait perler la sueur sur son front au fil des minutes qui s'écoulaient. Sous le soleil de plomb, et malgré les rires et la bonne humeur qui l'entourait, rien d'autre n'avait d'importance que sa cible.

Le fils Lee.

Si Chan se tenait légèrement en retrait, ce n'était que pour mieux étudier le terrain. Au bord de la piscine où il se trouvait, il portait peu d'attention au luxe environnant. Les transats en acier étaient recouvert de fins matelas brodés de soie, les riches clients sirotaient leurs cocktails hors de prix avec des coupes de fruits frais, les grooms se tenaient à disposition pour servir et obéir au moindre des désirs de leurs précieux invités.

La transpiration collant au tee-shirt bleu nuit qu'il portait, Chan laissa son regard détailler le corps de sa proie. Un jeune homme, d'une quinzaine d'années son cadet tout au plus. Sa peau était brunie par le soleil, bardant la peau de ses épaules et de son visage de tâches de rousseurs. Ses cheveux blonds étaient déjà secs, malgré la baignade qu'il avait fait quelques minutes plus tôt, tant la chaleur irradiait. Son corps était celui d'un éphèbe, fin et ferme, les muscles à peine saillants. La rondeur de ses lèvres aurait pu paraître délicieuse pour Chan dans d'autres circonstances. Mais il n'était pas là pour ça.

Il joua nerveusement du bout des doigts, la sensation lisse de la peau brûlée par l'acide ne lui offrait aucun plaisir ou réaction. Il s'agissait la marque de son entrée dans sa grande famille : celle qu'il ne pouvait quitter qu'en finissant dans son cercueil ou les deux pieds coulés dans du béton au fond de la rivière Han. En vingt ans à trimer pour le Souverain des Scorpions, les missions d'enlèvements n'étaient pas inconnues à Chan. Elles n'étaient pas sa spécialité non plus. Mais si son chef lui avait ordonné de lui ramener le fils Lee, alors il allait obéir.

A côté de sa proie se prélassaient deux erres dont Chan connaissait l'existence grâce à son patron. Deux garçons, d'à peu près l'âge du fils Lee. Han et Kim n'étaient rien de plus que des jeunes hommes comme les autres, sans histoire, sans rapport connu à l'organisation à laquelle lui était rattaché. Ils n'étaient rien de plus que les accompagnants de sa cible. Des gêneurs, mais aussi des prétextes. Chan avait comme consigne stricte de réussir à enlever le fils Lee sans attirer le moindre soupçon sur lui. Au début réfractaire, se mettant en tête qu'il n'inspirait que crainte de la part des inconnus, l'homme de main avait été conforté dans l'idée qu'il était la personne idéale pour la mission.

En passant sa langue le long de ses dents, Chan sentit sa mâchoire se contracter. Il avait imaginé des dizaines de façons d'approcher du jeune homme et la seule piste qu'il estimait valable à être exploitée était celle de la séduction. Son aura était glaçante, son visage barré d'une cicatrice pouvait en effrayer plus d'un, mais il avait conscience de provoquer de la fascination chez ses interlocuteurs. Chan comptait mettre sa prestance à bon escient.

Il laissa glisser les lunettes de soleil le long de son nez. Même en étant à l'ombre, le soleil l'éblouit aussitôt. Un enfant passa non loin de lui en courant le long de la piscine, ce qui attira l'attention d'un des deux amis du fils Lee. Ce dernier ouvrit les yeux, papillonnant à cause de la lumière aveuglante avant de croiser le regard avec Chan.

L'homme de main se leva aussitôt et remonta les lunettes sur son nez pour quitter le bord de la piscine. Il ne voulait pas se faire remarquer, du moins pas pour le moment. Ignorant la sensation désagréable du tee-shirt collant à son dos à cause de la transpiration, Chan longea la piscine sans se retourner ni même prêter attention aux différents clients de l'hôtel. Il longea le bar où des femmes en maillot de bain de couturier sirotaient leurs cocktails avant d'entrer par la baie ouverte du le complexe.

L'hôtel dans lequel il logeait pour sa mission était atrocement luxueux. Quelques secondes après que ses yeux se soient adaptés au changement de luminosité, Chan se sentit frissonner à cause de la climatisation poussée à son maximum dans le hall d'accueil de la piscine. Les pas de chaque client dans le hall résonnaient contre le marbre blanc sur lequel ils marchaient, les douces lumières modernes accrochées aux pylônes de grès noir contrastaient avec les murs anthracites sur lesquels des œuvres d'artistes locaux étaient accrochées. Chan ignora le groom qui s'approcha de lui pour lui proposer un service et prit la direction des chambres de l'hôtel. Il longea la réception, où des hôtesses habillées d'un tailleur blanc et d'un calot de feutrine bleue répondaient à chaque question avec des sourires à facettes éclatants, afin d'accéder aux ascenseurs. Il actionna aussitôt le bouton de fermeture rapide pour monter à son étage, prêtant peu attention aux clients désireux de monter également dans leurs chambres.

Chan garda ses lunettes chaussées sur son nez, il ne voulait pas que son visage soit enregistré sur trop de vidéos de surveillance par le système de sécurité. Lorsque l'ascenseur s'ouvrit sur le bon étage, il s'engouffra dans le long couloir afin de retrouver sa chambre. Les baies vitrées sans ouverture donnaient sur la piscine en contrebas, ainsi que sur l'océan et les dizaines d'îles visibles par ce beau temps. Quelques bateaux de plaisanciers naviguaient toute voile dehors, profitant du vent chaud pour se promener le long de la côte. Chan laissa ses pas le guider sur la moquette épaisse rouge afin de l'emmener jusqu'à la porte de sa chambre. Il glissa la carte magnétique qu'il avait gardé jusqu'à lors dans la poche de son short et pénétra dans son repaire.

Décorée de blanc et de bleu, sa chambre était composée d'un grand lit pour deux personnes, d'un salon soigneusement placé afin de profiter de la vue sur la mer, d'un bureau ainsi que d'une penderie. Chan referma la porte derrière lui et ôta enfin ses lunettes de soleil. La sensation désagréable de ses vêtements collant à sa peau lui donna envie de se doucher. Après avoir vérifier l'intérieur de la pièce, il prit le temps de récupérer la serrure de voyage qu'il gardait toujours sur lui pour bloquer la porte d'entrée de sa chambre avant de pouvoir se détendre.

Chan se glissa dans la salle de bain, détaillant la douche à l'italienne assez grande pour deux personnes, savourant la fraîcheur du carrelage blanc sous ses pieds. Il ôta ses vêtements, les repliant soigneusement pour les déposer sur le comptoir de la salle de bain et dévoilant son corps nu. Chaque membre était bardé de cicatrice, même son torse où se trouvait la marque d'un coup de poignard qu'il avait reçu alors qu'il était encore à l'essai pour rentrer sous les ordres du Souverain des Scorpions. Sur la peau protégeant son cœur, le symbole de son allégeance pour son chef de gang était tatoué. Un scorpion rouge, à la carapace solide et en position d'attaque, courait sur sa peau pâle.

La douche débarrassa son corps de la transpiration et d'une partie de sa nervosité. Il ne craignait pas outre mesure de réaliser sa mission : les circonstances étaient pourtant délicates pour lui. La vie du fils Lee ne représentait rien à ses yeux. Il n'était pas dans un monde où la vie des humains avait une quelconque valeur. Lui-même préférait la présence d'un chien fidèle plutôt que d'un homme fourbe. Les circonstances faisaient pourtant que l'existence du fils Lee allait lui être utile.

Les cheveux encore gorgés d'eau, la peau luisante, Chan quitta sa douche et s'enveloppa sommairement dans des draps de bain fournis par l'hôtel. Il prit à peine le temps de se regarder dans le miroir accroché au dessus de la vasque qu'il grimpa dessus dans un grognement d'effort. Sans hésiter, il tâta le plafond au dessus afin de faire bouger la plaque d'accès à l'aération de la pièce et la souleva pour la déplacer.

Il tira une mallette noire du conduit d'aération. Après être descendu du comptoir de la salle de bain, il posa la valise directement dans la vasque. Chan composa le code pour la déverrouiller et dans un cliquetis retentissant, l'ouvrit.

Sous ses yeux se trouvaient ses outils de travail principaux. Un téléphone avec une carte prépayée anonyme et jamais utilisée, des gants de cuir, les plans de l'hôtel détaillés, les noms et prénoms de chaque membre du trio de garçons ainsi qu'un double de la carte magnétique de la suite qui leur était assignée, une paire d'écouteurs sans fil reliés à un micro miniature, des colliers de serrage... Ainsi qu'un pistolet. Un 45-ACP semi-automatique à 12 coups, avec un silencieux adaptatif. Par réflexe, Chan prit l'arme pour la soupeser, savourer sa prise en main et vérifier si la sécurité était bien enclenchée. Il la reposa dans la mallette et prit le téléphone ainsi que les écouteurs avant de replacer la valise dans le conduit d'aération. Il n'avait pas besoin de plus pour le moment, du moins il l'espérait. Il n'avait sur lui aucune arme car il ne voulait pas attirer l'attention.

Chan se sécha sommairement avant de déambuler nu dans sa chambre. Il sortit sa valise de vêtements de la penderie, qu'il n'avait pas déballé en cas de fuite précipitée, pour en sortir un change. Il enfila un sous-vêtement, un pantalon noir ainsi qu'une chemise blanche qu'il laissa ouverte afin de savourer la fraîcheur de la chambre. Ses yeux perçants guettèrent la vue que lui offrait sa fenêtre et soupira à peine. Il allait devoir gagner la confiance de Félix Lee pour le faire tomber dans son piège, et réussir à l'exfiltrer de cette semaine de vacances discrètement afin de l'amener au Souverain des Scorpions. Sa mission était délicate. Mais il fallait la réussir.

Il enfila les écouteurs dans ses oreilles et les alluma du bout des doigts avant de se diriger vers son lit. Il souleva le matelas pour trouver son ordinateur caché sous les lattes de bois. Avant l'escapade à la piscine, il était descendu dans la suite qu'occupaient Félix avec ses deux amis. Aussi discret que possible, il avait posé un micro minuscule sous le pied de la table du salon central afin d'entendre de potentielles conversations. Après avoir attrapé son ordinateur, il s'installa au bureau et vérifia s'il avait reçu des consignes différentes depuis le matin. Mais rien. Il allait devoir s'armer de patience pour en apprendre plus sur les plans des jeunes hommes et adapter son approche. Il vérifia sa clef de cryptage avant d'éteindre son ordinateur et tendit l'oreille en entendant enfin quelques bribes de voix venir de ses écouteurs.

« Je te jure qu'il te regardait !! » s'exclama une voix plutôt enjouée, à peine perceptible.

« Pff, tu te fais encore tes idées Jisung. » gronda un ton plus grave et sombre. Chan eu du mal à discerner les mots qu'il prononça à cause des froissements de tissus autour d'eux. Un raclement de chaise le surprit. « Et quant bien même ? Il n'est pas venu me voir. »

« Il avait l'air vieux, ça se trouve c'est un pervers dégueulasse. » reprit une troisième voix plus posée et calme.

« N'empêche, dommage qu'il soit parti à cause des gamins, j'aurais adoré le voir aborder Lix pour lui demander son numéro. »

« Si ce soir on le voit à la soirée de l'hôtel, j'irais. » continua la voix grave et profonde. « Même si c'est un pervers je crois que j'en ai besoin. »

Des rires accueillirent la déclaration et Chan éteignit les écouteurs du bout des doigts. Sa mâchoire se serra légèrement. Il avait réussi à se faire remarquer, mais avait tout de même alerté les deux amis de sa proie. Ce n'était pas son but, il allait devoir se méfier. Au moins une première porte s'était ouverte à lui.

La soirée organisée par la boîte de l'hôtel.

Le complexe hôtelier offrait un panel d'activités en tout genre, et Chan n'était pas surpris de savoir qu'une boîte de nuit était ouverte dans les sous-sols de l'hôtel le soir venu. Il n'y était pas encore allé, mais il allait devoir se faire violence. C'était la bonne occasion de réussir à s'approcher du fils Lee et de voir la façon dont il réagissait vis à vis de lui. Il espérait qu'il n'allait pas être trop méfiant. N'ayant aucune idée de s'il se doutait de quelque chose, Chan préférait être le plus discret possible.

Il décida alors de ranger son ordinateur de nouveau sous les lattes de son matelas. L'homme de main appela le service de chambre afin de se faire apporter le dîner. Pendant ce temps, Chan configura son téléphone neuf, insérant la carte prépayée à l'intérieur et téléchargea plusieurs applications. Si jamais son approche réussissait, il voulait que son téléphone n'ai pas l'air de sortir de l'usine et que Félix se doute de quelque chose. Étant donné que personne ne savait à quel point le fils Lee était impliqué dans leurs histoires, Chan ne voulait prendre aucun risque.

Aucun membre d'une mafia ne laisserait des détails pareils lui échapper.

Chan prit ensuite le temps de se préparer dans la salle de bain. Il fit l'effort de soigner son apparence, de cacher la cicatrice sur son visage avec du maquillage pour qu'elle se fonde avec le reste de ses traits. Il boutonna soigneusement sa chemise blanche, laissant le col ouvert pour avoir l'air moins strict. Ses cheveux avaient beau être décolorés en blond, il voyait clairement la naissance de ses mèches grises commencer à couvrir ses tempes. Survivre à son âge dans la mafia tenait presque du miracle. Le Loup, comme son chef l'appelait, se faisait vieillissant. C'était Chan lui-même qui insistait pour continuer à aller sur le terrain plutôt que de planquer dans des bureaux.

Lorsque deux coups secs se firent entendre à la porte de sa chambre, l'homme de main s'approcha pour vérifier par le judas qui se trouvait de l'autre côté. Il y avait un groom, avec le plateau roulant où semblait se trouver son repas. Chan ôta la serrure de sécurité afin d'ouvrir la porte et serra l'outil dans sa main en le dissimulant dans son dos. Au moindre geste suspect du personnel, il se devait d'agir vite.

Mais le groom resta poli et rapide, il déposa son plat sur la table du salon, s'inclina respectueusement devant son regard acéré et quitta la chambre sans demander son reste. Chan remit aussitôt la serrure portable à la poignée de la porte avant d'enfin se détendre.

Il dégusta sa cassolette de homard à l'estragon devant la baie vitrée, dans le silence et le calme de sa chambre. Même s'il n'avait pas faim, il préférait ne pas partir l'estomac vide. Si jamais il venait à boire un verre dans la boîte, il fallait qu'il reste lucide. Hors de question de foirer, le Souverain des Scorpions n'aimait pas l'échec. Chan ne comptait pas se rater.

En attendant l'heure propice pour rejoindre une soirée dans une boîte de nuit, il consulta son téléphone personnel et y vérifia les divers contacts qu'il avait pour cette mission. Lorsqu'il jugea qu'il était temps d'y aller, l'homme de main déposa son téléphone personnel ainsi que les écouteurs dans la mallette cachée. Il se chaussa de ses richelieus noires et quitta la chambre d'hôtel sans plus attendre. Tout le long du chemin, il tenta de garder le visage tourné loin des caméras pour ne pas se faire voir.

Passer de l'ambiance calme des chambres à l'ambiance électrique de la boîte de nuit donna un frisson à Chan. Lorsque la double porte de l'ascenseur s'ouvrit directement dans l'établissement, il serra les dents pour affronter le bruit. Devant lui se trouvait une gigantesque salle plongée dans l'obscurité, où les seules couleurs visibles se résumaient aux néons de la piste de danse et sur le bar longeant l'accueil. Les chemins aussi étaient illuminés par ces couleurs électriques, serpentant entre des tablées entières de jeunes gens occupées à dépenser sans compter leur fortune en magnum de champagnes et en whisky hors de prix. Chan s'avança alors, décidant de prendre une boisson au bar avant d'aller chercher une table libre avec une assez bonne visibilité. Il ignora le regard langoureux que lui décocha une jeune femme avec un décolleté plongeant, resta stoïque lorsqu'un garçon tout aussi jeune lui proposa une pipe dans les toilettes de la boîte. Son haleine sentait déjà l'alcool et Chan le chassa d'un revers de la main. Il n'avait pas le temps pour ça.

Il commanda un simple daiquiri, déposant sa note sur le numéro de sa chambre et prit son verre pour partir à la recherche du meilleur point d'observation. La musique assourdissante faisait sautiller les corps frénétiquement sur la piste de danse. Les odeurs de transpiration, les relents d'alcool se mélangeaient intimement dans un concert écœurant. Chan jeta son dévolu sur une des rangées de tabourets haut qui donnait vue sur la piste de danse, et le Loup s'installa avant de commencer sa chasse.

Il n'avait aucune idée si les jeunes garçons avaient changé d'avis, mais il pensait sincèrement que non. Vu le ton plaisantin de leurs échanges, ils semblaient si naïfs et prompts à s'amuser que Chan était convaincu qu'il allait les voir ce soir-là. Même s'il s'était fait repérer à la piscine l'après-midi, il allait en faire un atout. La voix la plus grave semblait être celle du fils Lee. Et il ne semblait pas récalcitrant à l'idée de se faire draguer pendant la soirée. Le fait qu'il soit si charmeur allait certainement servir la cause du Souverain des Scorpions sans même le savoir.

Laissant son regard balayer la pièce, l'homme de main fut surpris de reconnaître bien rapidement une silhouette familière. Sa tenue blanche qui réfléchissait les néons comme un drap éclairé en pleine nuit pour attirer les papillons, le fils Lee était à quelques mètres de lui. Le corps de Chan se contracta à l'instant même où il croisa son regard. Le jeune homme était en contrebas, déjà prêt à entrer sur la piste de danse, mais s'était arrêté en le voyant. Dans la lumière des néons et au son de la musique répétitive du DJ, l'homme de main sentit toute la curiosité emprisonnée dans ce regard brun qui le dévisageait. Comme lui, son cadet avait ses cheveux décolorés dans un blond platine, qui reflétait les lumières vives des rares éclairages. Malgré la climatisation qui faisait son office, la chaleur des corps autour de lui et l'étrange crépitement qui caressa la nuque de Chan l'emplit d'une certaine fougue. La tenue claire de Félix accentuait le contraste avec sa peau délicatement bronzée et son regard sombre.

Lorsque le jeune homme fit signe de s'approcher de lui, l'homme de main saisit sa chance.

Chan abandonna son daiquiri à peine entamé pour descendre jusqu'à la piste. Il esquiva quelques serveurs et clients avant d'enfin pouvoir arriver au bon niveau. La musique était assourdissante, le sol sous ses pieds vibrait tant le volume était poussé à l'extrême. A chaque pas qui l'approchait de Félix, il pouvait deviner les traits de son visage de plus en plus précisément. Les photos qu'il avait de lui ne rendaient en rien justice à sa beauté. Devant lui, Chan se délecta de ses traits d'éphèbe, des quelques centimètres qu'il avait en plus pour le dépasser légèrement, de la beauté de son visage et de son apparence juvénile. Il était un ange perdu au pandémonium.

« Je savais pas qu'un mec de l'âge de mon père pouvait être aussi sexy que toi. » lança alors le jeune homme en s'approchant assez pour se faire entendre.

Bien malgré lui, Chan sentit sa gorge se serrer légèrement. Un ange à la langue de catin.

« L'expérience a ses bons côtés. » décida t-il de répondre avant de faire un pas en avant. Sans attendre, Chan glissa une de ses mains brûlées à l'acide le long de la taille fine de Félix et se pencha à son oreille. « Reste à savoir si tu es capable d'apprendre. »

Félix n'avait pas besoin d'être poussé plus que de raison. Chan le constata aussitôt, lorsqu'une des mains du jeune homme se glissa sur son col de chemise impeccablement repassé, il savait qu'il avait d'ores et déjà gagné une bataille. Le jeune homme l'entraîna sur la piste de danse sans plus attendre, se mêlant aux corps luisants de sueur, aux parfums immondes et à la musique transcendantale. Le jeune homme avait beau avoir un visage angélique, il semblait tout droit sorti des enfers. Son corps se plaqua bien rapidement à celui de Chan, hanches contre hanches, torse contre torse, pour se mouvoir langoureusement ensemble.

Même s'il avait voulu résister, l'aîné n'aurait jamais tenu. Félix incarnait tout ce qu'il n'avait plus. La jeunesse, un semblant d'innocence, la décadence. Le jeune homme semblait extatique de pouvoir danser si librement collé ainsi à lui, dans une foule d'inconnus et d'ivrognes inconscients de ce qu'il se passait à côté d'eux. Le visage du fils Lee était clairsemé de tâches de rousseur, détaillées par la lumière des stroboscopes allumés au dessus d'eux. Chan serra ses mains autour de la taille du jeune homme. Il aurait été si facile de l'emmener dans la foule, personne n'aurait fait attention à eux... mais il aurait été contraint de l'immobiliser pour le guider jusqu'à la voiture prêtée par son gang, sous les objectifs des caméras et avec le risque de se faire repérer... Il n'avait pas vu les deux amis de sa cible dans la boite pour le moment.

« Je t'ai vu au bord de la piscine. » reprit Félix une fois qu'il avait de nouveau agrippé le col de sa chemise pour le faire pencher au dessus de lui. Chan sentait son haleine légèrement parfumée par l'alcool. « C'était moi que tu regardais ? »

« Qui d'autre que toi pourrais-je regarder ? » demanda t-il sans flancher, le fils Lee semblait complètement conquis à l'idée de faire tomber un homme plus âgé pour lui sans résistance.

Le sourire que lui offrit son cadet en réponse conforta Chan dans l'idée. Il décida de changer son masque et se mit à sourire à son tour. Un geste dont il n'avait plus l'habitude depuis de longues années. Enivré par le pouvoir qu'il pensait détenir, Félix se pendit à son cou. Il fallait admettre que ce démon au visage d'ange ne laissait pas Chan indifférent, cependant il ne pouvait pas se laisser attendrir.

« Félix. » lança le fils Lee en s'approchant davantage de lui, son souffle se mêlant à celui de son aîné. « Et toi ? »

« Chris. » répondit Chan, préférant utiliser son nom anglais pour brouiller les pistes. « Moi aussi je préfère connaître les noms de qui je veux embrasser. »

De nouveau Félix se mit à sourire et cette fois-ci, l'homme de main se pencha et captura ses lèvres entre les siennes sans attendre. Il n'y avait aucune tendresse, Chan ne savait plus en faire preuve depuis longtemps. Il approfondit sans attendre le baiser, sentant le souffle du jeune homme blotti contre lui se couper avant de reprendre dans un geignement à peine audible. Les yeux ouverts, Chan ressentit une once de plaisir en voyant Félix fondre à travers son étreinte, fermer les yeux et se laisser aller. Entre la danse lascive et la caresse de cette langue contre la sienne, l'aîné laissa ses mains se glisser le long des hanches du jeune homme pour aller sur ses fesses. Chan les caressa un instant, autant pour en savourer leur forme que pour vérifier que Félix ne portait aucune arme sur lui.

Ils rompirent le baiser à bout de souffle, le regard fiévreux que lui accorda le fils Lee offrit une étincelle de satisfaction dans le ventre de Chan. Malgré toute l'horreur qu'il avait vécu, il restait un homme, et savait savourer la présence d'une créature aussi délicieuse que l'était ce jeune homme. Il se délecta de son air conquis, de ses lèvres humides et du sourire épanoui qui brûlait ses lèvres.

« T'es là longtemps ? » glissa Félix en ondulant son corps frêle contre le sien.

« Plusieurs jours. » gronda Chan tout contre sa joue avant d'y glisser ses lèvres et d'y déposer un baiser humide. « Assez pour me glisser dans ton lit tu penses ? »

« Oui, largement assez. » souffla le jeune homme en quémandant un nouveau baiser.

La puissance qui coulait dans les veines de l'homme de main l'étouffa l'espace d'un instant. Sa mission comptait plus que tout, certes, mais il ne pouvait que constater avec quel plaisir il se délectait de la présence de Félix pressé contre lui. Ses baisers avaient un goût de jeunesse, de fougue et d'envie qui hurlaient à quel point il voulait de l'attention. Ce besoin de lâcher prise alerta Chan, qui referma sa poigne puissante sur les hanches graciles de ce garçon. Lorsque ses lèvres se firent mordre par le fils Lee, l'aîné des deux peina à retenir son soupir d'aise. Perdu dans les corps collants et la musique entêtante, ce fut une véritable torture que de se décoller du jeune homme tant il sentait l'air lui manquer.

Le front luisant de sueur, Chan entraîna le garçon hors de la foule en le tenant par la main. Félix se pendit de nouveau à son cou dès qu'ils sortirent de l'attroupement au centre de la piste de danse. Ses yeux bruns étaient rieurs et il souriait sans cesse en le contemplant comme s'il s'agissait de son propre dieu. Le pouvoir que Chan commençait à instaurer sur lui le satisfaisait grandement. Le jeune homme faisait chétif ainsi accroché à lui avec son regard d'envie mêlée d'innocence. Comment pouvait-il seulement prétendre l'être ?

« Donne-moi ton numéro, Félix.» ordonna t-il en appuyant son front contre le sien. « Histoire de t'offrir un verre demain soir au bar. »

« Tu es toujours si autoritaire ? » rétorqua le jeune homme alors qu'il laissait sa langue dépasser légèrement de ses lèvres rosées, comme pour le narguer.

« Seulement si le type en face de moi aime ça, ou qu'il a besoin d'être dressé. »

Chan lisait en lui comme dans un livre ouvert, car le fils Lee lui rendit un large sourire. Chan relâcha alors légèrement sa poigne sur lui afin d'ouvrir son téléphone et de lui donner. Même s'il avait l'air neuf, avoir ajouté des applications le rendait moins suspicieux. Félix ne donna aucun signe d'alerte et entra son numéro de téléphone ainsi que son prénom dans le répertoire de l'homme de main.

« Tu restes encore ce soir ? » geignit Félix en lui rendant son téléphone et en cherchant de nouveau à s'accrocher à lui.

C'était le point qu'il fallait passer. Provoquer l'attente.

« Non, je dois retourner bosser. » souffla Chan d'un air faussement ennuyé. « Je suis en commerce avec les États-Unis, et ils viennent de commencer à bosser il y a peu. »

« Qu'ils aillent se faire foutre... » se plaignit le jeune homme alors qu'il glissait sa main dans l'encolure de sa chemise. Ses doigts délicats se mirent à caresser la peau couverte de perles de sueur. « Encore 5 minutes ? »

« Je t'appelle demain matin pour te donner mon numéro. »

La moue boudeuse de Félix en disait long, c'était quitte ou double. Si le jeune homme cédait, Chan savait qu'il avait réussit à l'hameçonner dans son piège. S'il résistait et haussait les épaules, il allait probablement tenter de se trouver un autre homme pour finir sa soirée, et ses chances de s'approcher de lui allaient s'aménuiser. Lorsque son cadet glissa ses mains dans sa nuque pour le faire pencher sur lui, Chan savait qu'il avait gagné.

« Seulement si tu me promets de me baiser assez fort pour m'effacer la mémoire de ces derniers mois. » lança t-il sur ses lèvres, comme pour quémander un baiser et le provoquer en même temps.

« De ces dernières années s'il le faut. » répondit Chan avec assurance. Pour appuyer ses propos, il glissa de nouveau sa main sur une des fesses du jeune homme pour la serrer fermement. Le hoquet de stupeur que son cadet laissa échapper l'emplit de satisfaction.

Ils se quittèrent sur un dernier baiser indélicat et fiévreux, avant que Chan ne reprenne le chemin des ascenseurs pour remonter dans les étages. Il ne se retourna pas un seul instant, ne voulant donner aucune prise à Félix. Même si ce dernier lui plaisait sincèrement, il fallait qu'il le manipule pour arriver à ses fins. Il se devait de réussir sa mission et enlever ce garçon afin qu'il rencontre enfin le Souverain des Scorpions. Si les amis du fils Lee pouvaient justifier l'absence de Félix plusieurs jours en disant qu'il s'était trouvé un type pour le temps de ses vacances, c'était l'excuse rêvée.

Dans l'ascenseur, Chan contempla son reflet dans le miroir bordant le tableau de bord. Ses joues étaient légèrement rosés sous le maquillage qu'il avait utilisé pour cacher sa cicatrice et ses cheveux habituellement gominés étaient ébouriffés. Par réflexe, il glissa ses mains dans sa chevelure pour la plaquer en arrière avant de sélectionner l'étage de sa chambre. Il avait besoin de se recentrer sur sa mission, car le plaisir fugace des lèvres de Félix le perturbait plus qu'il ne l'aurait imaginé. Ce n'était qu'un enlèvement comme un autre, rien de plus. Le soulagement l'envahit à la seconde où la double porte de l'ascenseur se referma pour le couper de la musique entêtante de la boite de nuit.

Après être de retour dans sa chambre, Chan vérifia par réflexe chaque recoin de son repaire avant d'utiliser la serrure de voyage pour bloquer la porte derrière lui. Enfin au calme, il sentit ses muscles se décontracter. Il lança son téléphone avec la carte prépayée sur son lit et déboutonna sa chemise. La musique l'avait lourdement oppressé. Il avait besoin d'une nouvelle douche, mais il avait plus urgent à régler. Ce ne fut qu'une fois les volets fermés que l'homme de main récupéra son ordinateur sous le lit.

L'excuse du travail était toute trouvée. Un fameux boulot à l'international était une véritable porte de sortie en toute occasion. Il voulait vérifier ce soir si Félix était intéressé par lui, et c'était le cas. Il lui avait même offert son numéro de téléphone. Désormais, il pouvait avoir un début d'emprise sur ce garçon. Après avoir allumé son ordinateur, Chan utilisa un logiciel espion afin d'y entrer le numéro que le jeune homme lui avait donné ce soir là. En quelques instants, l'homme de main reçu les informations nécessaires... La ligne était bien au nom de Félix, l'abonnement était à son nom, il y avait de nombreux échanges sur des applications de communications comme KakaoTalk ou même Discord...

Les recherches de Chan s'éternisèrent pendant la nuit, cherchant à tirer profit qu'un simple numéro de téléphone pouvait lui offrir. Il ne reconnu aucun des contacts qui avaient récemment interagit avec Félix, ce qui pouvait dire deux choses : soit le jeune homme était précautionneux et comme lui, utilisait deux téléphones, soit qu'il n'avait pas grande connaissance du monde auquel il était censé appartenir.

Frustré de ne pas avoir réellement avancé sur la question, l'homme de main éteignit son ordinateur et le rangea soigneusement avant de filer dans la salle de bain. Il y reprit une douche afin de se débarrasser de la sueur qui le recouvrait de la tête aux pieds, et savoura la caresse des serviettes de bain propres lorsqu'il se sécha.

Il envoya un message à Félix alors que 4h du matin venait de s'afficher sur son téléphone.

Chris [4:03]

Je préfère t'envoyer un message, en espérant que tu te souviennes de moi.

Rendez-vous au bar de l'hôtel à 20h demain.

Chan passa nerveusement sa langue sur le bout de ses dents. Félix pouvait être n'importe où : entrain de dormir ou encore de mener des recherches intensives sur lui afin d'en savoir plus. Mais le jeune homme n'avait ni son numéro de chambre ni même son nom de famille. S'il ne traînait pas dans le monde des guerres de gang, il n'avait aucune raison de s'inquiéter à propos de ce garçon. Pourtant, lorsque son téléphone se mit à vibrer quelques minutes après, Chan fut incapable de retenir un grondement de satisfaction.

Lix [4:06]

Comment t'oublier, j'aurais voulu que tu me fasses ce que tu voulais sur le sol de la piste.

A demain, 20h.

Le poisson avait mordu à l'hameçon.

L'homme de main était satisfait. Ce n'était pas l'approche réputée pour être la plus efficace, mais le narcissisme et l'envie de se faire remettre à sa place de Félix avait été l'origine de sa chute. Désormais que Chan avait ouvert la minuscule brèche, il allait pouvoir s'y engouffrer et creuser pour tout découvrir.

Ce fut donc calme qu'il se coucha cette nuit là. Il n'émergea qu'en milieu de matinée, le corps légèrement courbatu et une étrange sensation d'apaisement coulant dans ses veines. Les dents serrées, il se redressa péniblement dans son lit. Chan avait toute la journée devant lui afin de planifier son approche avec Félix et comment obtenir ce qu'il voulait. Il n'y avait que ça qui comptait à ses yeux.

Il resta enfermé dans la chambre toute la journée, faisant appel au service de chambre lorsqu'il avait besoin de se nourrir et pour ne pas alerter la direction sur son étrange enfermement. Les déplacements professionnels étaient toujours une excuse de choix pour toute circonstance. Il tenta d'écouter les conversations des garçons dans la chambre avec ses écouteurs à plusieurs reprises, mais il ne capta aucun échange d'importance, hormis quelques plaisanteries entre eux. Lorsqu'il jugea qu'il était l'heure, Chan se prépara soigneusement. Une fois de plus, il maquilla sa cicatrice et enfila un ensemble de chemise blanche et d'un pantalon noir. Il s'entraîna dans le miroir à décrisper sa mâchoire tout en fermant ses boutons de manchettes. Il se devait d'avoir l'air accessible.

L'homme de main vérifia sa chambre avant de la quitter, sa carte magnétique dans la poche et son téléphone à carte prépayée dans la main. Il prit l'ascenseur afin de rejoindre le bar en roof-top de l'hôtel. La porte s'ouvrit sur une avancée en verre où un climatiseur vrombissait de façon assourdissante avant d'enfin arriver à la terrasse du complexe.

La vue était imprenable. A perte de vue s'étendait l'océan, sur lequel étaient parsemés des bateaux de plaisance entre les différentes îles. La chaleur de la journée colla aussitôt au dos de Chan, le dallage du toit semblait s'être imprégné du soleil qui avait tapé toute la journée et qui la délivrait maintenant que le soleil s'approchait de l'horizon. En tournant la tête, il repéra le bar, éclairé par des lumières vives sous un auvent décoré de plantes grimpantes. Il y avait déjà plusieurs clients de l'hôtel, quelques couples et des voyageurs solitaires, qui dégustaient avec plaisir des boissons hors de prix au son de la musique d'ambiance. Plusieurs salons aux canapés blancs étaient disséminés sur la terrasse, autour de tablées déjà recouvertes de petits fours. Chan chercha des yeux sa proie et fut ravie de la retrouver bien rapidement.

Accoudé au bar, le fils Lee portait une tenue mettant terriblement en valeur son corps d'éphèbe. Son pantalon blanc ne cachait rien de sa minceur, et le haut baillant à ses épaules dévoilait assez de chair pour provoquer un frisson dans le ventre de Chan. Il n'était cependant pas seul. A côté de lui, un homme semblait occupé à vouloir lui parler. Même si Félix ne semblait pas y porter attention, l'homme de main sentit une légère exaspération le prendre aux tripes. Ce n'était pas le moment de louper son coup.

Il plongea alors ses mains dans les poches et s'approcha du bar. Félix lui tournait le dos, aussi il ne le vit pas s'approcher. Ce n'était pas le cas de l'opportun cependant, qui releva un regard perplexe et prit de cours en le voyant s'arrêter au niveau du jeune homme. Chan n'hésita pas à le dévisager, l'air fermé et déterminé. Il ressemblait à un de ces riches héritiers, prêt à flamber en voiture hors de prix et en vêtements de luxe en toute circonstance, un trentenaire qui n'avait que pour seul réussite son nom et être bien né.

Il y eu un moment de flottement, le temps que Félix ne se rende compte de sa présence et ne se tourne vers lui. Chan ne bougea pas d'un iota, dévisageant l'opportun sans sourciller ni même ouvrir la bouche.

« Tu vois, je suis accompagné. » lança le fils Lee en se décollant du bar et en s'approchant de Chan. « On peut commander Chéri ? »

Dans n'importe quelle autre circonstance, l'homme de main aura acquiescé et aurait ignoré le type qui tentait de draguer Félix. Mais il devait marquer le coup, profiter de cette ouverture, s'y engouffrer et surtout marquer l'esprit de son cadet.

« Il ne t'a pas ennuyé ? » demanda t-il en tendant une de ses mains pour la glisser le long de la taille de Félix, retrouvant sa finesse et sa fermeté.

« Je ne suis pas... » commença à répondre l'opportun, en fronçant les sourcils.

« Je ne t'ai pas adressé la parole. » le coupa aussitôt Chan d'un ton glacial en le fixant droit dans les yeux. « Je ne suis pas vraiment partageur des choses qui m'appartiennent. Alors tu ferais mieux de partir avant qu'il ne t'arrive quelque chose de fâcheux. »

Le ton n'appelait pas à la réplique, et le type ferma aussitôt la bouche. Sans un mot de plus, il fit volte-face pour s'éloigner du bar, la tête baissée vers le sol. Chan serra fermement sa main autour de la hanche du jeune homme à ses côtés avant de tourner la tête vers lui. Félix l'observait de grands yeux admiratifs, la bouche entrouverte et l'air extatique.

« Que dirais-tu de trouver une table ? » reprit Chan en essayant de porter un masque moins froid, plus accessible. « Que veut-tu boire ? »

« Sunrise. » répondit simplement le jeune homme dans un souffle tremblant. « Je préfère rester avec toi. »

Ce fut donc avec Félix dans le creux de son bras que l'homme de main passa sa commande. Il prit un Manhattan pour lui et se tourna vers son cadet le temps que le barman ne leur serve leur cocktails. Le jeune homme l'observait avec un air admiratif, conquis, c'était le début du jeu pour Chan.

« Alors comme ça tu te laisses approcher alors que c'est à moi que tu as donné ton numéro ? » lança t-il en s'asseyant sur un des tabourets du bar et en prenant la taille du fils Lee entre ses mains.

« Il venait à peine d'arriver, et je donne encore mon numéro à qui je veux. » répondit Félix avec un sourire en coin. « Qui te dit qu'il ne l'a pas eu lui aussi ? »

« T'aurais-je surestimé en question de bon goût ? »

Mettre en doute les intentions de Félix lui permettait de le déstabiliser. Il semblait être un provocateur de premier ordre, d'avoir besoin d'être remis à sa place. Même si Chan n'était pas là pour ça, il devait admettre que voir ce joli minois rougir et ces grands yeux bruns papillonner provoquait en lui de la satisfaction. Un sourire goguenard aux lèvres, l'aîné se pencha légèrement.

« On a donné sa langue au chat ? » demanda t-il dans son souffle, ses yeux naviguant sur ce visage délicat et juvénile.

« Je regardais un peu ta chemise. » rétorqua cependant le jeune homme, quelques rougeurs cachées derrière ses tâches de rousseur le rendait angélique. « On dirait que tu as un tatouage, tu caches bien ton jeu. »

Si Chan n'était pas habitué à cacher ses émotions, il aurait perdu son sourire de façade et se serait braqué aussitôt. Mais là, il jouait un rôle. Celui de Chris, d'un homme d'affaires perdu en vacances sous la chaleur écrasante de l'été, dans ce complexe hôtelier hors de prix et paradisiaque... Il était hors de question que sa couverture vole en éclat en quelques instants à cause d'une inattention.

« On fait tous des erreurs de jeunesse. » chuchota t-il, presque sur le ton de la confidence. « Si tu es sage, peut-être que tu le verras bientôt. »

« J'ai toujours eu peur des aiguilles. » soupira Félix en glissant ses mains le long des épaules de son aîné. « Je déteste l'idée de changer mon corps avec ce genre de chose, même pour me percer les oreilles ça a été difficile. »

« Pourquoi l'avoir fait alors ? » demanda Chan, se voulant compatissant.

« Pour le style j'imagine, tous mes amis avaient les oreilles percées. »

Il était souvent déconseillé de porter des boucles d'oreilles au sein du gang. C'était une fantaisie dispensable qui pouvait hélas servir de preuve en cas de dérapage lors d'une descente de police. Un bijou perdu était l'occasion rêvée de récupérer de l'ADN et le Souverain des Scorpions interdisait la moindre extravagance. Alors qu'il enfonçait ses pouces dans les hanches de Félix, Chan se redressa en voyant le barman déposer leurs cocktails sur le comptoir.

« Prends nous donc une table. » lança l'homme de main en glissant une de ses mains le long des fesses de son cadet. « Sois mignon, et met toi un peu à l'écart. »

En voyant les joues de Félix se teindre de rouge, Chan sentait qu'il gagnait des points auprès du garçon. Le but était d'en avoir assez pour qu'il daigne baisser sa garde et qu'il se dévoile à lui. Il fallait gagner sa confiance pour qu'il ne se méfie de rien et qu'il n'oppose aucune résistance au moment de lui proposer de venir avec lui. Félix prit les deux cocktails dans ses mains et s'éloigna. Chan se tourna vers le barman pour poser la note à son nom de chambre, et après la vérification de sa fausse identité, il rejoignit le jeune homme. Ce dernier avait trouvé un salon d'extérieur légèrement en retrait, à l'abri des regards indiscrets derrière des bambous en pot. Félix s'était déjà assis sur d'un des deux canapés et semblait attendre comme un chiot obéissant que son aîné s'installe à ses côtés. Ravi de voir que son ascendant prenait déjà place, Chan s'assit assez proche de son cadet pour sentir son odeur, mais assez éloigné pour ne pas l'inciter à se coller à lui.

« Tu as décidé de lâcher tes affaires pour ce soir ? » ronronna Félix en s'approchant légèrement de lui, la mine curieuse.

« Mhm, j'aurais pu y rester, j'avais quelques bonnes positions pour des contrats d'exclusivité qui sont encore sur le feu. » décida de répondre Chan, faisant mine de prêter peu d'attention au comportement de son cadet à côté de lui. « J'ai dit que j'avais une urgence ce soir. »

« Serais-je cette urgence ? » demanda le jeune homme avec un sourire aux lèvres.

« Vu la petite altercation avec ton prétendant, je pense qu'il était de bon augure que je vienne me montrer à côté pour m'assurer une place dans ton lit. »

Flatter sans trop offrir, prendre sans rien donner, Chan n'était pas le meilleur dans les jeux de séduction car il n'avait jamais le temps de s'y consacrer pleinement. Néanmoins il n'était pas le dernier pour manipuler les autres. Sans rien connaître de Félix, il avait comprit qu'il avait un besoin maladif d'attention et de défi. Voir un homme bien plus âgé que lui l'observer comme un gibier de chasse pouvait lui procurer l'adrénaline dont il avait besoin. Ce jeu du chat et de la souris pouvait continuer longtemps. Or, Chan en manquait. Il lui fallait ses informations, et vite.

« Tu es entrain de bien la sécuriser en tout cas... » répondit son cadet sans cesser de sourire béatement. « Comment as-tu réussi à finir dans cet hôtel pour ton travail ? Tu gagnes si bien ta vie que ça ? »

La seule façon dont Chan pouvait gagner sa vie était en survivant. Le gang des Scorpions subvenait à tous ses besoins. Il avait tout abandonné pour eux et ne regrettait rien à aucun instant. Mais il fallait entretenir l'illusion.

« Je suis censé être en vacances mais mes subordonnés ne sont pas d'une efficacité exemplaire pour remplir mes obligations en mon absence. » justifia t-il avant de décider de risquer un coup de poker. « Et toi ? Tu es jeune, comment as-tu pu finir dans un palace pareil ? Tes parents peut-être ? »

Remuer le couteau dans la plaie n'était agréable pour personne, et Chan vit bien qu'il avait appuyé sur une corde sensible. Le si délicat sourire de son cadet se flétrit légèrement, comme une fleur qui commençait déjà à faner. Il fit pourtant mine de rien, ne souhaitant pas faire comprendre à Félix qu'il lisait en lui comme dans un livre ouvert.

« Un de mes amis a gagné ce séjour ici, tout frais payé. » expliqua alors Félix en croisant ses jambes, faisant butter son pied contre le mollet de son aîné. « Jisung ne sait même plus où il a remporté ce prix, mais il avait trois places pour une semaine dans cet hôtel, il m'a donc invité avec un autre ami à nous à venir ici. »

Et sur ce point là, Chan savait qu'il disait vrai. Car tout ceci n'était qu'un coup monté.

Le gang avait espionné pendant des semaines Félix sans rien trouver sur lui. Tout son entourage y était passé : que ce soit sa mère ou encore ses amis, mais rien de suspect n'avait été relevé auprès de ce garçon. Il s'agissait là de la raison pour laquelle une solution plus directe avait été envisagée : créer une situation exceptionnelle dans laquelle la proie allait baisser sa garde et pouvoir se faire approcher par un des membres du gang des Scorpions. Il était ainsi plus facile de l'isoler, de le questionner et de potentiellement l'enlever le moment venu. Le Souverain des Scorpions lui-même avait accepté ce plan afin d'endormir la vigilance de tout le monde.

« Quel bon ami tu as, on offre rarement une telle opportunité à des gens autre que sa famille. » répondit Chan pour tenter de guider la conversation.

« Jisung a ses parents à l'étranger... et je dois avouer que ça tombait plutôt bien pour moi... » souffla Félix d'un air ennuyé.

La séduction était une chose, et l'empathie était tout autre. L'homme de main savait que c'était la piste à creuser, et malgré son approche plutôt brutale, il espérait que son cadet se détende assez pour lui parler.

« Période difficile ? » demanda t-il en se penchant en avant pour attraper les cocktails et donner le sien à son cadet.

« Je n'ai aucune envie de casser l'ambiance. » rétorqua Félix d'un ton plus vif. « Tout le monde a ses problèmes. »

« Je te trouve assez mignon et attachant pour régler tes problèmes si ça induit de l'argent ou bien un travail. » répondit Chan en croisant le regard de son cadet, ce dernier s'était figé. « Une dette ? Des problèmes dans tes études ? »

Creuser encore un peu plus, sans pour autant donner trop d'informations sur soi... il n'aurait été surprenant pour personne de voir un homme d'affaires millionnaires investir quelques fonds pour aider un de ses amants, alors pourquoi ne pas emprunter ce chemin ?

« C'est plus... familial. » concéda à expliquer Félix en prenant le verre entre ses doigts, frôlant ceux de son aîné délicatement au passage. Il semblait hésiter à en parler.

« Écoute Félix. » reprit Chan avant de poser sa main libre sur le genou du jeune homme. Il sentait toute sa fragilité et sa délicatesse. « On ne sait pas où on sera dans une semaine, alors tu peux vider ton sac si l'envie t'en dit et te soulager un peu. Je n'y vois aucun inconvénient. » Il se pencha légèrement vers lui. « ça n'enlèvera rien au fait que je veuille te voir dans mon lit avant la fin de ces vacances. »

Le rouge sur les joues du jeune homme s'épanouit brusquement. Ses lèvres charnues s'entrouvrirent et il observa un instant Chan l'air hébété. Probablement personne ne lui avait jamais adressé la parole de cette façon, et l'homme de main ne pouvait que le comprendre. Néanmoins, il attendait une réponse, et espérait avoir assez bien jouer ses cartes pour ça.

« Mon frère a disparu il y a quelques semaines. » céda enfin Félix sans le quitter des yeux. « Il est décédé, sans qu'on sache comment et pourquoi. Je ne l'ai que très peu connu : j'avais beaucoup d'écart avec lui. »

« ça a dû être difficile pour tes parents... » tenta de répondre Chan, la langue écorchée de murmurer ces quelques mots.

« Pour ma mère surtout. » soupira le jeune homme avant de boire une gorgée de son cocktail. « Mon père a disparu du jour au lendemain de la naissance de mon frère... et il n'est revenu que 15 ans plus tard pour faire tomber notre mère enceinte et revenir quelques années après pour prendre mon frère avec lui. Je ne l'ai pas revu depuis cette période. »

Malgré les révélations, Chan faisait de son mieux pour rester de marbre. Car il tenait quelque chose d'important. Félix n'avait aucun lien avec son frère, et encore moins avec son père. L'information aurait pu paraître bancale et stupide pour n'importe quelle personne du milieu, mais l'homme de main décida de serrer les dents et de ne rien laisser paraître.

« Et on a apprit avec ma mère qu'il était décédé il y a quelques semaines... Elle était dévastée. » reprit Félix en détournant légèrement les yeux. « Je n'ai rien senti de spécial, mais quand Jisung m'a offert ce voyage je me suis dit que c'était une bonne chose pour respirer loin de la maison. »

« Il faut penser à toi en priorité, tu as bien fait de profiter de cette opportunité. » concéda Chan avant d'esquisser un sourire.

Félix ne connaissait rien de sa vie familiale, du moins pas de ce côté. Il n'avait pas de lien avec son frère disparu, rien à voir avec son père... Chan sentit l'inquiétude envahir légèrement ses veines. Et s'il s'était trompé ? Et si le Souverain des Scorpions s'était trompé de cible ? Il joua un instant nerveusement avec sa langue le long de ses dents. La mine ennuyé du jeune homme à ses côtés était justifiée et malgré son manque d'empathie, l'homme de main savait qu'il fallait réagir.

« Félix, tu as toute la vie devant toi. » mentit-il pour tenter de le réconforter. « C'est une épreuve difficile, mais regarde où tu te trouves. C'est un nouveau départ. »

Lorsque le jeune homme releva la tête, Chan cru étouffer l'espace d'un instant. Les yeux de Félix étaient magnifiques, d'un brun chatoyant et doux, son expression était prise entre la légère douleur et la quiétude. Bien qu'il soit hermétique à de nombreuses sensations, Chan se surprit à imaginer ce visage sur des statues de saint ou d'angelot.

« Merci Chris. » répondit pourtant le jeune homme avant de se rapprocher de lui. « Je sais que je peux te faire confiance pour me faire oublier tout ça. »

Sursautant presque en entendant son prénom anglais, Chan se détendit aussitôt en sentant son cadet se blottir contre lui. Ils sirotèrent longuement leurs cocktails ensemble, les discussions s'éloignant totalement de la thématique familiale. Lui s'était construit un personnage de directeur de département au sein d'une multinationale de tech. Sa vie fictive était partagée entre des déplacements dans de nombreux pays, des heures de travail ridicules, un train de vie digne d'un roi des temps modernes... Chan voulait inspirer l'envie et l'admiration chez sa proie. Et Félix semblait le croire dur comme fer. S'il avait été assez réservé sur le sujet de sa famille, il parlait très librement du reste de sa vie. Il avait à peine terminé ses études, avait un prêt à charge et des projets plein la tête. Au fur et à mesure que les cocktails disparaissaient de leurs verres, la lumière du crépuscule envahissait la terrasse et quelques éclairages s'allumèrent autour d'eux. Malgré les quelques clients de l'hôtel qui venaient passer du bon temps ici, ils ne furent importunés à aucun moment.

Bientôt, Félix se coula à côté de lui, quémandant de l'attention. Chan le prit dans un de ses bras tout en continuant de l'écouter parler. Il restait encore deux options. Soit Félix était un excellent acteur, et auquel cas il allait devoir le travailler davantage pour percer son secret. Soit il s'agissait d'un innocent, et le Souverain des Scorpions se trompait lourdement à son sujet. Chan devait admettre qu'il n'arrivait pas à voir clair dans le jeu de son cadet. Il donnait une image désarmante de sensibilité et de douceur dont il n'avait pas l'habitude.

Et qui ébranlait son âme.

« Tu as un regard intense. » lança alors Félix au bout d'une longue conversation, le soleil avait désormais disparu de l'horizon. « Est-ce que j'ai dit quelque chose de spécial ? »

« Non, je te contemple. » répondit son aîné sans le quitter des yeux. Chaque seconde passée en la compagnie de ce garçon fissurait quelque chose en lui. « Tu dois entendre tous les jours à quel point tu es beau, n'est-ce pas ? »

« Tu n'es pas le premier à le dire, mais c'est toujours plaisant à entendre. » rétorqua le jeune homme en esquissant un sourire. « Tu n'es pas mal non plus dans ton style... »

Chan sentit ses doigts se crisper autour de la taille de son cadet lorsque celui-ci leva la main pour la poser doucement sur sa joue. Son pouce caressa un instant le bout de sa cicatrice, il avait l'air hypnotisé par cette balafre qui brisait le visage de l'homme de main en deux.

« ça vient d'où ? » demanda t-il sur le ton de la confidence.

« Un accident de bateau. » chuchota doucement Chan, les yeux plongés dans ceux de son cadet. « Un, bête, accident. »

Ce n'était qu'une moitié de mensonge. Il s'agissait en effet d'un accident de bateau, mais au cours d'un échange de trafiquants. Une dizaine d'années auparavant, Chan devait conduire un bateau à moteur dans une baie en Chine. Il avait avec lui trois prostituées coréennes qu'il devait échanger contre plusieurs kilos d'une cocaïne de qualité exemplaire. Il n'y était pas allé seul bien entendu, mais alors qu'il allait aborder le gang avec qui le Souverain des Scorpions avait noué ce marché, une des femmes s'était rebellée. Elle avait lutté à tel point qu'elle avait préféré faire précipiter le bateau contre des rochers plutôt que d'être vendue aux mafias locales chinoises. L'accident avait été affreux, Chan ne s'en était sorti que par chance et tous les autres occupants étaient morts dans l'incendie qui avait suivi.

En contemplant le visage de Félix, il voyait toute l'innocence du monde prête à se faire engloutir par l'avidité des autres.

Chan se pencha alors sur le jeune homme pour l'embrasser. Ce baiser n'avait rien à voir avec ceux échangés la veille. Bien plus doux, bien plus tendre, il se faisait à l'intimité des regards et plus sensuellement. Après avoir fermé les yeux, l'aîné se permit de soupirer d'aise. Les doigts de Félix vinrent se poser sur sa jambe pour la caresser doucement et bientôt, le baiser s'approfondit de lui-même. Un frisson parcouru l'échine de Chan. Il n'avait embrassé personne de cette manière depuis bien longtemps.

« Je ne sais plus si j'ai envie que tu me détruises ou que tu me traites comme un prince... » confessa Félix dans son souffle alors qu'ils rompaient leur baiser dans quelques soupirs d'aise.

« Je ferais tout ce dont tu as besoin et envie. » murmura Chan contre ses lèvres. « Tu peux être ma chienne ou mon dieu, ou les deux à la fois. »

Ces quelques mots illuminèrent les yeux de Félix. Ce dernier quémanda un nouveau baiser que Chan lui offrit sans hésiter. Ce garçon semblait banal et si différent des autres à la fois que l'aîné en était déstabilisé. Perdu dans ses pensées, il se laissa aller aux embrassades tendres. Lorsque Félix se blottit contre lui, un sourire aux lèvres et l'air étourdi, Chan sentait ce sentiment désagréable qui montait en lui irrémédiablement.

La compassion.

« Je me sens en sécurité avec toi, ça fait du bien. » soupira son cadet sans se tourner vers lui. « J'aimerais rester ici. »

« On aura l'occasion de revenir, ne t'en fais pas. » souffla doucement Chan alors qu'il sentait ses mâchoires se contracter. « Et on a encore de belles journées devant nous. »

Après ces quelques mots, Félix se détendit contre lui. Ils parlèrent encore un moment, avant que l'air chaud de la journée ne finisse par se faire balayer par le frais de la soirée. En sentant le jeune homme grelotter près de lui, Chan eu envie de le serrer dans ses bras pour le réchauffer. Cette considération lui donna un goût amer dans la bouche. Il tiqua légèrement. Ce n'était pas dans ses habitudes de céder si facilement, pour quiconque. Il n'était qu'une machine à la solde de son chef et de son gang, rien de plus. Il décida donc de se pencher contre Félix pour embrasser ses cheveux.

« Que dirais-tu d'aller nous reposer ? Je t'invite demain midi au restaurant si ça te dit. » proposa t-il au jeune homme.

« Oh, un nouveau rencard ? » taquina Félix en se redressant, l'air amusé. « Je suis partant. »

Ce furent donc sur ces mots qu'ils décidèrent de quitter le roof-top. Ils descendirent dans les chambres et Chan insista pour raccompagner son cadet à la sienne. Arrivé sur le palier, il plaqua Félix contre le mur jouxtant la porte afin de l'embrasser une dernière fois, de goûter les lèvres charnues qu'il commençait à apprendre et à apprécier contre les siennes. Son cadet se pendit à son cou, soupirant d'aise et se plaquant contre lui. Chacun de ses geignements donnait un sentiment de contrôle grandissant pour l'homme de main. C'était une drogue addictive dont il n'était pas certain de réussir à se passer un jour.

« Sois sage jusqu'à demain. » murmura t-il sur les lèvres de son cadet avant de se détourner de lui.

Il ne préférait pas regarder dans quel état se trouvait Félix. Il n'était pas certain de l'apprécier.

Dans sa chambre, il s'enferma rapidement avant de se ruer sur sa valise cachée dans le plafond de la salle de bain. Il en sortit les écouteurs reliés au micro-espion qui se trouvait dans la suite de Félix et de ses amis. Sans grande surprise, son cadet racontait avec emphase la soirée, la façon dont Chan était fort et doux à la fois, qui lui donnait cette sensation de confiance où il voulait se perdre et s'abandonner tout en se sentant respecté... La satisfaction au fond du ventre, l'homme de main rangea son matériel avant de commander un service de chambre et de pouvoir dîner dans sa chambre.

Félix tombait dans son filet, même s'il n'était pas certain du bien fondé de ce piège.

Après avoir dîné et s'être douché, Chan prit le temps d'envoyer un message au Souverain des Scorpions. Il lui fit part de ses doutes, de ses craintes de s'être trompé de cible. Félix semblait étonnamment innocent et naïf. Les informateurs s'étaient-ils trompés ? Y avait-il eu une mauvaise transmission ?

Chan ignora ces pensées dérangeantes et décida d'aller se coucher après avoir caché toutes ses affaires en lieu sûr. Sa nuit fut perturbée par des cauchemars et des souvenirs osant faire surface dans sa mémoire. Aussi, lorsqu'il se réveilla le lendemain matin, il eu la désagréable sensation de doute au fond de son ventre. Ressentir les doutes était la première étape vers la désobéissance, il ne savait mieux que quiconque.

Il décida de se préparer longuement pour bien présenter. Après un appel à un restaurant haut de gamme bordant l'hôtel pour y réserver une table, Chan prit le temps de maquiller sa cicatrice et d'enfiler un nouveau costume propre. Il appela aussi le service de l'hôtel afin de faire envoyer au pressing ses chemises. Le temps allait bientôt lui manquer et il allait devoir sortir le grand jeu auprès de Félix s'il voulait définitivement gagner sa confiance.

Il retrouva le jeune homme dans le hall de l'hôtel, en compagnie de ses deux amis. Ces deux derniers l'observèrent comme une bête curieuse. Ils avaient tout des étudiants en fin de cycle, à la dégaine juvénile et conquérante. Ils eurent l'air déstabilisé de voir Félix se précipiter presque sur Chan pour se pendre à son bras avec un air éclatant. Lui trouvait son air énamouré d'une pureté déconcertante. L'homme de main décida de saluer poliment les deux amis du fils Lee avant d'emmener celui-ci avec lui, non sans avoir passé son bras autour de sa taille pour le tenir contre lui.

« Tu es magnifique. » lança t-il en passant le tourniquet de l'hôtel, quittant l'agréable température fraîche du hall pour affronter la chaleur estivale sur le béton du parvis.

« Oh, quel flatteur tu fais. » ronronna Félix en se blottissant davantage contre lui. « Tu n'es pas mal dans ton style aussi. »

Félix était d'une beauté éthérée. Sa chemise bleue pâle était presque trop grande pour sa carrure et sa taille fine était à peine soulignée par un pantalon de lin. Chan devait admettre que ce garçon ressemblait à s'y méprendre à un ange, que ce soit par son caractère doux et conciliant comme de par sa naïveté.

« Est-ce qu'un restaurant de fruits de mer te convient ? » demanda Chan en empoignant fermement la taille de son cadet.

« Parfait, je suis affamé. »

Ils marchèrent le long du trottoir, l'air marin s'engouffrant dans leurs cheveux et vêtements. A l'abri du soleil grâce aux palmiers plantés le long de la chaussée, Chan sentit déjà quelques gouttes de transpiration perler sur son front. La chaleur de l'été était atroce, et vivre sous ces températures relevait de la torture.

En quelques minutes, ils rejoignirent un grand restaurant au nom doré sur la façade. Félix resta silencieux quelques instants, contemplant le style art-déco du bâtiment, ses grandes fenêtres et son patio aux couleurs dorées. Chan le gardait fermement accroché à lui en se présentant à l'accueil extérieur. Ce fut un véritable soulagement lorsqu'ils furent acceptés à l'intérieur du restaurant et qu'ils purent de nouveau profiter d'une climatisation digne de ce nom. Comme l'extérieur le laissait paraître, la décoration était à mi chemin entre le moderne et l'ancien, les couleurs étaient légèrement délavées et les miroirs accrochés aux murs donnaient une sensation d'infini à la salle de réception. Les tables étaient couvertes de nappes d'un blanc immaculé et les couverts en argent semblaient luire à la lumière des lampes allumées dans la pièce. Ils s'installèrent à leur table réservée, quelques couples autour d'eux semblaient déjà installés et plongés dans de quelconques conversations, à peine couverte par la musique de jazz d'ambiance.

« Quel endroit incroyable. » s'extasia Félix après avoir été installé sur sa chaise par le maître de salle. Il observait les alentours comme s'il n'avait jamais pu goûter à un pareil luxe. « Merci de m'emmener ici, je pensais que nous allions dans un restaurant plus... modeste. Si j'avais su je me serais habillé autrement... »

« Tu es parfait comme tu es. » le coupa aussitôt Chan avant de tendre la main pour prendre celle de son cadet dedans. « Ne te dénigre pas, tu es parfait dans ce décor. »

Les joues rosées de Félix suffisaient pour lui servir de réponse. Il doutait du bien fondé de sa mission. Comment un garçon comme lui pouvait être mêlé au gang ? Comment le Souverain des Scorpions pouvait imaginer un seul instant que cet ancien étudiant, fraîchement diplômé, qui n'avait jamais côtoyé son frère ou son père était relié de quelque manière que ce soit à ces histoires ? Chan n'aimait pas douter. Il avait enlevé des dizaines de personnes sans sourciller, il avait tué des hommes et des femmes en les regardant droit dans les yeux, il avait torturé des flics véreux et pousser à la prostitution des gamines à peine majeures. C'était la première fois de sa vie qu'il doutait.

Il commanda une bouteille de champagne d'Armand de Brignac ainsi que des petits fours frais. Félix semblait abasourdi par le luxe qui l'entourait et dont il jouissait à cet instant. Chan choisit pour lui son menu : une assiette d'ormeaux, des pinces de crabes royaux accompagnées par des œufs pochés au caviar Almas ainsi que des tians d'anciens légumes. Le jeune homme en face de lui l'observait d'un air curieux, après être resté un instant devant la carte du restaurant où aucun prix n'était affiché.

« Chris, tu n'es pas obligé tu sais... » murmura son cadet lorsque le serveur s'éloigna après avoir débouché le champagne. « Je suis très content déjà de passer du temps en ta compagnie. »

« Tu traverses une période difficile, alors autant que je puisse te gâter comme tu le mérites. » répondit Chan en esquissant un léger sourire.

L'air embarrassé de Félix laissa bien rapidement place à l'émerveillement après quelques gorgées d'alcool. Le jeune homme babillait énormément, dévoilait sa vie personnelle, les détails de ses études, le nom d'autres de ses amis... la façon dont il avait été élevé, grandit avec sa mère aimante. Jamais il n'abordait le sujet de son frère et encore moins de son père. Il semblait avoir totalement occulté cette partie de l'histoire. Ils prirent le temps de savourer les mets délicats du restaurant. Même si Chan était perturbé par les questions qui bousculaient son esprit, il tentait de garder son masque joyeux. Quelque chose clochait, il allait devoir en parler avec le Souverain des Scorpions rapidement.

Pour le dessert, malgré les suppliques de Félix pour ne pas en prendre, l'homme de main commanda deux pavlovas. Lorsque les assiettes arrivèrent devant eux, où une couche de meringue d'un blanc éclatant était surmontée de framboises, de fraises, de myrtilles et de groseilles, les yeux du jeune homme s'ouvrirent béatement. Chan avait facilement deviné le côté bec sucré de son cadet... Il se surprit même à être attendri par son expression conquise lorsque Félix glissa une cuillère pleine de meringue fondante dans sa bouche.

C'était une erreur.

« Tu en as un peu ici. » lança Chan par dessus la table, en tendant la main pour essuyer le coin des lèvres du jeune homme où du sucre glace s'était étalé. « Tu aimes ça ? »

« C'est excellent. » répondit aussitôt Félix, lui offrant un sourire amusé. En guise de réponse, il déposa un léger baiser sur le pouce de son aîné. « C'est léger et délicat, parfait après un repas digne d'un prince. »

« Il a été créé en hommage à une ballerine. » souffla l'aîné sans le quitter des yeux. « Il est tout aussi léger qu'elle d'après la légende. »

« Comme c'est romantique ! » s'exclama le jeune homme avant de se mordre la lèvre inférieure. Son expression se figea légèrement. « Vraiment, je trouve ça romantique... »

Chan ne pouvait que savourer cet instant. Et s'il se faisait avoir ? Félix n'était pas la première beauté à couper le souffle qui avait les mains pleines de sang. Se doutait-il de quelque chose ? Même s'il était nerveux, l'homme de main tâcha de dissimuler ses émotions derrière un voile. Après avoir finit de déjeuner, il régla la note sans sourciller et quitta le restaurant en compagnie de son cadet. Ce dernier se pendit à son bras aussitôt, les yeux étincelants de joie et de reconnaissance.

« Merci pour ce repas incroyable. » confessa t-il avant de poser ses lèvres sur sa chemise pour embrasser son épaule à travers le tissu. « Tu sais... Je te trouve très attirant, et si jamais tu as envie qu'on garde contact après ces vacances... »

Mentir n'était rien. C'était même la base de tout dans le monde dans lequel il évoluait. Chris avait beau être un de ces véritables noms, il n'en restait pas moins une couverture faite pour abuser de la confiance de Félix. Ce garçon aux allures d'ange et dont l'aspect semblait déteindre de sa personnalité : même s'il l'avait clairement provoqué pour le faire tomber dans un jeu de séduction, il n'était rien de plus qu'un jeune homme banal. Chan ne pouvait pas imaginer un seul instant que ce garçon puisse être autre chose que ce qu'il laissait paraître.

« Si j'ai le plaisir de te découvrir étendu dans mes draps avant la fin de ce séjour, j'y réfléchirais. » décida t-il de répondre en se penchant vers son cadet pour offrir un sourire amusé. « Et ça sera avec plaisir. »

Félix semblait être prit de cours, mais il retrouva bien rapidement son sourire également. Il se dégagea de la poigne du jeune homme pour le prendre par la taille et le tenir contre lui. Malgré la chaleur de l'été étouffante autour d'eux, Chan ne pouvait pas laisser son emprise s'étioler un seul instant.

« Qu'as tu prévu de ta journée ? » reprit l'homme de main en refermant ses doigts sur la taille fine du jeune homme.

« On a une excursion prévue avec Seungmin et Jisung dans les îles aux alentours. » expliqua Félix avec une moue sur le visage. « Tu veux venir avec nous ? »

« J'ai du travail à faire cet après-midi et dans la soirée. » soupira Chan d'un air faussement ennuyé : il se devait de provoquer l'attente. « Mais demain que dirais-tu de prendre le déjeuner ensemble à l'hôtel ? »

« Mhm, seulement si tu m'invites dans ta chambre. »

Chan sentit de nouveau la pointe d'intérêt piquer son égo. Il contempla un instant son cadet, son air mutin et ses joues rosées. Félix semblait avoir rapidement prit sa décision concernant le fait ou non de coucher avec lui pour soit-disant garder contact après ce séjour paradisiaque.

« Alors je t'invite dans ma chambre, demain pour le déjeuner. » répondit Chan en se penchant à son oreille pour lui murmurer ces quelques mots. « Et je te préviens : tu n'en ressortiras pas avant d'avoir avalé tout ce que j'ai à t'offrir. »

Le souffle tremblant qui s'échappa de Félix emplit son aîné d'une satisfaction malsaine. Alors qu'il allait se redresser, Chan eu la surprise de sentir son cadet l'attraper par le col pour l'embrasser en pleine rue.

Sous le soleil incandescent de l'été, sur ce trottoir brûlant où les badauds se pressaient pour se mettre à l'abri de la canicule, l'homme de main se sentit envahit d'une sensation de contrôle total. Félix était pliant sous ses doigts, et pourtant ce fut le jeune homme qui voulu approfondir l'embrassade en glissant sa langue contre la sienne. Il avait encore le goût de la meringue et des fruits rouges sur son palais, et Chan fut incapable de retenir la plainte dans sa gorge.

Mêler plaisir et mission était sa deuxième erreur, il le savait.

En se séparant de son cadet, il contempla ses joues rosies par le champagne et par leur baiser. L'aîné fut déstabilisé en constatant à quel point il désirait Félix. Il était tout ce qu'il avait perdu... A moins qu'il ne cachait son jeu divinement bien. Chan eu bien du mal à ne pas empoigner les cheveux de la créature à ses côtés pour le guider dans une nouvelle embrassade. C'était à lui de créer l'attente et l'envie, pas l'inverse... Le sourire de Félix en disait long sur ton état de plénitude.

« Je te ramène à l'hôtel, et tu es sage jusqu'à demain d'accord ? » chuchota t-il au creux de son oreille.

« O-oui. » murmura son cadet, se pliant enfin à sa volonté.

Satisfait, Chan reprit le chemin de l'hôtel avec son cadet sous son bras. Le jeune homme était silencieux, mais l'homme de main sentait dans l'avidité de Félix : le garçon semblait être sous son charme. L'aîné aurait aimé le conduire jusqu'à sa chambre pour s'enivrer de nouveau d'un baiser, mais il fut surpris de retrouver les deux amis de son cadet l'attendant dans le hall de l'hôtel. Ils semblaient assez suspicieux en l'observant alors qu'il leur ramenait Félix. Il fallait endormir leur vigilance pour faciliter la suite des opérations. Après quelques politesses, Chan se décida à laisser son cadet pour la journée, non sans une dernière caresse le long de ses hanches.

Il avait besoin de précisions.

Le comportement de Félix ne laissait rien transparaître de potentielles suspicions à son égard. C'était un jeune homme banal, diablement beau et tentateur. D'apparence, il ne représentait aucune menace. Il avait son quotidien, bouleversé par ces vacances estivales dans un cadre paradisiaque, tout semblait s'articuler autour de sa mère ainsi que de ses amis. Chan prit le chemin de sa chambre. Il avait besoin de contacter le Souverain des Scorpions.

Une fois enfermé à double tour dans son repaire, l'homme de main ferma également les rideaux pour se cacher du soleil et sortit son ordinateur portable de sa cachette. Nerveusement, il alla se laver les mains le temps de l'allumage et s'observa un instant dans le miroir de la salle de bain. Il avait lui aussi les joues rosies par le champagne, il pouvait le percevoir malgré son maquillage. Au coin de ses lèvres reposaient quelques poussières de meringue à cause du baiser échangé avec Félix.

Il voulait tout contrôler, mais son cadet le perturbait bien plus qu'il n'aurait souhaité l'admettre.

Chan retourna dans la chambre et vérifia la sécurité de son ordinateur avant de commencer quoi que ce soit. Une fois relié à une connexion cryptée, il commença à consulter ses diverses applications. Il fut surpris de voir un message du Souverain des Scorpions laissé lui même quelques heures plus tôt.

Appelle-moi dès que possible.

En quelques minutes, l'homme de main récupéra les écouteurs dans la mallette cachée dans la salle de bain et s'installa pour appeler son patron en visioconférence. Il baissa le son pour qu'aucun micro potentiel ne capte quoi que ce soit. La sonnerie retentit à plusieurs reprises avant que son chef n'accepte enfin l'appel.

Chan vit son retour dans la caméra, son teint de peau à peine halé, sa tenue propre et bien repassée. Lorsque le Souverain des Scorpions s'afficha à l'écran, il inclina par réflexe sa tête pour le saluer. C'était un homme d'une soixantaine d'années, aux épaules carrées et au crâne rasé. Ses bijoux d'or illuminaient son cou et les lunettes vissées sur son nez lui donnaient un air d'homme d'affaire rangé et sérieux. Quelle ironie.

« Bonjour Loup. » lança t-il d'une voix éraillée par le tabac à outrance. « Que donne ta mission auprès du garçon ? »

« Bonjour Souverain. » répondit Chan, une légère boule au fond de son ventre. « Elle avance, tout se passe bien jusqu'à maintenant. »

« Pourquoi sollicites-tu un appel ? » enchaîna aussitôt le Souverain des Scorpions d'un air surpris. « Aurais-tu besoin de renfort pour emmener ce garçon discrètement ? »

Remettre en question son chef, c'était la désobéissance. Les règles étaient simples dans la mafia. La dévotion absolue et aucun doute envers sa hiérarchie, sans cela, le chaos s'installait et il était évident que les rênes du pouvoir risquaient de se briser. Mais Chan était un ancien membre du gang, il avait l'expérience, il n'avait jamais rien remis en doute... et surtout il avait toujours obéit comme un chien aux règles. Le Souverain des Scorpions lui prêtait une oreille attentive en cas d'hésitation, et jusqu'à ce jour, Chan avait toujours été de bon conseil.

« Je ne pense pas que Lee sache vraiment tout. » concéda à expliquer l'homme de main, le doute baignant sa langue désagréablement. « Je n'ai rien senti chez lui qui trahissait quoi que ce soit. »

S'il n'arrivait rien à déceler chez Félix, ce n'était pas le cas chez son chef. Ce dernier resta silencieux quelques instants avant de soupirer.

« Son père a fait buter trois gars à nous en faisant sa descente au laboratoire de speed de Bucheon. » rappela le Souverain des Scorpions. « Il a foutu son fils aîné dans le tas sans réfléchir, tout ça parce qu'il a trop confiance en sa dynastie de bâtards. Il se pense invincible. »

« Mais ce fils là ne semble rien savoir. » insista Chan, sentant qu'il s'engageait sur une piste glissante. « Il n'a vu son père qu'une fois et semble jamais n'avoir... »

« Le Monarque des Corbeaux a son droit du sang. » le coupa aussitôt son chef d'un ton sévère. « Qu'il ne voit pas ses gosses ne lui empêche pas de les revendiquer pour les enrôler le moment venu. Et à ce moment là, ça sera lui qui te foutra un flingue sur la tempe, pas l'inverse. »

Chan déglutit péniblement.

Félix était le fils du Monarque des Corbeaux, le chef du gang rival au Souverain des Scorpions. Connu pour avoir des enfants à travers tout le pays, il n'était pas rare d'en prendre un au hasard pour le mettre à des postes clefs de son organisation. Si les Scorpions se complaisaient dans le trafic de drogues et d'êtres humains, les Corbeaux s'occupaient des armes et des faux papiers. Mais depuis quelques années, ces oiseaux de mauvaise augure grignotaient du terrain. Les Scorpions se devaient de se défendre. Écarter les descendants, faire pression sur le Monarque pour le faire chuter.

« Il nous faut ce garçon pour faire pression sur son père. » reprit son chef plus calmement. « On doit le réduire à néant. On a déjà fait l'erreur de plomber son gosse aîné, et je ne sais pas combien de ses bâtards il est capable de sacrifier avant qu'il ne comprenne qu'il ne peut rien contre nous. »

« Et s'il ne sait rien, qu'est ce qu'on en fera ? » demanda Chan, une sensation étrange serrant sa gorge. Il haïssait l'idée de remettre en question son propre patron.

« ça fait longtemps que tu n'as pas eu d'apprenti à former. » déclara le Souverain des Scorpions. « Si après quelques phalanges en moins il n'avoue rien, il aura tout loisir de devenir un chien obéissant, ou ta pute. C'est toi que ça regarde. »

Avant de pouvoir rétorquer quoi que ce soit, Chan contempla l'écran noir devant lui. Son chef venait de couper la conversation.

L'homme de main prit soin de couper la communication et de fermer son ordinateur avant de soupirer lourdement. Il n'allait pas avoir le choix. S'il n'emmenait pas Félix, il risquait sa propre vie au sein de son gang et d'autres hommes de main, bien moins compréhensifs et plus directifs, allaient l'enlever. S'il concédait à emmener le jeune homme... Il allait certes être reçu comme le meilleur membre des Scorpions en vendant le descendant du Monarque aux siens, mais il n'était pas certain de l'utilité de cette action. Bien que sa morale fut brisée des années auparavant, il restait cet éclat d'humanité en lui qui hurlait à quel point Félix était un innocent.

Chan resta un long moment assis dans son fauteuil, les mains croisées sur son ventre à contempler son ordinateur éteint. Il ne trouvait aucune issue à cette histoire. Tout ceci n'était qu'un faux choix. Il n'allait pas pouvoir lutter contre sa propre organisation, malgré l'évidente innocence du fils Lee. Après un nouveau soupir, il régla les écouteurs pour tenter d'espionner la chambre des garçons. Mais il n'y avait rien, ils devaient être encore en expédition pour la journée.

L'homme de main décida de s'entretenir. Il se débarrassa de ses vêtements afin de faire quelques exercices de respiration, d'étirement. Il vérifia le contenu de sa mallette à plusieurs reprises et prit une longue douche où il perdit le fil du temps. Il n'avait plus le choix. Ses remises en question au Souverain des Scorpions avaient probablement alerté ce dernier et il ne pouvait plus se permettre le moindre faux pas.

Il en eu la confirmation le lendemain matin seulement.

Après une soirée dans le calme de sa chambre, Chan fut surpris de recevoir un message sur son téléphone relié au gang. Un message d'un des membres des Scorpions lui demandait de descendre sur le parking extérieur. Il était à peine 7h du matin, la plupart des clients de l'hôtel devait encore dormir ou alors rentrer de soirée après avoir dansé toute la nuit. Suspicieux, l'homme de main s'habilla sommairement afin de ne pas attirer l'attention. Il prit néanmoins le temps de récupérer son arme à feu dans la mallette cachée et de la glisser dans l'arrière de son pantalon par sécurité. Remettre en question les décisions du Souverain n'avait pas été le comportement le plus avisé, et il voulait être capable de se défendre contre les siens si jamais la situation venait à s'envenimer. Après avoir chaussé des lunettes de soleil sur son nez et enfilé une chemise en coton assez épaisse pour cacher son dos, Chan prit le chemin du parking extérieur.

Comme il l'avait imaginé, le complexe hôtelier était encore vide à cette heure si matinale. Il descendit jusqu'à l'accueil, saluant d'un geste de la main les deux hôtesses aux sourires artificiels, avant de prendre la porte menant au parking visiteurs. Il y avait quelques véhicules, mais Chan reconnu bien rapidement celui appartenant aux Scorpions. Il s'agissait d'une voiture assez sportive et spacieuse, d'un noir anthracite. La nervosité fit un aller retour dans la gorge de l'homme de main. Il s'approcha du véhicule l'air de rien et s'empêcha de contracter les poings en voyant deux personnes en sortir.

Il s'agissait de deux hommes, d'une trentaine d'années l'un et l'autre. Ils portaient tous les deux des chemises noires sobres, sans fioriture. Leurs yeux étaient cachés par des lunettes teintées. Chan était donc incapable de lire leurs expressions.

« Qu'est ce que vous foutez là ? » lança t-il sans préambule, s'arrêtant à quelques mètres des deux hommes de main qui échangèrent un regard.

« On doit récupérer le paquet. » répondit l'un des deux sans hausser le ton. « Ordre de là-haut. »

« Je l'ai eu hier et j'ai assuré que j'avais la situation bien en main. » rétorqua Chan sans se dégonfler : ces deux là étaient encore jeunes dans l'organisation, ils n'avaient aucun pouvoir sur lui. « Maintenant dégagez avant de vous faire voir. »

Les deux hommes de mains échangèrent de nouveau un regard. Chan savait qu'il y avait probablement des caméras sur le parking et il ne pouvait clairement pas parler trop fort. Un badaud dans la rue pouvait passer, et il ne fallait prendre aucun risque.

« On doit le récupérer dans la matinée. » reprit celui de gauche d'un air convaincu.

Chan sentit son sang ne faire qu'un tour. Il s'approcha du Scorpion afin d'attraper sa main et la tordit aussitôt dans un angle qu'il savait particulièrement douloureux et sensible. Aussitôt, il glissa sa main dans son dos et attrapa la crosse de son arme à feu sans pour autant la dégainer. Le second homme de main resta tétanisé sur place en voyant son collègue s'empêcher de se mettre à crier pour ne pas attirer l'attention. Chan glissa alors son pouce le long de sa main et appuya fortement entre les articulations de ses doigts, faisant se tendre l'homme à ses côtés.

« Je vais me répéter une seule et unique fois. » se mit-il à gronder assez bas pour ne pas se faire entendre. « Vous allez reprendre votre caisse de merde et vous allez vous tirer. J'ai la situation en main, et ça serait dommage que je décore le trottoir de vos putains de crânes sans que je puisse exfiltrer la cible avant. C'est clair ? »

Son ton n'appelait en rien à la réplique. L'homme dont il tordait la main hocha frénétiquement la tête, mais sans réponse de la part du second, Chan fit pression sur l'articulation du Scorpion. Lorsqu'un léger craquement se fit entendre et que l'homme retenait un cri de toutes ses forces, son collègue daigna enfin ouvrir la bouche.

« OK, ok c'est très clair. » lâcha t-il, le teint étrangement pâle. « On se tire. »

« Ravi de voir que vous êtes raisonnables. »

Chan relâcha la pression aussitôt et exposa ses deux mains libres, signe qu'il n'était pas armé. Il offrit aussitôt un sourire aux envoyés du Souverain en hochant la tête.

« Je le ramènerais, maintenant allez vous occuper de votre cul avant que je décide de le plomber. » grogna t-il.

Les quelques mots eurent un effet dévastateur : les deux hommes de mains se ruèrent dans la voiture sans demander leur reste. Chan s'écarta afin de leur laisser la place de s'en aller et ne décida de quitter le parking que lorsque la voiture disparu de son champ de vision. Il ne savait pas où une telle insubordination pouvait aller. S'il arrivait à ramener Félix sans trop de résistance, son chef allait certainement passer l'éponge sans chercher à en savoir plus. L'ancienneté primait dans ce monde où la longévité était signe de puissance. Chan était assez vieux et respecté pour faire taire des jeunes abrutis comme contre lesquels il venait d'être confronté. Il tiqua un instant et décida qu'il était largement assez temps de regagner sa chambre pour son petit déjeuner.

Il n'était pas certain de vouloir ramener Félix à l'organisation.

Il ne croisa personne dans le hall et s'enferma dans son repaire bien rapidement. Il commanda son petit déjeuner et décida de ranger la chambre de fond en comble. La visite de Félix allait être dans quelques heures, et il comptait bien enfermer encore plus le jeune homme dans son piège. Il allait prendre son corps, réduire en miettes ses derniers doutes, instaurer cette relation de confiance apparente... Et il allait lui proposer de passer les prochains jours dans une de ses résidences secondaires pour avoir plus d'intimité. Faire miroiter quelques levés de soleil dans ses bras, dans une maison splendide où ils seraient rien que tous les deux. Cela lui laissait quelques jours avant que les amis de Félix ne s'inquiètent de sa disparition. D'ici là, le sort du jeune homme allait être fixé...

Malgré tout, Chan sentait la culpabilité le ronger. Son cadet n'y était pour rien dans cette mascarade, et tout le prouvait. Il restait le fils du Monarque des Corbeaux, pour autant il n'était en rien rattaché à ses activités criminelles. Se posait alors le dilemme pour l'homme de main.

Comment faire ?

Prévenir Félix de son sort n'était pas une option possible sans risquer sa propre vie. Il ne pouvait pas se permettre de se mettre en danger à ce point : le jeune homme n'était pas le premier innocent dont la vie allait être réduite en cendres à cause de la mafia. Mais Chan avait apprit à le connaître au fil des heures passées en sa compagnie. Il ne pouvait pas nier qu'imaginer le destin de Félix n'allait qu'être un chemin plein d'embûches à l'instant même où il allait grimper dans la voiture aux côtés de Chan.

A force de réfléchir, les heures se mirent à défiler. Avant le déjeuner, le Loup prit une douche et s'apprêta comme à son habitude pour son rendez-vous en compagnie de son cadet. La chambre était impeccable, comme si un agent d'entretien était passé lui-même, et toutes ses affaires susceptibles de provoquer le doute étaient soigneusement rangées dans le faux plafond de la salle de bain. Se sentant comme un animal en cage, Chan ouvrit une de ses fenêtres et consulta le menu du service de chambre. Il allait pouvoir commander de quoi déjeuner, même s'il ne doutait pas un instant de la façon dont allait se dérouler l'après-midi.

Mais Félix ne venait pas.

Les doutes commencèrent à s'installer assez rapidement dans l'esprit de Chan. Est-ce que le jeune homme avait oublié leur rendez-vous ? Est ce qu'il était simplement en retard ? L'homme de main attrapa bien rapidement son téléphone à carte prépayée afin de contacter Félix, mais l'appel sonna dans le vide. Au bout d'une dizaine de minutes sans nouvelles, Chan hésita à quitter la chambre pour partir à sa recherche.

Ce n'était qu'une dizaine de minutes, mais compte tenu de la visite qui s'était déroulée le matin même, il redoutait une nouvelle visite d'hommes de main du Souverain des Scorpions. Félix était naïf, peut-être s'était-il fait aborder par ces types qui l'avaient convaincu de le suivre ? Le jeune homme semblait prêt à suivre quiconque irait brandir une insigne de police un tant soit peu réaliste. Un goût amer dans la bouche, Chan tenta de nouveau d'appeler son cadet.

Mais rien.

Il tenta d'attraper les écouteurs dans la mallette cachée dans la salle de bain. Mais il n'entendit que les deux amis de son cadet échanger sur tout et rien dans le petit salon. L'homme de main décida alors d'enfiler ses chaussures et de se rendre dans un premier temps à la suite où se trouvaient le trio d'amis. Il s'observa une dernière fois dans le miroir avant de descendre jusqu'au bon étage. Même s'il ne s'était rendu qu'une fois sur place, il connaissait ce couloir sur les plans par cœur. Chan ignora les quelques clients de l'hôtel qui passèrent à côté de lui et trouva rapidement le bon numéro de chambre. Il toqua à la porte et pria l'espace d'un instant que Félix s'y trouvait bien...

Aussi, il fut très surpris de voir un des amis de son cadet ouvrir. Il s'agissait de Seungmin. Ce dernier était habillé de façon décontractée, avec un short et un simple tee-shirt, et l'observait d'un air méfiant. Chan sentit sa langue frôler ses dents. Il devait se maîtriser.

« Bonjour, Félix est-il ici ? » demanda t-il d'une voix calme.

« Bonjour Chris, non désolé il a quitté la chambre il y a deux heures je dirais. » répondit Seungmin sans pour autant s'écarter de l'encadrement de la porte.

Le corps de Chan se tendit aussitôt. Il observa le jeune homme face à lui. D'ordinaire les gens baissaient rapidement les yeux, mais Seungmin restait droit et fier. L'aîné se mordit la langue un instant. Il fallait absolument retrouver Félix.

« Est-ce que tu peux l'appeler pour savoir où il se trouve ? Il ne me réponds pas. » expliqua t-il alors en essayant de ne rien laisser paraître.

« J'suis pas sa mère, il fait bien ce qu'il veut de sa vie. » rétorqua aussitôt le jeune homme avec un air contrarié. « S'il avait envie de te répondre, il l'aurait déjà fait. »

Lorsque la porte de la chambre claqua face à lui, Chan sentit son sang se mettre à bouillir dans ses veines. Seungmin n'était qu'un merdeux, et il se sentit à deux doigts de pousser la porte de la suite pour entrer de force et vérifier si Félix n'était pas dans la chambre. Mais il entendit le cliquetis du verrou et dû se résoudre à se détourner de la porte.

C'était une catastrophe.

Si Félix s'était fait prendre par d'autres hommes de mains des Scorpions, il allait être forcément mis en première ligne si les amis du jeune homme signalaient sa disparition. Chan retourna rapidement à sa chambre pour vérifier si son cadet ne s'y trouvait pas, mais il ne le vit pas.

Il décida alors d'écumer le complexe hôtelier. Son téléphone vissé à l'oreille, appelant en boucle le numéro de Félix afin de le contacter, la sonnerie finit par s'arrêter directement sur le répondeur du jeune homme. Chan explora le moindre recoin de l'hôtel : la piscine, le spa, les différents bars à tous les étages, la boite de nuit fermée à cette heure-ci, la salle de restauration... Mais aucune trace de Félix. Le jeune homme était introuvable dans tout le complexe.

Chan hésita un instant à retourner à sa propre chambre. Par réflexe, il décida de vérifier le parking où il était passé le matin même. Il n'y avait aucune trace du gang des Scorpions. La colère commença à bouillir en lui de façon incontrôlable. Il décida alors de retourner à la suite du trio en passant à l'arrière de la salle de restauration. Alors qu'il longeait un des chemins dallés, entouré par quelques arbustes pour cacher la sortie des cuisines, Chan s'arrêta net.

Au niveau de la porte d'accès des cuisines se trouvait Félix. Le jeune homme était accroupi, à moitié tourné sur le côté, et était occupé à caresser un chat. L'animal semblait être errant et sale, mais il se roulait généreusement sur le dos pour recevoir toutes les attentions du client de l'hôtel. L'homme de main sentit un immense soulagement envahir ses veines. Félix était bien là, bien vivant et bien portant, simplement occupé à caresser un chat abandonné. Chan décida de s'approcher alors doucement, toute la rage accumulée dans son ventre venait de fondre comme neige au soleil.

Pourtant, à peine fut-il arrivé à quelques pas de son cadet que celui-ci se tourna vers lui brusquement. Contrairement à ce qu'il aurait pu imaginé, Félix se releva d'un bond, faisant sursauter le chat errant qui prit la fuite aussitôt dans les fourrés environnants. Jamais Chan ne l'avait vu si surpris et si mécontent. N'ayant aucune idée de ce qu'il s'était passé, l'homme de main tenta sa chance.

« Félix... » commença t-il pour tenter d'apaiser le jeune homme. « Je t'ai attendu longtemps et je t'ai appelé des dizaines de fois... »

« Ne t'approche pas de moi. » cracha aussitôt son cadet en se tournant totalement vers lui, l'air bien plus alerte. « Qui tu es réellement hein ? »

Pris au dépourvu, Chan arrêta de s'avancer. Qu'est ce que savait désormais Félix sur lui ? L'aîné prit le temps de décrypter le visage de son cadet : il le connaissait peu mais lisait en lui comme dans un livre ouvert. Bien qu'il voyait la méfiance dans son visage, il voulait également à quel point son cadet était tiraillé.

Il s'avança d'un pas.

« Voyons, qu'est ce que tu racontes ? » demanda t-il sans quitter Félix des yeux. « Je ne comprends pas ce qu'il se passe. »

« Je t'ai vu ce matin, dans le hall et sur le parking. » rétorqua le jeune homme d'un ton sec et sans appel. « C'était qui ces types ? »

La mâchoire de Chan se contracta aussitôt. Il n'avait pas été assez prudent. Lui d'ordinaire méfiant avec son environnement, il n'avait même pas remarqué son cadet dans le hall de l'hôtel. L'endroit lui avait semblé vide, et il n'aurait jamais imaginé que Félix puisse se trouver à cet endroit en cet instant même. L'homme de main tâcha de rester calme et froid, il fallait jouer le jeu et surtout ne pas alerter son cadet.

« Ce sont des subordonnés de travail de passage en ville pour un meeting. » justifia t-il en faisant un pas de plus. « Ils ont voulu me saluer avant de devoir aller à leur propre hôtel. »

« Tu menaces tes collègues maintenant ? » souffla Félix, soutenant son regard. « Ne me prends pas pour un idiot Chris, j'ai déjà remarqué des choses bizarres sur toi. Tes mains, tes cicatrices, t'es juste un vieux mec qui traîne dans de sales affaires. »

Les doigts brûlés à l'acide chatouillèrent presque Chan sous cette réflexion. Rarement le souvenir de la brûlure du tatouage sur son cœur l'avait tant frappé. Félix était un innocent et il allait provoquer sa chute s'il continuait à suivre aveuglément les ordres du Souverain des Scorpions. Tiraillé, l'homme de main ouvrit de nouveau la bouche pour se justifier, mais son cadet le coupa net.

« Si tu es incapable de répondre quoi que ce soit, c'est que j'ai raison de me méfier. » grogna t-il avant de pointer un doigt accusateur sur son aîné. « Efface mon numéro, fous-moi la paix. »

Ce fut terriblement difficile pour Chan de ne pas franchir la ligne rouge. D'attraper Félix par le col, de le maîtriser, et de filer jusqu'à sa voiture pour l'enfermer dans le coffre sans hésiter. Ils avaient beau être en retrait dans le complexe, il devait y avoir des caméras de surveillance partout et il fallait éviter à tout prix d'attirer les soupçons davantage sur lui. Il fit alors un dernier pas en avant, levant un regard sombre sur le jeune homme qui se figea aussitôt.

« Et si jamais je traînais dans quelques affaires, ça t'empêcherait vraiment de m'appartenir ? » demanda t-il en plongeant ses yeux dans ceux de Félix. Ce dernier le contemplait avec des rougeurs aux joues. « Est-ce que ça m'empêcherait de bien m'occuper de toi ? »

Lentement, comme pour ne pas effrayer l'animal sauvage qu'était son cadet à cet instant, Chan leva sa main et la glissa lentement le long de la taille du jeune homme. Il en savoura la finesse sous ses doigts, leur fermeté, avant d'enfoncer son pouce dans la chair offerte. Le soupir qui quitta les lèvres de Félix lui donnait envie de sourire. Il était déjà à lui, il ne pouvait plus lutter. D'une manière ou d'une autre, ce jeune homme était déjà prisonnier sans le savoir.

Pourtant, alors qu'il allait avancer sa seconde main pour attraper le menton de sa proie, Chan sentit sa poigne lui échapper. Félix se dégagea de lui, les joues écarlates et l'air perdu. Il semblait si fragile avec ses cheveux blonds et ses lèvres entrouvertes, tentatrices. La possessivité écrasa le cœur de l'aîné des deux. Il le voulait et risquait de le perdre.

« Laisse-moi tranquille. » lança faiblement le jeune homme, avant de détourner le regard et de le fuir.

Chan décida de le laisser partir.

Lui aussi était désormais en proie à un dilemme.

Alors que la silhouette de Félix s'éloignait de lui dans le petit chemin, Chan serra le poing fermement. Il allait devoir faire un choix crucial, le choix de toute une vie...

Il était convaincu de l'innocence de son cadet. Il n'avait rien à voir avec son père, avec le gang des Corbeaux, il n'était rien de plus qu'un pion innocent perdu dans une bataille qui n'était pas la sienne. Comment faire alors ? Pourquoi condamner cette pauvre âme à la damnation en le forçant à intégrer les Scorpions ? Il allait se faire briser, se faire torturer pour se faire extorquer des informations... avant de finir comme une simple chienne au service de Chan. Lui ne voulait pas ça. L'idée même que l'air joyeux de Félix disparaisse le dégoûtait. Mais comment faire pour convaincre son propre chef ? Comment faire pour sortir de cette impasse ?

Et s'il révélait tout à Félix ?

S'il lui expliquait tout et lui demandait ce que lui désirait ? Peut-être que le jeune homme serait terrifié, mais au moins il serait au courant. Il pouvait tenter de fuir, et Chan pouvait toujours accuser le coup auprès de son chef. Il pouvait également tenter d'orienter une autre piste afin d'accorder du répit à Félix, qu'il s'éloigne du pays un temps, pour se faire oublier...

Chan n'avait personne à qui demander un avis. Il avait toujours été seul toute sa vie.

En retournant dans sa chambre, l'homme de main se laissa prendre par le tourbillon de ses pensées. Cette sensation de se noyer dans un torrent le prit violemment à la gorge. Comment faire ? Embrigader des innocents avait été son pain quotidien pendant des années. Il n'avait jamais sourcillé lorsqu'il devait enlever des filles à des pères mauvais payeurs, il n'avait jamais cédé face aux suppliques des enfants éplorés pour épargner leurs parents... On pouvait le supplier, lui ne répondait jamais rien si ce n'était un regard froid et dur sur les victimes de son organisation.

Mais pour Félix, c'était différent.

Félix était venu face à lui, charmeur comme le serpent de la tentation, les lèvres au goût de miel et la mine éperdue dès qu'il croisait son regard. Il était un rayon de soleil, l'innocence pure et la décadence d'un jeune homme dans sa vingtaine. Banal et pourtant si unique dans son genre, il voulait s'amuser et profiter de sa vie, draguer des mecs en vacances pour oublier son quotidien morose. Connaissant peu sa famille, la seule personne qui comptait à ses yeux était une femme détruite par le père de ses fils, dont un avait fini plombé lors d'une descente d'un laboratoire clandestin. Chan s'était sentit puissant au début, mais il s'était aussi rendu compte à quel point le jeune homme l'avait déstabilisé.

Pour la première fois de sa vie, Chan remettait en doute les agissements de son Souverain.

Le goût désagréable de la trahison dans la bouche, il s'enferma dans sa chambre toute la journée. Tel un loup en cage, il fit les cent pas dans son repaire, avant de finalement rassembler ses affaires.

Il n'avait plus le choix, il fallait agir ce soir avant que Félix ne décide de mettre les voiles.

Les écouteurs vissés dans les oreilles, l'homme de main récupéra la mallette cachée, son ordinateur, ainsi que ses vêtements éparpillés. Il rangea méthodiquement toutes ses affaires en tendant désespérément l'oreille. Aucune conversation ne vint à ses oreilles de toute la journée. Les trois garçons devaient être sortis. Pire, peut-être même avaient-ils écourtés ce séjour.

Mais Chan sentit enfin le soulagement le prendre aux tripes en entendant enfin quelques voix s'exclamer dans ses écouteurs.

« Je suis vraiment rincé. » lança la voix qu'il reconnu comme celle de Seungmin. « C'était une super balade. »

« Oui ça m'a changé les idées. » reprit la voix de Félix, l'air plus enthousiaste. « Je suis désolé, j'ai la sensation d'avoir un peu gâché les vacances avec ce mec... »

« ça arrive à tout le monde de se tromper. » s'exclama alors celui qu'il pensait être Jisung. « Il était plutôt canon pour un vieux. Maintenant il est bizarre c'est pas de ta faute. »

« Tu as envie de descendre en boite ce soir pour tenter de t'en trouver un autre ? » demanda Seungmin, faisant serrer inconsciemment les poings de Chan.

« Non, j'ai eu ma dose. » déclina cependant Félix. « Allez-y vous, je vais me faire une soirée cocooning bien au calme, j'en ai besoin. »

Alors que les deux amis du fils Lee prévoyaient leur soirée, l'homme de main s'installa assis sur le lit. C'était peut-être sa seule chance, sa dernière réelle chance, de pouvoir approcher de son cadet sans risquer d'alerter les deux autres. Il passa sa langue le long de ses dents, signe évident de sa nervosité. Dans sa chambre, sa valise était prête, sa mallette bien rangée à côté avec tout son matériel, tout était prêt pour son départ. Il allait briser son serment pour la première fois de sa vie.

Il garda les écouteurs dans ses oreilles jusqu'à ce qu'il entende enfin les amis de Félix s'en aller. Méthodiquement, il récupéra alors des colliers de serrage dans sa mallette, le double de la carte magnétique de la suite de sa cible, ses gants de cuir ainsi que son arme à feu. Il la glissa dans l'arrière de son pantalon et la camoufla en enfilant un veston. Après un soupir, Chan compta vingt minutes après le départ de Seungmin et de Jisung avant de sortir de sa propre chambre.

Les couloirs étaient vides à cette heure-ci, la majorité des gens se trouvaient probablement déjà dans la salle de réception pour le dîner, au roof-top ou encore au début de soirée dans la boite de nuit. Le soleil s'approchait de l'horizon, baignant le magnifique paysage dans des couleurs flamboyantes. Chan sentit la nervosité monter d'un cran lorsqu'il arriva au bon étage. Son sang tapait dans ses tempes et il se sentait nauséeux. Mais il n'avait pas le choix.

Devant la suite, il enfila ses gants, prit le double de la carte magnétique et déverrouilla la porte. Le cliquetis se fit à peine entendre et Chan se glissa dans la chambre aussitôt pour refermer derrière lui. La petite entrée était plongée dans la pénombre, l'homme de main tendit aussitôt l'oreille.

La télévision semblait fonctionner dans une des chambres de la suite. A pas de loup, il avança dans la première pièce. Il s'agissait d'un salon richement décoré, là même où il avait posé son micro sous la table basse proche de la baie vitrée. Chan continua, ignorant sa transpiration qui collait à son front malgré la climatisation. Il fallait rapidement trouver Félix et tout lui expliquer.

En avançant dans les pièces, il se rendit compte qu'une douche fonctionnait dans une des salles de bain. L'homme de main s'approcha alors pour vérifier. En quelques pas, il s'approcha de la porte grande ouverte de la pièce et contempla alors la vision qui s'offrit à lui : Félix était bien là, nu comme au premier jour, sa belle beau tannée trempée par l'eau et ses cheveux blonds cascadant sur ses épaules. Le jeune homme prenait une douche brûlante, dos à la porte de la salle de bain, sans prêter attention à quoi que ce soit. Chan se sentit comme un prédateur en se collant contre le mur attenant. Mais il n'avait pas le choix. Immobiliser son cadet dans la salle de bain risquait de le faire chuter et de le blesser. Ce n'était pas le but.

Alors, l'aîné attendit. Il attendit que Félix coupe l'eau. Il entendit son long soupir avant qu'il ne daigne sortir de la cabine de douche. Le jeune homme resta un moment dans la salle de bain, pour se sécher et probablement s'entretenir. Pendant tout ce temps, Chan resta collé au mur en embuscade sans un mot, et contrôlant sa respiration pour ne pas se faire entendre.

Lorsque son cadet émergea de la salle de bain, ce fut enveloppé dans un des peignoirs de l'hôtel. Ses cheveux étaient encore humides et gouttaient légèrement, mais l'homme de main ne perdit aucune seconde superflue dans la contemplation de Félix. La pulsion d'adrénaline dans son corps le mit en alerte, et comme le loup qu'il était, il se rua sur sa proie. Cette dernière n'eut pas le temps de bouger. Chan immobilisa son cadet contre le même mur où il avait attendu de longues minutes, une main gantée sur la bouche de Félix pour l'empêcher de crier. Après quelques secondes de sidération dans les yeux du jeune homme, il y lu de la terreur.

Et l'homme sentit son cœur se briser.

« Félix, s'il te plaît, tout va bien. » chuchota t-il aussitôt pour tenter d'apaiser son cadet. « Tu ne crains rien avec moi, d'accord ? Il faut que tu te calmes, il ne va rien t'arriver du tout. »

Malgré ses mots, la peur dans les yeux de Félix ne se calmait pas. Il tenta même de se débattre légèrement, une de ses mains immobilisée par celle de Chan, l'autre essayant désespérément de le repousser, mais l'aîné était plus fort. Il utilisa une de ses jambes pour le plaquer davantage contre le mur. Un des pans de son peignoir s'entrouvrit.

« Félix il faut que tu m'écoutes. » reprit Chan plus fort. Son cœur battait un rythme infernal dans sa poitrine, il ne pouvait imaginer quelle torture se devait être pour son cadet. « J'ai des choses à te dire. »

Étrangement, le jeune homme finit par se calmer. Ses yeux étaient toujours en proie à l'inquiétude, rougis par des larmes naissantes, mais au moins il ne se débattait plus. Chan relâcha alors doucement la terrible poigne qu'il avait sur le visage de Félix, libérant sa mâchoire de sa main gantée pour le faire taire. Les lèvres de son cadet étaient grandes ouvertes, mais il ne pipait mot. Il pantelait pour reprendre sa respiration.

« Je ne suis pas un homme d'affaire, tu as raison. » avoua Chan, appréhendant la suite de la conversation. « Je travaille dans le même milieu que ton père. Mais chez un autre employeur. »

« Mon... mon père ? » bredouilla Félix d'un air perdu. « Mais de quoi tu parles ?! »

« Ton père est un chef de gang. » souffla l'aîné sans quitter des yeux le jeune homme. « Il gère un empire immense sur la Corée mais aussi sur une partie de Taïwan et du Japon. C'est pour ça que ton frère est mort, c'est pour ça qu'il n'a jamais fait parti de ta vie. »

La sidération qui baigna les traits de Félix offrit un pincement au cœur de son aîné. Ce dernier sentait sa gorge se serrer : il pouvait passer pour un monstre aux yeux de n'importe qui, mais imposer cette réalité au jeune homme lui coûtait bien plus qu'il ne l'aurait imaginé. Chan tiqua, incapable de se retenir, avant de reprendre :

« Ton père provoque actuellement mon chef dans une guerre de contrôle. Il y a beaucoup de morts, que ce soit des membres des deux organisations ou de civils. » continua t-il d'expliquer.

« M-Mais c'est pas possible... » souffla son cadet, l'air désespéré.

« J'ai pour mission de t'emmener et de te donner à mon chef pour exercer une pression sur ton père... Mais je ne peux pas t'imposer ça. »

C'était une terrible marque de faiblesse que d'avouer une chose pareille. Chan n'était censé ressentir aucune compassion, aucune émotion pour quiconque. Moins il était émotif, plus il était efficace dans son travail. Femme, enfant, pauvre erre, personne n'avait pitié à ses yeux... Sauf Félix. Ce garçon avait attaqué qui il était, avec ses sourires et ses espoirs. Il le connaissait à peine et pourtant il savait qu'il ne voulait pas le condamner. Devant lui, Félix avait son air horrifié collé au visage et il semblait peiner à se retenir de pleurer.

« Qu'est... qu'est ce que tu vas faire de moi ? » demanda t-il d'une voix tremblante.

« Je ne peux pas t'emmener là dedans, tu ne sais pas dans quoi tu vas tomber et je n'ai aucune garantie pour toi. » continua Chan en relâchant enfin la pression sur les poignets de son cadet. Ce dernier referma aussitôt le peignoir qui s'était entrouvert. « Je vais partir dans la nuit et trouver une raison pour laquelle tu aurais pu m'échapper. Et toi, tu vas devoir te cacher pendant un temps, que je détourne l'attention de toi pour la mettre ailleurs. »

Chan n'avait aucune idée de la façon dont il allait procéder. Il allait devoir fouiller dans les renseignements des Scorpions, chercher une autre cible plus intéressante que Félix. C'était sa première désobéissance, l'idée même de contrarier son Souverain lui donnait des frissons d'effrois. Mais il ne pouvait pas céder sur ça, c'était impossible. Pas pour ce garçon qui avait l'air si fragile et apeuré contre lui.

Son cadet semblait accuser le coup, l'air terrifié. Il n'osait pas parler, il peinait même à garder la tête levée vers lui. Ses tâches de rousseur étaient baignées dans ses joues rouges et son air perdu donna à Chan cette poussée qui lui donna envie de le fuir. Le fuir pour le protéger au mieux. Il ne pouvait pas faire autrement.

« Je quitte l'hôtel dans la nuit, demain matin tu devras être parti. » reprit l'aîné, la mâchoire serrée. « Si ce n'est pas moins qui revient, un autre s'en chargera. Et je t'assure qu'il est préférable que tu sois caché à ce moment là. »

« P-pourquoi alors ? » chuchota Félix, comme s'il craignait que Chan ne puisse changer d'avis. « Pourquoi tu m'épargnes ? »

Les raisons étaient si futiles et si nombreuses que l'homme de main ne pouvait pas les citer. Il aurait aimé se pencher en avant, caresser cette peau gracile et déposer un simple baiser sur les lèvres de son cadet. Mais tout ceci était au dessus de ses forces. Il ne pouvait pas l'engrainer dans cette spirale de violence, sans fond, sans chute si ce n'était les pieds devant. Il risquait de le condamner. Cette idée était insupportable pour Chan.

« Ne dis rien à mon sujet à quiconque. » grogna t-il avant de reculer d'un pas. « Et sois prudent. »

Chan décida de ne rien répondre. Il se détourna du jeune homme, comme l'ombre menaçante qu'il avait été dès l'instant où il avait posé les yeux sur lui au bord de la piscine. L'homme de main fit le chemin en sens inverse dans la suite, sans prêter attention à quoi que ce soit. Après avoir récupéré le micro sous la table basse du salon principal, il quitta la chambre sans se retourner. Il ne pouvait pas. S'il concédait encore une once de son humanité à Félix, il risquait d'y laisser sa propre vie.

De retour dans sa chambre, Chan ne perdit pas de temps.

Il rassembla ses affaires, il rangea ses colliers de serrage dans sa mallette. Il ne pouvait pas attendre plus longtemps : il allait devoir s'en aller dans l'heure. Il n'était pas certain que Félix ne tente pas d'appeler les autorités pour le dénoncer. Après avoir observé quelques instants le téléphone avec la carte prépayée, Chan hésita un instant. Il ne voulait pas être tenté de rentrer en contact avec le jeune homme. Il décida alors d'enlever la puce du téléphone et de la ranger soigneusement dans sa mallette. Une fois de retour à l'organisation, il allait pouvoir la détruire sans laisser de trace.

Alors qu'il allait sortir sa valise de la penderie, Chan se figea en entendant trois coups secs à la porte. Aussitôt, sa main se posa sur l'arme à feu qu'il avait toujours dans son dos. En tendant l'oreille, il n'entendait aucun bruit particulier à l'extérieur de sa chambre. Méfiant, il s'approcha doucement de la porte d'entrée afin de vérifier par le judas qui s'y trouvait.

Sa déconvenue fut énorme en voyant Félix devant, l'air nerveux et habillé d'une tenue confortable avec une simple veste sur les épaules.

Il hésita un instant. Pourquoi aurait-il ouvert ? Il pouvait très bien attendre que le jeune homme s'en aille, le laisser penser qu'il s'était trompé de chambre. C'était stupide : il lui avait donné lui-même l'avant veille afin de pouvoir le convier à déjeuner avec lui entre ces murs... Chan retint sa respiration un instant avant que Félix ne s'approche de nouveau pour cogner plus fort.

Incapable de résister, l'homme de main lui ouvrit.

Il contempla un instant le visage de Félix, en proie à la surprise, avant de l'attraper pour le faire entrer dans sa chambre. D'un coup de pied, il referma la porte derrière eux dans un claquement sonore. Le jeune homme resta tétanisé devant lui, l'air effrayé. Chan sentait la colère se mêler à l'incompréhension dans ses veines. N'avait-il pas été assez clair ? Il risquait sa vie en voulant sauver celle de Félix, et cet idiot s'offrait à lui sans réfléchir. Il aurait été mille fois plus simple de l'emmener sans lui demander son avis, de...

« Emmène-moi avec toi. »

Les quelques mots de Félix, alors plaqué contre le mur de l'entrée de sa chambre tétanisa l'homme de main sur place. Il sentait terriblement le poids de son arme dans le dos. Chan sentait sa mâchoire se serrer, ses dents frotter désagréablement les unes contre les autres. D'un geste brusque, il plaqua sa main à côté de la tête de son cadet, le faisant sursauter à cause du choc. La hargne s'entremêlait en lui avec la compassion. Il haïssait ce sentiment.

« Qu'est ce que tu racontes ? » gronda t-il sèchement, guettant la réaction du fils Lee face à sa carrure. « Tu n'as aucune idée de ce qu'il t'attends là-bas. »

« Chris, ma mère a trop souffert de tout ça !! » lança Félix d'un ton décidé malgré ses traits baignés par l'inquiétude. « Mon père est un chien, mon frère en est mort, je veux t'aider, je veux aider ton chef !! »

C'était de la pure folie. Jamais Chan n'aurait imaginé son cadet aussi fou pour le suivre. Il le pensait raisonnable, n'importe qui de raisonnable aurait cédé et aurait disparu pour ne pas se faire retrouver. Les sermons se formaient sur sa langue pour empêcher Félix de faire l'erreur de sa vie : dévier du droit chemin et s'engager sur le chemin sinueux de la mafia était un chemin sans retour, sans lendemain assuré. C'était comme écraser une fleur prête à éclore sans jamais l'arracher. La colère de Chan se mua en frustration.

« Tu ne sais pas ce que c'est. » reprit-il sans détourner le regard. « Tu n'as aucune idée du danger qui... »

« Mais tu me protégeras, non ? »

Une fois de plus, les quelques mots de son cadet désarmèrent l'homme de main. Félix semblait sincère, aussi terrifiant était sa confession, il était convaincu de ses propres paroles. Le jeune homme était désespéré, plaqué contre ce mur de cet hôtel qui avait été le théâtre du revirement de son existence. Chan voulait le presser contre lui, le rassurer, lui garantir que tout pouvait bien se passer... Mais il ne pouvait pas s'engager. Lui aussi était à la solde de son chef. Si ce dernier décidait de donner d'autres ordres, Chan ne pouvait pas lutter contre lui.

Alors, Félix se décolla du mur contre lequel il était appuyé. Son aîné guetta le moindre de ses mouvements, la façon dont il posa ses délicates mains sur l'encolure de sa chemise pour s'accrocher à lui. La chaleur de son corps se colla contre celle de Chan, se blottissant contre ce corps plus âgé, plus robuste, taillé par la violence.

« Je te fais confiance Chris. Je te crois, et je ne veux pas te perdre. » murmura son cadet en se hissant sur la pointe des pieds. Son souffle s'entremêla à celui de Chan qui sentit ses poings se serrer d'eux-même. « Prends-moi avec toi. »

L'urgence d'embrasser Félix prit l'homme de main au ventre. Il se rua sur ses lèvres, l'embrassant sans tendresse mais avec la simple avidité au corps. Le jeune homme était la candeur, l'innocence, et il lui demandait de le faire entrer dans son monde. Son vrai monde. Celui où tout était souffrance. Alors qu'il glissait ses mains dans le dos de son cadet pour le presser contre lui, Félix fondit dans son étreinte. Il le voulait en sécurité, et donc loin de lui... et pour autant il s'était attaché à ce garçon bien plus qu'il ne l'aurait imaginé. Chan gronda en le sentant approfondir le baiser, chercher à le tenir proche de lui, à le presser contre son corps avide...

« S'il te plaît... » murmura Félix entre deux soupirs, les mains se glissant sur son pectoral où le scorpion rouge était tatoué. « Ne me laisse pas Chris... »

Comment ne pas céder ?

Chan embrassa encore son cadet, jusqu'à ce que ses lèvres engourdies ne le rappellent à la raison. Félix avait le souffle court, ses yeux étaient remplis d'une douceur à transpercer l'âme. Il était tout ce qui avait toujours manqué à l'homme de main, tout ce qu'il n'était plus et qu'il ne serait plus jamais. Alors peut-être le ferait-il entrer dans son monde, mais il ferait tout son possible pour le protéger du Souverain des Scorpions. C'était sa seconde mission, celle qu'il décida de prendre à cœur et d'honorer.

« C'est d'accord. » chuchota t-il sur les lèvres de son cadet, qui lui quémanda aussitôt un nouveau baiser pour sceller ce pacte avec les Enfers.

Ils restèrent un moment là, dans cette entrée de chambre. Chan aurait aimé pouvoir coucher le jeune homme dans son lit, sentir sa peau contre la sienne, son souffle entremêlé davantage au sien... Mais le temps leur manquait. Ils ne pouvaient pas rester ici indéfiniment. Les mains ancrées dans les hanches de son cadet, l'homme de main mis du temps avant de pouvoir se décoller de lui. Il fallait faire vite.

« Tes amis ? » demanda t-il en relâchant ce corps gracile qu'il aimait tant tenir entre ses doigts.

« J'ai prétexté une urgence familiale. » répondit Félix aussitôt, l'air sérieux. Il n'avait pas tort dans le fond. « Je veux venger la vie que ma mère a vécu. »

La détermination qui illuminait les yeux du jeune homme finit par convaincre Chan. Ce dernier prit alors sa décision : amener Félix à son chef, lui expliquer la situation, et prier.

Prier que le Souverain des Scorpions accepte que ce garçon féroce rejoigne les rangs de sa famille d'adoption, qu'il accomplisse cette vengeance qu'il désirait tant, qu'il s'affranchisse des lois pour enfin accorder le repos à sa mère...

En croisant son regard, il eu envie de l'embrasser une nouvelle fois, mais il s'abstint. Il allait devenir son chien de garde à partir de cet instant, et espérer qu'on ne décide pas de son euthanasie en fin de course.

Félix s'adossa confortablement dans la voiture que conduisait Chris depuis bientôt une heure.

La nuit était avancée, l'air côtier était désormais loin derrière eux et la chaleur ambiante de cette nuit d'été n'offrait rien de plus que cette sensation désagréable qui collait à la peau. La voiture avait beau être climatisée, le jeune homme sentait son front coller, et ses mains trempées de transpiration. Dans un soupir, il guetta le paysage autour d'eux. Une ville de campagne qu'ils traversaient à vive allure, sans personne pour les arrêter.

La vengeance était à portée de main.

En se tournant vers Chris, il pouvait détailler son profil. Ce visage barré d'une cicatrice, cet air impassible... Et pourtant, sa main encore gantée de cuir était fermement posée sur sa cuisse. Félix en savourait la chaleur, cette poigne solide et viscérale qui le tenait comme s'il était sien. Une sensation agréable, que le jeune homme n'aurait jamais penser ressentir pour un homme comme Chris. Il se mordit nerveusement les lèvres. L'appréhension et la faim était un mélange dérangeant dans son ventre.

« Dis, on pourrait s'arrêter acheter quelque chose à manger ? » demanda t-il d'une voix basse. « J'aurais besoin de passer aux toilettes. »

Il n'avait fallu que quelques mots pour que son aîné ne modifie l'adresse sur son GPS, et ne trouve une supérette ouverte toute la nuit. L'homme de main se gara sur le parking, quasiment vide à cette heure avancée de la nuit. Les néons transperçaient la nuit, écartaient les ténèbres. Sous la lumière de ces pancartes, on pouvait y voir quelques distributeurs ainsi qu'un banc public abandonné. Félix ne pouvait pas s'empêcher d'être reconnaissant envers Chris. Il avait beau l'avoir guidé au sein de ce voyage, il l'accompagnait et l'escortait au mieux.

« Va aux toilettes, je m'occupe de quoi t'acheter à manger. » fut les seuls mots que prononcèrent son aîné avant de relâcher sa cuisse pour le laisser se lever.

Ils descendirent de la voiture, et Félix fit de son mieux pour réprimer son envie de réclamer un nouveau baiser à Chris. Malgré tout ce qu'il se passait, il éprouvait cette attirance inexplicable pour cet homme aussi dangereux que la mort elle-même. Mais le cadet s'en empêcha et entra dans la supérette. Les rayons étaient plutôt propres, il n'y avait personne dans les allées. Il trouva le seul employé à l'accueil. L'air engourdi par le sommeil et la fatigue de sa journée, il indiqua le chemin des toilettes lorsque Félix le lui demanda. D'un coup d'œil, le jeune homme constata que Chris faisait leurs emplettes pour leur long voyage jusqu'au centre de commandement des Scorpions.

Après un dernier regard à l'homme de main, Félix se glissa donc dans la remise et s'enferma dans les toilettes du magasin. L'air était chargé d'une odeur de produit désinfectant et de vieux cartons. Le contraste entre l'hôtel de luxe et cette réserve au carrelage fêlé était ahurissant. Mais Félix n'en avait que faire. Il tendit patiemment l'oreille avant de rabattre le couvercle des toilettes et de s'y asseoir. Lorsqu'il fut certain de n'entendre aucun bruit, il ouvrit un pan de sa veste légère et en sortit un vieux portable.

Son téléphone à carte prépayée.

Il le déverrouilla : il ne restait presque plus de batterie. Félix ouvrit alors le répertoire pour y appeler le seul numéro enregistré dedans. Son cœur se mit à tambouriner dans sa poitrine. L'adrénaline réveillait enfin son corps en transe depuis ces longues minutes de fuite en avant. Ses doigts tremblaient presque d'appréhension.

« Allô ? Yongbok ? » lança la voix féminine à l'autre bout du fil après quelques sonneries.

« Maman ? » répondit Félix, un vague sourire aux lèvres. « Maman : j'ai réussi. »

Le jeune homme sentit ses doigts se mettre à crépiter. Son cœur s'emballa davantage dans sa poitrine et il sentit son attention décuplée. Il ignorait la mauvaise odeur ambiante ou encore dans quel dépotoir il se trouvait. Plus rien n'avait d'importance. Tout ce qui lui importait, c'était l'approbation des siens.

« Je suis fière de toi mon fils. » souffla la voix de sa mère au combiné. « Tu es vraiment le digne héritier de ton père, tu le sais ça ? Quand je lui dirais il sera si fier de toi. »

« Merci Maman. » murmura Yongbok, un sourire aux lèvres. « Je vais devoir laisser le téléphone, tu ne t'inquiètes pas d'accord ? »

« Je te fais confiance, je sais que tu vas t'en sortir dignement. Tu n'es pas un Corbeau pour rien. »

En entendant ces quelques mots, Yongbok eu le réflexe de passer sa main le long de son crâne. Sous ses cheveux blonds mi-longs était tatouée la tête d'un corbeau mort. Symbole de son clan, de sa seconde famille, de sa raison de vivre. Il se mordit la lèvre dans un souffle tremblant. Les nuées de Corbeaux étaient là, prêtes à dévorer les Scorpions.

« A bientôt. » chuchota t-il avant de raccrocher.

Une fois la communication coupée, le jeune homme ôta la puce prépayée du téléphone. Il se releva, la jeta dans les toilettes et tira la chasse d'eau pour l'évacuer dans les canalisations. Puis, il lança le téléphone au sol, l'écrasa d'un coup de talon avant de le ramasser. Lorsqu'il sortit des toilettes, il le mit dans la poubelle attenante aux locaux.

Son cœur avait beau tambouriner dans sa poitrine, Yongbok retourna dans le magasin comme si de rien n'était. Là, à la caisse, se trouvait Chris alors occupé à payer. L'homme de main était impeccable sur lui, hormis cette immense cicatrice qui barrait son visage il passait pour un homme tout à fait respectable. En s'approchant, le jeune homme le vit se tourner vers lui.

Lorsque leurs regards se croisèrent, Yongbok sentit son cœur manquer un battement.

Il ne détestait pas Chris. Au contraire. Il pensait qu'il s'agissait d'un homme de main barbare, de ce qui avait tué son frère quelques semaines auparavant. Mais il avait découvert un homme capable d'empathie, presque de bienveillance à l'égard d'une personne qu'il jugeait innocente et digne d'intérêt. Car il était impossible que son aîné puisse douter de lui. Yongbok l'avait charmé, il l'avait dupé, et pourtant il se retrouvait entiché de ce type à la balafre. Il s'était fait la promesse de ne jamais lui faire de mal.

Chris hocha à peine la tête, et son cadet répondit par le même geste. Le jeune homme emboîta alors le pas, quittant la fraîcheur de la supérette pour affronter l'air moite de l'été sur sa peau.

C'était une nouvelle mission qui s'offrait à lui, celle de toute une vie, et il avait son chien de garde à ses côtés désormais.

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