Chào các bạn! Vì nhiều lý do từ nay Truyen2U chính thức đổi tên là Truyen247.Pro. Mong các bạn tiếp tục ủng hộ truy cập tên miền mới này nhé! Mãi yêu... ♥

Chimera

« Peut-être que je suis à la fois ta vérité et ton mensonge,
Ton amour et ta haine,
Ton ennemi et ton ami,
Ton paradis et ton enfer, parfois ta fierté et ta honte. »




Sous ses yeux grand ouverts et son corps paralysé ondula un être de glace aux écailles argentées. Pas un souffle, pas un son, seule une partie de son ondoyante anatomie apparaissait sous l'unique liseré de lumière qui tranchait l'obscurité. Il se déplaçait lentement, rasant les murs sans jamais s'approcher, juste assez pour infliger à Namjoon un frisson de terreur qui vint lécher chacune de ses vertèbres.
Centimètre par centimètre, chaque écaille passa sous la lueur d’une lenteur feinte et narquoise. Ce corps semblait interminable lorsque la tête de l'animal passa enfin sous la lumière. 

Namjoon croisa alors son regard le temps d’une seconde. 

Il rencontra un œil de jade, vert et translucide, transperçant, inhumain, aussi limpide que l’eau d’une source à sa création, aussi féroce que la lave découlant des pentes ardues d’un volcan, aussi glacial que la neige des pôles qu’il ne visiterait jamais. Cet être tenait en équilibre à la frontière entre le surnaturel et le cauchemar. Le jeune homme plaqua ses deux mains sur sa bouche et son nez, tamisant ou taisant sa respiration tremblante. Dans cet œil surréaliste se reflétait sa silhouette apeurée comme dans un miroir fraîchement astiqué. Il voyait dans cette bille de jade, le poids de sa vulnérabilité. Il était la proie de ce sort qui s'acharnait sur lui et peut-être bientôt l'encas d'un animal incarnant à lui seul les vices de ce monde et la définition même du poison.

Leur première confrontation fut soudainement interrompue.

Cet œil infernal disparut dans l'obscurité et l'animal plus blanc que neige se fondit dans la nuit laissant le jeune homme transi de peur. Deux mètres, peut-être trois de long. Assez pour s'enrouler autour de sa gorge à l'en étouffer, assez pour le tuer, le dévorer, effacer son existence et prouver la faiblesse humaine. Namjoon frissonna, incapable de savoir par où était entré l'animal ni s'il n'était pas encore là, tapi quelque part dans les ténèbres, à épier le moindre signe de fatigue pour venir lui injecter un venin qui lui serait mortel.




*****



Namjoon accéléra. Il ne cessait de jeter des coups d'œil à sa montre, guettant l’aiguille qui se rapprochait rapidement des sept heures du matin, puis derrière lui, persuadé d'être suivi. 
Il entendait leurs pas depuis qu’il avait quitté son appartement. Il voyait leurs ombres déformées, sur les murs, depuis presque vingt minutes et serrait dans sa main, au fond de sa poche, un stylo dont la pointe en métal représentait l'unique arme de fortune qu'il possédait. 

Il faisait grand jour. 

Namjoon accéléra encore, en retard déjà, se mettant presque à courir. Ses pas trouvaient leur écho dans le martellement des semelles qui se calquaient sur son rythme sans jamais faiblir. Son dernier coup de talon résonna dans la rue vide quand une troisième silhouette se mit en travers de son chemin. Son cœur s’essouffla. Sorti de nulle part, dissimulant son visage sous la capuche d’une veste et un masque, cet homme s'avança rapidement vers lui et le jeune homme recula. Il heurta un deuxième corps et fit volte-face. 

Il aperçut l’aiguille de sa montre recouvrir le sept et celle des secondes le dépasser sans scrupule. Supervisé par l’adrénaline, seul produit de sa peur, il dégaina le pitoyable stylo et le brandit devant lui, contre son agresseur qui l'évita avec aisance. L’évidence de sa mauvaise posture et du danger qui menaçait sa vie le frappa soudain lorsque l’homme qui lui faisait face usa de sa paume pour le désarmer avec une force insoupçonnée. L'objet métallique sombra sur le sol dans un tintement qui serait le dernier témoin de cet enlèvement. Le jeune homme n'eut ni le temps d'appeler les secours, ni de se défendre, une fulgurante douleur s'abattit sur son crâne en même temps que le métal d'une barre de fer.

À l’aube de son premier jour de travail, Namjoon ne répondit pas à son employeur lorsque celui-ci lui reprocha les sept heures passées de cinq minutes, puis dix, et vingt. Une demi-journée.   

Puis soixante-douze heures. 



*****



La première chose dont il se souvint en ouvrant les yeux fut l'écho métallique de son stylo sur le goudron glacial puis la douleur lancinante qui battait l'arrière de son crâne. Dès qu'il ouvrit les paupières il fut pris de nausées et de vertiges. Le coup avait été assez fort pour délibérément le plonger dans l'inconscience mais pas assez pour le tuer. Pourquoi ? 
Reprenant lentement ses esprits, il sentit la matière d'un matelas sous son corps, trop fin cependant pour gommer complètement la rudesse du béton qui s'étendait en dessous. Petit à petit, il prit conscience des sons qui l'entouraient. Des sons lointains, indiscernables et indéterminés qui s'étouffaient à mesure qu'ils parcouraient les mètres jusqu'à lui. 
Tiraillé par la douleur à l'arrière de sa tête, il tenta tant bien que mal de se lever et ne réalisa qu'à cet instant que ses yeux étaient ouverts depuis qu'il s'était réveillé. Il ne voyait pourtant rien. L'obscurité était pleine. 
Comme si la panique lui avait laissé jusqu'ici un instant de répit, elle se manifesta, vicieuse et soudaine et vint sensiblement accélérer les battements de son cœur. Il chercha à tâtons un indice sur ce lieu dont il ne distinguait même pas les contours et ses doigts frôlèrent d'abord la matière rêche d'un mur en béton sans revêtement, puis le métal lisse et glacial d'une porte qu'il lui serait impossible d'enfoncer. Il n'y avait d’ailleurs pas de poignée de son côté.
Il laissa glisser sa main le long du cadre d’acier, sentant sous la pulpe de ses doigts, un léger courant d’air frais. Pas un centimètre ne lui offrait, cependant, l’espoir d’une échappatoire. 

- Il y a quelqu’un ?!

L’écho de sa propre voix fut son seul interlocuteur, devenant sinistre lorsqu’il se répercuta sur chacun des murs de manière fantomatique. 
Gagné par un sentiment d'angoisse il se laissa sombrer sur le sol, le dos contre le mur, les genoux entre ses bras. Dos contre la seule entité reconnaissable dans cette obscurité. 
Celle-ci se désépaississait à mesure que ses pupilles s’y habituaient mais sa vision ne fut capable de filtrer qu’un unique rai de lumière qui traversait la pièce en diagonale. Namjoon leva les yeux vers la source de cet éclat qui se révéla n'être qu'une fine lucarne au plafond. Cette lueur était si pâle qu'elle était incapable d'éclairer les quatre angles de la pièce qui demeurait plongée dans une brume sombre et confuse. Cependant ce soupçon de jour lui apporta un réconfort infime mais suffisant pour réguler sa respiration et fouiller avec lucidité ses vêtements. 

Sans surprise il n'y trouva ni son portable, ni son portefeuille. Il sentit le bracelet de cuir de sa montre sur son poignet et se précipita sous le rayon de lumière pour en éclairer le cadran. Onze heures passées. Il était resté inconscient plus de quatre heures et inspira un grand coup essayant de se raisonner. Il s'interdit de céder à la panique, se répétant plusieurs fois que ses ravisseurs devaient avoir besoin de lui s’ils l’avaient gardé en vie. 

Ou peut-être qu'il se trompait. 

Un long frisson parcourut sa colonne vertébrale laissant à sa suite une série de sueurs froides lorsqu’il sentit une présence frôler le bout de sa chaussure. Il déglutit avec peine, baissant les yeux avec une lenteur exagérée. Sous l’unique faisceau lumineux rampait un interminable corps opalin qui évitait soigneusement le seul obstacle qui se dressait sur son chemin : Namjoon. 

La terreur le prit à la gorge lorsqu'un son légèrement différent de ce que ses oreilles avaient perçu jusqu’ici sembla décuplé par la peur et emplit bientôt son esprit, ses pensées, avorta ses questionnements et tut les battements de son cœur. Il entendit un frottement à peine perceptible, lent, flegmatique, rappelant le son des ongles sur un jean ou celui de deux feuilles de papier que l’on frotterait l’une contre l’autre. Ce son n’était décelable que dans le plus grand des silences, par une oreille concentrée, dans un lieu où l’écho de la moindre respiration semblait suinter des murs. 

La gorge nouée, priant pour se voir offrir l’immobilité d’une statue de marbre, Namjoon observa les quelques centimètres de cette créature qui lui étaient donnés à voir. 
Les secondes s’écoulèrent avec mollesse, nonchalantes, se transformant en longues minutes durant lesquelles le jeune homme ne pouvait détacher son regard de cet amas d’écailles qui longeait ses jambes sans jamais se lasser. Ce mouvement hypnotique se balançait sans but devant ses orbes devenues curieuses. La peur demeurait cependant une entrave qui paralysait son corps, l’empêchant de s’approcher pour effleurer cette trame écailleuse. Les détails de cette peau squameuse semblaient avoir été créés de mains de maître avec la délicatesse d’un orfèvre et la beauté d’une œuvre d’art. Elle semblait tranchante rien qu’à l’en regarder, rugueuse et rude rien qu’à l’imaginer pourtant elle possédait cet éclat de porcelaine qui tendait à le convaincre d’une douceur lisse et vernie.

Une heure passa peut-être sans que Namjoon n’ait bougé d’un millimètre. Et sans que la créature n’ait cessé ses allers-retours. Puis, lentement, prudemment, Namjoon s’était mis à reculer, pas après pas, allégeant chacune de ses empreintes au sol, jusqu’au mur qui heurta son dos. Il s’y laissa glisser sans jamais lâcher du regard ce corps onduleux. Assis sur le sol avalé par l’obscurité, il contempla, à quelques mètres de là, ce va-et-vient briller sous la faible luminosité.  

L’animal jamais ne s’immobilisa lorsque le liseré faibli, il continua cet éternel bercement jusqu’à ce que l’unique source de lumière s’éteigne et le plonge dans une nuit sans lune. Il serra dans sa main sa montre désormais inutile jusqu’au lendemain et ce n’est qu’à cet instant, lorsque les yeux du jeune homme ne furent plus capables de discerner les courbes de son corps, que le frottement se tut. Et comme si tout le jour durant, ce simple mouvement l’avait apaisé, ou si la peur et l’angoisse l’avaient épuisé, Namjoon se mit à somnoler, puis s'assoupit sans prendre la peine de regagner le matelas. Il n’avait de toute manière aucune idée de sa localisation dans ce noir abyssal.  

Pas une âme humaine n’était venue le voir, l’éclairer sur sa présence ici ni lui accorder un repas ou une gorgée d’eau. Les lèvres sèches, l’estomac vide, avec seule l’étrange tranquillité de son esprit pour endormir ses tourments, il venait de passer une journée dans le plus vide des endroits, dans la plus complète inconnue.


*****


Dès le lendemain, son corps, en quête de réconfort, adopta le rythme de vie de l’unique rayon de soleil qui perçait les ténèbres au petit matin. Imitant rigoureusement l’aube se lever et le crépuscule se coucher, son être, par instinct, retrouva un cycle primitif. Et comme la veille, la seule préoccupation de son esprit fut de nouveau ce mouvement latent et nacré sous la lumière astrale.
Le spectacle se différencia cette fois, par la mue sèche et friable qui se détacha millimètre par millimètre d’un corps blanc et pur pour laisser place à une nouvelle peau plus éclatante encore. La coïncidence ou le destin fit que l'exact point de séparation entre l'ancienne peau et la nouvelle, luisante et immaculée, se trouvait éclairé par la seule source de lumière offerte à cette salle. Si bien que le jeune homme penché plus près que la veille, se sentait privilégié d’assister à cet évènement banal ou extraordinaire. Il ne voyait qu’un détail sans jamais n’avoir encore eu la liberté de distinguer l’intégralité de ce corps étranger.

Il ne voyait qu'une misérable poignée de centimètres qui se poursuivait d’une anatomie de plusieurs mètres de long dont il ne voyait rien, dont il ne devinait même pas les contours. Hypnotisé de nouveau par cette transformation, il s’habituait au son de l’abrasion et de l’usure de ses neuves écailles sur le béton brut.

- La mue d'un serpent porte chance.


Il tressaillit.


- Tu peux en garder un morceau.



Son cœur se figea. Cette voix limpide résonna dans l’obscurité comme seul fruit de son imagination. Pourtant elle continua :


-Les écailles blanches sont parmi les plus rares au monde.
- Qui est là?



Un rire lointain, cristallin s’éleva dans les airs.


- Tu m'observes pourtant depuis presque vingt-quatre heures.



Soudain, les blanches écailles se dissipèrent, la mue disparut laissant apparaître sous la fine clarté, le détail d'une main.

Une main humaine.

Une main prolongée de doigts fins et délicats, couverte d'une peau si pâle qu'elle en était presque translucide. Une peau sur laquelle brillaient par instants, des cristaux argentés… témoins d'un souvenir, d'une réminiscence. Namjoon y trouva une ressemblance aux écailles qu’il avait tant observées. Cette main dansa, ondula sous le halo blanc, comme lévitant au milieu de la nuit. Elle ne dévoilait pas plus qu’une longue paume humide de sa récente transformation, et chaque phalange avec la grâce d’une danse ancienne et mystique. Fine, mince, puissante, les veines bleutées affichaient un contraste saisissant sur cette enveloppe laiteuse et se déployaient comme une ramure sans feuillage.


- Qui es-tu ?



Ce même rire résonna puis la main disparut.


- Ne pars pas !



Pour seule réponse un œil de jade brilla sous le faisceau. Un œil humain aux couleurs de celui d'un serpent. La pupille jadis fendue était désormais ronde et bordée d’un iris d’un vert surnaturel. Ils se dévisagèrent quelques longues secondes dans un instant de silence entre rêve et réalité. Un œil pour un œil. Namjoon n’en décelait pas davantage.
Le ruban de lumière épousa ensuite l'arête de son nez, la courbe de sa joue, la ligne acérée de sa mâchoire puis dévoila ses lèvres, puits de désir, entrouvertes, filtrant un rire mélodieux.

- Qu’es-tu ?


Les lèvres s’ouvrirent encore de quelques centimètres dévoilant deux crochets, deux incisives fines et tranchantes.

- À ton humble avis… que suis-je ?
- J'ai cru voir un animal, un animal que je crains mais voilà que tu apparais sous les traits d'un humain.
- Je serai ce que tu souhaiteras que je sois.
- Je ne comprends pas.



Les crochets s’allongèrent jusqu'à devenir des crocs acérés, les lèvres devinrent babines féroces, la peau devint fourrure chatoyante et toujours si blanche puis un puissant rugissement transcenda le silence. Namjoon sursauta lorsqu’il sentit l’indicible douceur de son pelage sous ses doigts. Lentement, avec prudence et appréhension, il passa sa main entre les longs crins du félin qui se tenait désormais devant lui. La discrétion du serpent, seulement perceptible par le frottement de ses écailles sur le béton, était remplacée par une respiration forte et souveraine s’échappant d’une gueule capable de dilacérer les chairs et pulvériser les os.

Il n’en était que plus fascinant.

- Comment est-ce possible… ? souffla le jeune homme.
- Je suis un spectacle, un trésor enfermé, une propriété
- Es-tu prisonnier ?
- Oui depuis des mois et des années.
- Pourquoi suis-je ici ?
- Je me nourris de peur puis de chair.



Silence.

- Mais ta peur est douce, muette, fascinante et fascinée.



Second silence.

- J'en suis enivré.
- Suis-je ici pour te nourrir ?
- Oui.
- Pourquoi ne m’as-tu pas déjà dévoré ?
- D’autres ont crié. D’autres ont essayé de fuir. D’autres encore ont cherché à me trouver dans cette obscurité et à se mesurer à moi.
- Il y en a eu d’autres… ?
- Beaucoup d’autres. Mais tu n’as pas bougé. Tu observes l’esprit vide, l’irréaliste se développer sous tes yeux. Tu parles, tu poses des questions, ta curiosité étant plus audacieuse que ta vie elle-même. Ta soif de connaissance et ta capacité à rêver et à croire aux songes a peut-être sauvé ta vie jusqu’ici.
- Pourquoi ne pas les dévorer ?


L’animal retint son souffle.

- Eux qui t’ont enfermé.


Sous ses doigts, il sentit son pelage frissonner.

- Je ne les vois pas, jamais, ils savent que s'ils croisent mon regard ne serait-ce qu'une fois, je consumerai leur cœur. Ils ont peur et ils font bien.
- Si tu peux te transformer pourquoi ne pas te vêtir d'ailes et t'échapper ?
- Connais-tu le vice de la désobéissance, de la tentation apportée aux hommes par le serpent à l'aube de la création ? Hypnotisant, machiavélique, diabolique. Je suis enchaîné à ce sol, à cette terre imparfaite et condamné à ne prendre la forme que d'êtres dépourvus d'ailes, dépourvus de liberté.
- Ta forme originelle est celle d’un serpent ?
- Oui, aux écailles d’argent dont l’éclat a fané au fil des années.
- Elles n’ont pas perdu cet éclat selon moi. Elles se sont simplement vêtues d’un manteau de neige.



L’animal ne répondit rien. S’allongeant contre le corps de cet humain téméraire.

- As-tu faim ? demanda Namjoon.
- Oui. Je suis affamé. Et tu l'es aussi, tu le seras davantage dans les prochains jours, j'y suis habitué et la faim tordante et douloureuse t'emportera avant moi.
- Ainsi tu ne me dévoreras qu'une fois m'avoir vu souffrir et mourir ?
- Quel autre choix s'offre à moi si je ne désire pas te tuer ? Est-ce ce que tu souhaites ?
- Non.
- Veux-tu mourir de mes mains ? De mes crocs ? De mes griffes ?
- Non.
- Alors j’accompagnerai ta dernière errance.

Comme pour confirmer ses dires, l’estomac de Namjoon se manifesta bruyamment.

- Il ne rugira pas longtemps. Il puisera bientôt dans tes réserves de glucose et d’eau.


En attendant, il ne se priva pas de réclamer au jeune homme de quoi se remplir. En vain. Mais plus que le son dégradant, c’est ce trou désagréable que Namjoon sentit se creuser des heures durant. Cette pénible sensation lançait le compte à rebours.

- La faim n’aura bientôt plus ni de nom ni de visage.
- Tu as dit y être habitué…
- Oui, il m’est possible de tenir un mois sans rien avaler parce que certaines formes de mon corps ont besoin de moins d’apports que le corps humain.
- Que font-ils de toi ?
- Rien. Ils me gardent enfermé pour se vanter de posséder une perle rare, peut-être unique. Mais ils ne me montrent pas, ne me sortent pas, ne me parlent pas. Je suis un secret, leur secret, égoïstement gardé sous clé. Je les soupçonne d’avoir disséminé une ou deux caméras dans la salle histoire de s’assurer que je survis et peut-être contempler leur trésor. Se délecter de posséder une curiosité.
- Depuis quand es-tu ici ?
- J’ai cessé de compter… des mois, des années, je ne sais plus. Je ne me souviens plus de la couleur du ciel et de l’odeur de l’air frais. Parfois mes yeux épuisés entrevoient des étoiles sur le plafond bétonné et brut de cette cellule. Quelquefois je deviens fou.
- Comment as-tu tenu jusqu’ici…
- Pourquoi ne me suis-je pas ôté la vie… ?
- Oui.
- Parce que je suis un animal. Bien qu’une de mes formes soit humaine, l’instinct dirige mes faits et gestes. Si ma conscience humaine tente d’arrêter ce calvaire, une autre forme, celle d’un reptile, d’un fauve, ou autre prendra le dessus et m’obligera à vivre.
- L’instinct de survie… souffla Namjoon.
- Le plus primitif, acquiesça l’animal.


Le même instinct qui lui permettait d’attendre des mois, immobile, la venue d’une proie. Puis de choisir d’attendre quelques secondes ou quelques jours avant de dévorer celle-ci. En ce jour, il choisirait les jours, espérant des semaines et des mois qu’il savait déjà avortés par le temps, la faim, et la fragilité humaine. 

À ses côtés, à peine apeuré, le jeune homme contemplait les heures à travers la position du rayon lumineux qui se mouvait imperceptiblement à mesure que le temps passait. Dans ce fin liseré d’espoir, il voyait virevolter d’innombrables grains de poussière qui dansaient sous la lumière comme pour célébrer cette étrange rencontre entre le réel et l’imaginaire, entre l’anodin et l’extraordinaire. L’ennui unissait ces deux mondes contraires. Namjoon se trouvait désœuvré de toute activité, forcé de trouver de l’intérêt dans le moindre son, le moindre souffle, le moindre reflet sur la fourrure immaculée de la créature allongée à ses côtés. Il tenta vainement de fermer les yeux et de s’abandonner au sommeil plusieurs fois ; surveillant les aiguilles de sa montre qui semblaient reculer. Namjoon n’éprouvait pas plus de peur envers cette étrange créature qu'envers l’obscurité certaine dans laquelle il vivotait depuis une journée et une nuit. Ce qui parcourait son être de frissons et laissait naître en son sein une angoisse grandissante n’était rien d’autre que l’ennui lui-même. Ce vide résonnait avec celui qui s’épanouissait dans son estomac, lui rappelant que ce lieu, cette nuit infinie, ces circonstances énigmatiques le dépossédaient de liberté. À l’image de cette cellule qui l’emprisonnait, l’ennui enfermait son esprit dans une intarissable mélancolie. Namjoon craignait cette entité caractérisée par la peur de l'arrêt, du silence, de la passivité, et la terreur de se retrouver face à lui-même.

Parce qu’en se concentrant sur lui-même, en se confrontant à son invisible et le plus intime de ses reflets, Namjoon affrontait ses angoisses qui, nocturnes, devenaient plus menaçantes encore. La nuit sombre engendrait un silence plein et absolu au centre duquel résonnait les battements décuplés de son cœur. Il entendait battre à ses tempes, cette impulsion hypnotisante, obsédante, et entêtante. Ce tambour lent et las déjouait de nouveau le sommeil qui préférait s’égarer et se détourner du jeune homme allongé passivement sur un lit qui lui semblait plus épineux que la veille. 
Les ressorts perçaient-ils ainsi déjà sa peau la nuit dernière ? Outrepassaient-ils les centimètres de tissu qui les couvraient ? Ou son esprit les imaginait-ils désormais sabres d’acier ? 

La veillée inexorable donnait lieu à une grande détresse qui, en équilibre sur les rouages d’un cercle vicieux, continuait de prohiber sa seule source de repos. Fatigué il se souvenait des derniers messages envoyés à ses amis, ses collègues, sa famille ; des derniers appels passés, des proches abandonnés, des responsabilités ignorées. 

Ses pénibles pensées n’étaient perturbées que par le son de sa respiration. 
Puis, lorsque la somnolence laissa place à la léthargie, le rêve prit les traits d'un cauchemar…



*****


Assis autour de cette table où se bousculent les mets odorants, les couleurs m’enivrent et me délivrent. J’observe presque intimidé les plats de viande, de poisson, les nombreux fruits et légumes multicolores, les boissons par dizaines et les accompagnements qui s’entassent dans une déraisonnable montagne de délices.  Je choisis avec soin la première friandise qui me rassasiera. Un pain chaud, doré, à l’air croustillant. Un pain sur lequel mes doigts passent sans l’effleurer. Je fronce les sourcils, ma main ne parvient pas non plus à saisir le verre rafraichissant qui pétille devant moi. Je cligne des yeux. 

Ils s’écarquillent...
La table est vide.
Remplacée par une planche de bois nue et austère.

Je me lève et le son de ma chaise projetée contre le sol se répercute contre les murs d’une maison que je ne reconnais plus. La couleur des murs est grise, les cadres photos sont brumeux, confus, la chaleur se refroidit. J’ouvre tout. Chaque tiroir, chaque armoire, chaque placard. À la recherche de quelque chose à me mettre sous la dent. Je grimpe, j’atteins les rangements suspendus, je grimpe encore, les plafonds ont-ils toujours été si hauts ? Tout est effroyablement vide. Aussi vide que mon estomac qui gronde et se bestialise. 

Je ferme les yeux, respire, et sens l’humidité de la terre sous mes doigts, sous mes ongles. J’ouvre de nouveau les yeux, je creuse. À même le sol, souillant et déchirant mes vêtements, abîmant mes mains dans la terre et les pierres qui les écorchent. Je ne me tiens plus sur mes deux jambes, ne suis plus capable ni de parler ni de penser. Que dis-je… ?

J’ai faim.
J’ai faim.
J’ai faim.

L’animal affamé creuse à la recherche de nourriture lorsque la sécheresse puis les neiges, les pluies puis les tragédies ont asséché et dépossédé la Terre.


*****


Le sursaut ne fut qu’imaginé lorsque le jeune homme sortit de cette bouleversante torpeur. La faim était toujours là, remuant davantage le pieu qui creusait son estomac et il était à peine assez éveillé pour analyser cette sensation étrange qui assiégeait sa bouche et sa langue. Elle était rendue pâteuse, collante, brûlante, répugnante. Il sentait sur sa langue devenue rêche, un millier de bossellements.

Il se leva titubant et les bords de son pantalon vinrent s’échouer sur ses hanches avant qu’il n’en saisisse la ceinture hébété. Sa main passait deux fois entre la peau sans relief de son ventre et la ceinture de son jean. Ses doigts effleurèrent le contour de ses côtes où la peau épousait les os mais la boucle de fer était déjà refermée sur la dernière trouée de cuir.

- Laisse-moi faire, souffla alors l’animal déjà éveillé depuis longtemps.


Namjoon sentit contre sa peau, le toucher de celle de la créature certainement sous sa forme la plus humaine, lorsqu’elle souleva son t-shirt et défit la boucle de sa ceinture. Il sursauta lorsque la lisse porcelaine se transforma en un amas de pics affûtés.

- Approche ta main, doucement, attention les pics de l'Hystricidae sont tranchants.
- Le quoi ?
-Un porc-épic si tu préfères. Arraches- en un. Attrape-le bien à la base et tire d'un coup sec.
- Je vais te faire du mal.
- J'y survivrai.

Namjoon hésita puis à tâtons dans l'ombre, il suivit les directives de la créature et arracha une des pointes. La prompte torture fut accompagnée d'un gémissement de douleur dissimulé par l'animal. Aussitôt le pic arraché, il reprit forme humaine et récupéra l'outil avant de percer la sangle de cuir de trois nouveaux trous. Sous le soupçon de soleil, Namjoon vit fleurir sur la pâleur de sa peau une larme écarlate. Une larme de sang.

- Tu t'es coupé !
- Ce n'est rien.


Délicatement il passa un bras derrière la taille du jeune homme qui lui faisait face sans le voir et serra de nouveau la ceinture sur sa taille. Il observa tristement la tige de fer atteindre le troisième trou, témoignant de l'amaigrissement rapide de son corps privé de subsistance. Malgré sa forme humaine et la noirceur des lieux, sa vision lui permettait sans mal de distinguer cet humain aux cheveux clairs et aux yeux en amande. Il soupira doucement et lâcha sa taille. Le maintien qu'il lui avait offert jusqu'ici s’évanouit et Namjoon chancela, cherchant à tâtons le mur pour s’y appuyer. Aveugle et paniqué, ses doigts fouettèrent les airs, le déséquilibrant davantage. Sa tête tourna, ses yeux se plissèrent, ses jambes se dérobèrent et il s’effondra dans ses bras. Sans un mot, la créature le soutint de nouveau, l’aidant à s’asseoir sur le sol, contre le mur.

- Ton corps puise dans ses plus maigres réserves… souffla-t-il. Après cela, les graisses et les muscles fondront.


Namjoon tenta de lui répondre mais sa gorge sèche ne laissa passer qu’un râle rauque et souffrant. Il humidifia ses lèvres, ses commissures sèches et déglutit. Une fois, deux fois, simulant de quoi se désaltérer. 

L’illusion est bien pauvre et ne dupe ni ses lèvres gercées ni sa gorge asséchée. Il en oublie ce qu’est la faim.
Parce que l'odeur de la faim fait peur mais que celle de la soif tue.

Le temps se figeait et s’éternisait. Les repas ne rythmaient plus le jour et les secondes qui passaient n’avaient plus de sens. L’ennui avalait les heures et les recrachait inlassablement, égarant l’esprit embrumé de Namjoon qui n’avait plus idée de la nature de cette faible lumière. Aube, aurore ou crépuscule, le liseré doré semblait identique depuis que ses paupières s’étaient ouvertes et ne donnait plus aucun indice, plus de début, ni de fin. 
Son être privé d’énergie, ne parvenait qu'à moitié se réveiller lorsque se succédaient les instants d’absence et d’errance, lorsque ses yeux écarquillés contemplaient sans voir, lorsqu’il entendait sans écouter.

Son crâne devint douloureux et son être ultrasensible. Le contact du béton sous ses jambes étendues n'avait jamais été si rude et impitoyable. Il ne pouvait plus s’asseoir ou s’allonger sans ressentir une décharge de douleur lorsque sa  carcasse heurtait la moindre surface. Comme la blessante sensation d'aiguilles par milliers qui venaient percer sa peau osseuse.

- Tu devrais t'allonger, souffla l'animal. Je vais t'aider.

Namjoon se laissa accompagner, s'appuyant de tout son poids sur la créature, incapable de trouver la force nécessaire pour soulever son corps.

- Je ne pensais pas que les effets surviendraient si rapidement.
Un homme peut vivre plusieurs jours sans manger mais seulement soixante-douze heures sans boire. La déshydratation est rapide et cruelle.
- Ma gorge est si sèche…

Elle était même rocailleuse. L'air était sec dans cette cellule, aucune humidité ne jouait en sa faveur et les parois de sa gorge et de son nez, arides, ne tarderaient pas à être douloureuses.

Namjoon toussa.
Gémissant de douleur.

Et l'animal se précipita soudainement vers lui. Il bascula sa tête en arrière et allongea le dos du jeune homme contre son torse nu.

- Tu saignes.
-Quoi…?
- Tu saignes du nez.


Il pinça de ses doigts délicats, l'arête de son nez jusqu'à ce que l'écoulement ne s'arrête. Il essuya de sa main le sang qui avait tiré un trait vermeille sur sa lèvre et son menton, et Namjoon usa de la manche de son pull pour nettoyer les doigts souillés de la créature.

- L'odeur du sang ne t'envoûte-t-elle pas ? demanda-t-il faiblement.
- Je sais me retenir. Je ne te ferai pas de mal.
- Je suis désolé.
- Pourquoi t'excuses-tu ?


La créature vit à travers la nuit une larme transparente et rare humidifier le coin de son œil. Il ne fit aucun commentaire, conscient que Namjoon tentait de ne pas laisser paraître la faiblesse qui s'emparait de lui.
Silencieusement, il essuya dans une douce caresse les perles salées qui brûlaient  certainement sa peau desséchée.

- Garde les précieuses gouttes qu'il reste dans ton corps… s'il-te-plaît, ne disparais pas trop vite jeune humain.
Quel âge…


Il respira difficilement.
 

- Quel âge as-tu ? demanda Namjoon.

Le petit rire cristallin et enchanté de l’animal résonna dans la cellule.

- Je suis né des dizaines d'années avant toi. L'un des animaux qui possède la plus longue espérance de vie est la tortue. Je peux vivre presque 200 ans.
- Quelle que soit la forme que tu prends tu peux donc emprunter des fonctions à d'autres animaux ?
- Oui. Et toutes se développent proportionnellement les unes aux autres.
- Tu peux donc me voir dans la nuit… murmura Namjoon déçu de ne pouvoir en faire autant.
- Oui mes yeux, même humains ont les capacités de ceux des félins.
- Tu as l'air jeune sous forme humaine.
- Tu ne me vois PAS.
- Non mais je peux imaginer. D'après ta voix, la douceur de ta peau, la fluidité de tes gestes.

Il toussa et un râle de douleur traversa ses lèvres tant le mouvement de sa gorge et de ses cordes vocales lui rappelait à quel point elles étaient sèches et calleuses.

- Tu trembles...

Namjoon sentit dans son dos une longue fourrure se former. Le torse sec et dur de l'humain s'abandonna au corps bien en chair d'un ours polaire. Le jeune homme laissa échapper un soupir d'aise en appréciant cette douce chaleur l'envelopper. Son corps ne fonctionnait plus qu'au ralenti, son rythme cardiaque et sa tension artérielle ne cessait de chuter, de ralentir, de s'évanouir. Il fermait parfois les yeux, sombrant dans l'inconscience sous le regard inquiet de l'animal qui veillait sur lui. Le temps filait sous ses yeux impuissants alors que chaque seconde était un supplice pour l'humain vulnérable qu'était Namjoon.

Les heures passaient et le sommeil ou l’inconscience qui l’assommait devenait nid d’hystérie, de chimères et de divagation. Quelques instant, poussé par un élan de folie, Namjoon trouva la force de protester, de laisser éclater sa colère, de craindre la mort. 

- Calme-toi, calme-toi… murmura la créature presque suppliante.
- Qui sont-ils ?! Qui sont-ils pour t'enfermer et me donner en pâture ?! Qui sont-ils pour posséder nos vies ?! 


Il toussa. Une toux sèche, rauque, manifestement douloureuse puis se mit à rire. D'un rire fou, les yeux dans le vide, perdu dans les ténèbres, incapable de voir les deux yeux de jade qui lui faisaient face peinés.

- C'est trop bête… C'est vraiment trop bête. C'est un cauchemar, rit-il. Tu ne peux pas exister. C'est surréaliste. C'est si bête. Tu n'existes pas, tu es là n'est-ce pas ? demanda-t-il en pointant son crâne comme un forcené. Dans mon esprit, dans mon cauchemar.

Il rit de nouveau. Il toussa de nouveau. Un goût de sang glissa au fond de sa gorge aride.

- C'est un cauchemar...

Et se mit à pleurer. Non… Où trouverait-il des larmes ? Son corps n’était plus qu’un puits de sécheresse. Seuls des sanglots bruyants mais secs s'échappaient d'entre ses lèvres craquelées. Puis, comme si le sort ne s’était pas déjà assez acharné, il fut pris de démangeaisons imaginaires. Il se mit à gratter ses avant-bras marquant sa peau sèche de longues traînées blanches tournant au rosé puis au rouge. L’empreinte de ses ongles devenait tranchées presque sanguinolentes sur son épiderme désertique. Son sang épaissi par les heures et le manque cruel de vivres, rendait ses défenses immunitaires stériles et inefficaces. Les plaies aussi fines et infimes soient-elles ne se refermaient pas, et ne se refermeraient jamais. Namjoon ne faisait que donner plus de pouvoir au mal qui le dévorait déjà depuis une soixantaine d’heures.  

- Arrête !

Reprenant forme humaine, l'animal saisit ses poignets, le faisant souffrir de ce contact mais l'empêchant de s'arracher la peau. La créature aussi faiblissait, elle ne s’était que rarement tant transformée, adoptant plus de six formes parfois si rapidement qu’elle était prise de maux de tête ou de vertiges. 

- Ne fais pas ça, murmura-t-elle.
- J'étouffe…
- Je sais… Je sais… c'est bientôt terminé.

Dans le noir rendu plus sibyllin par ses yeux devenant aveugles, Namjoon s'extirpa de sa prise violemment. L’animal surpris secoua la tête, voyant les traits de Namjoon devenir flous. Mais il vit rapidement que le jeune homme le cherchait de nouveau dans l’obscurité. Son touché le torturait mais son absence le terrifiait. La créature récupéra doucement sa main dans laquelle le jeune homme glissa ses doigts trop fins, effleurant sa paume faiblement. Il lia leurs mains et l'animal entrelaça leurs doigts, les serrant avec frénésie. Le cœur battant, il le regardait peiné, céder à la folie. 

La vie l'abandonnait.

De son pouce il traça quelques cercles sur le dessus de sa main et l'humain se laissa faire, fermant les yeux silencieusement. Quelques longues minutes s’écoulèrent ainsi, faisant résonner leurs deux respirations à l’unisson avant que l’esprit confus de Namjoon ne le plonge dans une douce hallucination. Avant que ses yeux vitreux ne se perdent dans les lignes d’une oasis rêvée. 

- Je sens l'odeur de la mer.

La créature à ses côtés se mordit la lèvre.

- Oui… elle est belle sous le soleil.
- Il fait chaud.
- Oui…
- Cet enfant mange une glace, elle a l'air d'être à la mangue.


La créature caressa son front, ses cheveux, écoutant avec peine ce récit rêvé. Le parcours de ses doigts entre ses mèches fit un bien fou à Namjoon qui se concentra sur ce mouvement léger du vent dans ses cheveux.

-Il y a une légère brise.
- Oui…

Il inspira une grande lampée d’air, ignora sa propre fatigue pour prendre la forme d'un grand loup blanc. Il vint entourer son corps, posant la tête sur ses genoux, caressant du bout du museau sa main qu'il venait de lâcher.

- Il fait si chaud.
- Le soleil est haut dans le ciel… souffla l'animal.
- J'aimerais toucher cette eau claire.


Timidement le loup passa sa langue sur le bout de ses doigts mais le rêve fut happé par la réalité. Namjoon gémit de douleur, sa respiration se fit sifflante, incapable d'exprimer cette douleur nouvelle, celle d'une sensation de brûlure. La langue râpeuse de l'animal, réduisait sa peau friable en poussière.

- Ça brûle… nous ne sommes pas sur cette plage n'est-ce pas… ?

L'animal ne répondit rien.

- Je suis si fatigué.
- Dors jeune humain… Dors, ce sera moins douloureux.


Son sang s'épaississait encore, coagulant et peinant à parcourir ses veines pour atteindre le cœur. Tout était rendu difficile ; respirer, penser, parler. La faiblesse était intense et assommante. Déshydraté et affamé, privé de force et de vie, il n'était plus que l'ombre d'un homme.

Le dernier état de faiblesse qui lui fut accordé fut l’un des plus proches du coma. Sa dernière once d’énergie ne lui servait plus qu’à respirer, à agiter imperceptiblement sa poitrine dans un rythme de plus en plus lent. La créature déplaça sa tête de façon à entendre les battements de son cœur. Il posa l’oreille sur son torse, bercé par ses palpitations timides et feutrées. Il aurait voulu veiller davantage son corps endormi mais les transformations successives l’avaient épuisé et il se laissa happer par un sommeil profond. La nuit fut calme et paisible, sans angoisses nocturnes, sans cauchemars et l’animal s’appliqua à lui tenir chaud, enveloppant sa silhouette fragile d’un manteau de velours opalin. Soufflant sur sa peau pâle une respiration tiède et douce. Il s’éveillait parfois, au milieu de la nuit, pour surveiller que ce petit cœur battait encore, et s’assoupissait de nouveau, rassuré de sentir son torse se soulever. 

Pourtant, cette nuit-là, la créature entendit peut-être pour la première fois, l’entièreté du silence. 

Depuis que ce jeune homme avait foulé le sol de sa cellule, les battements de son cœur animé de curiosité avaient entamé un long dialogue avec le cliquetis régulier de sa montre. Il s’était habitué à entendre vaciller les aiguilles dans le cadran de fer et de verre et si le jeune humain n’avait pas pu y déchiffrer les heures dans cette obscurité, l’animal lui, y avait vu défiler les secondes. 
Au dénouement de cette nuit et à l’aube d’un nouveau jour, l’aiguille des heures, celles des minutes puis celle des secondes s’étaient immobilisées comme un seul être sur le chiffre sept. 

Le poids du silence et l’interruption du temps réveillèrent l’animal qui ne put se résoudre à ouvrir les yeux. Il fuyait aujourd’hui le rayon de lumière qui annonçait le lendemain, ce jour indésirable. Contre son corps qui lui tenait encore chaud, il ne percevait plus le léger tambour qui rythmait ses nuits depuis soixante-douze heures. Il ne ressentait plus aucune vitalité contre lui, il ne sentait plus aucun souffle. Il refusait de se confronter à la réalité, il se souvenait amèrement qu’il n’appartenait ni à ce monde ni à ce temps. Il regretta davantage sa nature lorsque ses yeux de jade, irréels et précieux se posèrent finalement sur la silhouette éteinte allongée à ses côtés. La pâleur de sa peau se fondait presque avec les crins immaculés de sa fourrure et il s’en voulut de posséder cette résistance à la faim, à la soif, à la caresse glaciale de la nuit et à la chaleur ardente de l’été. 

Il abandonna le corps robuste et protecteur du loup pour retrouver une apparence humaine. Désormais à l’égal de ce jeune homme étendu près de lui, il détailla avec la même fascination, les traits masculins et séduisants de cet humain. Il caressa de ses doigts, sa joue tristement sèche, puis son cou et son épaule, constatant avec peine que sa main épousait la courbe acérée de son corps devenu squelettique. Il s’allongea à côté de lui, la tête posée sur son cœur muet et son torse immobile. Cette mélodie lui manquait déjà cruellement. 



- Je ne connais même pas ton nom…



Sa voix n’était plus qu’un murmure qui s’évanouit pour sa dernière transformation. Un félin maître de la faune, royal et majestueux ; carnivore et affamé. 

Il n'en resta que les os blanchis par le savoir-faire d’une créature qui se considérait pour la première fois monstrueuse. Dotée d’un instinct animal et primitif, la faim, premier prédateur en ce monde, avait laissé place à un manque nouveau, inconnu, plus douloureux encore.


——————————————
Hello!
Voici L'os que j'avais écrit pour le calendrier de l'avent en décembre.
Pour ceux qui veulent jeter un coup d'œil,
Le recueil s'appelle "Matriochkas", sur le compte de Lhazareen

Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro