- 48 heures -
- Non...
Son ami pose sa main sur son épaule, tentant de lui faire comprendre qu'il n'était pas seul, que ses amis étaient là pour le soutenir. Mais quelque chose venait de se briser en lui.
- Tu mens...
- Jimin...
- C'est impossible !
- Assied-toi un instant.
- Me touche pas !
- Jimin, je sais que c'est dur mais...
- TU MENS !
Jimin repoussa violemment Namjoon et parti en courant. Les larmes dévalaient ses joues se mêlant à la pluie battante qui secouait le ciel. Son cœur se fissurait, se brisait lui arrachant des cris de souffrance au milieu de la rue où les rares passants le regardaient interloqués. Il courait à s'en briser les jambes, il courait jusqu'à la maison bleue. Celle au bout de la jetée où les vagues venaient parfois s'écraser sur les rochers. Mais lorsque Jimin arriva sur place, il ne put entrer. Des barrières cernaient la demeure et la façade changeait de couleur adoptant celle des gyrophares appartenant aux voitures de police garées devant. Jimin tenta de se frayer un chemin à travers les gens curieux qui ne connaissait même pas les propriétaires de la maison.
Sa respiration se coupa.
Des hommes en blouse blanches passèrent les portes de la maison en tirant une civière recouverte d'un drap blanc. Ou plutôt d'un drap blanc, taché de sang. Jimin hurla et frappa le policier qui le maintenait pour se défaire de son emprise. Il courut jusqu'à la civière et baissa le drap qui recouvrait son visage. Et toute la douleur du monde n'était pas assez pour décrire dans quel état Jimin se trouvait en voyant sa peau si pâle qui le resterait à jamais. Ses yeux qui ne se rouvrirait plus, sa voix qu'il n'entendrait plus. Son cri perça le ciel et la pluie elle-même s'inclina devant la quantité de larmes qui fuyait son corps. Les policiers furent forcés de s'y prendre à trois fois pour le décoller de la civière. Jimin se débattait comme une bête.
C'était une très vieille maison. Une partie de l'étage supérieur s'était effondré, emportant dans sa chute la vie d'un jeune homme de vingt ans à peine. Et sur cette civière dont Jimin ne parvenait plus à détacher les yeux, gisait le corps sans vie de Jeon Jungkook.
AUTRE PASSAGE
- Namjoon arrête ! Tu ne peux pas lui demander de faire son deuil si vite ! Jungkook était... il était sa raison de vivre, il était tout pour lui.
Namjoon baissa les yeux. Lui-même en perdant ses grands-parents n'avait certainement pas éprouvé une douleur si vive. Jin avait raison, Jimin ne s'en remettrait pas. Il ne l'acceptait pas.
- Bordel ! De toutes les personnes de son entourage, s'il y en a bien une qui ne devait pas mourir c'est lui...
Jin hocha tristement la tête. Ils entraient dans une bien sombre période où le plus dur serait maintenant de maintenir leur ami en vie. De le surveiller d'assez près pour l'empêcher de rejoindre son meilleur ami, son amant, son âme sœur. Ils avaient tout combattu ensemble. Les préjugés, le regard du monde, les insultes, les coups. Ils avaient affronté la haine et l'incompréhension des gens face à leur relation homosexuelles. Ils avaient appris à vivre ensemble et à s'aimer au-delà de tous les obstacles. Namjoon avait juré les voir mariés avec des enfants. Mais aucun d'eux n'avait songé à cet obstacle, le seul où tout combat était perdu d'avance.
Aucun d'eux n'avait envisagé la mort sonner à la porte du plus jeune d'entre eux...
AUTRE PASSAGE
Une salve d'oxygène inonde brusquement mes poumons et j'ouvre les yeux, étouffé par cette sensation. J'expire et inspire à grands coups. Je suis assis sur une chaise, à une table, face à un homme aux yeux sans pupilles et à la peau couverte de symboles en tous genres. Je regarde autour de moi il n'y a rien. Seul un gris sombre sans nuances, le vide absolu. Ni lumière ni son, ni odeur. Mon corps s'agite, je panique mais l'homme en face de moi lève la main dans les airs et je suis immobilisé instantanément. Comme figé dans le marbre le plus solide, je ne peux plus faire un geste.
- Je suis où ?! Qui êtes-vous !?
- Jeon Jungkook, 20 ans, date du décès : 15 mai 2017 heure de décès : 18h47.
- Quoi... ?
- Je suis le passeur. Veuillez répondre par blanc ou noir à cette question et vous pourrez quitter ce monde sans plus vous soucier de rien.
- Attendez...
- De quel couleur voyez-vous cet endroit ? Blanc ou Noir.
- Je... Je ne sais pas.
- Cette question est simple. De quelle couleur voyez-vous cet endroit. Blanc ou Noir ?
Je ne réponds pas toujours choqué par sa première phrase. Je suis ... mort ? Quand ? Comment?
- Veuillez répondre à la question. De quelle couleur voyez-vous...
- GRIS ! Hurlais-je.
- Vous ne répondez-pas bien à la question. De quelle couleur voyez-vous cet endroit ? Blanc ou...
- Gris putain je le vois gris ! Je vous vois gris je me vois gris ! Je ne suis pas mort ! c'est n'importe quoi ! Je ne peux pas être mort !
- Ce n'est pas possible. Vous ne pouvez voir que le blanc et le noir en tant qu'âme.
- Laissez-moi sortir ! Laissez-moi y retourner ! Je n'ai pas finis ! Je... j'ai tellement de choses à lui dire ! Je ne peux pas partir maintenant !
- Je ne peux permettre à une âme de retourner sur terre.
- Je vous en supplie !
- Veuillez répondre à la question. De quelle couleur voyez-vous cet endroit. Blanc ou Noir ?
Je le regarde sidéré, accablé par ma propre situation. Je me lève. Je recule. Comme un pantin à qui on aurait arraché les fils, à qui on aurait enlevé son but. L'homme ne me regarde pas. Il répète sa question dans le vide. Je dois y retourner, je ne peux pas mourir, pas maintenant. Je me retourne et me met à courir. Mes pieds ne touchent ni le sol ni l'air, je gesticule dans le vide et le rien, je n'avance peut-être pas mais je ne m'arrête pas pour autant. Cet endroit doit avoir une fin, une porte de sortie, quelque chose ! Forcément ! Je m'épuise à mouliner dans les abysses qui m'avalent.
Oui.
Tout est gris.
Non pas blanc.
Non pas noir.
Gris.
La couleur de ses yeux. La couleur du ciel où nous nous sommes rencontrés. La couleur du ciel où je l'ai quitté. Je sais que sans moi il sera perdu. Il ne se relèvera pas. Il a besoin de moi, je ne peux l'abandonner maintenant. Alors j'accélère et m'étonne encore de sentir mes muscles en souffrance. J'ai mal, j'ai peur. Peur de m'arrêter et que l'immobilisme me dévore définitivement. Je me retourne et le passeur n'est plus là. Ni la table ni les chaises ni sa voix. Je suis seul au milieu du néant et il n'y a ni sortie ni lumière ni courant d'air. Je perds espoir. Est-ce vrai ? Je suis mort ?
- Hé gamin vient pas là ! Cri une voix puissante.
J'aperçois la silhouette d'un homme, lui aussi sans visage et sans contours, d'un gris sans plus de nuances que cet endroit. Mais c'est une rare présence que je me mets à suivre. Je cours plus vite qu'il ne m'est possible de le faire. Je tends la main vers lui et dès l'instant où ma peau touche la sienne tout redeviens clair. Son visage apparaît, ses yeux, sa bouche, ses cheveux blonds, la couleur beige de sa peau. Puis les arbres et le ciel et ses étoiles par milliers, l'air et le craquement des branches.
Il n'est pas seul. Adossé à une voiture se tient un homme très élégant, vêtu d'un long manteau noir et d'un chapeau qui couvre ses yeux. Je devine des mèches presque couleur bronze contrastant son apparence. Dans la voiture, assis à l'arrière, un troisième ne m'adresse pas un regard. Ses cheveux sont plus sombres que la nuit, sa peau plus blanche que neige. La vitre descend, sa voix s'élève :
- Jeon Jungkook tu es désormais une « âme égarée ». Tu as 365 jours, 8 760 heures, 525 600 minutes pour finir ce que tu as commencé dans ce monde. Pas une seconde de plus. Au terme de ce temps tu t'évaporeras comme cendre. Tu ne peux ni toucher, ni parler aux humains. Tu devras te débrouiller seul et tu ne nous reverras que le dernier jour de ton contrat.
- Comment suis-je censé m'y prendre ?!
Il tourna ses yeux vers moi et je déglutis. Son regard de braise semblait pouvoir me consumer sur place.
- Estime notre présence comme un mirage, je t'en ai déjà trop dit. N'oublie pas Jungkook, tu as un an.
Et ils partirent en fumée.
AUTRE PASSAGE
- Je n'ai jamais vu une âme si déterminée. Il continue de voir gris. Il s'accroche au monde des vivants avec une telle force que le passage en vibre !
- Je sais... Je l'ai senti. Amène-le-moi.
****
Avec toute la force que je pouvais rassemblé en tant que fantôme je tenais la porte fermée. Jimin s'excitait sur la poignée, tournant les clés dans la serrure, crachant des mots pleins de venin contre la porte du toit... jusqu'au bord. Il ne me voyait pas, ne sentait pas ma présence et je lui criais des mots qui restaient muets ses oreilles.
- Jimin arrête ! calme-toi ! Je t'en supplie ne fais pas ça ! Reste en vie ! Reste en vie pour moi ! Vit pour moi !
Les larmes brouillaient ma vue. Je m'attendais à faire face à ce genre de situation mais y être plongé me terrifiait. Voir Jimin brisé à en souhaiter la mort me déchirait le cœur. J'aurai voulu le serrer dans mes bras lui dire ô combien il comptait et il avait toujours compté pour moi. Mais je ne pouvais rien faire... parce qu'à ces yeux, j'étais invisible.
Tout ce que j'étais capable de faire c'est maintenir cette portes de toutes mes forces.
Mais la porte s'évapora, Jimin s'évapora, l'immeuble disparu et je me retrouvais dans un lieu complètement vide et gris, sans nuances, exactement comme le jour de ma mort. Et devant moi les trois hommes qui m'en avait sorti la dernière fois.
- Qu'avez-vous fait... soufflais-je horrifié.
- Jeon Jungkook nous t'avons observé et...
Je ne les écoutais pas. Ils venaient de lui ouvrir la porte. La panique me submergea. J'attrapai l'un d'eux par le col avec un visage plein de rage.
- Renvoyez-moi là-bas ! Vous m'avez donné un an ! Il va sauter VOUS LUI AVEZ OUVERT LA PORTE ! Pourquoi vous m'avez appelez maintenant !
- Calme-toi gamin !
Il claqua des doigts et je me retrouvais trois mètres plus loin comme par enchantement.
- Jeon Jungkook, tu nous pose d'importants problèmes. Une âme est tenue de voir le monde en noir ou en blanc or tu le vois gris. En fonction de leur couleur les âmes sont envoyées vers la lumière ou les ténèbres, il n'y a pas de milieu, pas de semi lumière et de semi ténèbres. Pas non plus de négociation possible. Mais tu es rempli de nuances de gris et il nous est impossible de t'envoyer dans l'un des deux passages.
Je frôlais la crise de nerf.
- Je m'en fous... je m'en fous... laissez-moi le sauver je vous en supplie.
- Qui est-il ?
- Quoi ?
- Qui est cet homme ?
Je les regardais sans comprendre cet intérêt soudain pour Jimin. Mais que dire... Tant de choses, je n'avais pas le temps.
- Mon monde... Soufflais-je lorsque je ne parvins plus à retenir mes larmes.
- Nous te donnons deux jours Jungkook. Nous somme le 23 février 2017, il est 13h, à la même heure le 25 février tu seras de nouveau appelé ici.
- Deux jours pour quoi... ?
Je n'eus droit à aucune réponse tandis que la rue réapparaissait subitement devant moi. Déboussolé je regardais autour de moi reconnaissant certains immeubles. Puis un homme me percuta faisant tomber le classeur qu'il tenait dans les mains.
- Vous ne pouvez pas faire attention ! Rugit-il en le récupérant.
Je le regardais abasourdi et il leva les yeux au ciel exaspéré avant de continuer sa route. Je l'observais les yeux écarquillés, marcher et zigzaguer entre les passants. Il était visiblement pressé.
Il m'avait touché.
Il m'avait regardé.
Il m'avait parlé.
Il m'avait bousculé.
Mon cœur se contracta violemment. Je levais la tête à la recherche d'une ombre d'une silhouette. Là ! En haut de l'immeuble à ma droite. Je me précipitais devant la porte d'entrée, fermée. Je la secouais comme une furie en appuyant sur plusieurs interphones.
- Allo ?
- Ouvrez-moi ! VITE ! Quelqu'un essaye de sauter du toit ! Hurlais-je
La porte s'ouvrit et je grimpais les escaliers quatre à quatre. Il y avait trop d'étages, je n'arriverai jamais à temps. Jimin attends, attends moi je t'en prie ! Ma respiration erratique résonnait dans la cage d'escalier, un point de côté me faisait crier de douleur mais je continuais, désespéré d'arriver. Pourquoi me poser en bas ! Pourquoi lui laisser le temps de sauter ! J'en voulais au monde entier à cet instant, incapable de maîtriser mes pensées haineuses. Je prenais les virages beaucoup trop serrés, heurtant plusieurs fois la rampe de fer, m'écorchant les mains en glissants sur les marches, épuisant mes muscles en dépassant mes limites.
Et je vois enfin la porte.
Elle est grande ouverte et un vent puissant s'engouffre dans les escaliers ralentissant lui aussi ma course. Pourquoi le monde s'acharne-t-il à nous séparer !? Je sors sur le toit giflé par la brise, cristallisé par le froid de février. J'étais en t-shirt en tant qu'âme mais ne ressentais pas les changements de températures. Mais cette fois, l'air me happe la peau. Je crie son nom mais un souffle l'étouffe. Je cours vers lui et les forces de la nature me retiennent. Il est debout, sur le rebord, face au vide. Je m'étonne un instant que le vent ne l'ai pas déjà déséquilibré.
- JIMIN !
Sa tête se relève face à lui, il a entendu...
Mais il me sait mort.
En proie aux hallucinations de son esprit,
Il se penche vers le vide.
Je parcours le dernier mètre, attrapant son poignet, y plantant mes ongles, agrippant sa manche et sa chair, le tirant en arrière. Comme une chaîne le tirant vers la vie, la réalité qu'il s'efforce de fuir. Jimin perd l'équilibre te tombe en arrière. Son dos percute le béton, le toit, la terre ferme. Mes bras s'enroulent autour de lui, l'emprisonnant et bloquant le moindre de ses gestes. Il reste muet quelques secondes, surement choqué.
Je plonge mon visage dans son cou et embrasse sa peau fraîche. J'hume son odeur et mon souffle réchauffe cette parcelle de son corps que je viens de capturer.
- Jimin... ne fait pas ça...
Ma voix n'est qu'un murmure, je me demande même si un moindre son est sorti de ma gorge, j'en doute. Pourtant ses mains tremblantes glissent sur mes bras qui l'encerclent. Son visage blanchit.
- Jun...kook... ?
J'inspire un grand coup, entendre sa voix est le plus beau cadeau qu'il m'ait fait jusqu'ici. Je resserre mon emprise passe une main sur sa joue puis son menton pour tourner son visage vers moi. Nos regards se rencontrent, ses yeux sont ahuris.
- Oui c'est moi...
Il se retourne et se jette à mon cou, éclatant en sanglots. Je le serre plus fort encore, pouvoir le toucher, le sentir, capter son regard, sentir sa présence. Bon sans ce que la vie m'avait manqué ! Comme Jimin m'avait manqué !
- J'ai vu ton corps Jungkook ! J'étais à l'enterrement !
Je ferme les yeux sentant la culpabilité me ronger. Mes doigts se perdent dans ses mèches et je caresse doucement l'arrière de son crâne pour le calmer et apaiser ses pleurs.
- Ils m'ont dit que tu étais mort !
- Je le suis...
Il relève la tête sans comprendre. Alors ma main glisse sur sa joue et je l'embrasse. Une fois, deux fois, trois fois, et chaque baiser est plus long, plus doux plus tendre. A chaque baiser je ne veux plus me détacher de ses lèvres mais le souffle manquant m'y oblige.
- Je suis mort dans cet accident. L'étage m'est tombé dessus. Je n'ai pas souffert Jimin, je te le jure. Je suis passé dans une espèce d'autre dimension où j'ai rencontré un passeur. Il m'a demandé ce que je voyais. Si je voyais mon environnement noir ou blanc. Et j'ai répondu...
- Gris... souffle-t-il.
- Oui.
- « Comme le reflet de tes yeux. » Soufflons-nous ensemble d'une même voix.
- Oui. Je voyais tout en gris. Il n'a pas su m'envoyer vers la lumière ou les ténèbres et je suis devenue une « âme égarée ». Ils m'ont laissé un an pour finir ce que dans ce monde mais je ne pouvais ni apparaître aux yeux des vivants, ni leur parler, ni les toucher.
- La porte...
- C'était moi.
- Les voyous...
- C'était moi. Je leur ai fait peur, ils sont partis.
- Tu étais là... tout ce temps.
- Oui...
- Et maintenant ?
- Ils m'ont donné deux jours en tant que corps vivant, pour être avec toi Jimin.
- Je veux tout faire avec toi, je ne veux pas perdre une seule seconde.
- Je ferai tout ce que tu voudras.
- Je veux aller en haut sur la falaise où nous allions enfants.
- D'accord.
- Sans téléphone, sans ordinateur, sans personne, je ne veux que toi et moi.
- Allons-y.
Je l'aide à se relever et Jimin regarde son portable tombé au sol. Il détourne les yeux et le laisse sur le toit, si la pluie pouvait l'inonder ce serait encore mieux. Il commence à descendre, je le rattrape et entrelace mes doigts aux siens. Ils le restent jusqu'à la gare où nous achetons deux billets pour le haut de la falaise sans même regarder les prix. Ça n'a aucune importance. Dans le train, nous ne nous lâchons pas une seconde. Jimin passe le voyage la tête posée sur mon épaule et j'embrasse son front une bonne centaine de fois. Le trajet ne dure qu'une heure, c'est peu. Mais au milieu de ces 48h qui nous sont accordées, cette heure me parait une éternité perdue.
Nous passons en silence le belvédère où les touristes s'entassent pour prendre des photos qu'ils ne ressortiront jamais de leur appareil et nous escaladons la barrière pour passer dans la partie sauvage de l'île, interdite au public. Mais nous somme natifs de cet endroit, nous avons connu cette falaise bien avant qu'elle ne soit aménagée pour le tourisme. Nous connaissons le chemin par cœur, nous escaladons sans être équipé mais la chance qui nous est donné nous cramponne à la roche comme une glue. Jimin qui souhaitait sauter dans le vide quelques heures auparavant, s'accroche maintenant à la paroi avec toute la force dont il est capable. Et après quinze minutes d'escalade nous arrivons dans un creux formé dans la pierre par le temps et le vent. Comme une grotte perchée à vingt mètres au-dessus des vagues, avec vue sur une mer capricieuse et un ciel infini. C'est notre temple, notre havre de paix. Personne ne connaît ce lieu enchanté.
Nous nous y asseyons l'un en face de l'autre, au bord du vide, face à l'adversité du monde et nous nous mettons à discuter de tout et de rien, de lui de moi, de nos sentiments, des autres, du ciel, de l'univers. Et la nuit tombe mais ne nous arrête pas. Nous parlons encore tard, si tard que la ville s'est endormie, les vagues se sont assoupies, le vent s'est engourdi. Le silence même s'incline pour nous laisser la liberté de façonner notre microcosme. Il y fait beau, chaud et doux. La température hivernale ne nous atteint plus malgré les poils qui se hérissent sur ma peau. Nous ne la ressentons plus.
Nous nous sommes allongés sur la pierre, enlacés, nous comptons les étoiles et les constellations et parfois sans raison, par envie, nous nous embrassons oubliant notre contemplation, profitant de l'instant et de l'autre.
Lorsque le jour se lève, que le soleil reprend ses droits, il ne nous reste plus que 28 heures.
- Que veux-tu faire Jimin ?
- Je veux que tu dessines comme tu le faisais souvent, je veux t'emmener dans le restaurant dont je te parlais avant...avant l'accident. Je veux faire griller des chammallow devant le coucher de soleil comme nous avons fait au nouvel an. Je veux qu'on pique les clés du studio de Yoongi pour aller écouter des musiques et enregistrer des chansons. Je veux aller au parc d'attraction avec toi et manger des churros. Je veux aller aux Etats-Unis et faire un road trip, rien que tous les deux. Oh... Jungkook... il y a tellement de choses que nous n'avons pas eu le temps de faire.
J'essuie ses joues tristement et l'embrasse.
- Je sais Jimin, je sais... pardonne-moi... J'aurai aimé faire tout ça avec toi mais... je n'ai que deux jours. Il faut faire un choix.
- Alors je veux ressortir toutes les photos que nous avons prises ensemble et faire un album photo avec toi. Une sorte de journal imagé, un recueil de souvenirs.
Je souris, c'est la plus belle des idées qu'il aurait pu avoir. J'hoche la tête et prend sa main. Nous faisons le chemin inverse et nous passons d'abord chez moi. La maison bleue au bout de la jetée. Une partie des meubles et des affaires ont été évacuées, mais personne n'a touché à la maison toujours en ruine. Il reste quelques objets poussiéreux, humides ou brisés, des bouts de verre et de miroir, des affiches déchirées, du papier peint arraché. Mon cœur se serre. Cette maison était tout ce que je possédais, le théâtre de notre rencontre, de notre amitié, de la naissance de notre amour. C'est aussi la première fois que Jimin revient depuis l'accident et il serre plus fort sa main dans la mienne. Nous marchons vers les restes du salon et déblayons les décombres pour atteindre une des lattes du parquet. Sous le plancher nous avons caché les souvenirs de notre vie. Je soulève une des planches et Jimin en sort trois boites en fer. L'une renferme des photographies, la deuxième des mots, des phrases et des morceaux de musiques que nous avons aimés, écrit, composés, inventés ensemble. La troisième renferme un tas de petits objets que nous avons récoltés depuis notre plus jeune âge. Des coquillages, des graines, des étiquettes, des briquets décorés, des capsules de bouteilles, des bâtons de glaces, des bricoles, des petits jouets, une carapace de crabe, un scorpion piégé dans de la cire, une boule à neige, et tant de choses encore.
Nous récupérons les trois boites et je prends l'un des briquets. Je vérifie qu'il fonctionne encore et je regarde Jimin droit dans les yeux.
- Tu es sûr... ? Souffle-t-il
- Oui. Sors d'ici Jimin.
Il ferme les yeux, hoche la tête et sors de la maison. J'allume la flamme et je mets feu à tout ce qui est inflammable. Les rideaux, le papier peint, des morceaux de bois, de mousse, puis je jette le briquet sous la gazinière. Une partie explose immédiatement, le reste est rapidement gagné par le brasier incandescent et je rejoins Jimin sur le chemin. Je prends sa main, me retourne, l'emportant derrière moi et sans un regard vers ma maison, je me mets à courir. Je ne m'arrête que lorsque nos yeux ne sont plus capables de discerner les flammes. Nous allons jusqu'à chez Jimin en silence.
24 heures.
Il sort de ses placards toutes les photos qu'il a fait développer et imprime celle qui ne l'ont pas été. Nous nous asseyons à même le sol et sortons des feuilles, des feutres, des ciseaux, de la colle. Nous commençons à tisser le récit de notre vie page après page. Chaque photo est décorée d'un dessin, d'une phrase, d'un objet ou d'un nombre. Nous marquons tout, nous ne voulons rien oublier, même le plus insignifiant des détails nous parait prendre soudain toute son importance. Parfois Jimin écrit une page entière à côté d'une photo, parfois je dessine son portait à côté d'une autre. Nous nous remémorons tous ses moments passés ensembles et rions sincèrement lorsque les souvenirs de nos pires bêtises prennent vie sur nos pages. Quelques fois nous rejouons des scènes ridicules dont nous nous souvenons. Une fois où j'avais voulu rattraper Jimin pour qu'il m'emporte finalement dans sa chute. Nous avions fini dans la fontaine, en plein milieu de la place principale, trempés jusqu'aux os. Un autre soir je m'étais énervé contre un serveur qui nous regardait de travers. Normalement le regard des autres m'importait peu mais celui-ci était méprisant envers Jimin qu'il connaissait du collège et le sang m'était monté à la tête. Finalement Jimin m'avait tiré dehors pour me calmer et lorsque le serveur s'était rendu compte que nous n'avions pas payé il était trop tard, nous étions déjà au bout de la rue en train de rire à gorge déployée. Je perds mon sourire lorsque je sors d'une des boîtes un ruban bleu ciel. C'est le ruban qu'il m'avait envoyé depuis l'Italie lorsqu'il était parti en voyage avec sa famille. « I miss you » étaient les seuls mots inscrits dessus. Je l'avais porté jusqu'à ce qu'il s'abime. Je l'avais rangé là pour ne pas le perdre et je me rendais compte aujourd'hui que ces trois mots lui seraient éternels. Je caressai le tissu un peu délavé du bout des doigts et Jimin posa sa main sur la mienne. Il me sourit tristement et me le prend des mains. Il met deux points de colle au dos et le pose sur le bord d'une photo de nous deux, la plus récente...
Il est 22 heures.
Nous avons passé la journée dessus et il ne reste qu'une photo et un emballage de chocolat. La photo, c'est nous deux, dans le lit de Jimin, les joues rouges et les cheveux en bataille. Il cache son visage à demi sous la couette mais l'appareil à immortaliser ses yeux rieurs. Les miens sont remplis d'étoiles et mon sourire n'as jamais été si grand. Ce papier de chocolat est le souvenir de notre première nuit ensemble.
- Il m'en reste... souffle Jimin.
- C'est surement la dernière fois que j'en mangerai...
Il se lève et cherche dans les tiroirs de son bureau avant d'en sortir une boite noire fermée par un nœud doré. Il l'ouvre et prend un chocolat. Exactement comme ce soir-là, je m'assieds sur le lit et l'observe défaire l'emballage. Il le porte à la bouche et le coince entre ses dents. Il s'approche de moi et passe ses mains autour de mon cou. Assis sur mes cuisses il me tend la gourmandise que je croque en heurtant ses lèvres. Notre baisé à un goût sucré. Je m'allonge sur le matelas, tenant toujours Jimin entre mes bras. Il ôte mon t-shirt je fais de même avec le sien, je caresse ses hanches, sa peau, son torse, j'embrasse ses lèvres et son cou, sa clavicule et sa gorge. Il soupire.
Et comme ce soir-là, nos gestes sont empreints d'un peu plus de tendresse et d'un peu plus de frénésie. Nos caresses sont plus enflammées et nos baisers brûlent d'avantage. Un seul détail diffère de notre première nuit... c'est l'existence de notre relation. Nous avons plus d'expérience, et le plaisir est entier. Sans erreurs et sans maladresses, nous unissons nos êtres et nos âmes une toute dernière fois. C'est sans doute plus savoureux, plus torride et plus sincère cette nuit.
Je ne sais ce qu'il adviendra au terme de ces deux jours mais on m'a donné une deuxième chance et je ne veux en gâcher aucune seconde. Je veux qu'il ne se souvienne que de ce bonheur, cette joie, cet amour ressentit à mes côté. Il n'oubliera jamais la tristesse et les larmes bien-sûr mais je souhaite qu'il garde le meilleur, qu'il chérisse cette journée et cette nuit. Je suis reconnaissant envers ses hommes pour m'avoir offert cette chance et j'ai conscience du privilège que ça représente. Combien de personnes ont quitté ce monde sans pouvoir pardonner, sans pouvoir dire adieu, sans pouvoir embrasser une dernière fois leur femme, leur enfant, leur mari, leur frère ?
Merci.
Les heures défilent, il fait chaud, l'album est ouvert sur le sol dans l'obscurité. Les soupires en haleine résonnent et recommencent. Nous avons fait l'amour une première fois avant que la séparation ne nous paraisse bien trop brusque alors nous l'avons faite une deuxième fois. Sans jamais laisser la luxure s'évanouir, sans jamais laisser la sensualité s'effacer.
J'ai entrelacé mes jambes aux siennes et l'ai tiré au creux de mes bras. Jimin s'est allongé, la tête posé sur mon cœur qui battait encore. Il reprenait son souffle et je le regardais avec des yeux remplis d'amour. J'ai caressé ses mèches humides et sa joue rosée puis le j'ai embrassé comme si je n'en avais jamais assez. Jimin a attrapé son réveil sur la table de chevet et l'a réglé pour qu'il sonne à sept heures. Lui comme moi souhaitions profiter de la dernière matinée qui nous était donnée. Pas question de faire une grasse matinée, le temps nous manquait cruellement.
Mais peut-être que le destin en avait décidé autrement... Le réveil n'a pas sonné ce matin-là. Les rayons du soleil se sont infiltrés que très tard dans la chambre, illuminant nos corps nus et enlacés. Et Jimin a ouvert les yeux. Il a regardé autour de lui, a protégé ses yeux du soleil avec le plat de sa main puis son cœur s'est figé dans sa poitrine. Ses yeux se sont posés sur le réveil qui affichait 12h24.
36 minutes.
Jimin m'a secoué brusquement me sortant de mon sommeil. Il était en larmes. Paniqué je l'ai pris dans mes bras tentant de le calmer, ses sanglots l'empêchait de formuler un mot mais il n'en a pas eu besoin. J'ai vu l'heure et j'ai compris. Nous venions de perdre cinq heures. J'ai cru que mon cœur explosait. J'ai pris son visage dans mes mains en lui répétant et lui répétant que j'étais désolé. Il ne se calmait pas alors je l'ai forcé à s'allongé sur le dos en tenant ses deux poignets de chaque côtés de son visage. Je suis venu l'embrasser plusieurs fois jusqu'à ce qu'il sèche ses larmes.
- Jimin... nous savions que ça arriverait...
- Jungkook je ne veux pas que tu repartes, demande leur un jour de plus !
- Ce sera pareil mon cœur... s'il te plait Jimin accepte ce moment, des milliers de gens tueraient pour avoir ne serait-ce que cinq minutes de plus avec leurs proches.
- Qu'est-ce que je suis censé faire sans toi... ?
- Jimin, je veux que tu vives le plus longtemps possible. Ne te donne pas la mort, ça ne servirait à rien, les âmes ne se retrouvent pas après la mort.
Je mentais. Je n'en savais strictement rien mais je voulais qu'il vive.
- Tu te souviens de la liste de choses que nous nous étions promis de faire.
- Oui...
- Fais-les. Fais-les toutes. Vis tes rêves même si je ne suis pas là avec toi, je serais toujours auprès de toi d'une façon ou d'une autre. Je te le promets. Et n'oublie jamais que je t'aime. Plus que tout.
- Moi aussi. Murmura Jimin en m'embrassant. Moi aussi...
Les secondes passaient à une vitesse terrifiante et je le serrais toujours plus contre moi. J'aurai voulu que mon corps devienne son armure en disparaissant. Nos prunelles plongées les unes dans les autres ne se lâchaient plus, cherchant au fond de l'autre le plus d'images et de souvenirs possibles. Je venais de passer les deux plus beaux jours de ma vie et je savais que malgré ces larmes, il en était de même pour lui. Ma peau commença bien vite à s'effacer sous ses doigts. Une sorte de fumée bleue claire aux nuances argentées. Il n'osait pas me toucher, de peur que je ne disparaisse trop vite mais je voulais sentir sa peau jusqu'à la dernière seconde alors je pris ses mains et les posait sur mes joues.
- Kook je...
- Chut.
Je le coupais en l'embrassant, prenant possession de sa langue, de son corps, bon sang je l'aimais tant. Je sentais tout mon être devenir plus léger, je me sentais et me voyais m'évaporer, c'était une sensation étrange. Et bientôt il ne resta qu'une infime pellicule de fumée imprégnant à peine les traits de mon visage face au sien. Alors je déposais une dernière fois mes lèvres sur les siennes sachant qu'il ne le ressentirait plus léger que la caresse d'un plume. Jimin ferma les yeux prolongeant au maximum la sensation de mon souffle contre sa bouche, la pression de mes lèvres contre les siennes.
Puis le mois de février rappela sa présence, imposant une absence glacial là où quelques secondes plus tôt notre chaleur l'avait repoussée. Ayant retenu sa respiration pour entendre la mienne, il reprit son souffle et ses yeux s'embuèrent de nouveau. Jimin agrippa l'oreiller où je m'étais endormi, cherchant mon odeur sans la trouver, il le serra contre lui et ses larmes coulèrent de nouveau. Je ne pouvais pas le lui reprocher, car les miennes coulaient aussi.
Dans une dimension toute autre où je ne voyais que du blanc...
****
Namjoon et Yoongi avaient fini par entrer chez Jimin en enfonçant la porte. Il l'avait trouvé recroquevillé dans son lit, serrant contre son cœur un album photo qu'ils n'avaient jamais vu. Ils l'avaient emmené à l'hôpital, ça faisait trois jour qu'il n'avait rien bu ni manger. Il fut soigné et ne raconta jamais ses 48 heures de bonheur à qui que ce soit. Il les avait partagés avec Jungkook et Jungkook seulement avait le droit de posséder la clé de ses souvenirs.
Après ce jour, Jimin avait pris un appartement et avait repris sa vie en main. Sans jamais oublier celui qui l'avait aidé à grandir et à vivre, il réalisa ses rêves, progressivement, un par un, rajoutant dans l'album une photo de chaque lieu, de chaque activité qu'il avait faite en pensant à lui.
Et dans chaque lieu, il marquait leurs initiales au feutre bleu ciel.
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