Seongmin savait depuis toujours que la vie royale ressemblait à un plateau d'échecs, mais il avait espéré être le roi et non pas le pion à sacrifier sur l'autel de la paix. Tous les jours, quelqu'un lui répétait que c'était un honneur, qu'il agissait pour le bien de son peuple et de son périple, mais pas une seule de ces personnes n'envisageait de prendre sa place. Le prince Seongmin allait tous les sauver, c'était la seule chose qui importait. Le fait que sa vie entière allait être ruinée n'avait aucune importance. Le jeune homme pinça les lèvres. Ses précepteurs avaient tout fait pour l'empêcher de penser ainsi, mais c'était plus fort que lui. L'amertume de son sort lui ôtait toute la joie que la fin de la guerre pouvait procurer.

Sa main se posa sur la vitre qui le séparait de la terrasse. Il était confiné comme un oiseau en cage. Les barreaux pouvaient être faits de l'or le plus pur, ils n'en restaient pas moins une entrave à sa liberté. Seongmin appuya son front contre le verre frais et ferma les yeux. Il souhaitait revenir des années en arrière, quand la guerre n'avait pas encore éclaté et qu'il n'était qu'un enfant trop jeune pour être utile dans les jeux d'adultes.

Seongmin serra les dents, la gorge nouée. Les doigts se resserrèrent comme des griffes et glissèrent contre la vitre. Il aurait aimé avoir le courage de s'enfuir. D'ouvrir cette large fenêtre, de prendre un sac avec quelques affaires et enfourcher un cheval pour cavaler jusqu'au bout du monde. Là où il ne serait personne. Mais Seongmin était un couard.

Il ouvrit les yeux, le regard éteint. Il était bientôt l'heure pour lui de quitter son cocon et d'affronter son destin. Le glas fatal se manifesta sous l'apparence du majordome qui frappa respectueusement à sa porte pour l'informer que son invité l'attendait.

– Un invité, répéta Seongmin avec un sourire désabusé. Drôle de manière de qualifier l'homme que je vais épouser demain.

Le majordome n'ajouta rien, mais le prince capta son regard désolé. Le vieil homme l'avait plus éduqué que ses propres parents et il avait été le seul à tenter de trouver une autre solution pour signer l'armistice. Il avait échoué, sa voix n'avait pas assez d'importance au palais, mais Seongmin était reconnaissant qu'il ait essayé. Quelque part, il se sentait un peu moins seul.

– Est-ce que vous viendrez avec moi là-bas ?

Ses mots portés par le chuchotement parvinrent jusqu'aux oreilles du majordome qui quitta son masque impassible un instant. Ses yeux exprimèrent toute la tendresse qu'il éprouvait pour le prince et ses lèvres se courbèrent en une esquisse de sourire.

– Je ne peux prendre cette décision moi-même, mais si vous en faites la requête je serai honoré de vous accompagner jusqu'à votre nouvelle demeure. Mon unique souhait est de vous servir tant que mes vieux os me le permettront.

Seongmin inspira profondément, il ne pouvait plus retarder l'échéance.

– Votre invité vous attend dans le salon du Printemps. Un goûter y est servi. 

L'homme se décala pour libérer l'accès au couloir et Seongmin remonta l'allée familière. Le salon en question était le préféré de sa mère, en extérieur, entouré d'un jardin magnifique et de meubles délicats, il y avait une volière en son centre. Majestueuse, elle accueillait les espèces les plus rares du continent. Les pépiements des oiseaux accueillirent Seongmin quand il s'aventura dans le jardin et révélèrent sa présence à son fiancé. Le prince Jungmo posa la tasse qu'il tenait et se leva pour le saluer.

– Le thé est à votre convenance ?

Seongmin prit place sur l'autre chaise, la table faisant office de rempart contre l'autre prince. Il savait que son attitude lui serait reprochée si elle était portée aux oreilles de ses parents, mais il ne souhaitait pas se montrer agréable avec Jungmo. L'autre n'y était peut-être pour rien, il était certainement dans le même cas que lui, mais il avait besoin d'une personne à blâmer. Jungmo se racla la gorge, pris de court, et s'installa à nouveau.

– C'est parfait, je vous remercie. Je me demandais, est-ce que vous souhaitez abandonner les formalités ? Nous allons bientôt nous marier, ce serait certainement plus confortable.

Les rougeurs sur les joues de Jungmo déstabilisèrent le brun qui en laissa tomber son masque hostile. Il devait reconnaître avoir beaucoup d'a priori sur son fiancé, mais jamais il n'avait imaginé qu'il puisse s'agir d'une personne aussi innocente. Jungmo semblait doux comme un agneau.

– On peut, marmonna Seongmin en plongeant sa cuillère dans un biscuit à la crème et à la fraise.

– Je-

Jungmo se racla la gorge et joua avec sa pâtisserie du bout de sa fourchette.

– Tu n'as pas l'air ravi de ma présence. Est-ce que je te dérange ?

Seongmin se mordit le bout de la langue. Sa mauvaise volonté était clairement visible, mais maintenant que son vis-à-vis abordait le sujet, il se sentait un peu honteux. Il devait passer pour un enfant capricieux et non pas un prince respectable.

– Ce n'est pas ça...

Un faible sourire fleurit sur les lèvres de Jungmo.

– Je crois bien que si, tu ne veux pas de moi et... je peux le comprendre. Pour être tout à fait honnête, ce mariage ne m'emplissait pas de joie non plus, mais c'était la volonté de mes parents et si ça pouvait permettre d'obtenir la paix alors ce n'était pas grave. Je me doute que ça doit être la même chose pour toi.

Les yeux noisette de Seongmin s'ouvrirent en grand et il manqua de s'étouffer avec sa bouchée sucrée. Son fiancé était bien plus direct qu'il ne l'avait cru. Bien plus courageux que lui ne l'était. Alors qu'il s'était caché derrière de fausses excuses, Jungmo n'avait eu aucune difficulté à s'ouvrir à lui et à lui avouer que leur union n'était pas son choix. Seongmin se trouvait ridicule. 

Le jeune homme reposa la cuillère sur la coupelle en porcelaine et mit les mains à plat sur ses cuisses. Il osa un regard en direction de son vis-à-vis et constata que Jungmo le fixait.

– Tu ne trouves pas ça triste de te sacrifier ? Tu vas devoir passer toute ta vie avec un inconnu, peut-être que je suis une personne absolument détestable.

– Le fait même que tu me poses la question me prouve que tu n'en es pas une, sourit Jungmo. Je ne dirai pas que je trouve ça triste, je suis plutôt content que ça tombe sur moi. Je préfère que ce soit moi plutôt qu'un de mes proches, au moins je sais que je fais mon maximum et que ceux que j'aime n'auront pas à souffrir.

– J'imagine que mes parents auraient préféré que je pense comme toi. J'aurai préféré aussi. Tout aurait été bien plus simple.

Seongmin laissa le silence s'étirer et le chant des oiseaux prit possession des lieux. Ils n'entendaient plus que les joyeux piaillements du printemps et le passage du vent dans les massifs floraux. L'appétit coupé, le jeune homme se redressa et épousseta ses vêtements. Jungmo se contenta de l'observer, attentif au moindre de ses gestes.

– Est-ce que tu as eu l'occasion de visiter le jardin ?

Le jeune homme se racla la gorge, maladroit. Il n'avait pas spécialement envie de rester là plus longtemps, mais il culpabilisait d'abandonner son fiancé à son sort. Il n'avait pas été désagréable, pressant ou invasif. Jungmo méritait un minimum de considération de sa part.

– Non, sourit l'autre prince, mais j'aimerais beaucoup. Si tu as quelques minutes de plus à m'accorder et que ma présence ne t'est pas insupportable, on pourrait marcher un petit peu ?

– Allons-y alors, mais n'espère pas entendre de grandes anecdotes sur les fleurs qui poussent. C'est une passion de ma mère, je n'y connais absolument rien.

Jungmo pouffa discrètement, les yeux brillants. Seongmin laissa un sourire léger tendre ses lèvres, un peu plus détendu.

– Je ne suis pas vraiment un expert dans le domaine et je dois avouer que ça ne me passionne pas non plus. Je suis presque soulagé de ne pas avoir à souffrir d'un cours de botanique.

Le rire frais qui ponctua la fin de la phrase de Jungmo allégea le cœur de Seongmin. Son fiancé était étrangement attachant, il en oubliait presque qu'il n'avait pas souhaité sa présence. 

Ils s'avancèrent le long d'une allée joliment pavée de pierres claires et encadrée d'arbres fruitiers. Les branches feuillues et garnies les protégeaient du soleil tout en diffusant une agréable odeur sucrée. Seongmin coula un regard à son fiancé. Jungmo avait le nez en l'air et un sourire ébahi prenait la moitié de son visage. Il dévorait son environnement des yeux, s'extasiant à la moindre petite chose.

– On dirait que tu n'as jamais vu d'arbre de ta vie, se moqua gentiment Seongmin.

– Nous n'en avons pas beaucoup par chez nous, le climat est assez aride, il y a peu de fruits et certainement pas une végétation aussi verte. J'ai l'impression de découvrir un nouveau monde.

Son sourire se fana et Seongmin haussa un sourcil. Avait-il dit quelque chose de mal ? Il n'en avait pourtant pas eu l'intention.

– Je suis désolé.

– Pour quelle raison ?

Jungmo tritura une feuille qu'il avait ramassée sur le sol.

– Tu n'auras plus accès à tout ça quand tu viendras au palais, ça risque d'être dur pour toi. S'il y a quelque chose que je peux faire pour aider à ton intégration, dis-le moi, d'accord ?

Seongmin sentit ses joues chauffer. Jungmo était le premier, à part son majordome, à prendre son ressenti en compte et à s'inquiéter pour lui. Il sourit presque timidement et avança un peu plus vite. 

Le salon du printemps, outre son incroyable collection de fleurs rares, possédait un autre charme exceptionnel. Seongmin avança, l'autre sur les talons, jusqu'à ce qu'ils débouchent sur terrasse légèrement surélevée. Il fit signe à Jungmo de le suivre et se rendit jusqu'à la limite, une baie vitrée qui donnait vue sur une cascade bordée d'arbres. Le palais ayant été construit en hauteur, beaucoup de pièces permettaient d'avoir accès à un paysage époustouflant. Seongmin laissa quelques minutes à son fiancé pour observer les lieux et se repaître de leur beauté.

– C'est incroyable, souffla Jungmo.

Le jeune homme ne put que confirmer, la gorge nouée. Il allait bientôt dire adieu à tout ça, à sa vie et à ses vues qui avaient bercé son enfance. Les larmes lui montèrent aux yeux et il se détourna avant que l'autre ne puisse les apercevoir. Il s'éloigna le temps d'aller chercher deux chaises qu'il posta devant la baie vitrée.

Le regard perdu sur le contrebas, il sursauta lorsque les doigts de Jungmo s'entrelacèrent délicatement avec les siens. Son fiancé lui offrit un sourire aussi doux que le miel alors que de son pouce il lui caressait le dos de la main.

– Je ne peux pas te promettre de t'offrir la même vie que celle que tu as ici, mon pays est bien trop différent, ce serait te mentir. Mais, tu sais, Seongmin, mon royaume est très beau à sa façon aussi et je te promets de te le faire découvrir pour que tu finisses par t'y sentir chez toi. Il nous faudra du temps, mais je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour que tout se passe bien. J'aimerais vraiment qu'on s'entende tous les deux, et peut-être même plus... j'aimerais que mon pays devienne le tien, que la paix soit maintenue et qu'on soit heureux ensemble.

Seongmin baissa les yeux sur leurs mains liées et une légère courbure fit remonter le coin de ses lèvres. Il avait encore le cœur trop lourd pour y croire, pour se montrer optimiste, mais il voulait croire que les paroles de Jungmo leur prédisaient un avenir radieux. 

Nda :

Oups, j'aurai mis du temps avant de poster à nouveau dans son recueil. Je suis partie en vacances et mon ordinateur m'a abandonnée, j'ai une excuse x) Ce n'est pas le One-Shot le plus long, mais j'espère que vous avez passé une agréable lecture :)

Dalion~ Kiss :3