E1 | Défi N-1 ● Véritable Psychosociologie ●
Celui-ci le texte de Errade_H.
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Bonne Lecture !
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Je n'aime pas écrire à la première personne. Je n'aime pas parler de moi. Et pourtant c'est ce que je m'apprête à faire, car dans cette ambiance étrange de pré-apocalypse, je me sens seul. Ce n'est pas le genre de solitude auquel on s'attend en période de confinement: j'ai tout le loisir d'être las des gens avec qui je suis enfermé.
Cet isolement dont je souffre, c'est un isolement intellectuel. La maladie, ce n'est pas le virus, c'est la bêtise. L'humain est en train de se rappeler à lui-même sa nature d'animal apeuré qui fuit en avant sans réfléchir, prêt à se raccrocher à tout ce qu'il peut pour se donner une illusion de salut. Une bête, oui, non un prédateur mais une proie au vu de sa propension à courir droit devant sans réfléchir, pour s'éloigner du danger qui est derrière sans voir celui qui est devant. Un animal pensant, oui, mais est-ce vraiment mieux?
Sapiens pense, c'est sa spécialité: l'hirondelle vole, le chimpanzé grimpe, la carpe nage, le cheval galope et l'humain réfléchit. Avantage de la nature ou piège de la conscience? Parfois mon cœur balance du côté de la seconde option. Sapiens pense, et plus il pense, plus il sait, plus il panique!
Tout se met à trembler autour de lui: les mitochondries de ses cellules avec les atomes qui les constituent; ses os, ses mains, ses pouces opposables qui font sa fierté; son crâne précieux écrin du précieux cerveau qui serait le siège d'une âme à laquelle personne ne croit sincèrement; sa tanière... pardon! son appartement, sa maison, son château ou ce building qui frôle les nuages et les fait eux aussi trembler; le ciel et la terre, jusqu'à son noyau de fer en fusion! Arrivé à ce niveau de compréhension, le petit humain se sent déjà minuscule mais il n'est qu'à la frontière du macrocosme, car arrive alors le soleil qui donne la vie et peut l'enlever; une galaxie, puis deux, puis mille, puis mille milliards; et enfin, l'univers entier qui dépasse tout ce que son petit, tout petit esprit peut appréhender par son immensité, par son absence de début ou de fin, un atome ou une mitochondrie, au mieux, d'un autre ensemble encore plus grand!
Alors que Sapiens se rappelle de sa taille, centième de millième de grain de sable à l'échelle de l'univers, il se rappelle que penser ne le rend pas spécial, que la conscience ne le rend pas plus grand et ce constat lui est aussi douloureux que de regarder dans les yeux le soleil. Face à l'infini, il réalise sa propre finitude, il s'étouffe à l'idée qu'il viendra un temps où le jour ne se lèvera plus pour lui. Il prend son ressenti pour de la peur, mais il n'est animé que par l'égoïsme: au matin de sa mort, ne faudrait-il pas que le soleil s'éteigne pour tout le monde? Ainsi tous seraient sur un pied d'égalité!
Et quand, par une épidémie ou une guerre, la main du destin menace de retirer une poignée de sable de son sablier, Sapiens s'agite deux fois plus pour oublier la vacuité de sa minuscule existence. Quand le Covid-19 s'élève à l'est comme le soleil funeste d'un monde nouveau, une seule chose l'obsède: oublier l'immensité, oublier son insignifiance. En temps normal, il meuble tout cela par des besoins primaires déguisés en civilisation. Sapiens achète un pantalon neuf pour avoir l'air élégant, en oubliant qu'il le fait pour couvrir sa chair vulnérable au froid. Sapiens commande un plat raffiné dans un restaurant chic, en oubliant les besoins en nutriments des cellules qui le constituent. Sapiens paye un abonnement bien trop cher dans une salle de sport en oubliant que s'il grossit dans sa vie oisive, c'est qu'il est un singe, taillé pour courir et non pour faire de la comptabilité.
Mais là, cette alarme mentale qu'on appelle instinct de conservation s'allume chez Sapiens. La proie a tué ses prédateurs, ceux sur lesquels on peut tirer, qui on une chair dans laquelle planter une lance, un poignard. Le très grand est tellement plus facile à combattre que le très petit! Le virus est là, et de chauve-souris en pangolin, il a sauté à la gorge de Sapiens comme une lionne va de buisson en buisson pour s'approcher de sa proie. Les besoins primaires de l'animal humain perdent leurs masques de civilisation. Il s'est fait croire qu'il était au dessus d'une condition de bête, qu'il vivrait éternellement sans jamais avoir à se soucier des conséquences, il se souvient qu'il n'est qu'un animal.
Son petit cerveau de primate a le plus grand mal à prendre des décisions à long terme. Il a beau se persuader du contraire, il ne voit qu'aujourd'hui et appréhende à peine demain, après-demain n'existe même pas pour son entendement. Sapiens devient aveugle et sourd. Il veut du papier-toilette. Tout le papier-toilette. Il veut de la nourriture. Toute la nourriture. Cette accumulation d'écureuil fou lui donne l'impression qu'il maîtrise la situation, que cette fois encore, il est plus intelligent: "Bien sûr que je vois plus loin que le bout de mon nez! Regardez: j'ai acheté toutes les conserves de cassoulet du supermarché! Quel planificateur de génie je fais!".
Il conserve les pires aspects de son cerveau animal, en exclu ce qu'il devrait en conserver. Il a oublié comment se penser en tant qu'espèce, en tant que tout, en tant que Sapiens. Il ne voit que l'individu, parfois la famille qui est autour, mais ne perçoit pas l'absolue nécessité de voir sept milliards de têtes comme une seule entité. Celui qui prend soin des autres est exclu, spolié, exposé en première ligne nu et sans armes. Il n'y a personne pour soigner le soignant. Et à nouveau, il répond, gonflé de suffisance: "J'ai menacé le médecin qui vit dans mon immeuble pour qu'il déménage en toute hâte, il doit être contaminé. Donc j'ai protégé mes voisins qui ne me sont pourtant pas apparentés!".
Et me voilà, assis au sommet du métaphorique mur que Sapiens a élevé pour se séparer de l'animal, une bière et une cigarette littérales dans les mains, si atterré par la bêtise de mes contemporains que je ne parviens même pas à m'inclure dans leur lot. Je n'ai pas l'impression d'être plus intelligent qu'eux, pourtant. Ou bien juste un petit peu. C'est difficile de ne pas se sentir supérieur face à cette foule qui n'est séparée du troupeau de gnous que par l'absence de cornes et de sabots. Pourtant, intérieurement, chacun doit être assis sur une hauteur mentale à observer les autres en se disant: "Pfeu, moi j'ai compris, pas eux!".
Malgré tout j'en ai la conviction, quelque chose nous sépare: l'absence de peur. Vous parlez à un enfant angoissé qui a grandit. Un petit garçon anxieux, qui avait le sentiment de regarder le soleil en face, paradoxalement quand la nuit tombait. Ce môme terrifié, qui voyait en permanence l'infinité de l'univers et sa propre finitude trembler devant ses yeux, qui a pensé très longtemps que pour ne pas paniquer, il ne fallait pas savoir, il ne fallait pas réfléchir, a comprit un jour qu'il y avait un troisième et un quatrième maillon à cette chaine: comprendre et accepter.
Et l'existence de cet enfant de Sapiens devint soudain plus légère, quand il comprit que son insignifiance à l'échelle du temps et de l'espace l'empêcherait toujours de faire une erreur assez grosse pour empêcher le soleil de se lever le lendemain. Quand on lui apprit que toute l'humanité sortait du même berceau et qu'il était le frère de tout autre Sapiens qui existe, existait et existera. Quand cette découverte le poussa à plonger plus loin dans les archives de la nuit des temps et qu'il y apprit l'existence d'un certain LUCA, Last Universal Common Ancestor qu'on appelle en français Dernier Ancêtre Commun Universel; le micro-organisme à la base de l'arbre du vivant, l'arrière-grand-père qui lui donnait les plantes et les animaux pour cousins.
Un soir de printemps, il y a un an peut-être, alors que je n'étais plus un enfant que par ma capacité à me passionner pour tout, un amant m'avait dit cela lors d'une conversation ensommeillée: "L'univers n'a ni début ni fin, nous essayons de plaquer ce schéma dessus parce que nous avons une naissance et une mort, mais ça n'a aucun sens. C'est un cycle.". Et alors que vous commencez à vous demander où je veux en venir dans mes vertigineuses divagations, j'arrive à ma conclusion.
Il faut accepter de faire partie du cycle. Quand on sait que le fer qui donne sa couleur rouge à notre sang est né en même temps qu'une étoile, quand on a conscience que nous sommes un phénomène physique pensant, on peut, justement, toujours y penser quand la peur nous tiraille et nous pousse à agir contre le bien commun. La mort n'est un drame que pour le vivant, votre conscience retourne au néant, vos nutriments à la terre et dans quelques milliards d'années, les atomes de fer de votre sang seront de retour au milieu du cœur en fusion d'une étoile. Un petit morceau de vous abreuvera de lumière une planète qui berce dans sa rotation une autre espèce consciente.
Alors, faites moi confiance. Quand la peur vous saisira à nouveau, que la voix monocorde d'un présentateur de journal vous annoncera un bilan humain de plus en plus lourd, rappelez vous de cet illuminé dont vous avez un jour lu le texte, entendu la voix. Prenez un instant, inspirez, et rappelez vous que ce virus qui vous fait si peur est votre lointain cousin. Riez, c'est normal, cette idée a une douce saveur absurde: tel Freddy Krugger glissant sur une peau de banane, la terrible menace microscopique a perdu toute crédibilité. Votre sourire retrouvé, songez que la phrase "Tu es poussière et redeviendra poussière." a été mal traduite de l'hébreu et que son véritable sens est "Tu es poussière d'étoile et redeviendra poussière d'étoile.". Songez que les anciens avaient déjà tout comprit et pour ne pas priver vos descendants de sagesse ancestrale, pensez à vous laver les mains et restez bien chez vous. Vous ne vous sentirez plus jamais enfermé en pensant à l'infiniment grand, votre esprit en est la clé.
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