E1 | Défi N-1 ● Texte le Plus Bizarre ●
Ce texte appartient à L-ivre
Bonne Lecture, je parie que vous allez sourire au moins une fois en lisant !
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Coronavirus. Je vois ces onze lettres partout, j'entends ces cinq syllabes tout le temps. À la télévision qui est allumée et que je regarde, dans la bouche du président qui parle et que j'écoute. Moi, je mange des pâtes à la sauce tomate, et ça fait une tache rouge au fond de l'assiette. C'est drôle, je me dis, comme une chose si petite peut faire autant de dégâts.
Le président parle du confinement. Il dit qu'il ne faudra sortir que si c'est nécessaire, pour les achats de première nécessité, les raisons de santé. Qu'il faudra fréquenter le moins de personnes possible, pour éviter toute contamination. Il dit que c'est la guerre. Que nous allons nous battre. Moi, je ne veux pas. La guerre, ça me fait peur. Ça rend les gens fous.
Je finis mes pâtes et je regarde la bouche du président qui bouge et ses yeux qui ne bougent pas. Il regarde la caméra que je ne vois pas. Il me regarde. Il nous regarde. Pourtant, quand je lui souris, il ne me sourit pas. Il continue à parler. De toute façon, je ne l'écoute plus. Ça ne sert plus à rien, il a déjà tout dit. Et je pense qu'il est vraiment très fort, le président, pour réussir à dire en autant de phrases ce qui tient en quelques mots. Je pose ma fourchette, je me lève et j'appuie sur la télécommande. Le président s'arrête de parler. Il devient tout noir et il s'éteint. Tout est calme. Je suis bien.
Puis je me dis qu'il faut que j'aille faire les courses, tant que je le peux encore. Je n'ai plus beaucoup de pâtes. J'achèterai de la sauce tomate aussi. Deux pots peut-être. Après, on verra. Je vais dans l'entrée. Sur le petit meuble, il y a mon sac, mes clés, mon porte-monnaie, mes papiers, mon téléphone et mon arme à feu. Je prends tout et je sors.
Dehors, il n'y a pas beaucoup de monde, mais c'est un peu comme d'habitude. Je dis bonjour à mon voisin, mais il n'a pas dû me remarquer parce qu'il rentre chez lui sans me saluer. Je pense au supermarché qui est plutôt loin, alors je monte dans la voiture et j'introduis mes clés. La voiture ronronne doucement. Je roule jusqu'au supermarché, mais il n'y a pas de place, alors je me gare un peu plus loin, près du parc.
En sortant, je vois un homme assis sur un banc à côté des toilettes. Il a des cheveux sales et une veste déchirée. Lui aussi me voit. Comme il me sourit, je sors mon porte-monnaie et je lui lance une pièce. Il me dit merci, alors je lui réponds, de rien. Je le connais, je lui donne une pièce à chaque fois que je viens. Je crois qu'il aime bien cet endroit, ou alors, il n'a nulle part d'autre où aller. En marchant vers le supermarché, je me demande où il va se confiner, mais je n'ose pas lui poser la question.
Quand j'arrive, il n'y a plus beaucoup de chariots. Juste trois, deux, une fois que j'ai pris le mien. Il y a beaucoup de gens, et surtout beaucoup de bruit, même avec leur masque devant la bouche. J'ai peur qu'ils soient aussi là pour acheter des pâtes et de la sauce tomate, alors je me dépêche de rejoindre le département alimentaire. Comme je vois un petit garçon qui court, je me mets à courir aussi.
Il y a encore des pâtes, heureusement, mais plus beaucoup. Je prends trois paquets et mes deux pots de sauce tomate, c'est assez. Je reviendrai en chercher lorsque je n'en aurai plus. À côté de moi, je vois une vieille dame qui met sept paquets dans son chariot. Elle doit avoir drôlement faim, je me dis. Je fais demi-tour et pousse mon chariot vers la caisse. Les vendeurs essaient de scanner tous les articles très vite, mais ils n'ont que deux bras pour la plupart.
Je vais m'engager dans une file quand un père et ses trois enfants prennent ma place. Leur chariot est rempli et je me dis que ça prendra trop de temps. Je décide de changer de file, mais j'ai l'impression que la dame devant a peur de moi. Elle s'écarte dès que je m'avance. Comme ça m'ennuie, je m'écarte, mais je ne sais pas trop quoi faire. Tout à coup je me rappelle du stand de fromages, au fond du magasin, où les gens peuvent prendre des petites piques pour les tester.
Même si je n'ai pas faim, j'avance jusqu'à ce qu'un groupe de personnes me barre la route. Ils parlent très fort, et sont en train de choisir des céréales. Je vois une grande femme se disputer avec un petit monsieur. De toute façon, ce n'est pas la peine d'aller plus loin, je me dis, puisque le stand de fromages est fermé. Je le vois, au fond. Les étalages sont vides et il n'y a personne au comptoir, alors que d'habitude, c'est un homme avec un tablier rouge. Alors j'essaie de dégager mon chariot pour m'en aller, et puis comme il y a trop de gens dans le passage je décide de passer par le département des cosmétiques.
Je traverse les rayons de savons, les rayons de shampoings, les rayons de parfums et les rayons de serviettes hygiéniques. Il y a des gens partout. Leurs yeux bougent et leur bouche aussi. J'ai l'impression qu'ils veulent m'étouffer, à m'entourer comme ça. Je continue d'avancer jusqu'à ce qu'il n'y ait plus personne. Je trouve un rayon désert. J'y vais. À part la musique du supermarché, tout est calme. Je suis bien.
Je regarde les étalages et je vois qu'ils sont vides. Je me demande ce qu'il y avait ici avant. Je regarde de l'autre côté et je vois un paquet de rouleaux de papier toilette. Un seul.
Je réfléchis. Il y en a encore chez moi, mais plus beaucoup. Peut-être pour une semaine. Tout au plus. Je pourrais y retourner entre temps, mais dans ce cas-là, ce n'est pas la peine que j'achète mes pâtes et mes deux pots de sauce tomate. Si je le prends maintenant, je n'aurais pas à revenir faire mes courses avant deux semaines. Je me dis que c'est mieux comme ça et j'avance la main.
Mais le paquet n'est plus là. Je me tourne et je vois la grande femme du rayon des céréales de tout à l'heure. Elle me regarde avec ses yeux qui bougent, mais sa bouche ne bouge pas. Elle a du rouge sur ses lèvres. Alors je dis que je voulais le prendre, et elle répond, trop tard. Je dis que ce n'est pas gentil mais elle se met à rire, et je ne sais pas pourquoi. Je dis que tout de même, je l'avais vu avant. Elle ne répond rien et met le paquet dans son chariot.
Comme elle s'en va, je la rappelle mais un homme avec des lunettes la voit aussi et prend le paquet dans son chariot avant moi. La femme crie. Pourtant, quand elle me l'a pris je n'ai pas crié. Elle reprend le paquet des mains de l'homme en disant qu'il lui appartenait. Mais elle ment. Je le dis, mais elle ne me croit pas et l'homme non plus. Je leur dis que j'en ai besoin, mais elle ne m'écoute pas et lui non plus. Ils ne s'écoutent pas non plus, pourtant ils se parlent, de plus en plus fort.
Alors moi aussi, je me mets à crier, et je leur dis que ce paquet est à moi. Enfin, ils me regardent, et l'homme avec des lunettes me donne un coup de poing. Un employé avec un masque arrive et lui demande de se calmer. Ils le regardent aussi, mais cette fois c'est la grande femme qui le gifle. Il y a aussi le petit garçon qui courait, qui essaie de leur prendre le paquet, mais ils ne le voient même pas.
Je me touche le nez. Ça fait une tache rouge sur mes doigts. Des gens s'approchent et regardent. Il y en a qui viennent essayer de voler le paquet aussi. Et alors, je me dis que parfois, lorsque quelqu'un met un peu trop d'empressement à vouloir obtenir quelque chose, les autres se mettent à désirer avec autant d'ardeur cette chose à leur tour, dont l'existence seule leur était pourtant indifférente quelques instants auparavant.
Une vieille dame essaie de passer, mais il y a trop de monde. Le petit garçon en profite et vole le paquet de rouleaux de papier toilette qu'elle avait dans son chariot. Elle ne le voit pas et continue de demander à passer. Un adolescent la bouscule pour prendre le paquet au petit garçon. Je regarde et j'écoute la vieille dame tomber par terre. Après, je ne la vois plus et je ne l'entends plus à cause des gens devant. Ils vident son chariot comme si elle n'était plus là.
L'homme avec des lunettes n'a plus ses lunettes. Je ne sais pas où elles sont passées. Une jeune femme avec une robe rouge le griffe au visage. Un monsieur avec des cheveux teints court vers eux mais au lieu de retenir la jeune femme, il essaie d'arracher à l'homme le paquet. L'employé a attrapé l'adolescent mais au lieu de le conduire ailleurs il le frappe.
Le petit garçon a toujours son paquet. Mais il n'intéresse plus les gens, ils sont tous autour du chariot d'une mère et de sa fille qui viennent d'arriver. Il est rempli de paquets de rouleaux de papier toilette, et tout le monde essaie de les prendre. Le chariot tremble et la fille aussi. La mère tient chacun d'une main. Elle essaie de protéger les deux, mais c'est trop. Alors, entre le chariot et sa fille, elle choisit le chariot. Elle lâche la main de sa fille qui se fait engloutir par la foule.
La grande femme a réussi à prendre un paquet du chariot, mais ça ne lui suffit pas, alors elle tire les cheveux du petit garçon et prend le sien aussi. Je vois le petit garçon pleurer, mais je ne l'entends pas à cause du bruit. Ça me donne envie de pleurer, à moi aussi. Et puis, comme les gens vont se servir dans le chariot de la mère, je ne le vois plus. Mais je vois la vieille dame. Ses yeux ne bougent pas et sa bouche non plus. Elle est calme. Elle a l'air bien. Pourtant, autour d'elle, les gens se poussent, se frappent, se bousculent.
Oui, c'est la guerre, et les gens sont devenus fous. Il y a trop de bruit, tout le monde hurle. Alors je pose mon sac, je me lève et j'appuie sur la détente. Les gens s'arrêtent de parler. Ils deviennent tout noirs et ils s'éteignent. Je tiens une arme à feu. Je ne sais plus quand je l'ai prise. C'est drôle, je me dis, comme une chose si petite peut faire autant de dégâts.
𐇐
À part la musique du supermarché, tout est calme. Je suis bien. Sur le sol, ça fait une grosse tache rouge. C'était la guerre... et je l'avais gagnée. De tous les clients, j'avais été le plus fou. Je ramasse un à un les rouleaux de papier toilette et je les mets dans le chariot de la vieille dame. Il y en a beaucoup. Je n'en voulais qu'un.
Il n'y a plus personne quand je passe à la caisse. Je vois mon chariot, tout seul, avec ses trois paquets de pâtes et ses deux pots de sauce tomate. Je les mets dans le chariot de la vieille dame aussi, par-dessus les paquets de rouleaux de papier toilette. Comme je veux payer, je laisse des pièces sur le comptoir. Et puis je sors.
Je traverse le parking silencieux. Je me rappelle que j'ai garé ma voiture au parc. Je traverse la rue déserte. J'arrive devant la voiture. Le banc à côté des toilettes est vide. L'homme aux cheveux sales et à la veste déchirée n'est plus là. Je ne sais pas où il est. Peut-être qu'il a trouvé un endroit où se confiner, finalement. J'ouvre le coffre et je commence à charger la voiture avec les paquets.
Lorsque j'ai fini, je ferme le coffre. Je regarde une dernière fois du côté du banc, et je vois l'homme. Il sort des toilettes, il a pris du papier des distributeurs et le plie soigneusement. Il me voit aussi. Il me sourit. Je lui souris.
Et je presse la détente.
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