« Je suppose que toi aussi t'as vu notre rapprochement mais heu... Enfin j'espère et que c'est pas moi qui me suis fait des idées... Et, heu... Je t'apprécie beaucoup Sophie hein, même plus que beaucoup, mais...

- Noé, je ... Je tiens pas particulièrement à ce que ça aille plus loin non plus...

- C'est vrai ? Cool ! Enfin je veux dire... On est d'accord tous les deux d'accord quoi !

- C'est sûr qu'avec l'entrée au lycée et tout le reste, j'ai pas très envie de...

- De t'encombrer, je comprends ! »

Un encombrant. C'est donc ça ce que je représente pour toi Noé ? Juste un encombrant ? Ma foi, j'ai connu pire comme appellation. Et puis si je me mettais à faire des interprétations poétiques comme ma folle de grande sœur je traduirais ça par : « Tu m'encombres trop l'esprit ». Autrement dit, « tu es tout le temps dans mes pensées ». Ouais, moi aussi je peux me faire des films.

De toute manière je sais très bien que c'est que ce qu'on va faire. Je sais pertinemment que je vais rejouer ce dialogue sans cesse dans ma tête, et toi aussi sûrement.

Finalement on va quand même s'encombrer. On va s'encombrer de « et si ? ». Ce qui est pire.

Est-ce que j'ai des regrets ? J'en sais rien. Et puis je sais même pas si je t'aime. De toute façon c'est quoi l'amour à 14 ans ?

*

« On est cons quand même.

- Sympa... »

Tu me regardes avec un air qui est un mélange d'attendrissement et d'irritation. Je provoque très souvent cet air chez toi.

« Nan mais je veux dire... On arrête pas de flirter ensemble dès qu'on se voit, que ce soit inconscient ou non... Et pourtant on assure tous les deux à l'autre être passé à autre chose. On est dans un putain de cercle vicieux Noé. »

Peut-être que tu as raison, comme souvent. Mais si ce cercle vicieux a tes yeux ; alors je veux bien m'y damner pour toujours.

Mais après tu as raison, on a pas changé en un an. On est toujours aussi con. Toujours à jouer à ce jeu de faux semblants, où la drague est toujours omniprésente. Aucun d'entre, nous n'ose l'arrêter, de peur de perdre l'autre. Mais on ose pas aller plus loin. Alors qu'est-ce qu'on fait ? Rien.

T'as raison Sophie, je suis un con.

Parce que je crois que je t'aime.

Je crois.

*

« Un cadeau pour la St Valentin , t'es sérieux Noé ? »

J'ose à peine y croire. T'a osé.

« Tu sais qu'aux Etats-Unis c'est une fête où tu offres aussi des cadeaux à tes amis... »

Je déteste le visage que tu es en train de faire pour que te pardonne. Tu deviens méchant Noé là, tu joues de moi. Le pire c'est que tu le sais très bien.

« On est amis ? Première nouvelle. »

Bordel Noé, tu sais très bien que si je m'en sentais capable tu serais pas qu'un ami. Tu serais beaucoup plus.

« T'as raison Sophie, on est pas amis. On est juste deux imbéciles qui se regardent dans le blanc des yeux. »

Le pire c'est que chacun sait qu'on tiendrait pas un mois ensemble en tant que couple.

« Arrête Noé. Arrête. »

Tu sais mieux que personne que je n'ai absolument pas la force mentale nécessaire pour me lancer là-dedans.

« Arrêter quoi Sophie ? »

Je déteste ce sourire-là. C'est celui que tu sors aux autres Noé, pas à moi. C'est celui que t'utilise pour charmer les autres filles. Mais pas à moi Noé. Pas à moi.

T'es le seul qui as vu mes cicatrices au poignet. Je suis pas la seule à t'avoir vu défoncé ; mais la différence est que je suis la seule qui t'ai vu défoncé, chez toi, tout seul, parce que t'avais besoin d'oublier.

Alors ne commence pas Noé.
Pas à moi Noé.
Pas à moi.

*

« Encore ? T'as rien de mieux à faire que venir m'emmerder aujourd'hui Noé ? »

D'accord, le coup de la St Valentin, c'est vraiment pas une bonne idée. Déjà que la dernière fois...

« Sophie...

- Arrête Noé ! Arrête ! J'en ai marre de ta mascarade ! Va offrir tes fleurs à une de tes groupies !

- Sophie... Je suis sérieux... »

Tu te figes. Je l'ai dit. Enfin.

« Noé, tu... Tu peux pas. Tu peux pas me faire ça...

Ta voix est brisée, comme ton regard.

- Je t'aime Sophie... Je t'aime...

- Noé... On a 17 ans bordel ! C'est quoi l'amour à 17 ans, hein ? C'est quoi ? »

Tu hurles et tu pleures en même temps. Je pleure aussi. On a toujours été comme ça tous les deux, à verser dans le dramatique. Que veux-tu Sophie, j'en croirais presque que la tragédie est notre meilleure amie.

« Aimer Sophie c'est vouloir te parler tous les jours, alors que j'ai rien dire. C'est vouloir t'écouter parler à en plus finir. C'est être heureux, quasiment euphorique près de toi, malgré tout. C'est vouloir t'entendre rire, te voir sourire. Aimer Sophie, pour moi c'est pour moi c'est tout ça. Et bordel qu'est-ce que je t'aime.

- Noé... ta voix s'est calmée, elle est beaucoup plus basse et plus fragile, On sera jamais heureux ensemble. Ce serait con et égoïste.

- Ah et pourquoi ?

Je m'y attendais à cette réaction là Sophie. Mais ça n'a pas suffit pour m'arrêter.

- Parce qu'on est deux surdoués de l'autodestruction. Parce que si tu fous une suicidaire et un alcoolique ensemble, ils le sont pas pour le meilleur. Uniquement pour le pire. »

Le plus horrible c'est que tu as raison.

Je m'y attendais pas à celle-là, alors que je pensais te connaître par cœur.
Parce que t'as volé le mien.

*

« Je croyais qu'on se voyait plus le jour de la St Valentin. Pour éviter les souvenirs.

Tu as dit ça avec un sourire triste avec lequel je t'ai rarement connu. Putain, qu'est-ce que ça fait mal de me dire que c'est à cause de moi que tu l'utilise.

- Je sais pas, c'est à toi de voir. T'as un rencard de prévu ?

J'essaye d'être nonchalante en disant ça, mais en réalité la jalousie me détruit les entrailles. Tu es ma plus grande faiblesse Noé. Et tu le sais, tu en as bien trop souvent joué dans le passé.

Je survivrai pas à une nouvelle fois Noé.

- Maintenant j'espère en avoir un...

Ça y est, tu as récupéré ton sourire charmeur insupportable. Je suis quasiment sûr que tu sais que j'ai envie de te gifler quand tu l'aborde. Parce que ce n'est pas ça le vrai Noé.

Mais bon, pour une fois je passerai outre.

- J'ai réfléchi Noé. Beaucoup.

Je dis ça en me rapprochant de toi et tu as soudainement l'air de passer en apnée.

- La dernière fois... repris-je, Je t'avais dit que ce serait con et égoïste qu'on essaye. Mais... Mais depuis quelque temps j'ai réalisé que... Que la vie elle-même est, de base, conne et égoïste. »

Je fais un pas de plus, tu souris. De ton vrai sourire cette fois. Et je t'embrasse.

« T'as raison, me murmure tu après coup, Quant à s'autodétruire, autant s'autodétruire ensemble... »

Tu m'embrasse.

Je n'ai pas de souvenir d'avoir été aussi heureuse.

Ça me fait peur.

*

Sophie et Noé, Noé et Sophie : c'est ainsi que tout a commencé.

Cette tragédie mutuelle devra s'écrire à deux. Ou ne pas s'écrire du tout.

Noé aime Sophie.

Sophie aime Noé.

En sont ils pour autant heureux ? Peut-être.

Peut-être que les plaies au poignet de Sophie vont définitivement cicatriser.

Peut-être que Noé ne touchera plus à l'alcool même pour s'amuser.

Mais bon. Pyrame et Thisbé ; Tristan et Iseult ; Titus et Bérénice ; Roméo et Juliette... Toutes les grandes histoires d'amour finissent mal.

En général.

*attends nerveusement vos réactions*