Appelez-moi Alex
Note d'auteure :
Cette nouvelle a été écrite dans le cadre du concours d'écriture 2021 "Nouveaux talents" de la maison d'édition Rageot en partenariat avec Diveka. Le thème imposé était le suivant : Nos identités, celles qu'on nous impose et celles qu'on cache. La nouvelle devait être à destination des adolescents. Malheureusement, mon texte n'a pas été sélectionné. Le voici donc rien que pour vous !
Genre : jeunesse, fiction générale
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Pourquoi la vie est-elle si compliquée ? Je me détaille dans le miroir, la mine renfrognée. Rien ne va avec mon corps. Mes seins ridicules, mes hanches sans forme, mes fesses plates... Je soupire et jette un coup d'œil sur la gauche vers mon horloge murale. 7 h 50. Si je ne veux pas arriver en retard au collège, il faut que je me dépêche. Je continue mon inspection, essayant d'accélérer la cadence. Aujourd'hui est un jour important. Après deux semaines de congé scolaire, je retourne enfin à l'école. C'est la dernière ligne droite avant les vacances d'été. Si je réussis mes examens cette année, j'irai au lycée. Et le lycée, c'est une étape importante. Mon grand-frère est passé par là quelques années plus tôt. Il s'est retrouvé sans amis, seul, complètement paumé. Et immédiatement, beaucoup d'adolescents ont commencé à se moquer de lui. Ça a été une période si difficile... Je frissonne. Hors de question que je me retrouve dans ce cas-là ! Pour ce faire, j'y ai déjà tout réfléchi. Cette année, je n'ai qu'un but : tout essayer pour me faire accepter par la bande super-populaire d'Ashley. Elles vont dans le même lycée que moi l'année prochaine. Donc si j'arrive à être leur amie, je ne serai pas seule au lycée. Je serai bien vue et, surtout, je ne me ferai pas embêter par les autres.
7 h 55. À ce rythme-là, je vais officiellement être en retard. Ni une, ni deux, j'attrape deux paires de chaussettes que je roule en boule et les place dans mon soutien-gorge bien trop grand pour moi. Je m'observe rapidement. Ça fera l'affaire. J'enfile ma robe légère et mes chaussures toutes neuves. J'avais dû me battre avec maman pour qu'elle accepte de me les offrir. Des chaussures à 250 € la paire... Il faut être fou pour les acheter. Mais c'est ce que la bande d'Ashley porte. Alors je dois les porter aussi. Les filles n'avaient pas arrêté d'en parler avant les vacances. Ces baskets allaient faire fureur d'après elles. Et effectivement, elles sont hyper tendances. Mais ces filles-là, elles ont suffisamment d'argent pour les acheter. Moi, avec mon père qui travaille dans une usine et ma mère qui est femme au foyer, je ne peux pas me le permettre. Alors j'ai sorti mon arme secrète : j'ai pleuré. J'ai pleuré en disant à ma mère que si je n'avais pas ces chaussures, je perdrais mes amies. Elle m'avait regardé étrangement, marmonnant qu'il n'était pas normal de perdre des amies pour un vêtement. Toutefois, elle avait fini par céder face à ma mine déconfite. Mais à une condition : à partir de maintenant, je dois promener Lulu, notre Golden Retriever, tous les matins et tous les soirs pendant trois mois. De quoi mériter mes chaussures hors-de-prix.
Je me regarde dans la glace, un air satisfait sur le visage. Dans cette tenue, impossible qu'Ashley me dise quoi que ce soit. J'étais même allée chez le coiffeur la veille pour que mes cheveux soient parfaitement lisses et brillants. Et en plus, j'ai piqué du maquillage à maman ce matin. Les filles n'en reviendront pas quand elles me verront.
Je descends les escaliers à vive allure et attrape mon sac à main en grimaçant. Avec toutes ces fardes et cahiers que je dois porter pour les cours, je vais encore avoir mal au bras. Mais avoir un sac à dos au lycée quand on est une fille, c'est la loose. Alors c'est un sac à main que je prends.
J'enfile ma veste et vérifie une dernière fois mon reflet dans la glace du hall d'entrée. Je hoquette de surprise. Moi-même, je ne me reconnais pas dans cet accoutrement. Je suis si féminine, si... jolie. La main sur la poignée de la porte d'entrée, je crie à ma mère que je m'en vais, mais n'attends pas sa réponse avant de sortir. Une légère brise me caresse le visage, annonçant l'été. Je souris. Aujourd'hui, tout va bien se passer.
J'attrape le bus in extremis. À quelques secondes près, je le ratais. Je salue le chauffeur et me précipite vers le fond, manquant de trébucher. Je grommelle. Pourquoi est-il si compliqué de marcher avec une robe ? Ça vole partout, ça s'emmêle dans mes jambes... Qui a eu la drôle idée d'inventer ce vêtement ? Niveau confort, on y repassera. Je m'affale finalement sur un siège, heureuse de pouvoir déposer mon sac à mes côtés. Mon épaule me fait déjà souffrir. Je souris. J'ai mal, c'est sûr. Mais le dicton ne dit-il pas : « Il faut souffrir pour être belle » ?
Alors que j'étais perdue dans mes pensées, j'ai la désagréable sensation d'être observée. Je tourne la tête vers la gauche et voit un garçon qui me dévisage étrangement, les yeux fixés sur mes jambes. Je baisse la tête, prise de panique, et me rends compte que je suis assise, les jambes grandes ouvertes, offrant une jolie vue sur le short de sport noir que j'avais pensé à enfiler par-dessus ma culotte au-cas où ce genre d'incident arriverait. Rouge de honte, je m'empresse de croiser les jambes, m'asseyant correctement. Le garçon tourne la tête et rit face à ma mine déconfite. J'essaie de me redonner contenance, vérifiant que personne ne m'a vue mise à part lui. Je soupire. Rien à signaler. La seule adolescente qui se trouve avec nous, c'est une punk aux cheveux mauves. Plongée dans son monde, son casque noir vissé sur les oreilles, elle bouge la tête en rythme et observe le paysage défiler autour de nous. Ses doigts ornés de bagues en forme de tête de mort marquent le rythme, ses multiples boucles d'oreilles se balançant légèrement. Je l'observe longuement. Je n'aime pas son style. Les vêtements noirs et déchirés, les cheveux colorés et les tatouages partout sur le corps ne me tentent pas plus que ça. Mais ce que j'aime, c'est qu'elle s'affirme. Elle, elle ose se montrer telle qu'elle est vraiment. Peu importe ce que les gens disent, elle s'habillera comme elle l'entend. J'aurais aimé avoir ce courage. Mais ce n'est pas le cas.
Ce n'est pas la première fois que je la vois prendre le bus. Je ne connais pas son prénom. Je n'ai jamais osé lui demander. Mais ce que je sais, c'est qu'elle est toujours seule. Quand elle descend à son arrêt, elle est seule. Quand elle passe la grille de son école, elle est seule. Une fois, en rentrant à la maison après les cours, je l'avais même vue assise sur un trottoir, tout près de l'école. De loin, j'étais presque sûre qu'elle pleurait.
Je baisse la tête, de peur de finir par me faire repérer par la punk, et me tortille sur mon siège, croisant et décroisant les jambes pour trouver une position confortable. Rapidement, j'abandonne. Rien n'est agréable avec une robe. Je me contente alors de regarder le paysage, essayant de me changer les idées.
Une fois arrivée à mon arrêt, je me lève précipitamment, tendue. En voyant l'entrée du collège Viagey, je frissonne. Mon pauvre petit cœur bat à cent à l'heure. J'essuie une goutte de transpiration qui perle sur mon front. Comme un robot, je me mets à marcher vers les grilles. La peur me prend à la gorge et, plus j'avance, plus j'ai l'horrible impression que quelque chose de grave va arriver. Et si les filles n'aimaient pas ma tenue ? Et si elles me critiquaient sur mon physique ? Remarqueront-elles que j'ai le même sac qu'avant les vacances et que je n'ai pas encore acheté le tout nouveau modèle qui vient de sortir ? Et si les couleurs de ma robe n'étaient plus à la mode ? Je secoue la tête et jure entre mes dents. Pourquoi ne me suis-je pas posé toutes ces questions avant ! J'aurais pu faire des recherches sur l'ordinateur de maman. Je suis tellement idiote parfois. Je sais que la mode change rapidement. Et je suis sûre que la bande d'Ashley est forcément au courant des dernières tendances. Si je fais le moindre faux pas, je peux dire « au revoir » à mon groupe d'amies hyper-populaires pour le lycée.
Je frotte mes mains moites sur le haut de ma robe et vérifie que tout est en place. Mes fins cheveux blonds ne se sont pas emmêlés malgré le vent, mon maquillage léger n'a pas l'air d'avoir coulé, les chaussettes qui remplissent mon soutien-gorge sont toujours en place et mes chaussures brillent tant elles sont neuves.
Je me faufile dans la masse d'élèves qui se dirige vers la cour principale. Rassurée de m'y fondre ainsi, je me détends. Personne ne me prête attention, ce qui m'arrange très bien. J'aperçois même quelques filles qui ont le même sac que moi à leur épaule, ce qui me fait pousser un soupir de soulagement. Il faut croire que ce modèle est toujours d'actualité.
Enfin arrivée dans la grande cour, je me mets sur la pointe des pieds pour repérer Ashley et sa bande. D'habitude, elles sont toujours près des arbres, assises sur un banc. Le seul banc de la cour. Mais personne n'oserait s'y asseoir. Tout le monde sait que ce banc appartient à la bande d'Ashley. Alors que je tente tant bien que mal de me grandir pour voir au-delà de la foule d'élèves, une voix rauque me surprend :
« Qu'est-ce que tu cherches comme ça ? »
Je sursaute et me retourne maladroitement. Quand j'aperçois son visage, ma bouche s'ouvre en grand. C'est Diego. Diego Martinez. Voyant que je ne réagis pas, il réitère sa question. Comme un animal pris au piège, je lance des regards fous autour de moi. Si Ashley me voit discuter avec son petit ami, elle va me tuer. Elle est du genre très possessive et refuse que quiconque s'approche de lui. Surtout les autres filles de la bande. Je déglutis et recule de quelques pas, mettant le plus de distance possible entre lui et moi.
« Je cherche les filles.
— Ashley et ses amies ne sont pas encore là. Les parents d'Olive ont voulu les amener dans leur toute nouvelle voiture. Mais ne t'inquiète pas, elles vont arriver dans un instant. Tu peux venir avec nous, si tu veux. »
Il désigne du doigt son groupe d'amis. Diego leur fait signe et Noa, son meilleur ami, lève un ballon de foot dans les airs. Diego crie qu'il arrive pour jouer une partie puis se retourne vers moi. Son visage parfait me fascine. Pas étonnant qu'il sorte avec Ashley, la plus jolie fille du collège.
« Alors, tu viens ? »
Mon regard passe de Noa à Diego.
« Vous allez jouer une partie ?
— Oui, on a le temps avant que les cours ne commencent. Tu peux venir avec nous, tu sais. Je t'ai vue jouer l'autre fois avec ton frère. Tu es plutôt douée.
— Tu... Tu m'as vue jouer au foot ? je balbutie, effrayée. »
Je me mets à trembler. S'il l'a dit à Ashley, je peux faire une croix sur mon groupe d'amies pour le lycée. Les filles ne jouent pas au football. Et encore moins avec des garçons.
« Hé, Alexandra ! Calme-toi. Qu'est-ce que tu as ? Tu es malade ? »
Sa main se pose sur mon épaule. Je recule, apeurée.
« Oui, oui, tout va bien, je dis en reprenant contenance. Désolée, Diego. Mais je ne joue pas au foot. Ce n'est pas moi que tu as vue, je crois. Tu sais, les filles ne tapent pas dans un ballon ou ne font pas du skateboard. Ce serait ridicule. »
Je me force à rire et passe ma main dans mes cheveux, comme le fait Ashley. Diego fronce les sourcils.
« T'es sûre ? J'étais persuadé que c'était toi.
— Sûre et certaine ! Je ne suis pas un garçon manqué. »
Je lui lance un clin d'œil, essayant d'être la plus convaincante possible. Il me regarde longuement sans rien dire. Je me recule encore, les yeux fixés sur la grille, guettant l'arrivée des filles. Diego soupire et finit par ajouter :
« D'accord, comme tu veux. »
Je souris timidement, le regard toujours rivé sur l'entrée de la cour. Je suis tellement concentrée que je ne vois pas Diego s'éloigner. Par contre, je suis à peu près certaine de l'avoir entendu marmonner que les filles sont aussi autorisées à taper dans un ballon. Je le regarde s'en aller, les sourcils froncés. J'ai dû rêver.
Enfin, quelques minutes avant que les cours ne commencent, Ashley et sa bande passent la grille. Dès leur arrivée, tout le monde se tait et les suit du regard, obnubilé par leur présence. Ces filles dégagent quelque chose... Elles sont si sûres d'elles et si belles. Automatiquement, le choc de leur arrivée passé, je scanne leur tenue. Elles ont toutes les mêmes chaussures que moi. Je soupire de soulagement. C'est déjà ça. Ashley et Olive portent une robe semblable à la mienne tandis que Charlotte et Clémence ont opté pour un pantalon très chic. Je leur fais signe de la main, impatiente. Toutes mes peurs se sont envolées maintenant. Elles sont exactement habillées comme moi. Je sautille sur place. Charlotte finit par me remarquer et me pointe du doigt en interpellant Ashley. Celle-ci hausse son sourcil finement épilé puis se dirige vers moi, un grand sourire plaqué sur le visage.
« Alexandra ! Comme tu m'as manquée. »
Elle me fait la bise puis recule pour m'observer. Je tourne sur place afin qu'elle me voie sous toutes les coutures. Rapidement, les trois autres filles la rejoignent.
« Trop tendance tes chaussures Alexandra ! s'exclame Charlotte. Regarde, j'ai les mêmes.
— Ah ben ça alors ! je m'écrie à mon tour, pointant mon pied en avant pour le placer en face du sien. Je ne le savais pas. C'est fou ! »
Je ponctue ma remarque par un petit coup de tête afin de faire voler mes mèches au-dessus de mon épaule, puis je glousse en cachant ma bouche de ma main droite.
« Ces chaussures, c'est le top du top. Cet été, tout le monde va les porter. Je vous le dis ! annonce fièrement Clémence de son air hautain.
— Tout le monde, tout le monde... Il faut déjà avoir suffisamment d'argent pour se le permettre, ajoute Ashley. »
Elles rient toutes les quatre en cœur et j'en fais autant, ne sachant quoi faire d'autre.
« On ne peut pas être belle et pauvre en même temps, déclare Charlotte d'un haussement d'épaules moqueur. »
Ashley me lance un regard étrange, mais je lui souris.
« Bon les filles, on y va ! »
Ashley claque ses doigts finement manucurés et nous la suivons sans faire de bruit. Alors que je m'apprête à demander aux filles ce qu'elles ont fait pendant les vacances, Clémence se tourne vers moi.
« Dis, je n'ai pas voulu le dire devant les autres tout à l'heure, mais il faut vraiment que tu t'épiles les jambes, me chuchote-t-elle tout bas. Là, ce n'est plus possible ! Si tu veux, je te donnerai la carte de mon esthéticienne. Elle est super ! »
Honteuse, je me contente de hocher la tête et de la remercier. Je jette un rapide coup d'œil à mes jambes. Elles n'ont rien pourtant. Bon, il est vrai que j'ai un petit duvet mais... rien de bien dramatique non plus ! Discrètement, j'attrape mon vieux téléphone pour envoyer un message à ma mère. Il faut absolument que je le lui dise. Demain, si j'ai les jambes dans le même état, Ashley risque de le remarquer.
À : Maman
De : Alex
Coucou Mam's !
Bien arrivée avec les filles. Dis, j'ai l'impression que mes jambes sont trop poilues. On peut s'occuper de ça ce soir ?
Quelques minutes plus tard, un léger bip se fait entendre.
De : Maman
À : Alex
Depuis quand tu te préoccupes de tes jambes ?
Je lève les yeux au ciel et m'apprête à répondre lorsque je reçois un deuxième message.
De : Maman
À : Alex
Mais bon, si ça te dérange, on va faire quelque chose. On en parle ce soir.
Bisous ! JTM <3
Je soupire de soulagement en lisant sa réponse. Une bonne chose de faite.
« Tu parles à ton amoureux ? s'exclame soudainement Charlotte par-dessus mon épaule, essayant de voir l'écran de mon téléphone. »
Je sursaute et range précipitamment mon Nokia 3310 au fond de mon sac. J'étais pourtant persuadée que les filles étaient loin devant. Je ris et rougis.
« Oui... j'avoue à mi-voix, mentant éhontément.
— Oh, j'y crois pas. Les filles, Alexandra a un petit copain ! »
Je mets ma main sur la bouche de Charlotte pour l'empêcher de crier. Quelques élèves se sont retournés, curieux d'en savoir plus. Je me fais minuscule. Alors que je lui demande de rester discrète, Charlotte se défait de mon emprise et continue à crier. Ashley, qui discute au loin avec Diego, lui fait signe qu'elle est occupée. Mais rapidement, Olive et Clémence me tombent dessus comme des furies.
« Il s'appelle comment ?
— Tu vas nous le présenter ?
— Je suis sûre que Diego, Tom, Loïc et Hugo s'entendront très bien avec lui, annonce Clémence en souriant.
— Oh oui ! s'exclame Charlotte. On pourra se faire des sorties ensemble. Ça sera trop chouette !
— Mais oui, trop bonne idée. C'est génial ! Maintenant, chacune a un copain. Ça peut être sympa de s'organiser des trucs, rajoute Olive d'un hochement de tête.
— T'en penses quoi, Alexandra ? »
Trois paires d'yeux parfaitement maquillés se braquent sur moi, attendant impatiemment ma réponse. Je déglutis, mal à l'aise. Jusque-là, je n'ai pas osé prononcer un seul mot. Leurs trois visages aux traits parfaits me fixent et leurs sourires sont tellement grands qu'ils me font peur. Je bégaie. Je ne sais pas quoi leur dire. Moi, en réalité, je n'ai pas de copain. J'envoyais juste un message à ma mère... Mais je ne peux pas leur dire ça.
Face à mon manque de réaction, Charlotte passe plusieurs fois sa main devant mes yeux, me demandant si je vais bien. Je hoche la tête et bredouille :
« Il s'appelle Thomas et il est au lycée. Il...
— Oh... Mon... Dieu ! hurle Olive, me faisant grimacer. »
Les trois filles semblent sur le point de hurler et de sauter dans tous les sens. Je leur demande ce qu'il se passe. Soudain, des cris stridents s'échappent de leur gorge et elles s'agitent comme des furies, faisant un bruit monstre. Plusieurs personnes nous regardent étrangement. Je jette des coups d'œil de tous les côtés, ne sachant pas quoi faire. Est-ce que, moi aussi, je dois me mettre à sauter et à taper frénétiquement dans mes mains ? Elles ont plutôt l'air folles comme ça...
Ma réflexion est de courte durée car les trois filles foncent à nouveau sur moi, me posant trente-six questions.
« Parce qu'il est plus âgé en plus !
— Ça doit forcément être un super bad boy, ajoute Charlotte.
— Il est musclé ? Il a d'autres amis ? Tu peux nous les présenter ?
— Mais dis donc, s'offusque Clémence en frappant Olive sur l'épaule. Tu viens à peine de te mettre avec Tom que tu cherches déjà à draguer d'autres mecs ?
— Ben, tu sais, fait remarquer Olive, si c'est un garçon plus âgé et plus musclé, clairement, je change. Tom, je ne l'aime pas spécialement. C'est juste pour avoir un copain, tu sais bien.
— Oui, c'est pareil pour moi, dit Charlotte en haussant les épaules. Si je trouve un garçon plus populaire que Loïc, je sors avec ! »
Elles continuent leurs bavardages, ne faisant plus attention à moi. Je les écoute distraitement, hallucinant devant ce que j'entends. Comment peuvent-elles parler ainsi de leur copain ? Normalement, quand on est avec quelqu'un, c'est parce qu'on l'aime, non ? Alors que Charlotte, Olive et Clémence se chamaillent, je recule de quelques pas, sortant de cette agitation. J'ai besoin d'un peu de calme...
Au loin, je vois Ashley faire de grands gestes tandis que Diego secoue la tête. Son regard croise le mien. Pendant un instant, le temps se suspend. Je ne vois que lui. Mais rapidement, Ashley le force à la regarder, me foudroyant du regard. Je déglutis et baisse la tête. Je ne dois manifestement pas me mêler de ses affaires.
Finalement, la sonnerie retentit, coupant tout le monde dans ses élans. Les filles se dirigent vers Ashley, semblant avoir complètement oublié mon annonce précédente. Je soupire de soulagement et prie pour que ça soit vraiment le cas. Sinon, je suis cuite.
Le reste de la matinée se passe plutôt bien. Une chose reste toutefois étrange. Dès que je croise le regard d'Ashley, elle me regarde bizarrement. Ses émotions sont indéchiffrables et son expression n'augure rien de bon. Je profite alors du temps de midi pour discuter avec elle afin de m'excuser. Je lui explique que je ne voulais pas les déranger, elle et Diego. Elle fait un geste vague dans ma direction, signifiant ainsi que ce n'était rien, et continue à se limer les ongles, alors qu'ils sont déjà parfaitement manucurés. L'après-midi, personne n'est revenu sur mon annonce du matin. Mon copain imaginaire est parti aussi vite qu'il est venu, et ce n'est pas pour me déplaire. Au moins, je n'ai pas à m'enfoncer encore plus dans mon mensonge.
Alors que j'écoute d'une oreille distraite le professeur de chimie nous parler de molécules tout en me repassant mentalement le fil de cette première journée, la sonnerie retentit, annonçant la fin des cours. Je ramasse mes affaires à la hâte, les pousse dans mon sac et me précipite hors de la classe. Une fois dehors, je rejoins les filles sur l'unique banc de la cour. Elles m'attendent.
« Te voilà ! s'exclame Olive. Tu veux que mes parents te ramènent ? C'est notre toute nouvelle voiture, tu sais, dit-elle fièrement, un grand sourire sur les lèvres. »
Au fond de moi, j'aimerais dire oui. Mais alors, les filles découvriront où j'habite et se rendront compte que mes parents sont loin d'être riches. Elles risquent aussi de voir mes amis et elles me poseront trop de questions le lendemain. Et mes amis m'en poseraient aussi en me voyant habillée comme je suis et traîner avec ce genre de filles-là. Je prends mon courage à deux mains et invente un énième mensonge. Bientôt, je deviendrai experte dans ce domaine...
« C'est très gentil, Olive, mais mes parents viennent déjà me chercher.
— Ton père et ta mère ne travaillent pas qu'ils savent venir te chercher si tôt ? s'exclame Charlotte, horrifiée. »
Me rendant compte de mon erreur, je m'empresse de rectifier :
« Si, bien sûr que si. Mais ce sont eux les patrons. C'est leur propre entreprise donc ils s'en vont quand ils veulent, dis-je fièrement, sur un air un peu hautain, imitant Olive.
— Wahou, trop cool ! s'écrie Clémence. Ils ont leur propre business, comme les parents d'Olive. »
Je hoche la tête, confirmant par là-même ce que je viens de dire. Ashley me dévisage, la tête penchée sur le côté, étrangement calme. D'habitude, elle est plus bavarde. Nos regards se croisent et, au fond de ses yeux, je vois qu'elle sait. Je frissonne. Que sait-elle au juste ? Il y a tant à savoir sur moi... L'Alexandra qu'elle pense connaître n'est pas l'Alexandra que je suis vraiment.
Ashley s'apprête à dire quelque chose lorsque le portable d'Olive émet un bruit strident.
« Mes parents sont là, les filles ! On y va. »
Toutes se lèvent pour la suivre, Ashley y compris. Mais cette dernière ne manque pas de se retourner, me lançant un regard mauvais à travers ses mèches rousses. Je déglutis et les salue de la main avant de consulter mon téléphone, feignant un message imaginaire. Dès que je les vois entrer dans la nouvelle Porsche des parents d'Olive, je me dirige vers la grille. 16 h 00. Je dois me dépêcher. J'attrape le premier bus qui passe. Une fois le trajet terminé, je m'engouffre dans ma maison. Maman passe sa tête hors de la cuisine, étonnée du vacarme que je fais.
« Comment ça a été ta journée Alex... Oh wahou ! s'exclame-t-elle en me voyant, la bouche grande ouverte. Je comprends pourquoi tes jambes t'intéressent maintenant. Je ne savais pas que tu mettais des robes. Tu es magnifique comme ça. »
J'attache à la hâte mes cheveux blonds en chignon haut, ignorant sa remarque.
« C'est pour les filles, c'est ça ? me questionne-t-elle. C'est pour ça que tu es habillée comme ça ? »
J'enlève mes baskets et me dirige vers ma chambre, toujours sans lui répondre.
« Alex... Alex, écoute-moi ! »
Je jette ma robe sur mon lit, enlève mon soutien-gorge et mes chaussettes qui m'ont fait horriblement mal toute la journée. Je passe une brassière de sport afin d'aplatir ma poitrine le plus possible, enfile mon short et mon t-shirt ample. Je me démaquille rapidement et enfonce ma casquette sur mon crâne, m'assurant que mes cheveux longs soient bien cachés.
« Tu sais, Alex, commence ma mère en me voyant m'affairer. Je ne pense pas que ce que tu fais soit sain. On t'accepte comme tu es et tes amis aussi. Alors pourquoi fais-tu tout ça juste pour elles ? Ces filles se moquent de toi. Et c'est quoi cette histoire avec tes jambes ? Tu n'as rien du tout, dit-elle en passant sa main sur mon mollet droit. »
Je lui lance un regard meurtrier, restant silencieuse quelques minutes.
« Maman, tu sais pourquoi. Je te l'ai déjà dit. Je ne veux pas finir comme Antoine. Et puis, tu sais, cette punk dont je t'ai parlé l'autre fois ?
— Oui, la fille du bus, soupire ma mère en croisant ses bras sur sa poitrine.
— Et bien, cette fille s'accepte comme elle est mais, au bout du compte, elle est seule. Je l'ai même vue pleurer sur...
— Tu penses l'avoir vue pleurer, Alex. Tu ne lui as même pas demandé. Et qui te dit qu'elle n'a pas d'amis ? Ce n'est pas parce que ton frère a eu quelques soucis en arrivant au lycée que ce sera ton cas aussi.
— Ah oui, tu crois ? Tu crois que personne ne dira rien en me voyant arriver ainsi ? je demande en désignant ma tenue.
— Je... »
À court d'arguments, ma mère ne répond rien. Je la bouscule et sors précipitamment de ma chambre.
« Tu rentres pour 18 h ? s'écrie maman, habituée à me voir réagir ainsi.
— Oui, oui, Mam's. »
J'enfile mes baskets trouées et réajuste mes chaussettes hautes. Dans le miroir du hall, le même dans lequel je me suis regardée ce matin, je me reconnais enfin. Je souris. Le t-shirt et le short de mon frère me vont à ravir. Sur ma casquette est écrit en grand « Alex ». J'attrape mon skateboard déposé sur le mur du salon, enfile mon sac à dos et m'élance dehors retrouver mes amis. Eux au moins, ils m'acceptent et ils me comprennent. Ils comprennent que je ne suis pas une fille.
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