Déception
Tao passa doucement une main sur ce qu'il venait de créer. Une arme, comme il en avait l'habitude, mais pas une simple arme, pas un simple pistolet. Celui-ci avait quelque chose de spécial, autant dans la conception qu'aux yeux du rouquin.
Cette chose spéciale ? Une valeur sentimentale, émotionnelle, voir puérile. Il avait fabriqué cette arme pour quelqu'un en particulier, une des filles de son entourage, une fille qui, selon lui, gagnait à être connue, devait montrer ses talents avec fierté.
Il voulait l'aider à prendre son assurance, l'aider à se sentir mieux. Il voulait voir son sourire si doux illuminer son visage, il voulait que l'expression de douleur et de mélancolie, les affreuses marques rouges sur ses bras et tous ses complexes disparaissent. Il voulait qu'elle soit heureuse, qu'elle sourie sans arrêt, sans se soucier de quoi que ce soit. Sans se soucier du regard des autres, sans se soucier des manières de passer son chagrin, sans se soucier du fardeau qu'était la vie. Le simple fait de la voir heureuse suffisait à provoquer son propre bonheur. Il voulait qu'elle soit heureuse pour le restant de sa vie.
Pourtant, on ne pouvait pas effacer d'un simple claquement de doigt les blessures du passé. Il savait mieux que quiconque que ces blessures étaient bien souvent trop fortes, trop profondes, trop encrées, indélébiles. Elles tournaient en tête quoi qu'il arrive, à tous moments, toutes secondes de la journée. (D'un geste nerveux, il se massa l'épaule, comme pour soulager un hématome qui n'existait plus depuis longtemps.) Rien ne pouvait les ressouder complètement, on en gardait irrémédiablement des séquelles.
Mais alors même qu'il savait tout ça, il n'avait pas dit son dernier mot, il voulait tenter sa chance, sa chance pour qu'elle aille bien, sa chance pour qu'elle puisse sourit sincèrement. De tout cœur, il espérait que son entreprise ne se solde pas par un échec. Mais pas uniquement, car il la voulait heureuse. Il voulait aussi réussir parce qu'il ne supportait pas l'échec, qu'il en avait peur, une peur monstre.
Il n'avait pas seulement peur des retombées de ses erreurs sur les autres. Il avait aussi peur d'autre chose, une peur bien plus profonde, plus singulière. Il avait peur de sa colère.
En effet, quand il échouait, il la sentait lui titiller les nerfs, de plus en plus fort, jusqu'à ce qu'elle prenne vie et possession de lui. Et quand ça arrivait, il prenait peur. Il prenait peur parce qu'il ressemblait, il devenait son géniteur. Malgré sa haine et sa terreur profonde pour cet homme et ce qu'il avait fait, Tao lui ressemblait, et ça le terrifiait. Même si ses cheveux roux, ses traits assez doux, son sourire et son œil d'un bleu presque pastel lui venait de sa mère, il possédait l'œil vert de la même nuance pastel et l'expression colérique de son père. Il avait des tics, des manies, de cet homme qu'il avait tant haï. Et il avait peur. Il avait peur de finir comme lui, d'être un monstre sans nom et sans cœur, une personne qui devrait mourir au lieu de juste croupir en prison, une personne crainte et détestée par ses propres enfants, la chaire de sa chaire, le sang de son sang.
Mais, d'un coup de tête, il chassa ses pensées. Il voulait les arrêter, les arrêter avant que les cris et les supplications de sa sœur ne lui reviennent en tête, s'arrêter avant de revoir la vision d'horreur qu'il avait eu quand...
Stop !! Stop stop stop !! Il fallait penser à autre chose !! Autre chose, autre chose, autre chose !!
Il resserra sa prise sur le pistolet muni de plaques d'argent et le rangea dans une de ses poches. Il avait peut-être trouvé son "autre chose" et cet "autre chose" se nommait Léonnie.
Il marchait, se mettant en quête de trouver la jeune fille pour qui il s'était donné tant de mal. Il savait très bien où il allait, savait très bien où elle se trouvait. En réalité, ça n'était pas vraiment compliqué, il n'y avait pas beaucoup d'endroits où elle pouvait se trouver et les bruits de tir l'aidaient fortement.
Il marchait dans le couloir de pierre, délabré par le temps, et poussa le panneau en bois avec précaution, laissant la pièce s'ouvrir à lui. Cette pièce n'avait rien d'exceptionnel, une simple salle d'entraînement recelant tout - ou presque - ce qu'il pouvait y avoir pour le combat. L'apparence de l'endroit en lui-même n'était pas spécialement attrayante. La luminosité y était assez étrange et les murs semblaient, à l'instar du sol, avoir souffert du passage du temps.
Il n'y avait personne, personne à part elle. Tao prit quelques secondes pour la regarder, se demandant comment l'aborder. Elle était debout au spot de tir, pistolet en main, s'occupant des cibles mouvantes avec une précision exceptionnelle. Elle avait beau être de profil, il parvenait tout de même à distinguer son œil noisette, légèrement plissé, ce qui modifiait très légèrement les traits de son visage sans pour autant les gâcher. Même si ses cheveux brun ambré étaient attachés en une queue de cheval désordonnée, sa frange, plutôt longue, cachait une partie du cache-œil de cuir qui lui camouflait l'œil gauche. Elle était habillée de manière simple, basique, mais ne portait rien de flashy, rien qui découvrait ses bras, rien qui découvrait ses jambes et surtout, rien qui découvrait son ventre ou sa poitrine. Pourtant, le rouquin peinait à s'arracher à cette contemplation. Sachant bien qu'elle allait finir par le remarquer, il se força à s'avancer vers elle puis se risqua à parler d'une voix légèrement effacée.
« Léonnie ? »
Il distingua un léger sursaut qui parcourut le corps de la tireuse avant qu'elle ne se tourne vers lui, sourire aux lèvres.
« Coucou !! »
Il trouvait sa voix tellement douce, tellement-... Il ne parvenait même pas à poser des mots sur ce qu'il pensait, il trouvait sa voix tout bonnement indescriptible. Elle était cristalline, de la douceur d'une hypersensible de sa trempe et avait quelque chose d'envoûtant. Pas comme Psycho, pas cet envoûtement suave et mauvais. Elle avait un envoûtement tellement calme, tellement clair, tellement naturel...
Après un échange de banalité, il prit une grande inspiration et, avant de perdre son courage tout juste acquis, il sortit le pistolet de sa poche pour lui tendre. Il n'osait pas vraiment la regarder dans les yeux et bafouilla un petit "c'est pour toi", jouant nerveusement avec ses doigts.
En voyant l'arme, le regard de Léonnie s'illumina. Le "merci" qu'elle lui renvoya était plein de reconnaissance, de joie, un remerciement sincère, comme nul autre. Elle prit le pistolet dans ses mains, resserrant ses doigts sur la poignée noir et argent.
Elle soupesa, se mit en position de tir, visa puis tira une balle en direction des cibles. Elle n'avait jamais vu quelque chose d'aussi exceptionnel. L'arme semblait parfaite, équilibrée et ajustée à son poignet, sa morphologie. Peu de recul, une puissance raisonnable et une visibilité qui s'accordait à la perfection à son œil. La joie qui l'envahissait montait en flèche, tant et si bien qu'elle devait se retenir de pleurer. Elle n'avait pas l'habitude de gestes aussi gentils, elle en était tellement reconnaissante.
La brunette se tourna vers lui, le visage illuminé et les yeux pétillants. Elle hésita quelques secondes. Mais, après tout, il s'agissait de Tao, juste Tao... Elle lui faisait confiance, il était "gentil", un garçon nerveux et timide, selon elle. Et puis, Psycho lui avait conseillé de recommencer en douceur les contacts physique (bien que les conseils de cette fille sont souvent assez peu conventionnels, Léonnie décidait de l'écouter). Et si Eris acceptait de faire confiance au rouquin, elle n'avait rien à craindre, si ?
Espérant que tout se passe bien, elle s'avança pour le prendre dans ses bras. Elle pouvait avoir confiance, tout allait bien se passer...
Surprit, Tao sentit la panique grimper en flèche et le rouge lui monter aux joues. Il lui tendit son étreinte en prenant soin de ne pas l'étouffer, toujours très nerveux. Il sentait son cœur battre, vite, fort, bien trop fort, bien trop vite.
*******
Il avait réfléchi, longtemps réfléchit. Voilà un moment que ça lui flottait la tête, depuis le coup du pistolet en réalité.
Il voulait lui dire. Il se sentait bien avec elle, il voulait rester avec elle, l'aimer, prendre soin d'elle. Il allait lui dire, il allait le faire. Il était prêt à lui parler, lui dire qu'il l'aimait.
Il se dirigea au même endroit, sachant très bien qu'il l'y trouvera. En effet, depuis qu'il lui avait offert l'arme, Léonnie s'entraînait deux fois plus, comblée à l'idée d'avoir un pistolet "équilibré". Il poussa le battant, s'approchant avec précaution. Il ne voulait pas la déranger, il avait peur de l'embêter, de la mettre en colère.
Mais en réalité, il doutait qu'elle puisse seulement s'énerver. À ses yeux, elle était d'une gentillesse infinie, quelqu'un qui voyait le bien chez tout le monde, qui ne voulait blesser rien ni personne. Une jeune fille hypersensible qui restait toujours très douce, très calme. Tout le contraire de lui, lui qui s'énervait pour rien, lui qui ressemblait bien trop à son géniteur, ce monstre sans nom.
Non !! Il ne fallait pas y penser, pas maintenant.
Il secoua la tête, éliminant ses pensées parasites. Hors de question d'y penser maintenant, pas aujourd'hui. Il avait autre chose à faire, il devait tout avouer à Léonnie, pas penser à lui. Il fallait paniquer pour sa déclaration, pas pour le passé. Le monde était à aujourd'hui, était au présent.
Après avoir passé un petit moment à l'admirer, hésitant encore sur son action, il s'approcha en constatant qu'elle avait stoppé ses tirs. Quand elle remarqua sa présence, le regard de la brune s'illumina aussitôt et, malgré la nervosité de Tao, la conversation allait de bon train.
Pourtant, il ne cessait de jouer avec ses mains, bouger ses pieds et regarder le sol plutôt que l'œil visible de la jeune fille. Il devait sauter le pas avant de se dégonfler, il allait le faire, il allait se déclarer.
Mais comment ? Comment devait-il faire ça ? Il n'y avait pas pensé, enfin pas assez !! Il y avait réfléchi pendant un temps fou, mais n'avait jamais trouvé la manière correcte de parler, de l'approcher. À chaque fois, ça ne lui convenait pas.
Il hésitait, il avait la parole sur le bout des lèvres, mais peinait à parler. Devait-il se lancer ? Ne pas le faire ? Il avait peur, ça l'effrayait. Les mots étaient sur le bout de sa langue, prêt à sortir. Mais ne le faisaient pas, comme si quelque chose les retenait.
« Léonnie, je... »
À l'entente de son prénom, elle sembla directement plus alerte. Un geste normal puisqu'elle était interpellée en pleine conversation, ce qui signifiait que la chose devait être importante. Elle attendait patiemment qu'il poursuive.
Tao, quant à lui, était extrêmement nerveux, bien plus qu'avant. Il hésitait à poursuivre mais après un court blanc, continua sa tirade.
« Je te trouve vraiment fantastique et... Enfin t'es une fille vraiment incroyable et je... Je te trouve très jolie, même ce que tu préfères cacher et-.... Euh, enfin pense pas bizarrement hein, c'est pas ça que je...»
Plus il parlait, plus elle paraissait se décomposer, comme si elle avait peur de ce qu'il voulait dire. La nervosité faisait bafouiller le rouquin, si bien que ça semblait durer une éternité avant qu'il prononce enfin les trois mots. "Je t'aime", les mots maudits, les mots qui pouvaient apporter tant de bonheur, mais aussi tant de malheur. Et, cette fois, peut-être que le bonheur n'était pas de mise. En effet, dès qu'il prononça ces mots, les larmes commencèrent à couler sur les joues de Léonnie.
Tao la regardait, désemparé, ne sachant que dire. Les pleurs devenaient de plus en plus fortes, se muant en sanglots qu'elle peinait à étouffer. Il savait qu'elle était très sensible émotionnellement, mais ne comprenait pas pourquoi elle avait l'air si triste, comme si quelque chose s'effondrait lentement dans sa tête. D'ailleurs, le rouquin aussi sentait peu à peu quelque chose s'effondrer, se briser.
« Je, je suis désolé Tao, je... »
Elle peinait à s'expliquer sous les sanglots, ne parvenant pas à s'arrêter pour s'exprimer. Pourtant, il en comprit l'essentiel et la chose qui se fissurait progressivement se brisa pour de bon, laissant la tristesse l'envahir lui aussi.
Pour lui qui, durant toute son enfance, s'était estimé heureux d'être un garçon en voyant ce qu'il arrivait à sa sœur, regretta amèrement, ce jour-là, de ne pas être une fille.
(Je sais pas vous, mais perso, plus le temps passe, plus je trouve que mon style d'écriture devient maladroitement merdique TT c'est possible de régresser ?)
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