Le cabinet de curiosités
[Cette nouvelle a été écrite pour le concours de @brunette_potter alors j'espère qu'elle vous plaira. J'ai décidé de sortir de ma zone de confort en choisissant un thème sur lequel je n'écris pas habituellement, et même si je doute que ça fasse peur, je trouve que c'est plutôt réussi ! ]
Il y avait, au fin fond des locaux biscornus du cabinet Warren, une étagère plongée dans l'ombre. Plongée dans les méandres d'une obscurité opaque, cette étagère attendait.
Un visiteur, sûrement.
Un acheteur, indéniablement.
Rien que quelqu'un qui observe ce qu'il y avait sur cette étagère ne serais-ce que quelques instants.
Une fois, une adolescente était restée plantée devant ce maudit présentoir durant quelques secondes, mâchant son chewing-gum bruyamment, avant de prendre l'objet en question entre ses mains.
Une paire de talons aiguilles noirs.
Un article indémodable, passe partout et intemporel.
Un article luxueux, qui plus est.
Coûteux, également. C'était peut-être ce qui tenait à distance une bonne partie des acheteurs, d'ailleurs.
Le reste émettait des réserves quand à l'authenticité de son histoire, et les rares intrépides qui croyaient dur comme fer à cette légende avaient peur de la malédiction.
La malédiction des talons de la duchesse de Tonelli.
Le nom donnait une certaine importance, une certaine prestance à cette histoire, certes. Une certaine clarté qui était directement avalée par le côté sombre et noir des évènements du 29 novembre 1925.
Une date anodine.
L'unique vendeur du cabinet de curiosités détacha le regard de l'étagère en entendant la sonnette indiquant la venue d'un nouveau visiteur et se replaça derrière son comptoir.
La nouvelle venue était une jeune femme à l'apparence atypique.
Ses cheveux d'un blond polaire faisaient ressortir ses yeux vairons, qui brillaient dans l'obscurité tels deux joyaux à l'état pur.
Une émeraude et un diamant.
Un regard brut.
Le vendeur secoua la tête, se rappelant à l'ordre.
Si il commençait devenir poète, il allait avoir du mal à raconter chaque histoire d'un ton totalement indifférent. Il était attaché aux objets entreposés ici, d'accord. Mais cela faisait partie des règles: on contait chaque histoires comme si on ne s'y intéressait pas.
Que l'objet soit dangereux ou pas, le but était que l'acheteur -comme l'indiquait son nom- finisse par mette la main au porte monnaie.
Au départ, il observa la femme, derrière la caisse, faisant mine de compter les recettes du jour.
Il était rare qu'un client ait réellement besoin de lui.
Pourtant, ce nouveau personnage particulièrement original s'approcha de son poste sans aucun bruit.
- Je viens de faire le tour de la boutique et... Comment dire... Chaque objet a une histoire propre, c'est bien ça ?
L'employé hocha la tête, conscient qu'il pouvait peut-être faire aujourd'hui la plus grosse vente de la semaine.
- J'aimerais savoir ce quelle était l'histoire de la paire de talons, là bas.
Elle pointa vaguement du doigt la dernière étagère plongée dans la pénombre.
- Elle est jolie, je trouve.
L'homme soupira longement.
- Je préfère vous prévenir, le prix est assez... élevé.
Son interlocutrice secoua la tête.
- Le prix n'est aucunement un problème, lança t-elle d'un ton cassant.
Il eut envie de disparaître sous son contraire en voyant son regard dur.
- Bien. Comme vous voudrez, dit-il en allant vers ces maudites chaussures et en attrapant l'objet entre ses mains.
Il marqua une petite pause, s'humectant les lèvres avant de commencer à raconter cette fameuse histoire.
- Ces chaussures ont appartenu à la duchesse de Tonelli. Voyez-vous, Angelica Tonelli était mariée à un riche noble Italien. Elle avait tout ce qu'une dame pouvait souhaiter: de l'argent, la beauté nécéssaire pour embobiner chaque personne se mettant en travers de son chemin et une charisme impressionnant.
(1) Sans même le faire exprès, elle attirait tout le monde dans ses filets. C'est exactement ce qu'elle avait fait avec son mari. Elle l'avait manipulé et lui avait sous-tiré tout ce qu'elle le pouvait.
Sauf que manque de chance pour elle, Giuseppe Tonelli avait rapidement compris son petit manège. Tout ce qu'il voulait d'elle, c'était un héritier. Il prévoyait de se débarrasser d'elle aussi sec ensuite, sans plus se poser de questions. Il voulait garder son argent pour lui, sans partager avec qui que ce soit. De plus, elle n'était pas riche. Elle était simplement jolie.
En clair, il ne l'aimait pas d'un amour véritable, seulement d'un sentiment monté de toutes pièces qu'il avait réussi, pendant un temps, à lui faire croire réel.
Toujours était-il que sa femme, en espionnant certaines conversations, se rendit compte qu'il comptait la quitter juste après la naissance de l'enfant qu'elle portait. Elle se sentait... trahie. Elle avait toujours considéré qu'elle avait droit à la fortune et à la belle vie après tant d'années dans la misère.
Alors elle décida de marquer le coup en achetant un objet particulièrement coûteux, histoire de donner à son mari une bonne raison de lui en vouloir pour avoir vidé son compte en banque, puis de la quitter.
Elle choisit cette paire de talons, avec ses deux diamants au niveau du bout du pied dans la boutique la plus luxueuse de Rome. Elle les portait aussi souvent que possible, simplement pour mettre son mari dans un état épouvantable.
Évidemment, comme vous pouvez l'imaginer, Giuseppe n'apprécia pas cette dernière lubie de sa femme. Néanmoins, il devait la garder auprès d'elle jusqu'à la naissance de l'enfant, après quoi il pourrait de débarrasser d'elle.
Alors il attendit.
Plus Angelica approchait du terme de la grossesse, plus sa rancoeur envers son mari devait grande. Elle voulait de se venger de cette homme qui essayait de lui voler la vie qu'elle avait toujours voulu mener, la vie dont elle avait toujours rêvé.
Une nuit, elle se leva et s'introduisit dans son bureau. Il travaillait tranquillement, dos à la porte, sans voir qui pouvait bien entrer dans la pièce. Angelica avait choisi de le tuer, certes mais elle avait décidé de faire ça de façon symbolique.
Tout ce qu'il lui fallut, ce fut un coup sur la jugulaire. Le diamant perça la chair et le sang qui s'écoulait sans discontinuer finit par tuer le duc. On raconte qu'elle l'a regardé mourir, les bras croisés sur la poitrine, le regard rivé au sien.
Le lendemain matin, Angelica Tonelli avait disparu, vidant les comptes en banque de son mari, utilisant un nom d'emprunt et désertant le pays. Jamais qui que ce soit ne put retrouver sa trace.
La domestique qui découvrit le corps retrouva la paire de talons à côté de son patron, souillée par son sang, accompagnée de l'alliance de sa femme. Tout un symbole qui indiquait clairement qu'Angelica était coupable du meurtre.
Depuis, on raconte que quiconque portera cette paire de chaussures sera maudit et condamné à mourir sous peu. C'est déjà arrivé plusieurs fois avant que cet objet n'atterrisse sur les étagères de notre boutique.
L'homme reprit son souffle, observant la femme qui tournait la paire de talons entre ses doigts fins, la regardant avec minutie, cherchant un défaut qui, manifestement, n'était pas au rendez-vous.
- Je suppose que vous n'allez pas les prendre, du coup ?
Pour lui, il était vraiment invraisemblable que quiconque veuille acheter les vieilles chaussures de la duchesses de Tonelli.
Personne ne voudrait être rendu, de son plein gré, maudit jusqu'à la fin des temps, non ?
- Oh, si je vais les prendre. Ma soeur les appréciera particulièrement. Je compte les lui offrir à Noël.
Elle inclina la tête sur le côté, l'air terriblement innocent, et planta son regard dans celui du vendeur dans une dernière interrogation.
- Vous faites les paquets cadeau ?
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Écrit le 7/09/19 à 23:05
A.
(1) L'alinéa de ce genre indique que un nouveau paragraphe dans les discours du personnage.
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