- Numéro 2973.

La voix robotique qui résonnait dans les rues bondées se mêlait à l'agitation des passants. Tout autour, on se bousculait, on se poussait, gesticulait, impatients. C'était qu'une épreuve intellectuelle accaparait tous les esprits depuis quelques temps : Intellex.

Peu était connu d'Intellex. Annoncée comme la plus grande épreuve d'intelligence jamais conçue, de sorte que seule l'élite puisse la réussir, il était promis une grande récompense aux vainqueurs. Elle attirait, depuis ses débuts, plusieurs milliers de visiteurs à tous les jours. Quand, toutefois, l'on réalisa qu'aucun des participants n'avait été revu après avoir passé l'épreuve, une inquiétude s'installa. Devant les interrogations grandissantes, les organisateurs - dont l'identité était préservée - avaient simplement répondu qu'aucun des participants n'avait jusqu'alors réussi l'épreuve. Ainsi, malgré des craintes de plus en plus marquées quant à l'avenir de ces « perdants », l'affluence ne cessait d'augmenter de soi-disant savants, de génies des sciences ou de simples téméraires. N'ayant aucune autre information quant à la nature - ni à l'issue - de cette épreuve, et n'ayant, il me semblait, rien de l'intelligence d'un génie, jamais je n'aurais eu l'idée de m'aventurer dans ce que je croyais être un simple coup de marketing, un coup-monté, ou tout simplement une arnaque.

Lorsque mon cousin s'était vanté d'un quotient intellectuel supérieur à la moyenne, affirmant qu'il possédait une logique hors-normes et une mémoire infaillible, je ne le contredis pas. Lorsqu'il m'annonça vouloir tenter Intellex, j'essayai de l'en dissuader, mais son égo démesuré n'avait que faire de mes opinions de « QI normal ». Lorsque je n'eus aucune nouvelle de sa part, j'en compris qu'il avait, lui aussi, « échoué ». Tout corroborait mon choix.

À mesure que disparaissaient, tour à tour, tous ceux qui se croyaient capable de passer Intellex, il devenait évident que très peu de gens, si ce n'était personne, ne pouvaient réussir l'épreuve. Partout, aux nouvelles, on attendait le génie du siècle.

C'est alors que, un soir, revenant du travail, je vis, à ma porte, une petite enveloppe en or. Je la pris discrètement, entrai et, la cachant à ma femme et mon fils, me rendis à mon bureau pour l'ouvrir. À l'intérieur, un papier bien simple comprenait cette inscription :

« Cher citoyen,
Si vous recevez ce message, félicitations! Cela signifie que vous faites partie des rares personnes ayant l'intelligence nécessaire pour réussir l'épreuve. »

Au bas, le logo d'Intellex servait de signature.

Malgré moi, mon coeur s'accélérait alors que je me sentais pris de vertige. Je n'osais y croire. Non, pourtant, je n'avais vu aucune enveloppe du genre aux portes voisines. Personne ne m'avait parlé de ces enveloppes, ou d'un quelconque mot. Les publicités, les nouvelles, les discussions, tout défilait dans ma tête comme un film accéléré. Pouvais-je, moi, simple employé de bureau, être de ceux que tous attendent? C'était trop beau pour être vrai.

Après une nuit tourmentée, je partis travailler, toujours quelque peu tremblant et le ventre vide. Passant devant l'établissement d'Intellex, j'observai tous ceux qui, attendant leur tour, trépidaient d'impatience. Alors que je m'approchais, curieux, du kiosque d'inscription, je revis dans ma tête la petite enveloppe dorée. En quoi pouvais-je être plus apte que d'autres à réussir une épreuve d'intelligence? En quoi cette épreuve consistait-elle? S'agissait-il de calculs, de tests logiques? Il était vrai que j'avais toujours été bon dans ce genre d'exercices. De la culture générale? J'avais des connaissances bien étendues. Des tests de mémoire, d'acuité? Je m'amusais de ce genre de tests pour passer le temps. Peut-être, me disais-je, que ce n'était pas si difficile? Sans y penser davantage, j'entrai mon nom et reçus mon numéro. 375. Y avait-il déjà eu tant de gens depuis le début du jour?

J'attendis alors, sans réellement attendre. Voyant l'heure, réalisant j'étais en retard au travail, je repris quelque peu mes esprits. Mon coeur se mit à débattre et la nausée me pris. Non, je ne pouvais pas, moi aussi, me laisser prendre par cette arnaque. Et pourtant, je restais là, comme figé par cet espoir de gloire et de récompenses. Pouvoir, pensais-je, donner cet héritage à mon fils. Qu'il puisse dire : « lui, c'est mon père ».

- Numéro 375.

Je me levai d'un bond. Alors que, sentant à peine mes jambes, je me dirigeais vers l'entrée, je savais que c'était ma dernière chance de faire marche arrière. Non, pensai-je, je devais continuer, je voulais continuer, voir ce qu'était cette épreuve. La gagner.

J'ouvris la porte extérieure, qui donnait sur une deuxième porte solidement verrouillée. Je passai le coupon avec mon numéro dans le lecteur et la porte s'ouvrit.

Je pouvais sentir la sueur couler le long de mon visage. Déjà, l'air semblait me manquer.

Je me retrouvai dans une salle vide, sans fenêtre, sans autre ouverture. Je m'avançai prudemment, scrutant partout à la recherche d'un indice. Soudainement, je lâchai un cri alors que la porte se referma brusquement derrière moi. La lumière s'éteignit rapidement, me plongeant dans un noir total. Dans le silence absolu, seul mon souffle rapide était perceptible. Après quelques instants de stupeur, je me retournai et me dirigeai vers la porte, les bras tendus, tâtant à la recherche d'une sortie. Je sursautai à nouveau alors que, dans un bruit sourd mais soudain, un écran s'alluma derrière moi avec, en lettres rouges, ces mots :

VOUS AVEZ PERDU

Et alors que, cherchant frénétiquement une ouverture, je sentais l'air me manquer de plus en plus, j'eus cette pensée ; les plus intelligents d'entre nous ne sont-ils pas ceux qui ont compris de ne pas tenter une épreuve perdue d'avance?