Chère amie,

On se connaît depuis quelques temps maintenant. Depuis mon déménagement, en fait. Quand j'y pense, c'est incroyable qu'on soit toujours en contact après autant de temps. 

On a traversé des embrouilles, on a vu notre groupe imploser et perdre la moitié de ses membres. On s'est soutenu, toujours, on a rit, partagé des moments mémorables, et on est resté ensemble. Vent debout, contre n'importe quelle tempête. Même après s'être éloignées, on s'est retrouvées.

Je t'aime beaucoup. Je t'ai longtemps considéré comme ma meilleure amie. Mais depuis l'année dernière... C'est comme si tout partait en vrille. Ca ne fonctionne plus. Ou moins bien, en tout cas.

Il y a d'abord le lycée, qui nous a éloigné, mais pas seulement. Il y a surtout notre évolution. On est à l'opposé l'une de l'autre, toi et moi. Mon petit quotidien tranquille avec ma bande d'amis adorés et ma famille m'apporte tout le bonheur dont j'ai besoin. L'écriture, quelques livres et des weekends ici et là, cela me suffit. Toi de ton côté, tu es plus dans l'expérimentation. Les soirées, l'alcool, se mettre en danger et les mecs, c'est plus ton truc que le mien.

Il m'est arrivé de juger tes choix. Tout comme il a dû t'arriver de juger les miens. C'est normal, et après m'être remise un peu en question, je me suis dit qu'on avait bien le droit d'avoir chacune une vision différente de la vie, et que la mienne n'était pas forcément meilleure que celle des autres. Mais si nos différends s'étaient arrêtés là, je n'écrirais pas cette lettre aujourd'hui.

Ces derniers temps, j'ai eu l'impression que tu me jugeais. Beaucoup. Je le redis, je n'ai pas été la meilleure à ce jeu-là, mais je fais en sorte de faire des efforts. Et, jamais ( je l'espère ) je ne t'ai fait douter de toi, et de ta qualité d'amie. On a chacune nos défauts, mais ça n'en fait pas pour autant une relation incompatible. Ou en tout cas, jusqu'au moment où les défauts prennent plus de place que les qualités. Car il n'y a pas que le jugement. Il y aussi cette espèce de condescendance à mon égard. Je sais que j'ai moins de succès auprès des gars, mais ce n'est pas une raison pour me le rappeler en permanence ! Tu n'es pas non plus obligée de m'énumérer les gens qui t'ont dit que tu avais changé leur vie, les gars et filles qui sont tombés amoureux de toi...  Je sais que tu as besoin d'être aimée. Et de le montrer. Je le sais, parce que je commence à te connaître un petit peu maintenant. Mais tu n'es pas obligée de le faire en permanence. Surtout quand ça fait douter tes amis de leur propre valeur, et de leur propre vie.

Mais il y a surtout une chose qui me gêne. Un détail, qui menace d'étouffer notre amitié.

J'ai l'impression que tu ne t'intéresses pas à moi. Que tu n'en a pas grand chose à faire de ma vie. Quand tu me contactes, c'est pour me parler de toi, ta vie, tes projets. Tes malheurs. Je sais que tu vas mal. Je sais que ta vie est compliquée, et que c'est le bordel dans ta tête. Et je veux être là pour toi, pour te soutenir. T'aider. Mais j'ai besoin, de l'autre côté, que tu fasses la même chose. Que tu sois aussi là pour moi quand je vais mal. Voir même, que tu sois là quand je vais bien, mais que j'ai juste envie de te raconter un truc marrant dans ma journée. Et j'ai envie que tu t'intéresses à ce que je te raconte. Pas que tu attendes la première anecdote pour tout ramener à ta personne. 

Cette année, il y a eu une période où ça n'allait pas. Je ne suis pas le genre de personnes à étaler ses problèmes, mais là, tu savais que je n'allais pas bien. Je te l'ai dit. Et pourtant, tu n'étais pas là. Tu t'es inquiétée pour toi, pas pour moi. Et ça m'a fait me sentir encore plus seule.

Depuis quelques semaines ma vie a un peu changé. Rien d'exceptionnel, mais pour mon bien-être personnel, un peu quand même. Il y a quelques mois, tu aurais été la première à avoir tous les détails. Mais tu n'as pas pris de mes nouvelles. Alors que tu savais qu'il se passait quelque chose d'un peu important dans ma vie. Mais non. la dernière fois qu'on s'est parlé, c'était encore toi. Tes problèmes. Et ça me fait chier, parce que je me sens coupable de te reprocher ce genre de trucs alors que tu ne vas pas bien. Et de savoir que d'autres gens qui ont contribué à ton mal-être t'ont dit la même chose que moi. Mais j'en ai marre de tout garder pour moi. D'être l'amie présente pour toi, tout le temps, quelque soit le problème, prête à sauter dans un train pour te rejoindre si vraiment tu avais besoin d'aide et d'une épaule pour pleurer. D'être l'amie « psy », que tu appelles ta meilleure amie seulement quand tu as besoin de confier tes problèmes. J'ai besoin que tu sois aussi comme ça avec moi. Parce qu'un des principes de l'amitié, c'est la réciprocité. Et avec nous, ça fait déjà quelques temps que ce n'est plus le cas.

J'aimerais qu'on reste amies. J'aimerais qu'on se retrouve, qu'on danse à nouveau jusqu'à minuit, recouvertes de paillettes et qu'on fasse des photos débiles. J'aimerais que tu retrouves ton sourire, et que tu rigoles à nouveau. Pour de vrai, un rire sincère. J'aimerais que tu comprennes que ton bonheur ne se rapporte pas uniquement à ton mec, ou au nombre de mecs qui te tournent autour, ou à la quantité d'alcool que tu bois en soirée. J'aimerais que tu retrouves tes projets de la fin du collège, et tes rêves pour l'avenir.

Je voudrais retrouver l'amie qui m'avait consolé, ce soir d'octobre. Celle qui m'avait préparé un gâteau d'anniversaire pour mes 16 ans et qui m'avait organisé une surprise avec deux autres de mes amies. Celle qui disait qu'on resterait amies jusqu'à ce qu'on soit vieilles.

Mais je perds espoir. Et surtout, je suis en colère. Parce que j'ai l'impression que malgré des efforts, la situation restera la même. Que notre amitié ne sera jamais vraiment réciproque. Que j'en ferai toujours plus que toi.

Et je ne suis pas sûre d'avoir encore envie de faire des efforts.