Tu m'as liquidée.

Pas d'une manière violente, mais d'une manière douce, lente, en te souciant de ce que je ressentait. Mais tu savais parfaitement ce que tu faisais.

On s'est rencontrés pour la première fois il y a un an. Ou peut-être plus, à vrai dire je n'en ai pas la moindre idée. Néanmoins je t'ai remarqué pour la première fois en octobre, quand les feuilles tournent jaunes, les cafés à la citrouilles avec le sirop orange sur le dessus deviennent nos best-sellers et qu'on décore le café dans les tons rouges. 

J'étais en train d'accrocher une guirlande de petites châtaignes marrons en tissus au-dessus du comptoir quand tu es entré. J'avais l'air intelligente, debout sur le comptoir noir, essayant de me grandir tant bien que mal pour atteindre le plafond. 

La clochette de la porte a retenti et je suis descendue tout de suite. J'ai épousseté mon tablier vert foncé avant de relever la tête, mon habituel sourire de barista sur le visage, pour t'accueillir. J'ai été surprise en te voyant. Tu portais un pull bleu cyan, une couleur que je n'avais jamais vue portée auparavant. Il faut dire qu'elle est difficile à assumer, principalement à cause de sa disgrâce. Mais là, tu semblais si fière d'arborer cette teinte. Et je ne pouvais voir que toi, déjà parce que tu étais devant moi mais cette couleur affreuse contrastait avec les tons chauds environnant. Tu as commandé un café noir, et c'est comme ça que j'ai su ton prénom. Un prénom si doux, que tu portais si bien. J'ai adoré le prononcer pour te servir ton café. Tu m'as souris et fais un clin d'œil en me remerciant avant de partir. La clochette de la porte a retenti une deuxième fois et mes joues sont devenues roses.

La fois suivante, tu as commandé la même chose. Mais cette fois-ci, tu m'as remercié en lisant mon nom sur mon badge. J'ai adoré que tu l'ai prononcé. Après ça, tu es venus tous les mardis à 13h42 et tous les vendredis à 17h24, en commandant un café noir. Plus tu venais et plus nos échanges s'embellissaient. Au début, nous n'échangions que des banalités. Puis le troisième mardi de novembre, tu ne m'as pas donné ton nom, mais ton numéro. Le jour de mon anniversaire, tu m'as demandé à quelle heure je finissais, et tu es revenu en commandant un café noir, puis tu m'as demandé ma boisson préférée. Tu l'as commandée aussi. Ta présence a fini par doucement faire fondre mon cœur.

Puis les vacances de Noël sont arrivées, et je n'ai pas vu de cyan ou de café noir pendant presque deux semaines. Mais tu m'appelais, tous les soirs. Tu me parlais de ce que tu aimais, de ce que tu faisais, de toi. Et moi aussi. Et j'aimais ta voix. Le 25 décembre, juste avant la fermeture, ta voix a retenti après la petite clochette. Tu n'étais pas sensé être là, mais tu avais fait le déplacement, avec un bouquet de gui. Tu as commandé un café noir, et ta voix a fini par doucement faire fondre mon cœur.

Tu m'as dis que tu avais  comme passion d'écrire des poèmes.  Cette manière si éloquente que tu avais de t'exprimer et ce romantisme exacerbé ne me faisait que trépigner d'impatience quand au jour où je lirais tes écris. La première fois que je suis venue chez toi, tu as oublié de mes les faire lire. Je n'ai pas osé demander. Peut-être étais-ce trop intime pour que tu me les montre. Mais quelques temps après, j'ai pu découvrir les premiers. Ils étaient aussi doux que ta personnalité. Entre deux cafés noirs, tu griffonnais parfois quelque mots à l'arrière du ticket de caisse, que tu m'offrais avant de partir. Puis un jour, ces quelques mots étaient sur moi. Jamais je n'aurais cru pouvoir t'inspirer, ou même que tu puisse penser de si jolies choses à mon égard. Tes mots ont fini par faire doucement fondre mon cœur.

Et maintenant à force de me faire fondre je crois bien que je suis devenue une flaque. 

Tu m'as liquidée.