Le trombi de la mort
Je souhaiterais vous faire part de certains événements qui ont bouleversés ma vie depuis peu de temps et dont j'ai été en quelque sorte le témoin, peut-être plus. Je n'ai plus rien à perdre alors autant vous avertir. Tout a commencé un jour, alors que j'étais à la cafét' de mon université avec une bande de potes. On était en train de manger nos sandwichs, quand l'un d'eux, Nathan, s'est mis à lancer la discussion. Il avait trouvé un site qui, si on y publiait une photo de nous, nous la renvoyait mais au moment de notre mort. Voyant qu'on ne le croyait pas, il a sorti son portable et nous a montré deux photos.
La première le représentait dans le parking de l'université, où il garait chaque matin sa moto avant de venir en cours. Il se tenait à côté de sa bécane, le casque sous son bras droit et le guidon dans la gauche. Son visage de grand bébé, cheveux blonds frisés, yeux bleus et lèvres charnues, souriait. Je pense que c'est sa copine qui a pris la photo à ce moment-là, mais ce n'est pas important. L'autre photo la représentait dans la même posture mais avec un visage horrible : la moitié gauche du crâne était complètement défoncée et un œil éclaté laissait couler un liquide noir sur sa bouche, toujours souriante. J'ai été pris d'un haut-le-corps à cette vision pendant que les autres sifflaient ou bien s'esclaffaient de rire.
-La vache, C'est super bien fait ! Photoshop ?
-Aucune idée, répondit Nathan. Sûrement un type qui bosse dans le cinéma gore et qui veut soit tuer le temps, soit se faire connaître
-Eh bien qu'il reste dans son coin avec ses ambitions plutôt que de publier de telles horreurs. T'as eu ça où ? Demandais-je.
-J'sais pas, une espèce de trombi. Je dois avoir le lien dans mon historique. Vous voulez que je vous l'envoie ?
Il y eu quelques refus, plus par suspicion que par peur, mais Max accepta l'offre. Le lendemain, il nous exhiba son cliché : on le voyait allongé sur le plancher de sa chambre, bras croisés derrière la tête. Même l'ombre du photographe, sa petite amie, était visible. Il était en revanche méconnaissable sur l'autre, couvert de sang des pieds à la tête, des plaies profondes s'étalant un peu partout sur le torse, et l'ombre ne tenait plus un appareil photo mais un long couteau de cuisine.
-Ta copine aide son père dans sa boutique de charcuterie ? demanda Alexandre.
Là-dessus, tout le monde éclata de rire, même moi. J'aime bien l'humour noir, sanglant ou non, et j'avais besoin de me détendre. C'était juste une connerie trouvée sur le web, le seul truc qui me gênait était de voir les deux photos, la normale et la "sanglante", côte à côte, l'expression du visage de mes amis ne changeant pas. Comme si ils ne se rendaient pas compte de leurs blessures...Mais ce n'étaient que des photos, impossible que leur visage puisse bouger sur elles. On était donc là, à se marrer, quand le portable de Nathan sonna. Un SMS. Il le lut et quand on lui demanda qui c'était, il répondit juste "Rien, sûrement un faux numéro".
Poussé par la curiosité, je me suis décidé à explorer ce fameux site. Trombinodeath, que ça s'appelle. Une page noire, toute simple, avec un champ pour entrer notre adresse mail et la photo que l'on souhaitait "gorifier". Le mec proposait même des albums de ces anciens clients, tous satisfaits si l'on en croyait son message en dessous. Les photos ne différaient pas trop de ce que Nathan et Alexandre m'avaient montré, une normale et une sanglante juste à côté. Il n'y avait pas que des jeunes de notre âge mais également des plus ou moins âgés. Je continuais mon exploration mais la photo d'une petite fille blonde de quatre ans, un bras écrasé et le crâne en partie broyé, me décida à détourner les yeux de mon écran. Conneries. Je fermais la page et allais me coucher.
Le lendemain, je remarquais que Nathan était plus pâle que d'habitude. Son teint rose et frais avais quelques teintes en moins et des cernes étaient apparues, comme si il n'avait pas dormi de la nuit. Il jetait des coups d'œil maniaques à son portable et dès que la sonnerie de ses sms sonnait, il envoyait un message avant de le claquer d'un geste brusque. On se posait pas de questions, sûrement un problème avec sa petite amie ou un truc dans le genre. Pour détendre l'atmosphère, on se remit à parler de Trombinodeath. Bastien nous a montré sa photo : il était dans une barque avec son oncle, grand amateur de pêche, mais les deux avaient disparus sur l'autre partie, la "gore". Bien que ça l'était beaucoup moins que les autres. Enfin, celle d'Alexandre le représentait, bras derrière la tête, dos à un mur tout comme son pied droit. Sur la suivante, on le voyait avec sa jambe arrachée, du sang coulant à flot, et une bonne partie de son bras manquait. On y voyait même un os dépasser. Le tout avec explosions de sang. Je courût vers les toilettes rendre ce que j'avais sur l'estomac, c'était vraiment trop horrible. Quand je revint à la cafet', l'ambiance avait changée du tout au tout. Tous se fixaient d'un air...bizarre. Je ne savais pas comment le décrire à ce moment-là.
-J'te savais pas si sensible, ricanait Max. Un bon "vendredi 13" et ça te passera
-C'est bon arrêtez avec vos conneries, c'est soûlant ! cria Nathan d'une voix geignarde.
Il était au bord des larmes et tentait de se contenir en essuyant ses sanglots d'un air rageur. Finalement, il se leva, prit son sac et se dirigea vers la sortie. On était tous là, comme des crétins, tentant de comprendre pourquoi il avait agi comme ça. Aucune de ses ruptures avec une fille ne lui avait jamais causé autant de soucis, peut-être qu'un de ses proches était décédé. On discutait de ce qui pouvait bien lui arriver quand soudain, un bruit de carrosserie se fît entendre du parking. Vu qu'il était assez loin de la cafet', le choc devait être violent pour qu'on puisse l'entendre d'ici. Tout le monde se précipita pour voir, et j'étais presque heureux d'avoir déjà rendu aux toilettes ce que j'avais avalé.
La victime était Nathan, projeté contre le sol, la tête contre le coin du mur séparant la rue de l'université. Sa moto était couchée sur le flanc, à quelques mètres de lui. Le choc devait être violent pour qu'il se retrouve aussi loin de sa bécane. Mais le plus effrayant était son visage : la moitié gauche du crâne complètement défoncée, à découvert, et un œil éclaté laissant couler un liquide noir sur sa bouche. Les profs nous ordonnèrent de nous en aller tandis qu'une large tâche de sang s'écoulait en cercle autour de sa tête et ça, ça n'apparaissait pas sur la photo. On entendit la sirène des ambulanciers peu après mais c'était trop tard, Nathan était mort. On avait pas trouvé de témoins et bien que l'accident de la route fût la chose la plus logique, c'était tout de même improbable puisqu'il était encore dans le parking. Il aurait fallu qu'un bolide lui fonce dessus pour l'amocher autant mais là encore, la marge de manœuvre était trop étroite pour permettre un tel exploit et pour
filer sans se faire remarquer.
Le jour de la mort de Nathan était un vendredi. Alors que nous nous étions content de vivre deux jours de répits entre les études, lui pouvait se targuer d'avoir un repos éternel...J'avais décidé de rester dans mon apart', tout comme Alexandre. Bastien rentrait chez ses parents et Max chez sa copine. Je me demandais si c'était une bonne idée vu que l'un de nos amis était mort presque sous nos yeux. On aurais pas dû se séparer aussi tôt, la ressemblance était tellementfrappante...Je passais la journée du samedi à me retourner ces pensées, n'osant ouvrir le trombinodeath au cas où...mais non, ce n'était qu'un hasard. Finalement, la répétition que j'avais le lendemain avec la troupe de
théâtre dont je faisais partie me calma. Jusqu'à ce que reçoive un appel d'Alexandre.
-Allô ?
-Je viens de recevoir un appel de la mère de Bastien. Il s'est noyé avec son oncle alors qu'il était à une partie de pêche, dit-il d'une voix rapide.
Je fîs tout de suite le lien dans ma tête. L'ordre des photos, puis celui des morts...Bordel de M-
-Appelle Max ! Grouille-toi ! Je prend sa mère !
Je raccrochais tout de suite et composais le numéro de la mère de Max. Une tonalité...Deux tonalités...Trois tonalités...décroche, vite...
-Allô ?
-Allô madame ? C'est un ami de Max. Est-ce qu'il est chez vous en ce moment ?
-Non, il est chez son amie, me répondit-elle, quelque peu surprise par mon ton pressant. C'est une urgence ?
"Oui madame, votre fils est certainement en train d'agoniser en ce moment même, poignardé par sa "petite amie". Préparez la boîte et de mouchoirs, et d'enterrement, je vous rappelle dès que j'ai du nouveau", me retins-je de dire.
-...Non...c'est rien. Bonne journée à vous et désolé du dérangement.
Je raccrochais, fébrile. Il ne fallait pas que je dise quoi que ce soit. Imaginez un peu que toute ma théorie sur ce soi-disant trombi de la mort ne soit qu'une imbécillité et que j'ai tort, je passerai pour quoi après ? J'attendais donc l'appel d'Alexandre. Mon téléphone sonna peu de temps après.
-Alors ?
-T'avais raison...Putain t'avais raison...
Mes doigts se crispèrent sur l'appareil.
La suite ressemble à n'importe quel Derick ou Navarro. Larmes, médias, petites coupures dans les journaux et interrogatoires. La responsable de la mort de Max était bien sûr sa copine. Pourquoi avait-elle fait ça ,en revanche, c'était un mystère. Elle était muette, parlait dans le vide, on avait rien pu tirer d'elle. Je crois que ses parents songent à l'envoyer dans une clinique psychiatrique. Quand à Bastien, les preuves étaient comme noyées avec lui. Rien. Son corps et celui de son oncle avaient été repêchés mais aucune trace de lutte ou de drogue n'avait été trouvée. Les preuves semblaient disparaître.
Je m'était bien sûr gardé de parler du trombi aux policiers. Tout cela n'était qu'un hasard. Oui, tout cela n'était qu'un hasard, et rien d'autre. Il n'existait pas de site internet pour tuer les gens à l'aide d'une simple photo. Les phénomènes paranormaux n'existaient pas et il faudrait de toute façon une très grande méticulosité pour réaliser ces meurtres. Du pouvoir, aussi. Mais qui paierai et organiserai tout cela juste pour tuer des adolescents ayant voulu blaguer sur un site internet un peu gore ? Je leur parlais néanmoins du comportement étrange qu'avait eu Nathan le jour de sa mort et de l'anxiété qu'il dégageait à chaque fois qu'il regardait son portable. Les policiers restèrent stoïques, mais ils m'indiquèrent qu'aucun message de menace ou de suicide n'avait été trouvé sur ce dernier.
Au final, il ne restait qu'Alexandre et moi. Je n'oubliais pas la photo qu'il m'avait montré quelques jours avant, elle était gravée dans ma mémoire comme toutes les autres. Quelle belle photo-souvenir que celle de ses amis, souriants, massacrés. On ne se quittait plus, ou bien le moins possible. On passait toutes nos soirées ensemble, nos repas du midi, nos heures d'études. Les autres nous laissaient tranquilles, pensant qu'on devait faire notre deuil. Inutile de vous préciser qu'on évitait le plus possible des quais de gare. Même si c'était complètement stupide, on n'osait pas s'approcher des trains. Tout cela n'était qu'un hasard, mais une partie de moi était tiraillée par ce qui allait être une certitude.
Une semaine passa et Alexandre décida de rentrer chez lui voir ses parents. Aucune partie de pêche n'était prévue et il n'avait pas de petite amie, ce qui me fît pousser un petit rire nerveux. Le problème était que pour rentrer chez lui, il lui fallait prendre un train. Mais une semaine était passée et les autres étaient morts très peu de temps après avoir reçu leurs photos, je pensait donc que tout danger était écarté, même si il n'y avait jamais eu aucun danger puisque ce n'était qu'un pur et simple hasard. Je me décidais cependant à l'accompagner, juste au cas où. Mais la tragédie frappa.
Le train qui devait porter Alexandre chez lui était en retard, ce qui ne semblait pas l'arranger : il était pâle, comme malade. Nous étions assis sur un banc à l'extérieur, sur le quai opposé à celui où il se trouvait sur la photo. Je me proposai pour aller lui chercher un thé. Une bonne boisson chaude et il retrouverait ses couleurs, comme je le voulais, ce afin d'effacer le moindre petit doute qui résidait en moi. Il avait acquiescé d'un signe de tête. Je me suis levé pour aller au distributeur de boissons, puis la scène fût à jamais imprimée dans ma mémoire. Le tintement des pièces insérées dans la machine, l'annonce du haut-parleur de la gare, puis le grondement du train qui passait à toute vitesse et dans lequel se fondait un craquement sinistre. Presque sans surprise, je me dirigeais vers la sortie, un gobelet de thé vert à la main, et une fois sur le quai je tournais lentement les yeux vers l'endroit de la photo.
Vous connaissez désormais la scène. Le petit orchestre de mes pensées s'était tu pour ne laisser place qu'à un silence assourdissant. Je le savais. Je savais que ça allait avoir lieu et je n'ai rien fait pour l'en empêcher, trop obtus dans mes pensées rationnelles et pourtant enclin à un doute...
Je ne sentais plus rien tellement j'étais plongé dans mon horreur. À mon "réveil", je me trouvais assis dans une ambulance, une couverture de survie sur le dos et le gobelet de thé désormais froid serré dans mes mains. Ce sont les paroles de deux hommes, tout près du véhicule, qui m'ont définitivement sortis de ma léthargie :
-Et lui, il doit être éliminé comment ?
-Attends, je regarde...Nan, il est pas sur la liste. On le laisse.
Quelques secondes après ces paroles, une sonnerie de portable retentit, me faisant sursauter et renverser le thé. Mon portable était en mode vibreur, aussi eus-je l'immense surprise de trouver dans ma poche celui d'Alexandre. Il avait dû me le glisser avant que je ne rentre dans la gare. J'ouvris le sms reçu et put lire "L'équipe Trombinodeath est ravie de vous avoir rendue service. Puissiez-vous trouver le repos éternel". Je parcourût les anciens sms : il y en avait un petit tas, tous signés par « l'équipe de Trombinodeath ». Quelques secondes plus tard, un autre sms, cette fois-ci pour moi, s'afficha sur lécran : « tu n'as rien vu, tu ne sais rien, et tu ne feras rien. Autrement, tu figureras sur la liste. »
Je levais les yeux vers la foule. L'un des hommes y était, remuant son portable en l'air en me fixant avant de tourner les talons.
Ce soir, je me suis enfin décidé à retourner sur le Trombinodeath. Les corps de mes amis y figurent, "satisfaits". Je me suis pris en photo dans ma chambre et je l'ai envoyé sur le site, mais je n'ai pas besoin qu'on me la renvoie pour savoir de quoi je mourrai. Car après tout, la corde est déjà sur la première.
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