OS triste

La roche.

Les pins à perte de vue.

L'air froid giflant son visage.

Et la lune éclairant sa peau blanche.

Jimin était à genoux au bord de cette falaise, les ombres autour de lui dansant lentement au gré du vent. Elles semblaient le happer dans leurs bras mortels faits d'une obscurité morbide.

Et lui hurlait. Il hurlait sa peine au monde. Une main sur la poitrine, crispée sur la chemise noire qui le couvrait à peine, il ne cessait d'hurler. Des larmes coulaient sur ses joues palies par la douleur qui le rongeait de l'intérieur.

Et au creux des grottes de granite enfouies sous la falaise explosaient des bâtons de dynamite qu'il pouvait entendre de là où il était. Et il chantait toute sa souffrance, plus fort que ces explosifs qui avaient ruiné sa vie.

Sous ce labyrinthe de pierres et de débris avait péri celui qu'il aimait plus que sa propre vie, celui avec qui il avait affronté toutes sortes de problèmes au cours de sa vie encore courte. Jungkook, son frère cadet, était mort à cause de ces explosions causés par les hommes avides et destructeurs.

Il ne se demandait même pas s'il avait encore sa place sur Terre après cette perte, mais tout ce qu'il savait, c'était qu'il devait chanter. C'était son seul moyen d'extérioriser, de ne pas céder à la tentation de se jeter du haut de cette falaise. Abandonner la vie faisait partie de ses options, mais pour le moment, il dédiait cette dernière balade à son frère.

Plus forte que les bombes, sa voix résonnait dans toute la vallée en contrebas, et les animaux de la forêt furent réveillés par cette voix empreinte de souffrance, étranglée par le deuil et l'hésitation. Ses émotions déchirantes le secouaient comme une fragile embarcation sur la mer déchaînée, et sa voix se brisait alors qu'il ne cessait de crier.

Brisé. C'était bien ce qu'il était. Comme ces rochers, ces grottes dans lesquels son frère avait trouvé la mort. Comme sa voix de cristal qui venait de voler en éclat.

Les gens autour de lui auraient dû assister à cette scène déchirante. Ils auraient peut-être arrêter de le briser davantage en lui disant qu'il ne souffrait pas tant que ça de la mort de son frère. L'expression calme qu'il avait eu à l'enterrement de son frère n'avait pas été perçue comme une façade, mais comme ce qu'il ressentait vraiment. Alors les autres le prenaient pour un hypocrite qui était triste lorsque ça l'arrangeait. Lui qui n'avait pas versé une larme à l'enterrement s'enfermait dans la chambre la journée et ne sortait qu'à la nuit tombée.

L'océan enragé en lui ne devenait que plus tumultueux à chaque remarque sur son comportement. Les plus outrageux disaient qu'il sortait pour aller boire ou tapiner, personne ne savait qu'il sortait pour évacuer ses souffrances, loin des autres, loin des jugements. Les autres étaient hypocrites, et face à cela sa douleur était pure.

Peut-être qu'il perdrait sa voix à jamais à force de chanter, mais tout ce qu'il voulait, c'était être entendu au-dessus de ce vacarme assourdissant d'explosifs. Même brisée, même éraillée, sa voix continuait de résonner dans l'obscurité terrifiante de cette nuit froide. Elle ressemblait au cri désespéré d'un animal blessé, à l'agonie, ou peut-être au désagréable crissement de griffes contre des rochers ou de la ferraille. Mais elle restait toujours aussi intense, communiquant tout ce que le jeune homme ressentait.

Aveuglé par les ténèbres de la peine, il ne se rendait plus compte que les vagues qui s'étaient déchainées en lui commençaient à perdre en intensité, jusqu'à ce qu'elles ne soient plus qu'une mer calme, un soir de pleine lune. Sa voix subit le même sort. Une dernière complainte franchit alors les lèvres de Jimin, un dernier souffle face à sa lutte intérieure.

À force de chanter plus fort que les bombes, c'était son coeur qui avait implosé.