Rêvasser
Il pédalait le plus vite possible, la nuit commençait à montrer le bout de son nez. Il en avait enfin fini sa dernière livraison, qui pour le coup, était extrêmement tardive. Mais ce petit job lui assurait un peu d'économie pour ses études, alors autant s'épuiser un petit peu pour atteindre ses rêves. Ce n'est pas cher payé.
Il passa devant une fameuse boulangerie qui le laissait rêveur. Ou charmé par ce que renfermait cette boulangerie. Et il ne parlait pas de viennoiseries ou de pains. Son coeur rata un battement à la mention de ce qui l'attirait dans la bâtisse. Il secoua lentement la tête, se reconcentrant sur la route. Marinette lui faisait complètement perdre la tête.
Le jeune musicien était pressé, il avait hâte de rentrer pour revoir sa mère et sa soeur. Et aussi le plat fait avec amour que sa cadette lui avait promis. Il en avait déjà l'eau à la bouche. Encore parti sur la lune ou sur un autre astre loin du présent, il soupira.
En une fraction de seconde, il grimaça. Le béton rapant sa peau. Tout était flou, et si lointain… Il ne comprenait pas, la confusion dans son esprit semait le trouble à travers son corps et il perdait tout sens de l’orientation. Était-il couché ou assis ? Était-il debout ? Le haut et le bas se confondaient. Sa tête tournait, des vertiges l'assaillant de tous les côtés. Un crissement de pneu le fit écarquiller les yeux, le son agressant son ouïe, tout prêt de son oreille. Une voiture avait roulé si prêt de lui, il le ressentait, dans les vibrations du sol.
Il grimaça de nouveau, son sursaut l'avait ramené à la réalité. La douleur s'infiltrait dans tous ces pores, faisant trembler chaque parcelle de son corps. Il s'agita au sol, angoissé, la peur au ventre. Sa jambe droite ne répondait plus, ou du moins elle semblait comme paralysée. Ses doigts vinrent s'enfoncer dans le béton, tentant de se relever. Mais plus aucune force ne l'habitait. Effrayé, le jeune musicien voulut plier son autre jambe, tenter au moins de se relever un minimum. Apercevoir ce qu'il pensait être des dégâts.
Il soupira de soulagement lorsqu'il put bouger son autre jambe. Malheureusement, quelque chose clochait, sa cheville était emmêlée dans quelque chose. Peut-être son vélo ? Il était si serré, les maudites fourmis se placèrent dans sa jambe factice.
Les yeux hagards, il essayait de comprendre la situation. Tout était si confus. Il ne faisait que rentrer chez lui en vélo, comme chaque soir. Et tout avait basculé si vite. Il reconnaissait le béton dur sous son pauvre dos, il avait entendu cette voiture crisser les pneus et s'enfuir loin. Mais que s'était-il passé ? Sa nuque le faisait tant souffrir, tourner la tête lui paraissait un délire masochiste. Il avait déjà assez mal comme ça.
Sa main droite tata le sol avec insistance, voulant s'accrocher à quelque chose. Inquiet et souffrant, il priait de toutes ses forces que quelqu'un vienne à sa rescousse. Il y avait des supershéros désormais ? Qui protégeait les citoyens. Qui les sauvait chaque jour. Qui prenait soin d'eux ? Alors pourquoi souffrait-il si intensément ? Pourquoi ne venaient-ils pas à son secours, ou apaiser sa souffrance ? Il priait désormais n'importe qui, super-héros ou non.
Son cœur se comprima dans un étau fait de métal en fusion, brûlant sa poitrine. Il se sentait si… abandonné. Tout allait beaucoup trop vite, et pourtant ses réflexions, ses peurs semblaient figées dans le temps. Qui viendrait le sauver en y réfléchissant bien ?
Était-ce de la désillusion d'imaginer même d'être sauvé ? Comme l'un de ces dessins animés pathétiques ? Ou le personnage principal était mal, proche des portes de la mort, et que soudainement quelqu'un, qui par miracle, l'aimait et pouvait le guérir, et donc le soignait par la magie de l'amour ?
Un soupir lui échappa et poussa un gémissement de douleur. Quelque chose s'enfonçait dans ses poumons à chaque inspiration, le faisant haleter quelquefois.
Il n'était pas dans un de ces putains de Disney que les insouciants aiment tant. Personne n’allait le sauver. Puisqu'il n'était en aucun cas un personnage principal. Il était juste… lui. Luka. L'adolescent musicien isolé qui vivait sur une péniche. Qui aurait la bonté d'âme d'apparaître comme son sauveur en lui promettant amour et autres conneries ?
Lui, si calme, si attentif, si aimant et protecteur. Au fur et à mesure qu'il sentait sa main baigner dans un liquide pâteux, la rage remplaçait son silence. Pas ce genre de colère impulsive et explosive. Une fureur glaciale, une injustice qui l'empoisonnait et avalait ce qu’il lui restait de vie.
Qu'avait-il fait pour être allongé sur ce qu'il désignerait comme une route ? Seul, impuissant et confus ? L'avait-il mérité ? Était-ce parce qu'il osait aimer une fille déjà promise à un autre ? Était-ce parce qu'il s'éloignait quotidiennement même de sa propre famille ? Était-ce parce qu'il était un mauvais fils ?
Il crachote, voulant simplement tousser. Un goût âcre, saveur métallique. Et cela l'effrayait. Il craignait le pire. Il ne savait pas ce qu'il passait. Mais il était sûr d'une chose. Il n'allait pas rentrer à la maison.
Une partie de son corps ne répondait plus, les vertiges s'épaississaient avec sa vue devenue floue. Vue qui se brouillait en prime à cause des larmes. Il avait si peur. Il était si terrorisé. Il n'avait qu'une envie, se réveiller de ce cauchemar et plonger dans une étreinte maternelle rempli de tendresse. Il voulait sa maman, il voulait sa sœur. Comme un enfant effrayé par l'orage. Il voulait se blottir contre un être chaud et tendre qui offre un sentiment de sécurité. Il osa même penser à Marinette l’enlaçant, il grimaça à cette pensée, elle ne l’aimait plus, Ladybug était destinée à un Chat Noir, pas à un vil serpent se terrant dans l’ombre d’un mannequin pour l’amour de sa vie.
Il voulait hurler à l'aide, crier au secours, mais seuls des gémissements pitoyables passaient entre ses dents.
Est-ce que tout cela en valait la peine ?
Il ferma les yeux, souffla doucement, le quelque chose broyant ses poumons. Il ne voulait plus se battre. Il ne voulait plus être fort. Il ne voulait plus paraître compréhensif. Il voulait juste vivre en paix.
Il avait assez joué les durs. Il avait assez conseillé quand il n'avait aucune réponse à ses propres problèmes.
Il avala difficilement sa salive mélangée à son sang.
Il ne manquerait à personne. Sa mère oui, sa sœur sûrement. Marinette peut-être. Et alors ? Qu'est ce que cela changeait ? Son père l'avait abandonné, il n'a jamais eu vraiment d'amis, alors qu'il soit manqué ou non ? Qu'est ce que cela changerait ? Sass, son kwami à l'occasion, l'avait sûrement déjà oublié. Pas vraiment un ami.
Son seul ami avait été la musique. Il accepta et en fut déçu. La musique n'allait pas lui manquer. La musique n'était pas vivante. Ce n'était que des sons à la suite. Rien de plus, rien de moins. La musique n'était rien. Ce n’était pas son espoir.
Il arrêta de trembler, un craquement lugubre résonna dans ses oreilles. Son dos le fit grimacer instinctivement. Il ne remarqua qu'à ce moment que son corps était dans une position humainement impossible, enfoncé sur son vélo. Il l'avait payé cher ce truc. C'était futile. Tout était futile.
La musique, l'argent, l'amour, l'amitié. Ce stupide vélo.
Les images d'une franco-chinoise souriante puis en sanglots s'imposèrent dans son esprit. Il avait échoué d'avance. Elle en aimait un autre, elle le considérait comme son ami. Il ne faisait que pitié à la jeune fille. Il avait tellement moins que le garçon qu'elle aimait. Il avait gardé espoir vainement, comme un gosse naïf. Il aurait dû ouvrir les yeux plus tôt.
De l'espoir, naît la déception.
Il était déçu par tout, il était déçu par le monde, par la vie. Il était déçu de lui-même. Il avait tant de regrets, tant de remords, et seule la rancune envers lui-même persistait.
Peut-être était-ce le destin ? C'était donc cela sa vie dictée ? Vivre pour mourir. Il ne pouvait même plus froncer les sourcils, grimacer ou bien tirer les traits de son visage. Il était bien trop affaibli.
Il n'avait qu'une envie à l'instant, la colère le maintenant éveillé. Il voulait crier, se déchaîner sur tous. Il vivait déjà péniblement et le voilà déjà aux portes de la mort ? Était-ce ce que l'on appelait la vie ? En lui donnant la vie, sa mère lui avait donné la mort en cadeau. Vie qui avait été créée avec un père aux abonnés absents avec un sacré taux d'alcoolémie après des concerts de millions de personnes. La vie était une belle pute. Si tu possédais de l'argent, tu pouvais bien la payer pour qu'elle concède à te laisser vivre plus longtemps.
Il était tout bonnement furieux ! Avec toute logique de personne vivant ses derniers instants, tout lui paraissait évident. Avec ce fils à papa blindé qui jouait au super-héros altruiste en costume de cuir, il était évident qu'il n'avait aucune chance. Il ne pouvait même pas se sauver lui-même, rien d'étonnant à ce que celle qu'il aimait aille voir un autre plus apte à la porter vers le haut. Il n'était qu'un faible après tout, un faible qui avait rêvé sur un vélo. Voilà où lui menaient ses rêves : à se faire percuter par une voiture et lui faire perdre la réalité !
_ Bonjour Lastchanceur, je suis Monarch, je te donne le pouvoir de te relever et de récupérer les deuxièmes chances de ceux qui ne le méritent pas. A cela, tu auras le pouvoir de la détermination.
Il ne pouvait même plus expirer ces dernières respirations sans qu’un vilain l’utilise encore. Il n’avait pas le droit à une vie paisible, à quoi s’attendait-il à sa mort ?
Il gargouilla, incapable de répondre sans s’étouffer avec son propre sang.
_ Garçon, tu n'as qu'à dire oui. Tu te relèveras. Dis le mot.
L’agitation de Papillon, ou peu importe ce qu’il était maintenant, le laissait satisfait, apaisant une partie de son cœur brisé. Il aura au moins gardé une seule victoire dans cette situation. Il toussa, essayant de prendre une inspiration avant de laisser échapper le seul mot de son au-delà.
_ N-non.
Non, il ne sera plus utilisé. Non, il refuse d’agoniser. Non, il ne veut plus souffrir d’un cœur brisé, d’un corps en lambeaux. Non, il ne laisserait plus le monde prendre son silence pour acquis. Non, il ne désire plus se tenir debout.
_ Non ! Garçon répond ! Prends le pouvoir, relève-toi !
Il ne pouvait peut-être plus répondre, plus bouger, dans l’incapacité de se remémorer, perdant chaque aptitude, jusqu’à fermer les yeux, le visage fermé de colère. Il expira sans plus aucune douleur pensant aussi fort qu’il le pouvait lorsqu’il sentit une force sombre s’accrocher à lui.
Allez vous faire foutre.
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