Innommé : 4.2
Il entendit la voix énervante de Tomura, ce qui le poussa à lever les yeux dans sa direction, sans se redresser pour autant. Il était si bien sur le sol...
« Shigarakiii laisse-moiii... se plaignit le plus grand de taille en serrant les dents, furieux de voir cette main, accrochée au visage de celui aux cheveux bleutés, participer à son champ de vision déjà peu net.
- Dabi, nom d'un chien, mais qu'est-ce que tu fous ? (Tomura le lorgna avec suffisance avant d'agir.) Pas moyen d'être tranquille un soir de semaine... Tu empestes l'alcool en plus. Lève-toi. »
Celui à l'alter crématoire le repoussa en balançant son bras dans l'air. Il profita de ce mouvement pour rouler sur le flan et, d'un jeu de jambes malhabiles, chercha à se mettre assis. Tomura avait reculé pour ne pas recevoir de coup et le laissait faire, cachant son impatience.
« Tu m'agaces Dabi, tu enfreints des règles je te signale. Quand le professeur l'apprendra tu-...
- Ta gueule Ssssshiga de mes deux, j'veux pas qu'on en parle, j'veux juste que tu me laisses tranquille... ! »
Le plus petit resta stoïque un instant, intérieurement choqué par les dires du tueur aux yeux cyans. Il profita de sa surprise pour renifler discrètement l'air, et se pencha un peu vers la chambre pour constater les dégâts. Il demanda platement :
« Tu as allumé un feu de camp ?
- J'brûlais un truc...
- Je peux savoir quoi ? »
Dabi ne répondit pas. Il se contenta de se mettre debout, et son épaule se colla comme un émant contre l'encadrement de sa porte. Il fit mine repasser avec ses doigts les lambeaux de son tee-shirt qui dévoilait à demi ses cicatrices en-dessous.
« Il s'est passé quelque chose ? »
Aucune réponse.
« Si c'est le cas, ne te laisse pas distraire, tu nous es nécessaire pour nos missions. »
Dabi leva les yeux au ciel. Alors c'était ça ? Il était juste un utilitaire pour la ligue des super-vilains ? Et lui alors, se satisfaisait-il à utiliser la ligue pour leur capacité à concrétiser ses propres ambitions ? Oui, oui très certainement, mais pourquoi n'aimait-il pas la juste réciproque de ce fait ?
« Dabi ? »
Dabi ferma les yeux, et la voix de Tomura ne franchissait plus la frontière de son attention. Il était bien mieux ainsi. À n'écouter personne... Lorsqu'il les rouvrit, il était dans la salle de bain miteuse de leur local, il faisait froid, la douche était allumée. Le jeune homme se rendit compte qu'il était assis sur le couvercle des toilettes, et Tomura, à peu de mètres, réglait attentivement la température de l'eau. Avec une attention méconnue, le vilain aux cheveux de braise observa chaque fait et geste de son vis-à-vis. Celui-ci réajustait méticuleusement ses gants protecteurs, et fit face à son camarade à l'alter crématoire.
« Tu m'as l'air plus éveillé, d'un coup.
- Je me suis évanoui ?...
- Non, mais tu ne me répondais plus, je suis parti du principe que tu m'ignorais. (Il lui tendit sa main gantée.) On dirait que tu commences à désaouler, tant mieux. Viens. »
Le plus grand se surprit à dévisager cet aide avec un mépris paradoxalement mêlé à une touche d'inquiétude.
« Je ne vais pas te tuer. »
Comme si la remarque de Shigaraki était la bienvenue... Il ne s'en saisit pas, relevant simplement ses iris cyans sur l'énergumène qui hantait tant ses pensées. Alors, ambitionnant tout de même parvenir au bout de ses idées, l'individu pragmatique qui se tenait face à lui empoigna l'avant-bras de Dabi et d'un seul coup, ce dernier s'éveilla, et sa chair s'embrasa comme une vulgaire allumette. Tomura recula de plusieurs pas et se cogna contre le mur derrière lui, et sous la collision, l'objet inanimé qui dissimulait son visage se délogea et gagna le sol sans un bruit. Heureusement, il n'a pas été blessé, mais cet inconscient de braise était en train de se mutiler à former ainsi son armure ignée. Dabi était imperceptible, camouflée sous ses flammes bleus spectrales qui dansaient autour de lui dans un chant funeste de crépitements et de friselis de vêtements brûlés. Ne parvenant pas à le contrôler malgré ses rappelles à l'ordre presque indigents, son cou le démangeant atrocement, il fit néanmoins un effort considérable pour ne pas se laisser tenter à soulager l'appelle de sa chair et à la place, empoigna fermement le manche du pommeau de douche et envoya un jet glacé sur l'embrasé. Ce dernier émit une vocifération de détresse et son corps rencontra douloureusement le carrelage, les jambes attirées contre sa poitrine et les bras protégeant sa tête. Les flemmes avaient disparu sous l'assaille hydraulique, et les brûlures nouvelles qui s'entreposaient sur d'anciennes cicatrices formaient une croûte sombre et sanguinolente. Tomura chercha à recouvrer une respiration uniforme, tandis qu'une de ses mains exploraient sa gauche pour éteindre à tâtons la robinetterie, et comme le pommeau n'expectora plus ses gerbes, il le laissa pendre au bout de son cordon. Il avait regagné le contrôle de la situation, son cou ne le démangeait plus.
« Tu t'es calmé ? »
Dabi était pris de spasmes incontrôlés, mais ses muscles firent l'effort de se détendre au fur-et-à-mesure que la quiétude soudaine l'apaisait. Son cœur battait à vive-allure, il avait l'impression de revivre un moment semblable dans le passé. La douche froide. L'eau était si glacée sur sa peau brûlante. Il cria à son père d'arrêter. Il avait compris la leçon. Il ne lui manquera plus jamais de respect.
« Bien. »
Shigaraki avait soufflé ce mot avec assurance, voyant son camarade enfin calmé de sa crise. Il s'agenouilla près de lui.
« Il va falloir cicatriser tout ça, maintenant. »
Sa déclaration était posée, comme si tout était parfaitement normale. Peut-être voulait-il seulement le rassurer.
« Je vais voir si on a quelque chose pour te soigner. Lève-toi. »
Le noiraud ne s'exécuta pas. Ses bribes de souvenirs devaient s'en aller, en premier lieu.
« Dabi, adjura sérieusement celui aux cheveux bleus.
- C-connard... bégaya-t-il en grelottant sans baisser les bras de sa tête qui le protégeaient, ne sachant pas s'il parlait du bleuté ou de son père.
- Hm. De nouveaux vêtements ne seront pas de refus, je suppose, déclara-t-il simplement, n'ayant ni l'envie ni la force de rentrer dans une nouvelle attaque d'insultes. »
Le plus grand daigna enfin un regard vers son vis-à-vis vêtu de noir. Il croisa les yeux gris de Tomura, cet air un peu enfantin cassé par cette étrange allergie qui rongeaient sa peau, la lueur d'appréhension qu'il jugeait distinguer dans son regard calculateur. Il en arriva à se rendre compte que celui à l'alter de désintégration avait perdu une main protectrice dans la semi-bataille, dévoilant ainsi ce visage qui rabaissait son hôte aux potentielles malveillantes presque au statut d'humain lambda, malade et effroyablement seul. Ce dernier s'en aperçut plusieurs secondes plus tard seulement, et sans un mot, se releva, et se dirigea vers le membre mort qui traînait sur le carrelage de la salle de bain, dans une flaque d'eau parmi tant d'autres. Il la récupéra placidement et se cacha à nouveau la figure avec, comme un masque tangible que les autres ne connaissaient que par des expressions falsifiées et des mystifications sincères. Il demeura dos à Dabi, toujours en boule dans un coin de la pièce, trempée, transi, brûlé.
« Je reviens. Ne crève pas en mon absence, je n'en ai pas pour long. »
Le noiraud ne répondit pas, il se contenta de le fixer sans réagir. Tomura, n'affichant aucune expression visible, quitta alors les lieux et si l'on pouvait tendre un peu l'oreille, on pourrait presque l'entendre répondre platement aux inquiétudes d'une certaine adolescente aux couettes blondes qui avait été réveillée par des hurlements. Dabi ferma une nouvelle fois les yeux... Et lorsqu'il les rouvrit, il était assis sur le matelas de sa chambre laborieusement aérée – à défaut de n'avoir aucune fenêtre – et il sentit une gêne nouvelle sur son corps. Tomura était en train de finir de lui bander le torse, et se recula, jaugeant son travail d'un regard critique. Il referma la trousse de secours et la posa près d'un bout de tissu vieux comme le monde. Il attrapa celui-ci, un pull noir, et le tendit simplement à son allié.
« Enfile ça, imbécile, il ne manquerait plus que tu nous fasses une hypothermie. »
Celui à l'alter crématoire tendit péniblement le bras vers l'habit, et le ramena vers son visage.
« Où as-tu trouvé cette merde ?
- C'est à moi. Tes fringues sont fichues. C'était pour quoi, cette crise ? »
Le noiraud, sans répondre, enfila le vêtement avec une lenteur surprenante. Ses bandages recouvraient son buste et ses bras et limitaient ses mouvements. Même avec, il avait encore froid. Dabi ramena sa main contre lui et chercha à activer son alter pour générer une petite flamme bleutée, rien que pour se réchauffer, mais Tomura la chassa d'un geste vif.
« Ne fais pas ça. Arrête de jouer avec le feu, Dabi. »
Le noiraud leva le visage vers son vis-à-vis comme s'il ne parlait pas la même langue. Son regard cyan déstabilisait curieusement le plus petit de taille, et celui-ci referma sa prise en entrelaçant ses doigts à ceux du blessé. Comme s'il avait peur qu'en le lâchant, il reperdait le contrôle qu'il maintenait sur lui. Sur Dabi.
« Tu fais vraiment chier.
- Je ne t'ai rien demandé, Shigaraki. »
Surpris par le ton employé, celui aux cheveux bleus décida de ne pas perdre constance et sa main gantée se resserra un peu plus contre celle du noiraud en une étreinte sévèrement réconfortante. Sa voix se fit plus dure :
« Peut-être bien que tu ne m'aies rien demandé, Dabi, mais tu ne vas pas bien et tu te mets inutilement en danger, et ça me concerne parce que tu le fais au sein du groupe. J'ai bien remarqué que tu te sentais mal dernièrement, ça a un rapport avec ce que tu écris ?
- N'en parle plus. (Il trouva l'étreine agréable.) J'ai brûlé mon carnet.
- Pourquoi as-tu fait ça ?
- Parce qu'à cause de ce bouquin et des questions débiles je me suis mis à réfléchir à des choses qui me paraissaient sans importance, et je me suis rendu compte de tellement d'entre-elles que je ne les supportais plus. »
Clair. Net. Et précis.
« Heureux soient les idiots, déclara alors Tomura, toute colère évanouie dans son timbre de voix. Mais je ne comprends pas ce qui pourrait te mettre tous dans ces états.
- Tu ne comprendrais pas même si je te l'expliquais.
- Qu'en sais-tu ? »
Ils se regardèrent dans le blanc de l'œil, pensifs aussi bien à leurs dires qu'à ceux de leur correspondant respectif. Le plus petit venait de retirer la main qui cachait son visage, dévoilant alors pour la seconde fois de la soirée son regard gris et blafard. Ils se rendirent compte qu'ils ne se connaissaient pas du tout. Shigaraki, n'aimant pas ce qu'il apprenait, fronça des sourcils.
« Qui es-tu vraiment, Dabi ?
- ... Je l'ai oublié. »
Il baissa ses yeux cyans sur leurs mains entrelacés, et suivant son regard, Tomura prit conscience de la proximité un peu trop intime et le lâcha. Il ne savait même plus pourquoi il lui avait pris la main. C'était un acte stupide. Il se sentait stupide. Il détourna le regard. Il était stupide.
Dabi, lui, ne cilla pas, avec sa paume toujours tournée en direction du plafond posée sur sa cuisse. Il fixait l'étreinte rompue avec un certain regret. Le tissu du gant de Tomura était si froid, mais il était agréable contre sa peau trop chaude. Comme si les tenir ensemble régulait sa température corporelle.
Shigaraki chercha à changer de sujet.
« Tu t'es rendu compte de quoi, exactement ? »
Toujours perdu dans sa semi-transe, Dabi ne semblait pas l'avoir entendu, quand bien même cela était le cas.
J'ai appris que j'avais besoin d'aller au bout de mes idées. Que des choses me rendaient heureux mais que je les fuyais par peur de ce sentiment. Que mon alter pouvait être aussi réconfortante que destructrice. Que j'ai peur du trop plein de l'univers. Que malgré tout j'aime profondément la femme qui m'a mis au monde, et malgré ma haine pour ma famille, elle est la valeur qui me tient le plus à cœur. Et si je pouvais revenir en arrière, je serais resté, juste pour arranger les choses. Je me méfie des autres à cause du trop de confiance que je leur ai accordé dans le passé. J'ai su aimer. Et j'ai peur d'être seul.
« J'ai appris que j'étais un être humain... »
Il regardait ses mains avec crainte. Le souvenir de la fraîcheur de l'étreinte rompue s'estompait à une vitesse folle, si bien qu'il s'en inquiéta. L'attention de Tomura se reposa une nouvelle fois sur le plus grand.
« C'est tout ? »
Dabi parut froissé et serra les poings. Shigaraki s'approcha de lui, une lueur austère sur le visage qui contrastait ridiculement avec les faibles rougeurs présentes sur ses joues.
« Bien sûr que nous sommes tous des êtres humains, c'est une des raisons qui nous poussent à devenir des vilains ; pour montrer aux super-héros prétentieux que nous sommes tous égaux. Mais les Hommes sont affreux et égoïstes, pourquoi crois-tu que les inégalités subsistent dans notre monde ? »
Le noiraud ouvrit la bouche, mais il ne savait pas quoi répliquer. Il était comme... tétanisé aussi bien par les paroles du bleuté que ses iris.
« Écoute, enchaîna celui à l'alter de la désintégration en se penchant en avant, voyant bien que Dabi n'arrivait pas à détourner son regard cyan des siens, ce qui le mettait plutôt mal à l'aise. Si tu as vraiment besoin d'y réfléchir, fais-le, mais ne refais plus jamais ce cinéma au sein du groupe. Je me suis occupé de toi une fois, pas deux. J'espère que tu as bien compris ?
- ...
- Bien. Sur ce, je pars me coucher. »
Et alors qu'il s'apprêtait à faire demi-tour, Dabi le retint au dernier moment, une lueur de détresse encore perceptible dans son regard clair. Son cœur tambourinait à vive-allure dans sa cage thoracique. Il oubliait souvent que c'était cet organe qui le rendait aussi humain qu'il ne le craignait.
« Tu ne racontes à personne ce que je t'ai dit, n'est-pas ?
- ... Ne t'en fait pas, je ne vois pas ce que ça m'apporterait de toute manière, déclara le plus petit avec plus de sincérité qu'il ne pensait dévoiler, sans lui refaire face pour autant. »
Un tantinet rassuré, Dabi relâcha la prise qu'il tenait sur le vêtement de son camarade, et ce dernier, après un moment de déconnection, un instant qui aurait pu permettre au noiraud de le retenir, rien qu'un peu encore, quitta la chambre sans plus s'attarder. Il renfila son masque en forme de main, et bientôt, la porte se referma derrière lui. Dabi regarda dans le vague avec un sentiment de culpabilité qui lui en voulait d'avoir laissé Shigaraki s'en aller aussi facilement. Il frôla du bout des doigts la paume de la main qu'avait tenue Tomura quelques instants plus tôt à travers son gant. Le vague souvenir de l'étreinte perdura quelques minutes de réflexion encore, jusqu'à ce que plus aucune sensation ne lui reste sur ses cicatrices.
Il avait appris qu'il était humain.
Il avait appris qu'il était amoureux.
Mais l'amour ne l'avait jamais rendu heureux...
Il repensa aux paroles de son camarade, son confident éphémère, ne sachant mettre le doigt sur ce qui définissait vraiment cette identité falsifié qui l'avait aidé ce soir-là.
Et toi, Tomura, qui es-tu vraiment derrière ton masque ?
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