Je ne me rappelle plus de mon nom. Les contours de ma vision sont flous. Peu m'importe, je n'y pense pas. Le château est magnifique. Beaucoup plus sobre que Versailles, et paradoxalement immensément plus riche sans l'opulence inutile. Un monument gothique, comme la cathédrale de Cologne en beaucoup plus large. Des immenses tours semblent atteindre les nuages. De grandes, énormes fenêtres sur le flanc est du bâtiment permettent de voir l'intérieur: une jungle luxuriante de végétaux qui s'accrochent au verres et le lierre qui grimpe jusqu'aux moulures du plafond. Posés contre une colonne, quatre balais attendent patiemment qu'une âme courageuse les attrape pour s'envoler.
C'est ce que je fais. J'ignore les cris derrière moi et j'enfourche mon moyen de déplacement. Il est lent à démarrer et je me demande l'espace d'un instant si je suis sur un vélo rouillé. Enfin je m'élève du sol et monte à l'intérieur d'une tour. Il bruime dehors. Un bruit. C'est une professeure qui me regarde d'en bas, pas plus grosse qu'une mouche. J'imagine qu'elle me crie de revenir mais... est-ce que j'en ai envie ? Je me perche sur le rebord d'une immense fenêtre en verre puis me jette dans le vide en tentant de m'envoler. Je chute et je crois à une fin précoce mais le balai se stabilise à une dizaine de mètres de l'herbe humide de la lande. Je file à toute vitesse, libre comme l'air qui me caresse les cheveux. Cependant, le balai, comme une attraction de fête foraine, me signale déjà sa fin en descendant petit à petit. Je tente une dernière fois de retrouver cette sensation grisante de vol mais mes pieds sont déjà piqués par les vicieuses orties parsemées sur le terrain. Il ne me reste plus qu'à fuir, courir le balai à la main jusqu'à ce que l'alarme de mon réveil me sorte de ce rêve...