La Tour de Lavanville, partie 1
Je suis assis depuis près d'une heure sur les dalles vertes et glaciales qui pavent le sol du rez-de-chaussée de la tour Pokémon, face à ta tombe. Aux yeux du monde, ce n'est qu'une tombe parmi les milliers d'autres pierres tombales mauve construites dans ce gigantesque cimetière, mais sa simple vision me transperce le cœur.
Ma peau claire et constellée de taches de rousseur est zébrée de larmes. Mes cheveux bruns sont en bataille, et mon gilet, bien trop léger pour le début de l'hiver, est trempé de morve. Je dois avoir l'air pitoyable. Sale, tremblant de chagrin et serrant ta Pokéball à m'en faire mal à la main.
Cela fait trois jours que tu es mort mon Féroce. Trois jours que la culpabilité m'écrase, trois jours que j'encaisse les souvenirs qui remontent, lentement mais sûrement.
J'ai fini par craquer. Je me suis enfui du chez nous où tu n'es plus.
Je suis parti comme un voleur, sans même me soucier de laisser un mot sur la table pour rassurer mes parents.
J'ai fait Céladopole-Lavanville à pied en passant par le tunnel souterrain, et me suis effondré devant ta pierre tombale.
Les images de ton corps recouvert de sang poisseux me hantent.
Féroce, mon Férosinge, tu étais le Pokémon le plus gentil et le plus attentionné du monde.
Chaque jour, tu venais me chercher devant mon lycée, chaque nuit, tu dormais à mes côtés, tu me protégeais des Pokémon sauvages et de la Team Rocket...
Mes poings se serrent en pensant à ceux qui t'ont tué.
Les sbires Rocket avaient pris le contrôle de Céladopole depuis déjà plusieurs mois. C'était autrefois une ville paisible, peuplée majoritairement de retraités et d'étudiants. À leur arrivée, le nombre de vols, de braquages, d'actes de violence et de bien d'autres horreurs avait explosé.
Je savais les Rocket particulièrement à cran ces jours-ci. Selon les rumeurs, un simple gamin de onze ans serait rentré dans leur QG de Céladopole, et les aurait tous vaincus, du plus minable des sbires jusqu'à leur boss. L'affaire avait été étouffée du mieux que possible par la police, peu désireuse d'admettre qu'un gamin à peine sorti de l'école primaire avait réussi à démanteler en moins d'une heure la planque de ces bandits, alors que leurs meilleurs agents s'y cassaient les dents depuis des mois.
Mais ça n'avait pas suffi à décourager certains membres.
Tu étais venu me rejoindre devant mon lycée, mais au retour, nous sommes tombés sur des sbires. Ils s'étaient mis en tête de voler mon porte-monnaie.
J'aurais dû leur donner. Je leur aurai offert tout l'argent du monde pour qu'ils t'épargnent.
Tu t'étais dressé entre eux et moi, et avais mis au tapis un Rattata et un Machoc assez faiblard. Puis, le Nosferalto avait lancé une attaque Regard Noir, nous empêchant de nous enfuir. L'un d'entre eux s'était glissé derrière moi et m'avait donné un grand coup sur la tête, me faisant tomber au sol, avant de m'arracher mon sac. Tu t'étais mis très en colère, te jetant sur le sbire m'ayant blessé.
Une autre sbire avait ordonné à son Rattatac de t'attaquer avec un puissant Croc de Mort.
La capacité t'avait touché à la jugulaire.
Ils s'étaient enfuis avec mon sac, je t'avais pris dans mes bras et avais couru jusqu'au Centre Pokémon.
Mais il était déjà trop tard.
Je ne sais pas s'ils avaient voulu te tuer mon Féroce, mais qu'est-ce que ça change ? Tu reposes désormais dans cette tombe.
Des bruits de pas retentissent. Je lève péniblement la tête. Un jeune garçon avec une casquette rouge sur des cheveux noirs en bataille rejoint un garçon d'environ le même âge que je n'avais pas remarqué. Le premier avait une veste assortie à sa casquette et un Pikachu à l'air jovial perché sur l'épaule.
Le second avait un large pull violet. Il affichait un sourire arrogant et avait des cheveux bruns encore plus mal coiffés que ceux du gamin habillé de rouge.
- Hé, Red, Kesstu fais là ? Demanda le brun au nouveau venu. Tes Pokémon sont pas morts ! Je peux quand même les mettre K.O. ! Minable !
Sur ces mots, tous deux dégainent des Pokéballs. De celle du dénommé Red sort un Pokémon que je ne connais pas. Une sorte de tortue bleue avec une carapace dont sort deux canons. De celle du sale gosse jaillit un Rapasedepic.
Ils ne comptent pas se battre dans la Tour Pokémon, si ?
- Rapacedepic, Furie !
Apparemment si.
La tortue riposte avec un jet d'eau qui atteint l'aile de son adversaire avec une précision chirurgicale, le faisant presque tomber au sol.
Le garçon en rouge reste muet... comme une tombe, oui.
J'ai de l'humour aujourd'hui, on dirait...
Bref, je ne sais pas du tout comment il donne des ordres à son Pokémon.
L'arrogant garçon demande à son Rapacedepic de lancer la capacité Mimique, renvoyant ainsi l'attaque à son opposant sans lui causer beaucoup de dégâts. La créature à la carapace achève l'oiseau d'une puissante attaque Morsure.
Je devrais sans doute intervenir en leur criant à quel point il est irrespectueux de se battre dans un cimetière, mais l'affrontement est réellement prenant. Je ne connais rien au combat Pokémon, je me souviens à peine de la table des types, pourtant, je perçois leur différence de niveau. Mon Féroce, toi qui adorais voir de beau combats à la télé, tu aurais été ravi.
À l'aide d'un Pokémon vert doté une grande fleur rose sur le dos, d'un autre semblable à un dragon de feu et de son Pikachu, Red élimine sans aucune difficulté un Sabelette, un Kokiyas, une créature semblable à un aimant en lévitation et un adorable Pokémon à la queue touffue et avec une épaisse fourrure autour du cou.
Le sale gosse en violet crache à celui qui l'a battu :
- Hein ? Petit Feunnec ! Je ne t'ai pas pris au sérieux ! M-I-N-A-B-L-E ! Il rappelle son Pokémon K.O., tout en continuant de narguer celui qui l'avait pourtant battu sans efforts. Où en est ton Pokédex ? Je viens de capturer un Osselait ! Je n'ai pas encore trouvé d'Ossatueur ! Je crois qu'il n'en existe plus ! Je dois y aller, minable ! J'ai du pain sur la planche, minable ! À bientôt... Gros minable !
Il part sans se retourner.
L'histoire des Osselait et des Ossatueur de Lavanville est des plus tragiques. La Team Rocket s'était lancée dans le trafic de crânes d'Ossatueur, kidnappant les bébés et tuant les parents. Tout ça pour quelques liasses de Pokédollar... Comment peuvent-ils encore regarder leur sale tronche de meurtrier dans un miroir ? Comment peuvent-ils dormir la nuit ?
Le garçon au Pikachu donne à ses partenaires diverses potions pour les remettre sur pattes. Il passe ensuite devant moi, toujours suivi du Pokémon de type Électrik, et se dirige vers l'escalier pour monter au deuxième étage. Sans vraiment réfléchir, je me lève et l'interpelle :
- Hé ! Attend s'il te plaît !
Il se retourne, l'air un peu surprit.
- Tu es vraiment fort, montre-moi comment faire. Je suis si mauvais... La Team Rocket a tué mon Pokémon et je n'ai rien pu faire...
Ma voix se brise et mes larmes, qui avaient temporairement cessé de couler pendant le combat, refont surface. Pourquoi ça fait si mal ?
Red sort un mouchoir propre de sa poche et me le donne. Je me mouche bruyamment et essuie mes larmes. Après quelques instants, je reprends contenance et donne mon nom à mon interlocuteur.
- Je m'appelle Ambroise, je viens de Céladopole.
En réponse, il sort sa carte de dresseur de son sac à dos et me la tend.
Il s'appelle bien Red, son nom de famille est Satoshi, il est né à Bourg Palette et est âgé de onze ans, sois cinq de moins que moi. Malgré son jeune âge, il possède déjà quatre badges, dont celui de ma ville. Impressionnant.
Et puis mon cerveau fait enfin le lien. Des gosses de onze ans super balèze en combat, il n'y en a pas des milliards.
- C'est toi le garçon qui a vaincu les Rocket dans leur repaire ?
Il hoche la tête avec l'air de quelqu'un qui se remémore un bon souvenir. C'en est presque flippant. Moi, à son âge, je jouais au foot dans la cour de l'école en étant persuadé d'être doué et de pouvoir en faire mon métier alors que j'arrivais à peine à tirer droit. Lui, il voyage seul dans la région, capture et entraîne des Pokémon que je n'ai jamais vu, bat des champions d'arène et trouve même le temps de casser la figure de dangereux criminels. Trop la classe.
- Je peux venir avec toi ? Tu as l'air d'être un super combattant.
Red hoche la tête avant de monter à l'étage, je le suis, non sans lancer un dernier regard vers ta tombe en me promettant de revenir te voir un peu plus tard.
À l'étage, l'atmosphère est bien plus pesante que celle du rez-de-chaussée. Il n'y a pas de fenêtre et toutes les ampoules sont cassées. Il fait si sombre que le Pikachu du garçon, perché sur l'épaule de son dresseur, doit nous éclairer. Une brume violacée flotte dans l'air. Il n'y a personne, que des tombes. Seul le son de nos pas brise le silence mortuaire.
L'angoisse m'est tombée dessus aussi brusquement qu'un pot de fleurs lâché du cinquième étage. Mon cœur s'affole, ma gorge se noue et un frisson glacé me parcourt l'échine. Je tente de prendre sur moi. Je dois rêver. Je suis trop grand pour croire aux histoires de fantômes. Glissant un regard vers Red, je m'aperçois qu'il est complètement impassible. Il n'a pas l'air plus stressé que si on se baladait dans une bibliothèque.
Est-il courageux ou n'a-t-il juste aucun sens du danger ?
Absorbé par mes reflétions, je sens quelque chose frôler ma jambe.
Je hurle de terreur, faisant sursauter Red et son Pokémon.
Mon cri résonne dans toute la tour, je baisse les yeux et rougis de honte. Ce n'était qu'un tout petit Osselait, qui, encore plus terrifié que moi, cours se réfugier derrière une rangée de tombes.
Mon cœur bat encore à toute vitesse.
Le garçon à la casquette rouge me lance un regard désapprobateur et place son index sur ses lèvres pour m'ordonner de me taire.
Mais trop tard. La brume s'épaissit à vue d'œil et la température dégringole à toute vitesse. Plusieurs silhouettes humaines s'approchent de nous, je suis incapable de les distinguer correctement dans cette purée de pois, mais je crois entendre des murmures.
Elles sont accompagnées de créatures noires comme des ombres qui flottent au-dessus du sol, leurs mains détachées du reste de leurs corps et leurs gueules pleines de dents pointues. Leurs yeux blancs et vides, brillant d'une haine brûlante, contrastant avec la température glaciale, sont sans concurrence la chose la plus terrifiante que j'ai vu de ma courte vie.
Je me retourne, prêt à m'enfuir sans aucune considération pour Red. Seul mon instinct de survie compte, et il me hurle de partir très, très loin d'ici.
Mais il est déjà trop tard.
Les spectres nous ont encerclés. Voyant ma dernière heure arrivée, je récite l'une des rares prières que je connais pour implorer la protection des Oiseaux Légendaires de Kanto.
Red, peu désireux de remettre sa vie entre les serres d'Artikodin, Électhor et Sulfura, ordonne d'un signe de tête à son Pikachu, de lancer une attaque Tonnerre pour nous protéger. À ma plus grande horreur, son partenaire semble paralysé par la peur et enfouit son petit museau dans le cou de son dresseur.
Une main glaciale agrippe mon épaule et quelque chose de froid et mouillé me frôle la nuque. Je suis pris de violents tremblements et ma tête tourne à m'en donner la nausée. Mes forces me quittent à toute allure. Je pense à mes parents et toi Féroce, je vais sûrement venir te rejoindre mon grand...
La dernière chose que j'aperçois est Red, qui envoie son grand Pokémon rouge et ailé qui semble aussi être trop terrifié pour agir.
Mes jambes se dérobent et tout devient noir avant même que je n'heurte le sol.
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