👁️ Léna IV. Terrain inconnu
Arc 4 : Terrain inconnu
Arthur broyait les doigts de Léna, et elle commençait à en avoir assez.
« C'est bon, Arthur, ça va bien se passer, lui répéta-t-elle pour la millième fois. »
Il lui lança un regard suppliant.
« Tu veux bien me récapituler le plan pour me calmer ? J'ai peur d'avoir oublié... »
La blonde aux yeux gris qui lui faisait face lança un faible soupir et murmura de la voix de Léna :
« Bon. Étape une : on endort une infirmière et on la met sur le siège des toilettes dans lesquelles on se cache présentement. Étape deux : je prends son apparence. Étape trois : on s'introduit dans ta chambre peu après ta disparition et je t'aide à t'installer dans le lit. Si on nous surprend, il suffira de dire que je changes tes draps, ou que tu as besoin de mon aide pour te repositionner. Étape quatre : tu prends les médicaments que j'ai préparé qui te donneront les mêmes symptômes que ta maladie pendant quelques semaines. Enfin, étape cinq, je retourne aux toilettes, délivre l'infirmière et file m'inscrire dans ton école pour que ma présence ici dans les prochains jours ne soit pas trop étrange.
- À quoi ça servira que tu t'inscrive dans mon école ?
« À te surveiller, hésita-t-elle à dire. »
Mais cela sonnait mal. Arthur était avant tout son ami.
« Je pourrais prétexter être une nouvelle serviable qui s'est dévouée pour t'amener les cours, par exemple ? dit-elle d'un ton sarcastique.
- Une nouvelle stupide, alors. Dans mon état, les cours, j'en avais pas vraiment besoin...
- Si ça peux te rassurer, j'aurais tout le chemin jusqu'à ton école pour trouver un meilleur mensonge. Maintenant, dépêchons-nous. Ça va bientôt être le moment. »
Les deux adolescents sortirent de la cabine des toilettes qu'ils occupaient et ni une ni deux, s'attaquèrent à une pauvre infirmière qui entrait pour faire ses besoins. Une fois l'humaine ligotée aux cabinets, Léna secoua la main en l'air et l'artefact d'apparence vint la transformer. Le reste des opérations se passa sans encombres, et elle put bientôt dire au revoir à un Arthur fiévreux.
Sur le chemin de son appartement, qu'elle avait acheté grâce à de l'argent mis de côté par Kirmo, elle songea que la plus grande difficulté de cet échange seraient les parents d'Arthur. Cela faisait des années qu'il ne les avait pas vus, bien que son corps n'ait pas pris une ride. Sauraient-ils faire la différence entre leur fils d'hier et celui d'aujourd'hui ?
« Reprends-toi, Léna. Ils doivent y croire, sinon ton plan va échouer. »
Elle ouvrit la porte de « chez elle » et fit une brève visite du propriétaire. L'endroit était terriblement peu accueillant, mais il disposait du nécessaire : un frigo, une gazinière, un lavabo, des toilettes, une douche, un lit et des meubles de rangements disposés dans chaque pièce. Léna posa son sac sur le sol et entreprit de disposer son peu d'affaires dans lesdits meubles, puis de prendre une douche et de se changer. Elle sourit en pensant qu'elle aurait pu donner l'illusion qu'elle portait d'autres vêtements simplement en claquant des doigts. Il allait sans dire que malgré toutes les commodités qu'offraient les artéfacts, rien ne valait une action entreprise par soi-même. Avant de sortir, elle s'équipa un peu gauchement du téléphone qu'elle avait acheté dans la matinée. Le gadget n'avait qu'un seul contact mal orthographié, « Arrthur ».
« Ce n'est pas encore le moment de l'appeler, pensa-t-elle. »
Elle sourit. Il était temps pour Léna de goûter à la vie, quelques jours au moins, d'une adolescente comme les autres...
***
« Allô ? C'est qui ?
- Arthur, pourquoi ? Tu as d'autres contacts peut-être ? »
Léna rétorqua d'un air narquois :
« Tu sais, en deux semaines, je les ai bien multipliés par dix, mes contacts... Tu m'appelles à quel sujet ?
- Je me prépare à rentrer chez moi. »
Léna ouvrit de grands yeux surpris.
« Le médicament que je t'ai donné ne fait plus effet ?
- Si, mais comme je vais mieux, ma mère a décidé d'équiper mon ancienne chambre avec du matériel médical pour que je puisse retourner à la maison...
- C'est super ! Mais tu as l'air un peu déprimé...
- ... C'est que...depuis qu'on est revenus, Johanna ne m'a pas rendu visite une seule fois...
- ... »
Léna réfléchit. Et si... ?
« Dis moi Arthur, elle est dans ton école cette Johanna ?
- Euh...oui, pourquoi ?
- Parce que j'ai un plan incroyable pour qu'elle te tombe dans les bras... j'ai nommé : la jalousie ! »
La jeune fille entendit un soupir à l'autre bout du fil.
« Ça ne va jamais marcher.
- N'en sois pas si sûr...»
Et sur cette dose d'optimisme inhabituel, Léna raccrocha au nez de son acolyte. Le lendemain, anxieuse, elle alla sonner à la porte de ce dernier.
« Oui, qui est-ce ? demanda une petite voix inquiète derrière la porte en bois massif.
- Bonjour madame ? répondit Léna sur le même ton timide. Je suis une camarade de classe d'Arthur, et comme j'ai entendu dire qu'il était en train de se rétablir, je suis venue lui porter quelques cours des derniers mois... pouvez-vous m'ouvrir ? »
Une femme d'une quarantaine d'années, aux grands yeux tristes, se dessina derrière la porte.
« Entrez, mademoiselle ?
- Léna Durgal, murmura-t-elle promptement. C'est espagnol, s'empressa-t-elle d'ajouter devant la mine surprise de son hôte. »
Elle vit alors une tornade en pyjama dévaler les escaliers en s'écriant :
« Johanna ?!!!
- Raté, c'est juste Léna... le rectifia la blonde, un peu maussade. »
Il lui jeta un regard surpris.
« Qu'est-ce que tu fais ici ?
- Je suis venue te porter les cours des derniers mois ! Tu me montre ta chambre ? »
Après quelques explications sur leurs deux dernières semaines respectives, le brun demanda, bouillonnant d'impatience :
« Tu as vu Johanna au collège ces derniers jours ? »
Léna se renfrogna.
« Johanna, Johanna, tu n'as que ce prénom à la bouche ma parole ! Oui, je l'ai vue. Elle est plutôt jolie, admit-elle. Mais elle ne parle à personne, même quand on l'aborde avec les meilleures intentions, alors...
- Pas sûr que vouloir la maquer avec quelqu'un soient les meilleures intentions...
- Ne m'interromps pas. Comme je disais, donc, j'ai changé de tactique. J'ai décidé de propager des ragots. »
Des étincelles s'allumèrent dans ses yeux.
« Tu as l'air de bien t'adapter dis donc.
- À vrai dire, ton collège me rappelle mon pensionnat, confia-t-elle avec un grand sourire. Sans ma tutrice, Képhyr et Léandre, bien sûr.
- Képhyr et Léandre ? Tu avais des amis et ils ne sont pas partis avec toi ?
- Non, souffla-t-elle. J'ai quitté le pensionnat quand... quand Léandre est mort. »
La voix de Léna se perdit dans sa gorge. Elle prit une grande inspiration et continua :
« Képhyr est resté avec moi quelques temps, mais... Kirmo a donné les artéfacts à moi seule. Alors je suis partie de Volen sans lui. C'était trop dangereux, Léandre ayant déjà été assassiné à ma place... »
Arthur se massa les tempes.
« Attends, laisse-moi me rappeler... à cause de ta belle-mère ?
- Oui, celle qui veut me tuer. Elle s'en est prise à Léandre parce qu'elle avait trop peu d'informations. Elle savait juste que j'étais une hybride avec des cercles concentriques à la place des pupilles... mais c'était le cas de Léandre aussi. »
Elle baissa les yeux.
« C'est bête, parce que cette caractéristique est assez rare... »
Arthur lui massa l'épaule.
« Je comprends que tu t'en veuilles, mais ce n'est pas de ta faute. Longtemps, quand je voyais mes parents désespérés par ma maladie, j'ai pensé que j'en étais responsable de leur malheur. Qu'ils auraient été plus heureux avec un fils en meilleure santé. Certes, ce n'est pas entièrement fais, mais... Je n'ai pas choisi d'être malade. C'est à ma naissance que tout s'est décidé, et rien ni personne n'a pu le contrôler. On nait et puis c'est tout. »
La petite blonde sourit.
« Tu as sûrement raison... merci. »
Une fois rentrée chez elle, elle repensa aux paroles d'Arthur. Dans le fond, que ce soit ses yeux, ses parents ou sa belle mère, elle n'avait jamais eu le choix sur sa vie. Même sa prise des artéfacts n'était pas un choix en soi. Mourir ou devenir un symbole pour tous. Mourir ou venger la mort de son ami. Qui pouvait appeler ça une décision libre ?
Quand Léna croisa Johanna le jour d'après, elle fut dévorée pour la première fois par la jalousie. Cette fille avait eu une vie facile, dans le fond. Elle avait pu choisir son école, ses jouets, ses vêtements. Elle possédait tout ce qu'elle n'avait pas. Et elle avait aussi...
« L'amour d'Arthur, dessinèrent les lèvres de la jeune fille. »
Elle secoua la tête.
« Qu'est-ce qui me prend ? »
Elle se reconcentra sur sa proie. Chercha à quelle table elle était allée manger. Puis elle héla son groupe d'amis et ils s'assirent juste à portée d'oreille de la blonde solitaire.
« Hé les gens, s'empressa-t-elle de crier à pleins poumons, de peur que Johanna finisse son repas en avance ( ce qui lui arrivait très, trop souvent au goût de Léna qui n'en était pas à sa première tentative ) vous devinerez jamais ce que j'ai fait hier !
- Non, c'est sûr, si tu nous le dit pas.
- Je suis allée voir Arthur Petrov ! »
Bruit de fourchette qui tombe. A-ha ! Sa cible n'était donc pas complètement sourde.
« Le mec qui est malade depuis presque un an ? T'es folle ! Il a pas besoin de visites... son truc est ineffable.
- Euh... incurable tu voulais dire ? Pas du tout ! Il est même rentré chez lui il y a quelques temps. Et il gambade comme un chevreuil !
- N'empêche Léna, tu le connais même pas...
- On s'en fiche, tant qu'il est mignon... »
Gigantesque fracas. Johanna se retourna avec fureur et beugla :
« Comment ça, tant qu'il est mignon ?!! Il sort de l'hôpital ! Il a autre chose à faire que de fricoter avec des blon... avec des filles comme toi ! »
À suivre... dans Les lunettes d'Outre-Monde
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